Attila n’est pas un nom que l’on inscrit innocemment sur la couverture d’un produit culturel. Le roi des Huns est une source abondante de fantasmes, et ce, depuis son accession au pouvoir, au Ve siècle.
Quand les équipes de Sega et de Creative Assembly choisissent d’invoquer le personnage pour baptiser le jeu qui doit prolonger le cycle ouvert avec Rome II, il y a donc, de toute évidence, une logique commerciale à l’œuvre ; la même, sans doute, qui avait conduit à la mise en avant de Napoléon après Empire : Total War. Les deux hommes apparaissent en effet comme des figures structurantes de l’imaginaire collectif car ils caractérisent une forme de rupture et annoncent un changement d’époque, ce qui sied tout à fait à ces épisodes intercalaires de la série.
Le fléau de Dieu
Attila endosse ainsi un rôle ingrat mais fondateur : il est la force barbare destinée à anéantir un monde vieillissant pour que celui-ci puisse renaître, régénéré. Les cinématiques promotionnelles ne se privent d’ailleurs pas d’employer très lourdement cette image et abordent généralement la période traitée sous l’angle du choc des civilisations. Rome y est présentée comme un État qui a poussé trop loin ses conquêtes, par cupidité, et qui s’est épuisé dans le processus. Attila apparaît alors comme celui qui fera ployer le puissant empire, pour le forcer à l’humilité ; il est celui qui ramènera le monde à l’équilibre, quitte à le détruire s’il le faut. Le roi des Huns se dévoile ainsi comme une calamité nécessaire, comparable aux catastrophes bibliques.
Ces cinématiques reprennent en fait un discours très classique sur Attila et sur les Barbares dans leur globalité. C’est le discours des auteurs romains, qui ont toujours lu leur histoire comme le produit de l’action conjuguée des vices et des vertus des hommes, dans une approche propice à la construction de modèles et de contre-modèles. C’est, plus encore, le discours des auteurs romains chrétiens, qui ne pouvaient manquer d’interpréter les difficultés de Rome face aux Barbares comme le signe d’une épreuve imposée par Dieu à son peuple, afin qu’il réforme ses mœurs.
En 2014, Attila prend les traits d’un quadragénaire hirsute au regard féroce. La flamme d’une lampe à huile fait danser des ombres sinistres sur son visage. L’homme ricane de l’agonie de Rome, affirmant que « la lumière de la civilisation faiblit et vacille », avant de s’exclamer, dans une tirade finale, « j’apporte la fin des temps, je suis le fléau de Dieu et je verrai votre monde brûler », livrant ce qui paraît être le programme du jeu dans une envolée quelque peu excessive.
Autant dire qu’une telle entrée en matière pouvait laisser dubitatif. Pourtant, à travers son gameplay, Total War : Attila (TWA) propose une lecture un peu plus fine de la période. Il s’agira ici de mettre en lumière ces contradictions, en s’attardant sur le traitement que le jeu réserve à différents thèmes caractéristiques de l’époque considérée.
Le sauvage
Remarquons, dans un premier temps, que la communication du jeu s’articule autour d’un archétype classique, celui du barbare, susceptible, à lui seul, de séduire une clientèle potentielle, en raison de l’imaginaire qu’il véhicule. De Conan (1932) à Diablo II (2000), en passant par Donjons et Dragons (1982) [1] et ses innombrables épigones [2], les œuvres de culture populaire ont progressivement façonné une figure du barbare aussi codifiée qu’elle pouvait l’être dans les sources romaines. Son analyse pourrait d’ailleurs sans doute faire l’objet de sérieux travaux de recherche, si tel n’a pas déjà été le cas.
Partout, le barbare se caractérise d’abord par sa sauvagerie, c’est-à-dire littéralement par le fait qu’il demeure extérieur à la civilisation [3]. De cet état découle un comportement impulsif, agressif et quelque peu irrationnel, à l’image de celui de la bête indomptée.
