Voyage à travers les mondes arboriformes
Metroidvania : le terme est vraiment moche. Il faudra s’en contenter, à moins d’accepter un "jeu de plate-formes d’exploration" ; metroidvania a au moins le mérite d’être reconnaissable. Cas rare dans la série des -like auxquels nous ont habitué les jeux vidéo, le mot-valise se permet de raconter une histoire en deux temps. La voie ouverte par Metroid (1988), puis Super Metroid (1994), est ainsi restée relativement déserte jusqu’à ce que Castlevania : Symphony of the Night (1997) s’empare du genre. La suite, difficile de l’ignorer : loin de se contenter d’une niche retro, le metroidvania s’empare régulièrement des meilleures places dans les top vidéoludiques. De quoi s’interroger sur les raisons d’un succès aussi durable.
Sans vouloir s’éterniser sur son historique, on peut commencer par se demander comment le jeu de plate-forme à deux dimensions a pu survivre jusqu’à aujourd’hui. Vous allez dire : c’est une simple question de moyens ; il est plus facile d’élaborer un jeu en deux dimensions. Ceci a deux implications : la première est qu’il est simple à développer à peu de frais par un studio indie, voire par un développeur unique (Axiom Verge, 2015). D’autre part, cela implique que l’on peut aller assez loin dans l’esthétique, imitant à peu près n’importe quel style, du cartoon (Cuphead, 2017) à la peinture (Seasons After Fall, 2014) en passant par la poterie grecque (Apotheon, 2015). Même les gros pixels restent bien plus acceptables en 2D que les "voxels" de la 3D.
Mais il y a une autre raison, autrement plus pratique. Simple problème physique : l’écran étant lui-même un objet à deux dimensions, jauger la distance entre un point et un autre est une opération naturelle en 2D, tandis que ce n’est qu’une projection dans un jeu 3D. Ce serait une autre paire de manches si la VR était le support par défaut. Tant que ça n’est pas le cas, les designers auront beau faire tout leur possible en fournissant les repères — objets, personnage à la troisième personne — ; on ne peut prétendre à la même précision. N’en déplaise à Lara Croft et ses confrères, le jeu de plateforme en trois dimensions sera toujours un intrus sur un écran.
Ciseaux et colle à papier
Le plateformer en 2D a connu une évolution certaine depuis ses débuts, notamment en ce qui concerne la délinéarisation de l’espace. L’enchaînement de couloirs qui était la norme [1] a aujourd’hui totalement disparu. Il faut a minima offrir au joueur la possibilité de choisir le niveau que l’on veut explorer, selon la formule initiée par Super Mario Bros. 3 (1988), reprise par exemple dans Shovel Knight (2014). Mais la grande majorité va bien plus loin en optant pour l’une parmi deux solutions : soit le rogue-lite, dont les niveaux sont fabriqués à la volée ; soit le metroidvania, qui doit être au contraire fignolé à la main.
Désolé d’enfoncer des portes ouvertes, mais il faut bien définir précisement ce dernier. Le metroidvania met en scène un monde d’à peu près un seul tenant, construit en arbre ou en réseau, souvent abondamment fourni en raccourcis et cachettes. La plupart des passages ne sont pas accessibles au personnage tant qu’il n’a pas récupéré une capacité spécifique : par exemple, un double saut permettant d’atteindre une plate-forme inaccessible au début du jeu.
Ces capacités sont récurrentes dans le genre : le roulé-boulé de Metroid (1986) permettant l’accès aux passages étroits est devenue une transformation en poulet dans Guacamelee ! (2014). On peut d’ailleurs s’interroger sur l’origine de certaines : qui a bien pu avoir l’idée saugrenue du double saut ? Il semble que la première occurrence remonte à Dragon Buster (1984). Ce qui n’était peut-être qu’un bug s’est ensuite propagé grâce à la facilité de design qu’il offrait, et s’est paisiblement fait accepter dans la syntaxe du plateformer.
Le metroidvania affecte donc l’apparence d’un monde ouvert, en coupe. N’est-ce pas là un simple trompe-l’œil ? On peut effectivement se représenter l’univers d’un metroidvania comme un unique couloir, que l’on aurait tronçonné avant de recoller les morceaux les uns sur les autres. Le joueur est toutefois bien contraint dans son périple : il n’a que peu de chemins à emprunter à l’instant t. S’il acquiert une nouvelle capacité-clef, cela n’ouvre que quelques portes supplémentaires à celles qu’il n’a toujours pas explorées. L’illusion fonctionnerait parce que c’est au joueur de décider s’attaquer à telle branche — alors qu’il n’a en réalité pas tellement d’options.
Confusion des expériences
La nuance est tout de même importante. D’abord parce qu’elle permet au joueur de réellement s’approprier les niveaux, que l’on est amené à parcourir — pour les branches principales — de nombreuses fois, dans tous les sens. Le joueur ne perd jamais le sentiment de contrôler ses décisions. Surtout, même s’il n’a pas tellement d’options, le joueur ne sait jamais sur ce qu’il va tomber. Ce nouveau passage, mène-t-il vers une simple cachette bonus, ou bien une immense zone ? Le metroidvania sent bon le porte-monstre-trésor dans sa forme la plus simple, un Hero Quest basculé verticalement. La forme la plus simple de l’exploration est aussi la plus efficace. On peut d’ailleurs se demander si la question des plate-formes ne serait pas secondaire dans la définition ; Hyper Light Drifter (2016) ne serait-il pas un metroidvania horizontal ?
