Depuis son départ de Squaresoft, Hironobu Sakaguchi n’a pas perdu de son aura : créateur de Final Fantasy et papy du J-RPG, plus de dix ans après l’échec de Final Fantasy : The Spirits Within, il revient avec The Last Story sur Wii, jeu co-produit par Nintendo. Le résultat est un jeu étonnant et paradoxal, métaphore parfaite de l’état d’esprit des développeurs japonais.
Contre toute attente, alors qu’elle est considérée comme une console de casual gamer, la Wii vient de voir débarquer sur ses terres plusieurs J-RPG : en plus du dernier épisode de Zelda, il y a eu Xenoblade l’année dernière [1] et bientôt Pandora’s Tower en avril. Sorti fin février, The Last Story vient gentiment combler le planning désertique de Nintendo ; mais il s’agit surtout du retour de Hironobu Sakaguchi, réfugié à Hawaii d’où il a développé depuis sa démission de Squaresoft plusieurs titres pour Xbox 360 et Nintendo DS.
Première surprise, il réalise lui-même The Last Story, chose qui n’était pas arrivée depuis Final Fantasy V sur Super Nintendo [2]. On retrouve donc la narration efficace des premiers épisodes de la série culte sans toutefois atteindre la simplicité quasi-dogmatique de Yūji Horii (créateur de Dragon Quest) : le héros, mercenaire au grand cœur, à la fois élu d’une légende et roturier amoureux d’une princesse... Sic. On passera aussi sur la réalisation technique et artistique, deux échecs évidents que The Legend of Zelda : Skyward Sword ou Xenoblade avaient évités avec une certaine classe.
Mais là où Sakaguchi espère marquer les esprits, c’est dans son système de jeu. Les deux précédents blockbusters du monsieur étaient d’imposants jeux de rôle japonais à l’ancienne. Blue Dragon d’un côté et Lost Odyssey de l’autre comportaient chacun de petites spécificités, et quelques innovations intéressantes : les cercles de monstre pour le premier, les anneaux et le transfert des compétences pour le second ; ils restaient avant tout des titres académiques, dont le système de combat au tour par tour rappelait le bon vieux temps.
Pour The Last Story, Sakaguchi remet tout à plat. Il s’agit désormais d’imiter les jeux occidentaux et pas n’importe lesquels, et l’on retrouve ainsi Les espaces urbains d’Assassin’s Creed et le système de cover Gears of War. Les inspirations sont tellement évidentes que personne ne s’y est trompé : pas un seul test sans que les deux titres ne soient cités et comparés. Cette démarche est peut-être moins une volonté de secouer le J-RPG que de venir marcher sur les plates bandes des développeurs américains, et de toucher un marché qui se veut global — loin de la niche qu’était le genre sur PS2 par exemple. Le rythme même du jeu, une succession de combats systématiquement entrecoupés de dialogues entre les membres de l’équipe, fait penser aux randonnées bavardes de Gears of War.
Car le problème majeur de The Last Story, c’est qu’il n’a ni la finition, ni les moyens des titres d’Ubisoft et d’Epic Games. La ville de Lazulis est petite, l’explorer se résume à ramasser des objets oubliés, à des paniers de fruits à renverser et à des allées vides. Les contacts avec la foule et l’environnement — qui avaient rendu Assassin’s Creed premier du nom aussi étonnant — sont automatiques et presque handicapants : bousculez un PNJ et vous ne pourrez plus lui parler avant qu’il ait retrouvé sa position initiale.
Toutes ces petites animations qui sont aujourd’hui la marque des triple A, sont intégrées ici avec une maladresse étonnante : impossible pour Zael, le héros de The Last Story, d’arriver à faire aussi bien que Nathan de Uncharted. Pourtant, tout n’est pas à jeter dans les inspirations de The Last Story, surtout au niveau des combats. Sakaguchi les a voulus dynamiques et tactiques ; ils le sont, sans doute plus grâce à son talent propre qu’aux inspirations occidentales. Le joueur doit sans arrêt déplacer son personnage, attirer les ennemis grâce à une barre d’aggro (appelée ici magnétisme, cette compétence rappelle sans peine les deux Army of Two et sert à protéger les invocateurs) et jouer avec les cercles magiques que ses alliés déposent sur le terrain. C’est grâce à ce transfert et ce contrôle à distance que les combats prennent une autre dimension, surtout que chaque boss demande une stratégie bien précise, comme à l’accoutumée chez Sakaguchi. La difficulté est parfaitement dosée, le système de jeu se complexifie à chaque chapitre, et surtout il y a de vrais beaux moments où le joueur sent entre ses doigts, dans sa manette, le rythme du combat, le flow des attaques. C’est, je pense, la marque d’un bon JRPG.
Au final le constat est quelque peu amer : les bases “japonaises” sont impeccables et maîtrisées, de bout en bout, et sont la preuve que Sakaguchi est encore en pleine forme. Là où le bât blesse, c’est que pour renouveler le genre, il a pris la voie de l’Ouest, venant chercher chez les Occidentaux des idées qui marchent et essayé de les implémenter sans les mêmes moyens.
Il y a deux parallèles évidents à faire, le premier avec Binary Domain, sorti en même temps et qui se veut clone nippon de Gears of War, sans réussir à atteindre la qualité finale du produit cible. Le second, est un exemple inversé : Square Enix a lui tenté une réforme brutale mais osée avec Final Fantasy XII et XIII (développés après le départ de Sakaguchi), en faisant disparaître ou en modifiant les systèmes usés, les rythmes de jeu et la recette antédiluvienne du “ville / carte du monde / donjon” qui constituait la structure basique de la série.