Cette représentation est, bien souvent, connotée négativement ; le barbare est avant tout un contre-modèle. C’est du moins le cas dans les sources romaines, au sein desquelles l’idée de barbarie n’existe qu’en contrepoint à la notion, valorisée, de romanité. Dans ces sources, comme dans un certain nombre d’œuvres de culture populaire, le barbare apparaît ainsi en premier lieu comme un antagoniste, un défi constant pour la civilisation, quand il n’est pas tout simplement un ennemi. Au IIIe siècle, la figure fantasmée du barbare devient un outil politique, puisque la popularité des empereurs est fonction de leur positionnement face à ceux que l’on décrit comme les adversaires de la romanité [4]. Des siècles plus tard, en pleine Première Guerre mondiale, la communication de guerre des gouvernements anglo-saxons emploie plus particulièrement l’image du Hun pour dénoncer une barbarie qui serait propre à l’ennemi allemand.
Dans le même temps néanmoins, une approche romantique de la figure du barbare peut chercher à le concevoir comme un étendard de la liberté, puisque son refus de la civilisation implique qu’il ne se voit contraint par aucune des lois propres aux hommes domestiqués. Pulsions débridées et mépris des conventions sont ainsi les attributs qui doivent transformer ce barbare de fiction en objet de fantasmes et le rendre séduisant, fut-ce de manière inavouable. C’est en tout cas dans ce registre que s’ancre la communication de TWA.
Passées les cinématiques promotionnelles, on constate cependant que le gameplay du jeu choisit de ne pas réduire les relations entre Romains et Barbares à la seule idée d’une lutte de la civilisation contre la barbarie. Si ces relations sont d’abord présentées comme conflictuelles et si le défi proposé au joueur est, en premier lieu, de réussir à s’imposer à l’autre, de conquérir ses territoires et d’y bâtir sa civilisation, de tels mécanismes ne se révèlent pas propres à cet épisode ; par son titre même, la série de jeu a en effet toujours revendiqué son ambition de mettre en scène la guerre avant toute autre chose. De plus, les factions barbares ne sont pas réduites à l’état de bêtes irrationnelles, elles ne constituent pas une simple menace extérieure indistincte et peuvent, fort heureusement, participer au jeu politique de manière aussi nuancée que les autres.
Cela étant dit, on constate toutefois que la notion de barbarie subsiste, de manière inattendue, dans un élément de l’habillage sonore du jeu. Le doublage original anglais établit en effet une curieuse distinction entre les populations romanisées et les Barbares puisque, dans l’interface diplomatique, les représentants des premiers s’expriment avec une diction britannique maniérée, tandis que les seconds sont affublés d’accents improbables, d’un manque de vocabulaire, et de voix rauques tout à fait ridicules. Sans trop y réfléchir, le jeu prend ainsi position quant aux différents niveaux de maîtrise d’une langue véhiculaire - qui figure, on l’imagine, le latin -, alors même qu’on serait bien en peine de savoir si les élites barbares parlaient vraiment plus mal le bas latin que le commun du peuple romain par exemple. A cette occasion, la distinction entre romanité et barbarie ressurgit donc de manière surprenante, ce qui se révèle somme toute assez significatif puisque, par définition, le barbare est, pour les anciens Grecs, celui qui ne connait pas le grec, mais parle une langue gutturale et sans sophistication.
Il faut croire qu’au XXIe siècle, la bonne maîtrise d’une langue dominante, d’une langue de référence, apparaît toujours, plus ou moins consciemment, comme ce qui doit distinguer l’homme civilisé du barbare.
Les invasions barbares
La période retranscrite dans TWA, parfois désignée comme l’Antiquité tardive [5], se caractérise par une nouvelle dimension dans les relations entre Rome et les Barbares, et le jeu ne pouvait manquer d’intégrer cet aspect d’une manière ou d’une autre. Il s’agit du phénomène, lui aussi source de fantasmes, que l’historiographie française a qualifié de « grandes invasions barbares » [6]. L’image de hordes sauvages abandonnant leurs terres stériles pour fondre sur les riches provinces impériales sert ainsi de trame à plusieurs œuvres de culture populaire. Elle apparaît en effet séduisante à mettre en scène, en raison de son doux parfum d’apocalypse qui permet d’élaborer à peu de frais un scénario catastrophe, lequel dynamise la narration et accroît ses enjeux, en rendant les choix des protagonistes plus dramatiques et plus déterminants.
