09. Le futur perdu

Wipeout 2048

Un futur trop parfait

Catapulté au rang d’incontournable du lancement de la PSVita aux côtés d’Uncharted : Golden Abyss, Wipeout 2048 est un jeu à l’image du futur qu’il dépeint. En mettant fin aux activités de son studio de Liverpool, Sony semble avoir soudainement pris conscience du caractère absurdement utopique de cet avenir.

A l’instar de pléthore d’œuvres issues d’autres médias, de nombreux jeux vidéo sont apparus en promettant au genre humain les pires catastrophes. Tel n’a jamais été et ne sera jamais le propos de Wipeout, qui n’a de cesse de fantasmer positivement autour de ses voitures presque volantes et de ses délires architecturaux, sous l’œil de tribunes aussi bondées que ravies. Depuis le milieu des années 90, la saga de Psygnosis (futur Sony Liverpool) fend l’air autant qu’elle se fond dans l’ère Playstation, pour en incarner un symbole de puissance, d’avant-gardisme, et surtout de foi inébranlable dans le futur. Rien de tel pour attirer un jeune public appelé à entrer dans un vingt-et-unième siècle où lui sont promis monts et merveilles.

Wipeout 2048 affiche la même confiance aveugle. Si les premiers volets modéraient encore cette idylle par une certaine froideur stylistique, cet épisode PSVita, qui se veut l’an zéro de la série, est à l’image de ses plus récents prédécesseurs. Le temps est toujours au beau fixe ; les constructions sont imposantes, quelques unes d’entre elles se voient déjà inscrites au patrimoine de l’UNESCO ; la techno a définitivement tué le rock’n roll. Les sponsors promus à différents endroits des tracés sont de généreux donateurs effectuant le travail de Dieu. On pourrait alors croire que l’adolescent de 1995, à l’époque fasciné par cet hypothétique nouvel âge, jetterait un regard bien plus distant dix-sept ans plus tard, le temps qu’un certain nombre d’illusions aient fondu comme neige au soleil lors de son passage à la vie adulte.

La crise actuelle, pas franchement annonciatrice de lendemains qui chantent, ne peut que renforcer cette déception. Entre les dérives financières, les inégalités croissantes, les tensions économiques et géo-politiques entre états, et surtout la raréfaction de certaines ressources naturelles fossiles, autant de sombres perspectives dont l’accentuation ne saurait être raisonnablement écartée, on peut se demander où pourrait avoir lieu dans une trentaine d’années un événement réunissant fonds illimités, public uni et enthousiaste, summum technologique et ambiance de fête. Peut-être dans un paradis fiscal, clameront les plus cyniques.

Pourtant, ces tergiversations s’avèrent bien dérisoires une fois les temps de chargement écoulés : s’il faut faire de la patience une solide vertu lors de ceux-ci, quelques secondes de jeu suffisent à dissiper toute pensée grinçante. Les mots d’ordre de Wipeout 2048 sont beauté, fluidité, vitesse, souplesse ; autant de sensations qui s’accentuent en vue subjective, où l’on se croirait hors de son vaisseau, lévitant à quelques centimètres du sol par la seule force de son cosmos. Le gameplay est carré, réactif, imprenable, réglé comme une horloge suisse. Le plaisir de jeu prend le dessus aussi rapidement que ces vaisseaux survoltés se meuvent et s’adressent des politesses à grands renforts de canons mitrailleurs, missiles et autres rayons plasma. L’expérience prend une autre dimension dans le mode Zone, où l’épuration graphique maximale et les couleurs fluo forment une réalité virtuelle à l’ancienne, vouée à mettre en scène un seul leitmotiv : plus vite, encore plus vite, toujours plus vite.

L’extase se conjugue sans détour avec le festival ambiant, qui exprime en continu et à gorge déployée son carpe diem, le public semblant tellement hypnotisé qu’il ne se donne même pas la peine de s’asseoir. Un tracé parasite le paysage céleste tel un viaduc dénaturant une vallée de montagne ? Les vaisseaux sont, peut-être, mus par une énergie fossile ? Qu’importe ! L’heure est à l’évasion, le temps d’oublier quelques instants une réalité à laquelle on n’osera point exiger comme objectif des promesses intenables dans le délais annoncé par le titre du jeu. L’adolescent de 2012, encore insouciant, adhèrera sans peine. Paradoxalement, il sera loin d’être isolé : l’adulte, bien que revenu de ses anciens rêves, ne sera que trop heureux de s’y replonger momentanément. Cependant, qu’il prenne particulièrement garde au retour à la réalité, car celui-ci se montrera violent : Sony Liverpool vient d’être dissous alors que ses salariés travaillaient sur deux projets apparemment promis au successeur de la Playstation 3, dont un nouveau Wipeout. 2048 restera donc l’épitaphe d’un studio qui a cru jusqu’au bout dans ce conte de fées promu pendant plus de quinze ans par neuf épisodes différents, aujourd’hui battu en brèche par le réel ; cette légende urbaine selon laquelle un jour, le futur se conjuguerait au plus-que-parfait.

Procurez-vous Wipeout 2048. Consommez-le sans modération. Célébrez cet anachronisme de demain tant qu’il est encore temps. Car il apparaît bien improbable qu’en 2048, des prototypes de Feisar soient en cours de finalisation dans les plus pointus des laboratoires pour célébrer béatement notre apogée.

Il y a 4 Messages de forum pour "Un futur trop parfait"
  • rabesandratan Le 24 août 2012 à 12:21

    Ô mon Barbo,

    cet article est ton chef d’oeuvre.

  • Alexis Bross Le 24 août 2012 à 12:49

    Un article très juste, d’autant plus que Wipeout développe un background politique qui témoigne de cette foi inébranlable - et naïve - en l’avenir. Je me souviens assez bien du manuel de Wip3out, avec les faux discours de responsables des courses ou de représentants politiques. Chaque véhicule représente une zone du monde. Le jeu développe l’idée d’un grand monde fédéral en paix, avec plusieurs États-Unis de par le monde.

    D’après mes souvenirs, il y avait même un optimisme béat pour l’Afrique, forcément unie, qui serait enfin rentrée dans la course (ah ah) en proposant un vaisseau sur la ligne de départ. Ce vaisseau était complètement cheaté, puisqu’il surpassait tous les autres. Son grand défaut était sa fragilité. Il était néanmoins incontournable dans la catégorie Phantom.

  • Fred Le 24 août 2012 à 13:51

    Il ne faut pas oublier que WipEout, ce sont des courses ultra-violentes à base de missiles, de mines et autres bombes sophistiquées. Donc une utopie, un monde en paix, je ne suis pas sûr. Je dirais plutôt que les tensions entre les pays se règlent sur les circuits.

    Orwell disait : "Le sport, c’est la guerre sans les coups de feu". On a ici une alliance définitive entre le sport et la guerre.

  • Simon Génessier Le 24 août 2012 à 19:01

    @rabe : merci infiniment. Ta présence me rappelle que je n’ai toujours pas reçu mon invitation pour Showprime, je suis fatigué d’attendre.

    @Fred : c’est vrai, mais il manque à la série un second degré venant appuyer cela. En l’état, la présentation est tellement pure et dénuée de propos (pas de background développé, pas de pilotes visibles à part sur la jaquette de Wipeout Fusion sur PS2) que ce n’est vraiment pas la violence qui émane au premier plan (ou alors sous son aspect spectaculaire).

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