La comparaison avec le RPG primitif ne s’arrête pas là — si l’on omet la part du roleplay pour se concentrer sur l’aspect évolutif du personnage. Lorsqu’il acquiert de nouvelles capacités, les changements du protagoniste sont immédiatement apparents. Le dash ou le double saut se voit bien mieux qu’un obscur "+1 en force". Au classique changement de niveau correspond une épiphanie du mouvement. En cela, le metroidvania pourrait être considéré comme une manifestation graphique du RPG.
L’évolution du personnage se mêle alors à la progression du joueur. Contrairement au plateformer linéaire ou au rogue-lite, le metroidvania ne se prête souvent qu’à seule longue partie. De débutant, le joueur apprend à maîtriser son personnage, qui lui-même acquiert une nouvelle capacité, qu’il faut à son tour maîtriser, et ainsi de suite. Les concepteurs ont bien conscience de cette boucle d’apprentissage, chaque nouvelle acquisition étant d’ailleurs généralement suivie d’une épreuve la concernant. Après avoir obtenu le wall jump, il y aura un passage constitué de murs à escalader, d’abord simple, puis incluant de plus en plus de dangers.
Cet formation perpétuelle permet d’entretenir un certain flou sur les performances respectives : terminer un passage difficile est dû autant aux progrès de l’un et de l’autre. Cela d’autant plus que, comme on l’a vu plus haut, le personnage est amené à parcourir plusieurs fois les mêmes passages. Ce qui devrait être une corvée est souvent assez jouissif. La première occurrence est une exploration prudente, ardue. Après quelques trajets, notre héros fonce à toute allure à travers les mêmes dangers. C’est que le cheminement est rendu plus facile à la fois par les nouvelles capacités et par l’amélioration du joueur lui-même. Quelle est la part de chacun ? Qu’importe. La satisfaction a le même goût.
Une page blanche
Cette relation spécifique explique également un attachement particulier du joueur à son personnage, qu’il a vu grandir et qui l’a vu progresser. Mario ou Sonic sont des outils, des véhicules qui nous servent à traverser les niveaux et que l’on apprend à mieux conduire d’une partie à l’autre. On ne saurait leur accorder la tendresse que l’on ressentira envers une Samus ou un Alucard, que l’on a connus pratiquement nus. On ne sait absolument rien du Chevalier de Hollow Knight, il est parfaitement blanc et muet, malléable. Cela n’empêche pas de se sentir presque coupable à l’abandonner, au moment de quitter définitivement le jeu, après tout ce que l’on a vécu ensemble.
L’exploration évolutive suffit largement comme seul moteur. On ne s’étonnera donc pas de la faiblesse narrative dans le metroidvania. Dans le meilleur des cas, le joueur est vaguement lancé à la recherche de quelque chose ou quelqu’un : un ami dans Steamworld Dig 2 (2017), un remède dans Momodora : Reverie under the moonlight (2016), ou — comme c’est original — sa propre mémoire [2] dans Dust : An Elysian Tail (2012). Grand succès de 2017, Hollow Knight ne se donne même pas cette peine : les bribes de narration sont tellement confuses qu’on parviendra sans peine à la fin du périple sans en avoir compris les motivations.
La recette est claire : une narration trop dense nuirait au metroidvania. Plus on cherche à diriger le joueur, moins il se sent libre dans ses choix et maître de son exploration. Toute la subtilité du concepteur est d’orienter sans en avoir l’air. Ce pourra être le rôle de la difficulté : le metroidvania implémente traditionnellement des boss ou des passages retors qui ponctuent le cheminement principal, parfois soudainement — on se souvient de quelques passages d’Ori and the Blind Forest (2015) faisant souffrir les manettes. Alerté par les premiers obstacles, le joueur se mettra à explorer frénétiquement son labyrinthe vertical dans l’espoir de remporter quelques bonus, points de vie, techniques facultatives qui l’aideront dans les prochaines batailles.
Tous n’appliquent cependant pas la même recette. Steamworld Dig 1 et 2 décident de la jouer tranquille, laissant le joueur miner tranquillement, lui proposant quelques défis sans obligation. D’autres jouent la carte du puzzle (VVVVVV, 2010) ou de la castagne (Guacamelee !). Le metroidvania est un genre accommodant, il a encore de beaux jours devant lui.
Notes
[1] On objectera que Super Mario Bros. (1985), pourtant pionnier du plateformer, était déjà assez peu linéaire grâce aux nombreux tuyaux et raccourcis. C’est d’ailleurs une des raisons de son succès, par rapport à des productions ultérieures plus dirigistes.
[2] En écrivant cet article, j’avais moi-même complètement oublié le scénario de Dust, et j’ai dû aller le relire sur wikipedia. Ça c’est de l’assimilation à son personnage, non ?
Vos commentaires
Oncle Bob # Le 18 mars 2018 à 21:16
Quels jeux dans le genre conseilleriez-vous, pour s’y mettre ?
Laurent Braud # Le 19 mars 2018 à 08:53
Bonne question ! Honnêtement, sur tous ceux que je cite, il y a peu de déchet, sauf Apotheon dont la maniabilité est complètement ratée.
Super Metroid pour l’historique — il est tout-à-fait jouable même dans les standards actuels.
Symphony of the Night pour le chef-d’oeuvre. (Mes souvenirs remontent pour celui-là.)
Ori est vraiment mignon et accessible (malgré quelques passages plus relevés).
Hollow Knight est excellent, mais place la barre de difficulté un peu haut, notamment dans les (nombreux) boss.
Pour une promenade relax, Steamworld Dig 2.
Pour la rigolade et un chouette système de combat, Guacamelee !.
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