Si l’on met de côté les cinématiques promotionnelles, on constate cependant que TWA ne succombe pas si facilement à cette image d’Épinal. L’idée de migration est en fait l’occasion d’une nouveauté de gameplay, qui consiste à autoriser certaines factions à se développer sans nécessité de détenir une quelconque province. A tout moment, ces factions peuvent abandonner leurs attaches territoriales et choisir de se transformer en « horde ». De cette manière, le jeu propose sa lecture propre d’un phénomène dont la nature n’est pas toujours correctement comprise.
Aujourd’hui encore, en effet, certains ouvrages grand public présentent les « grandes invasions » sous la forme d’une carte figurant le déplacement des peuples barbares, depuis la plus haute antiquité jusqu’au VIe siècle. Cette vision, majoritaire chez les historiens jusqu’au milieu du XXe siècle, est pourtant désormais rejetée par la plupart des spécialistes car elle confond deux choses : d’une part les récits d’origines mythiques, qui se multiplient aux VIe-VIIe siècles, et d’autre part les déplacements d’armées barbares à travers l’Empire, à partir du IVe siècle, qui sont eux bien attestés par les sources de l’époque.
Les premiers, regroupés en tant que genre littéraire sous le nom d’Historia gentium [7], sont des ouvrages rédigés a posteriori, à destination des élites aristocratiques des royaumes barbares médiévaux ayant succédé à l’Empire romain [8]. Malgré la nature fantaisiste de ces récits, on les a pourtant lus jusqu’au milieu du XXe siècle comme des témoignages fidèles sur d’hypothétiques mouvements massifs de populations avant le IVe siècle. Force est pourtant de constater que l’idée de la migration séculaire de peuples entiers, conservant une identité culturelle homogène sur autant de générations ne convainc plus [9], puisqu’elle n’est confirmée ni par les sources historiques de l’époque, ni même par l’archéologie, bien au contraire [10].
En réalité, une certaine confusion s’installe lorsque l’on traite sur le même plan ces récits mythiques et les déplacements d’armées barbares à travers le monde romain aux IVe-Ve siècles. Ces mouvements sont pour leur part bien attestés par les sources, mais il faut comprendre qu’ils ne constituent cependant ni une invasion, ni même une migration, puisqu’ils concernent avant tout des armées, où le nombre des guerriers l’emporte sur celui des femmes et des enfants ; des armées résolues à capter une partie des richesses produites par Rome, en se mettant à son service, ou, à défaut, en se livrant au pillage de ses provinces [11].
Si TWA ne se détache pas de l’idée de migration, qui apparaît telle quelle dans les différents menus, on constate néanmoins que le biais utilisé pour l’intégrer au gameplay se révèle plutôt proche de la réalité historique. Ainsi le jeu ne s’embarrasse-t-il pas avec la période qui précède le IVe siècle et transforme ces factions « migrantes » en hordes, composées majoritairement de soldats, libres d’assurer leur subsistance en pillant les territoires qu’elles traversent, ou en s’octroyant le droit de s’y installer afin de participer au jeu des alliances politiques et des échanges économiques. C’est donc assez bien vu.
« Des cailloux, des cailloux, des cailloux ! »
La notion de pillage et d’abandon de provinces entières aux mains des Barbares fait d’ailleurs l’objet d’une autre nouveauté de gameplay dans TWA. Le jeu se fait un plaisir de figurer l’adage selon lequel l’herbe ne repoussait pas là où Attila passait. Lorsqu’une armée parvient à s’emparer d’une colonie, elle dispose désormais d’une nouvelle option, qui s’ajoute aux traditionnelles possibilités de piller ou d’occuper la région : celle de raser tout ce qui s’y trouve. Cela déclenche, sur la carte de campagne, une animation par laquelle la région semble alors se consumer progressivement comme le ferait une feuille de papier, mettant ainsi en scène de manière très graphique, mais plutôt anachronique, l’idée de politique de la terre brûlée.
