Will Wright voulait faire de SimCity le god game ultime. Dans nos souvenirs, la série était une métaphore de l’American Dream, un rêve d’expansion illimitée au service de notre propre désir. Les villes s’étendaient avec la dynamique du sable mouvant, nous soumettant tout entier au projet de la grande entropie perpétuelle.
Le jeu savait gérer parcimonieusement notre stock de sérotonine. Les besoins primaires comblés, la ville se développait avec de nouveaux bâtiments à la clé, mais de nouveaux problèmes surgissaient : cycle infini. La croissance était le fruit d’innombrables difficultés mais elle signait le but du jeu : on ne pouvait envisager de laisser sa ville stagner ou perdre des habitants. En bon chercheur d’or, il fallait toujours aller chercher de nouveaux gisements de capital : the price to pay pour édifier une ville-monde qui épuise le régime de nos grandeurs. Comme beaucoup l’ont déjà écrit, le nouveau SimCity exige peu mais récompense également très peu. On peut laisser sa ville stagner et dépérir sans angoisse ; on peut même l’abandonner et en développer une autre à côté. On peut déléguer à un autre joueur sa production d’électricité, son système éducatif ou son parc de logements sociaux ; et les problèmes qui vont avec. On peut même se contenter d’une ville peuplée de pauvres, c’est dire le sacrilège. Bienvenue dans le monde des villes jetables. Bienvenue dans un social game sans enjeu mais pas sans idéologie.
Des SDF, la faute à trop d’impôts
Il n’y a pas de quoi s’en étonner mais les règles libérales modèlent toujours le jeu jusqu’à l’absurde. SimCity nous fait bâtir des villes-miracles où le plein-emploi est à portée de main. Evidemment, dans une économie fermée, le surplus de capital peut toujours être absorbé quelque part. Parce qu’il faut bien évoluer, le jeu ingère quelques rudiments d’économie mondiale mais il n’en tire que les avantages (la possibilité d’exporter ses excédents de production vers le marché mondial) sans les inconvénients (la délocalisation de la production). Bref, le chômage n’est rien d’autre que le temps de passage d’un emploi à l’autre. Le comble de l’absurde est atteint quand des SDF apparaissent dans le jeu, squattant les parcs de la ville... Un effet de la fragilité de l’économie ? Certainement pas ! Simplement la conséquence de taxes trop lourdes qui contraignent certains résidents à quitter leur logement.
Des règles qui entérinent la gentrification urbaine
SimCity reproduit avec la même automaticité industrielle les règles du libéralisme et celles du city builder. Mais le mythe d’Adam Smith est tempéré par une bonne dose de pragmatisme, le résultat peut-être d’un constat désenchanté. Plus conscient de certaines réalités, le dernier opus prend davantage en compte la production sociale de l’espace urbain. L’abandon du zonage au profit du réseau routier — un des cœurs du gameplay — en est l’illustration. La « densité » des routes définit une bonne part du reste : l’implantation d’industries performantes ou de résidences pour riches... Mais des choses plus vitales en dépendent : la chance d’y rester ou non en cas de crise cardiaque ou de voir sa maison survivre à un incendie. La qualité des soins ne dépend plus de la couverture géographique de l’hôpital mais de la vitesse d’accès à ce dernier, c’est-à-dire d’un ensemble de facteurs définis par le joueur lui-même (réseau routier, moyens alloués aux hôpitaux).
Tout l’intérêt du réseau routier, c’est qu’il est porteur de contradictions. Il « sanctuarise » le centre urbain et la périphérie ainsi qu’à un degré moindre les zones riches et les zones pauvres. « Les banlieusards » sont d’ailleurs fortement invités à abandonner leur véhicule aux portes de la ville pour prendre le bus... En traçant des routes, le joueur fixe des frontières sociales qui resteront intangibles tout au long du jeu. Une logique qui signe l’effondrement de l’idéologie initiale de la série : cette grande aventure collective où tous les citoyens peuvent devenir riches. Non pas que ce projet soit rendu impossible. Mais il est sérieusement compromis par le gameplay simpliste.
Auparavant, le passage d’une classe d’habitants à un niveau supérieur était lié au développement général de la ville, c’est beaucoup moins le cas à présent. Le temps très limité des parties ne laisse pas le temps aux citoyens de progresser. Par ailleurs, emprisonné par les choix inhérents au réseau routier, le joueur est rapidement amené à construire des ghettos pour riches et pauvres avec leurs aménagements ad hoc (à chaque classe sociale, ses propres parcs) – qui resteront figés durant toute la partie. La dynamique de la gentrification urbaine tend donc à être inscrite dans les règles-mêmes du jeu. Ce qui rappelle City Life, où la gestion de la ville se réduisait principalement à assurer la bonne entente entre les différents groupes sociaux - les cols bleus, les cols blancs, les alters, les démunis -, lesquels nourrissaient l’un envers l’autre un certain niveau d’acceptation ou de détestation. Alors, réalisme ou cynisme ? La ligne claire de ce dernier SimCity laisse de quoi méditer.
Vos commentaires
Etienne # Le 14 mai 2013 à 06:40
Ca me fait vraiment penser à ce chef-d’oeuvre de la sociologie urbaine américaine :
http://www.amazon.fr/City-Quartz-An...
Broke # Le 14 mai 2013 à 13:07
Qu’en est-il de l’écologie dans ce Sim City ? La bande-annonce où tout les problèmes d’énergie d’une ville étaient résolus en plaçant une centrale nucléaire au centre de la carte m’avait interpellé.
Tony # Le 14 mai 2013 à 13:59
Le jeu encourage à mutualiser la production d’énergie avec les autres villes de la région. C’est rigolo que la vidéo nous invite à bâtir une centrale nucléaire pour toute la région alors que la production d’énergie via les éoliennes suffit à assurer l’autonomie énergétique de chacune des villes. Ce qui n’était pas le cas dans le précédent opus où on se retrouvait vite débordé par la demande...
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