12. Poisson frais

TxK

YES YES YES YES

Cela fait tout juste vingt ans que Jeff Minter a sorti son premier remake du classique de Dave Theurer, Tempest (Atari, 1981). Après Tempest 2000 (1994), puis 3000 (2000), après Space Giraffe (2008), Txk est la quatrième déclinaison du tunnel shooter réalisée par le maître de l’arcade psychédélique. On pourrait se contenter d’écrire qu’au fil du temps Minter a démontré qu’il connaissait le sujet, et que son dernier opus est peut-être le plus abouti. Mais TxK est plus que le prolongement de vingt ans de recherches menées par le gourou de la transe vidéoludique : le support change tout, et avec une PS Vita entre les mains, l’expérience prend une nouvelle dimension.

Minter l’avoue lui-même, TxK est formellement beaucoup moins osé que Space Giraffe, peut-être son chef d’œuvre le plus barré, qui avait déboussolé la plupart des joueurs sous des torrents de couleurs acidulées, transformant l’écran en buvard et notre rétine en kaléidoscope. Formidable maelstrom d’idées, tourbillon de boulettes à la limite du perceptible, le trip était peut-être un peu trop azimuté pour ne pas exclure une frange du public, qui a pu admirer l’objet tout en ne parvenant pas à se l’approprier. Conscient d’être allé un peu loin, Minter abandonne ici l’outrance des nappes multicolores pour retrouver la limpidité originelle d’une toile en 3D vectorielle. Txk est un jeu vif, qui devient très vite diablement ardu, mais qui s’efforce de demeurer lisible même lorsque scintillent à l’écran des cohortes d’ennemis.

Certains niveaux, dans lesquel le tunnel se tord, s’enrubanne, se plie et se retord possèdent bien des angles morts, mais c’est pour mieux forcer le joueur à varier sa stratégie : tantôt il faudra être agressif pour nettoyer le plus vite possible les vagues qui envahissent la toile, tantôt il sera nécessaire d’adopter une posture plus défensive, quitte à abandonner une partie du tableau en attendant de récupérer un bonus comme le saut ou le droïd qui permettent de reconquérir le terrain délaissé. On a parfois l’impression de s’en sortir un peu par miracle, mais les contrôles au pad numérique sont parfaits, même lorsque le jeu s’efforce de nous mettre sens dessus dessous. TxK est l’aboutissement d’une science du game design que des années d’expérience ont raffiné... au point qu’on ne saisit pas forcément du premier coup les détails qui rendent l’expérience si fascinante, comme léger déplacement de l’axe de la caméra lorsque le joueur bouge la console. Débarrassé des scories, Minter revient à l’essence de l’arcade, sans tomber dans le passéisme. Il modernise, au sens le plus fort du terme.

Chacun des cent stages constitue un défi à part entière, d’autant qu’hormis le score et le nombre de vies, tout est remis à zéro : le joueur perd ses bonus, mais hérite d’une et d’une seule bombe par niveau, qu’il faudra utiliser à bon escient, en tapotant sur l’écran, pour se sortir des situations les plus périlleuses. Comme dans Space Giraffe, il est possible de reprendre à chaque fois depuis le début du jeu, ou bien de repartir de n’importe quel niveau déjà atteint avec le meilleur total de points et de vies enregistré… Une manière de nous laisser nous entraîner sur des niveaux plus calmes, qui alternent avec les plus tourmentés, ce qui nous permet de ne jamais réellement nous confronter à un mur insurmontable de difficulté.

Si TxK a baissé la dose d’hallucinogènes, Minter n’en a pas pour autant abandonné l’excentricité qui fait tout son charme. Le Gallois d’adoption nous plonge une fois de plus dans un univers idiosyncratique, où l’histoire du jeu vidéo se télescope avec un humour so british : le jeu nous félicite d’un « Sterling » (excellent), nous propose « A Nice Cup of Tea », ou compare notre performance à un « week-end in Basingstoke »… Bien entendu, le post-hippie reste un fidèle de la scène transe des années 90 : TxK est un générateur de rave party solitaire, dont la bande son aussi speedée que planante rappelle les plus belles heures de la techno britannique. On peut y jouer dans les transports, mais le jeu prend tout son sens casque sur les oreilles et lumières éteintes, pour profiter au mieux de la déferlante audiovisuelle.

En ce sens le jeu tire pleinement partie de la PS Vita, et surtout de son superbe écran, véritable fenêtre portable, qui restitue à soixante images secondes les visions hallucinées de son créateur. Minter n’est pas à son premier jeu portable, et je n’ai pas essayé toute sa production iOS, mais Minotaur Rescue semblait étriqué sur un téléphone, et les commandes tactiles m’avaient paru trop capricieuses. La machine de Sony ne pose pas de telles contraintes, et TxK transforme la console portable en un lieu de dévotion frénétique, une icône de poche avec laquelle célébrer toujours et partout le culte de l’arcade, dont Jeff Minter demeure l’un des plus exemplaires prophètes.

Il y a 2 Messages de forum pour "YES YES YES YES"
  • Jamel Le 6 mars 2014 à 23:00

    Voilà un article qui résume tout le bien que je pense de cet excellent titre. Et bien écrit.

    J’ai une simple question : qu’est-ce que tu entends par pad numérique ? Je joue au stick (actuellement bloqué au niveau 76) personnellement.

  • Martin Lefebvre Le 7 mars 2014 à 07:57

    La croix. Oui en y réfléchissant ce n’est peut-être pas le bon terme.

    Je trouve que le stick analogique manque un peu de précision pour le jeu, surtout lorsqu’il s’agit de changer de direction. Et puis avec le stick ma main n’a pas envie d’aller seulement vers la gauche et la droite, mais dans toutes les directions, ce qui marche pas bien pour TxK.

    Mais après c’est peut-être juste moi.

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