En jeu, les Huns ne semblent parfois connaître que cette stratégie, attaquant les cités non pas dans un esprit de conquête mais pour les détruire totalement. Les Huns bénéficient en effet d’un bonus de croissance économique pour chaque colonie rasée, ce qui paraît très contradictoire mais doit encourager cette faction à adopter cette tactique particulière. Bien qu’elle ne semble se fonder sur aucune réalité historique [12], une telle mécanique demeure intéressante en ce qu’elle propose une rupture dans le gameplay désormais classique de la série Total War, qui voit l’alternance légèrement routinière des conquêtes et des reconquêtes. En introduisant un tel outil de remise à zéro forcée, les développeurs ont sans aucun doute cherché à entraver la constitution d’empires massifs et surpuissants, ces fameux « blobs » que les jeux de grand strategy incitent plus ou moins directement à créer. Dans les premiers temps, le mécanisme paraît fonctionner, puisqu’une région rasée met beaucoup de temps à se développer de nouveau, tandis qu’une colonie « seulement » mise à sac peut, pour sa part, être remise en état en un tour, c’est-à-dire en une saison. Le système montre cependant ses faiblesses lorsqu’on réalise qu’il ne ralentit le rythme du jeu que de manière très arbitraire et très punitive. Le joueur est dès lors condamné à voir la durée de ses parties artificiellement rallongée, jusqu’à la lassitude, puisque le mécanisme n’écarte en réalité pas longtemps la redondance propre aux jeux Total War.
Il est alors intéressant de remarquer qu’en mettant ainsi l’accent sur la destruction, le jeu donne en fait aux Huns, ainsi qu’aux Barbares en général, un rôle convenu : celui d’agents destructeurs de la romanité. C’est du moins sur cet aspect que se concentre la campagne de communication du titre, en promettant au joueur de lui faire vivre les derniers instants de la civilisation romaine.
La chute de l’Empire romain
Dans la cinématique évoquée au début de ce texte, Attila paraît en effet exulter à l’idée de mettre à bas l’ensemble des réalisations de Rome, ce « glorieux monument de pouvoir, de culture et de savoir ». Au détour de cette phrase, c’est le barbare sans foi ni loi qui resurgit, caractérisé par son désir irrationnel d’anéantir la culture et le savoir.
La première extension du jeu insiste à son tour sur cet aspect, en proposant au joueur d’incarner le général romain Bélisaire, mandaté en 533 par l’empereur Justinien pour mener la reconquête des territoires impériaux perdus en Afrique et en Italie. Bélisaire est pour l’occasion qualifié de « dernier romain », titre dramatique que l’historiographie occidentale s’est plue à donner à diverses figures de l’Antiquité tardive. Le « dernier romain » est traditionnellement le général Aetius, qui, près d’un siècle avant l’époque justinienne, en 451, offrit à l’Empire romain d’Occident sa dernière grande victoire sur les Barbares, en vainquant Attila aux Champs Catalauniques, près de Troyes. Cette simple expression entretient l’idée selon laquelle la percée des frontières impériales par les Barbares aurait conduit à un conflit culturel majeur dont Rome serait sortie vaincue, sonnant le glas de la romanité.
Pourtant, lorsque l’on s’interroge sur la nature des identités barbares au moment où ces populations entrent en contact avec l’Empire, on se rend compte qu’en réalité, l’acculturation s’est plutôt globalement faite au bénéfice de la culture romaine. Les Barbares sont en effet fascinés par Rome et dans l’optique d’intégrer ce monde prospère et prestigieux, ils en adoptent la religion, les rituels de pouvoir et les titres honorifiques [13]. Ainsi Aetius lui-même est-il d’ascendance barbare. Il ne faut donc en aucun cas s’accrocher à l’image de Barbares décidés à anéantir à tout prix les structures du monde romain.