The Last Story fait furieusement penser à l’Ère Meiji, lorsque le Japon s’ouvre enfin à l’Occident et délaisse plus de deux cents ans d’isolationisme : tout est soudain bouleversé et les Japonais reproduisent les meilleures organisations et fonctionnements, du système métrique à l’éducation, pour rattraper leur “retard”. Il faudra sans doute attendre un peu que la crise passe et que les idées soient correctement assimilées par les développeurs nippons pour voir naître un JRPG nouveau, de nouveau japonais.
Notes
[1] Relire notre article sur le jeu.
[2] Il a été producteur puis producteur executif de tous les Final Fantasy jusqu’au X-2.
Vos commentaires
bleubleu # Le 13 mars 2012 à 15:57
Les parallèles qui s’imposent à toi avec une telle évidence ne me paraissent pas aller de soi.
On s’adosse aux décors comme dans Gears ou dans...MGS. On traverse une grande ville à la AssCreed ou à la...FFXII. On utilise un système d’aggro comme dans Army of two ou comme...combien de RPG jap traditionnels qui proposaient déjà des compétences pour attirer les ennemis et prendre les coups à la place de ses coéquipiers ?
C’est Sakaguchi alors évidemment le jeu "s’internationalise" mais je ne vois pas de fuite vers l’ouest dans des éléments qui me paraissent essentiellement cosmétiques tels que ceux que tu mets en avant. Je trouve au contraire que Last Story est très japonais et très influencé par Nintendo. Et je ne vois pas non plus la maladresse dans la construction du récit. Tu ne me convainc pas Anthony !
Anthony Jauneaud # Le 13 mars 2012 à 16:18
Que le jeu soit très influencé par Nintendo (malgré le manque de polish évident), c’est un fait : entre les sauvegardes et les checkpoints constants, les tutoriaux abrutissants, les petits messages sans arrêt, j’ai rarement joué à un JRPG aussi guidé, parfaitement dans la lignée des jeux Nintendo actuels. Et ça reste un JRPG, malgré son côté action.
Pour la grande ville, oui, FFXII ou DraQue VIII le proposaient déjà ; ici, il est vraiment question d’un terrain de jeu avec une foule de gens qui bougent, qui vivent et que tu peux bousculer, rencontrer, percuter. Je trouve qu’on s’éloigne de la convention très classique des JRPG où les PNJ sont d’immobiles acteurs qui attendent que tu leur parle.
Quant à MGS... Oui, on peut s’adosser, bien sûr. Mais il est question ici de cover, pure et dure à l’exception du fait qu’au lieu d’avoir un gun, tu as une épée. Je retrouve plus le feeling de GoW (attendre le bon moment pour faire une sortie, rouler de cover en cover, attirer les ennemis et les contourner.
bleubleu # Le 14 mars 2012 à 10:14
Je ne pense pas qu’on puisse réellement parler d’un vrai système de cover. Je pense que l’élément essentiel c’est en fait l’absence totale de combats aléatoires qui le rapproche effectivement d’un gears ou du jeu d’action en général parce qu’elle permet un vrai level design et des phases de narration dynamiques qui changent complètement la donne et distinguent TLS de la formule traditionnelle du RPG jap. Evidemment sur ce point le jeu fait moins bien qu’Uncharted...mais je ne suis pas sûr que ce soit un problème, s’agissant d’un RPG, par ailleurs bourré jusqu’à gueule de cinématiques.
ClubPop # Le 14 mars 2012 à 12:01
Super pas d’accord avec cette critique. Si les limitations techniques de la wii se font ressentir, la direction artistique demeure fantastique mêlant un chara design racé mais sobre et des décors en parfait équilibre entre amplitude du terrain de jeu et sens du détail. D’autre part, plus globalement The Last Story, c’est un peu le contre poison aux aventures interminables, soporifiques, tentaculaires et finalement désimpliquantes d’un Skyrim. Le rythme est haletant, dense tout en permettant grâce à l’unité de lieu de la ville unique, des moments de simples ballades où les quêtes secondaires se proposent au joueur sans jamais dévoiler trop vite leur degré d’importance (là où bêtement assassin’s creed couvre sa carte de pin’s indiquant à l’avance la nature de la mission). A mes yeux, The Last Story, c’est l’affirmation d’une belle réappropriation du japon sur le genre à travers une belle histoire, des poncifs charmants et gaillards (promotion de l’alcool et des plaisirs de chairs loin de l’univers cul serré du rpg à l’occidental ou de la mièvrerie pop d’un FF13-2) et un système de jeu innovant, spectaculaire et facile à comprendre, doublé du même amour des belles lames que Dark Souls.
Anthony Jauneaud # Le 14 mars 2012 à 13:10
Laissons le goût de chacun décider si The Last Story a une DA réussie ou non ; personnellement, à part quelques décors à la fin, j’ai eu mal au cœur tant les personnages sont laids. Mais c’est mon avis.
Pour le jeu, je ne l’ai pas trouvé haletant. Je l’ai trouvé sans arrêt entrecoupé et arrêté dans son élan. Il faut attendre l’attaque finale des Guraks pour que le jeu prenne véritablement un sentiment d’urgence et que les niveaux s’enchaînent dans de douloureuses balades dans des décors vides. Les quêtes secondaires sont bien cachées et ça, c’est plaisant. Je te rejoins là dessus.
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