Rome et les Barbares entretiennent en fait depuis longtemps une relation ambivalente, qui voit l’alternance permanente des conflits et des alliances. Lorsque le roi des Wisigoths Alaric mène le sac de Rome en 410, il ne cherche pas à annihiler l’Empire et sa culture. Bien au contraire, pour s’assurer une meilleure position dans la compétition politique qui agitait le monde romain, une partie des Wisigoths s’étaient, dès les années 370, convertis au christianisme de l’empereur Valens. Alaric était de plus parvenu à obtenir le titre officiel de magister militum. Ainsi l’assaut lancé sur Rome doit-il plutôt être perçu comme une démonstration de violence visant à rééquilibrer le rapport de force qui liait les Wisigoths à un pouvoir impérial habitué à instrumentaliser les Barbares pour conserver l’ascendant. Quelques années plus tard, ces mêmes Wisigoths repasseront sans difficulté au service de Rome et obtiendront le droit de s’installer légalement en Aquitaine pour en exploiter les richesses.
Le jeu parvient à retranscrire le caractère fragile et transitoire de ces alliances, conclues et rompues au gré des circonstances. Il peut même simuler le phénomène de factions qui se mettent au service d’autres, via le mécanisme des États tributaires, admettant le fait qu’un empire est plus souvent un agglomérat d’entités diverses qu’une nation homogène sur le plan culturel. Une fois encore, on note donc une contradiction entre la communication du jeu, axée sur le choc des civilisations, et la réalité du gameplay, beaucoup plus nuancé.
Une partie de la campagne promotionnelle de Total War : Attila ne semble ainsi pas croire en la capacité du jeu à convaincre par son seul gameplay, pourtant de qualité. Elle fait le choix du spectaculaire, véhiculant, via ses cinématiques, une représentation éculée d’Attila et de l’époque qui l’a vu naître, alors même que le contenu du titre prend soin de proposer une image, sinon exacte, du moins très honnête de la période.
Puisqu’il demeure toujours plus facile de vendre une idée ou un produit en confortant les préjugés de la cible, on attendra malheureusement encore longtemps avant de voir les grands studios de l’industrie du divertissement prendre le risque d’abandonner de si rentables poncifs.
Notes
[1] Les règles pour jouer la classe du barbare dans Donjons et Dragons apparaissent pour la première fois dans le numéro 63 (juillet 1982) du magazine officiel Dragon.
[2] Dont Pillars of Eternity, sorti en 2015, est l’un des derniers représentants.
[3] Puisque le sauvage, silvaticus, est l’habitant de la silva, la forêt, quand l’homme civilisé réside dans la civitas, la cité.
[4] Magali COUMERT et Bruno DUMÉZIL, Les royaumes barbares en Occident, Paris, PUF, 2010, p. 9.
[5] Henri-Irénée MARROU, Décadence romaine ou Antiquité tardive ? (IIIe-VIe siècle), Paris, Seuil, 1977.
[6] Les Allemands parlent de « migration des peuples » (Völkerwanderung), ce qui, déjà, révèle deux paradigmes bien différents.
[7] C’est-à-dire « Histoire des peuples ». Voir Magali COUMERT, Origines des peuples : les récits du haut Moyen Âge occidental, 550-850, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2007.
[8] Ils sont élaborés sur le modèle d’autres récits d’origines que sont l’Énéide (racontant l’origine mythique du peuple romain) et l’Ancien Testament (racontant la fondation mythique des royaumes hébraïques) et leur empruntent un même schéma narratif : celui de l’errance d’un peuple, émaillée de victoires qui légitiment son installation définitive sur une terre d’élection. Les jeunes royaumes du très haut Moyen Âge assimilent ce double héritage romain et chrétien pour mettre par écrit leurs propres origines mythiques. M. COUMERT et B. DUMÉZIL, op. cit., p. 11-14.
[9] Sauf ceux qui, hier comme aujourd’hui, veulent instrumentaliser ces récits pour écrire une histoire romantique des nations.
[10] M. COUMERT et B. DUMÉZIL, op. cit., p. 15-16.
[11] M. COUMERT et B. DUMÉZIL, op. cit., p. 29-30.
[12] Puisque les Huns, lorsqu’ils ne se mettaient pas directement au service de Rome, se satisfaisaient sans aucun doute, comme les autres Barbares, de piller les ressources des provinces romaines et n’avaient aucun intérêt à abattre définitivement la bête qui les enrichissait tant. Si la guerre et les pillages ont pu progressivement faire sombrer certaines régions de l’Empire dans la désolation économique, les Barbares n’ont jamais eu pour objectif de scier la branche sur laquelle ils se tenaient.
[13] M. COUMERT et B. DUMÉZIL, op. cit., p. 18-23 et p. 73-78. Voir aussi B. DUMÉZIL (dir.), Les Barbares, Paris, PUF, 2016.
Vos commentaires
Laurent Braud # Le 30 mars 2017 à 11:52
Pour la représentation du barbare dans le jeu vidéo, la thèse de Laurent di Filippo se penche sur le cas d’Age of Conan.
Concernant plus précisément les "hordes", n’est-il pas exclu d’y voir un parallèle avec la "question migratoire" qui hante notre quotidien médiatique ? A laquelle Creative Assembly répondrait de façon relativement ouverte — ne serait-ce parce qu’elle les considère comme des êtres humains qui cherchent simplement à survivre, ce qui est déjà beaucoup par rapport à d’autres médias.
En tout cas, si la communication est effecivement assez conforme au cliché du barbare, force est de constater que CA a pris un certain nombre de risques, et notamment dans l’inversion du paradigme à blob habituel, puisqu’on assiste à la déconstruction de l’Empire Romain tandis que les peuples migratoires ne sont pas incités à la prolifération. Pour être honnête, le changement a été trop radical et j’ai lâché prise assez vite ... lui préférant un Total War²hammer bien plus débile. Mais je salue l’effort.
Guillaume # Le 1er avril 2017 à 12:31
Merci beaucoup pour ce chouette article, vraiment complet. C’est un plaisir de redécouvrir cette période débarrassée des clichés qu’on lui attribue.
Maxence Bidu # Le 5 avril 2017 à 10:29
Réponse un peu tardive, désolé.
Déjà, merci Laurent pour la référence.
Pour le reste, je ne peux te répondre qu’en développant.
On peut toujours chercher à faire des parallèles entre différentes époques. On est tous amené à le faire (je ne sais pas si c’est le cas des gens de chez Creative Assembly). C’est plutôt stimulant, mais il faut, je pense, garder à l’esprit que c’est un exercice qui reste périlleux. Il y a toujours le risque d’occulter, par commodité, certains éléments significatifs qui font que deux phénomènes distants, qu’on voudrait voir comme similaires, n’ont en fait pas eu le même sens pour les gens de l’époque et n’ont pas été vécus de la même manière.
Ainsi, pour de nombreuses comparaisons desquelles on voudrait tirer une leçon « positive », utile à reproduire pour notre présent, d’autres observateurs pourraient en tirer une leçon « négative », car l’interprétation d’un phénomène passé est largement influencée par le paradigme dans lequel se place celui qui compare. Une même situation passée peut donc servir à la fois d’exemple ou de contre-exemple, en fonction du positionnement que l’on veut soutenir.
On réalise ainsi très vite que ce genre d’analogies sert généralement un discours politique, sans que cela soit toujours perceptible. Même lorsque l’on a les meilleures intentions du monde, on se retrouve à instrumentaliser le passé pour justifier une prise de position du présent, pour tenter de lui donner plus de légitimité et plus de force. Mais ce genre d’argumentaire se révèle cependant fragile et assez facile à démonter car, sciemment ou non, il se fonde souvent sur des analyses tronquées du passé.
Pour la question particulière des « migrations barbares » au Bas Empire, il faut savoir que la « leçon négative » de cette époque a déjà été tirée, au moins dès 1991, par Claude Allègre, qui a déclaré dans Le Monde (19 juillet) qu’il suffisait de lire le livre de l’historien Patrick Geary (Before France and Germany, 1988) pour voir « comment l’immigration prétendument contrôlée (déjà des quotas) a[vait] fait exploser brutalement, de l’intérieur, un monde qui semblait indestructible ». Ce qui n’a pas manqué de faire réagir ledit historien, qui a par la suite écrit un livre entier dénonçant l’utilisation de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge pour servir des positions nationalistes (Quand les nations refont l’histoire, 2004, p. 20).
L’interprétation d’Allègre est erronée, car les deux situations ne sont absolument pas comparables : les Barbares du Ve siècle sont des groupes relativement petits, menés par des chefs militaires qui entendent participer à la compétition politique du monde romain, en amassant du butin et en imposant leur autorité sur un bout de terre, de gré (Wisigoths, Burgondes, Francs) ou de force (Vandales). Leurs aspirations ne sont donc pas du tout les mêmes que celles des migrants de notre époque... Ça parait évident. De plus, les causes de l’effondrement de l’Empire sont multiples et ce dernier était en crise depuis longtemps déjà (crise fiscale, instabilité politique).
D’un autre côté, la position exactement inverse (« les incursions Barbares ont été une chance pour l’Empire », par exemple) ne serait, à vrai dire, pas plus juste, car, si l’intégration des Barbares a pu se faire pacifiquement dans certaines circonstances (positions honorables dans l’armée), à d’autres moments, leur arrivée s’est faite dans la violence, les pillages et la guerre, et les chefs barbares n’ont pas hésité à se tailler des royaumes lorsqu’ils ont compris que l’autorité centrale était dépassée.
Les mouvements de population de notre époque sont donc difficilement comparables à ceux du Bas Empire. Les causes, les modalités, les structures politiques sont toutes différentes, donc les conséquences ne peuvent pas être les mêmes. Il est donc très compliqué de déterminer la position à adopter sur des problématiques contemporaines en se basant sur un passé si lointain.
Laurent Braud # Le 5 avril 2017 à 19:21
Tu as parfaitement raison, c’est moi qui n’ai pas été très clair. Je voulais simplement pointer ce qui est pour moi le rôle principal de la culture populaire, à savoir exprimer des peurs et des notions actuelles. D’un côté, les concepteurs les expriment, et de l’autre, le consommateur les reconnaît et les fait siennes. Le point de vue de l’analyste serait — au moins en premier lieu — simplement de les noter. En l’occurence, je ne pense pas qu’un jeu vidéo consacré aux "populations migrantes" et "la chute d’une civilisation" soit dû au hasard dans le contexte médiatique actuel. La question de savoir si le parallèle est valide ou même possible est un tout autre problème !
Maxence Bidu # Le 9 avril 2017 à 16:17
Du coup j’ai un peu surréagi, désolé ^^’.
Il est vrai qu’il y a toujours des résonances, liées au contexte de production, qu’on le veuille ou non, et que ce soit conscient ou non.
P # Le 19 novembre 2017 à 18:43
Laurent et Maxence : au sujet de la concordance des imaginaires à travers les époques, il pourrait également être intéressant (mais périlleux) de se demander si la figure du barbare utilisée en 2017 ne cristallise pas également le cocktail angoisse / fascination collective qu’on retrouve autour de la figure du terroriste islamiste, animé d’une soif irrationnelle de détruire "notre" civilisation. Posture outrageusement revendiquées par certains groupes terroristes (EI détruisant Palmyre, ou encore le nom "Boko Haram") ou mise en avant par le camp de la guerre contre le terrorisme, par exemple dans le discours neocon de la guerre de civilisation (George Bush : "they hate our freedom"). D’ailleurs nous vivons une époque que certains points de vue décrivent comme décadente, la figure du terroriste islamiste, voire carrément de l’immigré constituant dans ce schéma un test final posé à notre virilité collective en perte de vitesse (Zemmour bonjour)...
Cependant ce serait pousser le bouchon et faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que de supposer que l’équipe marketing utilise ici consciemment ce fond de commerce "angoisse/fascination" pour attirer le chaland. On peut au moins évoquer un bagage d’inconscient collectif ?
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