Dragon’s Dogma est sacré bâtard. Il a beau être né avec une cuillère en argent (plus gros budget jamais alloué par le développeur japonais), le dernier Capcom n’a rien d’un pur-sang.
Pensez, on peine à démêler son patrimoine génétique, entre influences japonaises et occidentales : on songera tour à tour à l’exploration façon Final Fantasy XII, évidemment au farming à la Monster Hunter, au mode online asynchrone des Souls, peut-être aux décors et aux géants de Shadow of the Colossus, ou encore au débraillé d’un Nier. Mais aussi aux étendues de Skyrim, à la faune hargneuse des jeux Piranha Bytes. MMO offline, qu’on croirait fait pour le PC avec sa possibilité de sauvegarder partout, mais aussi coups spéciaux à la Devil May Cry, Dragon’s Dogma est un gigantesque bouillon de culture, dans lequel le joueur risque en permanence de boire la soupe. Il est manifeste que le jeu souffre d’hubris, et que Capcom a décidé de le lancer en l’état, pour tâter le terrain. Cela aurait pu donner la version vidéoludique de John Carter, récent et retentissant bide des studios Disney. Mais Dragon’s Dogma ne manque pas de chien, et il compense ses imperfections criantes par une bravoure assez étonnante. Un peu comme si Capcom avait inventé l’underdog triple A.
« Boîte à idées ludiques »
Ce n’est pas que Dragon’s Dogma soit dépourvu d’imperfections. Les critiques en témoignent, où l’on pourrait piocher un inventaire à la Prévert des travers du mastodonte : son interface et ses checkpoints incompréhensibles, l’architecture même de ses quêtes, qui nous envoient sans grande logique en avant puis en arrière, la caméra capricieuse, les personnages secondaires trop bavards et dont les conversations, si l’on n’a pas supprimé les sous-titres en fouillant un menu perdu dans une arborescence labyrinthique, occupent un bon quart de l’écran. Et que dire de cette musique de titre, qui donnerait envie à un sourd de s’arracher l’oreille interne !
S’il est par contre un reproche qu’on ne peut pas faire à Dragon’s Dogma, c’est son manque de générosité. Ce jeu est une jungle baroque de systèmes et de sous-systèmes, qui nous inonde en continu d’objets, de bidules, de machins, que l’on peut vendre, donner, combiner, recombiner, au petit bonheur. Le joueur peut faire des conserves de thon, pour ne pas que son thon moisisse au fond d’une poche de son sac à dos. Il peut aussi faire des conserves de thon moisi. Pourquoi non ? Si Dragon’s Dogma se sent d’humeur à utiliser une mécanique de jeu, il ne voit vraiment pas pourquoi se priver, même si l’idée ne rime à rien. Ce n’est pas sans plaisir qu’on explore cette gigantesque boîte à idées ludiques que nous ouvre Capcom, d’autant que forcément, à côté du tas des suggestions saugrenues que le producteur a oublié de mettre à la poubelle — et si on intégrait des courses-poursuites ou des sections d’infiltration sans se donner les moyens de les faire fonctionner ? et si l’on forçait le joueur à remplir sa lanterne manuellement ? —, on trouve une pile, chancelante mais de bonne taille, d’idées plus que bienvenues.
« Dragon’s Dogma étonne surtout par sa hardiesse »
Par exemple, le système des pions, mal intégré à la narration — mais les scénaristes de Capcom sont trop occupés pour se préoccuper de ce genre de détails, ils travaillent encore à démêler le sens des cinématiques du premier Lost Planet — mais plutôt brillant. Chaque joueur crée un pion, c’est à dire un PNJ qui le suit dans ses aventures, et il peut emprunter les pions d’autres joueurs, quitte à payer pour les services de ceux qui sont d’un plus haut niveau que lui, sauf s’ils sont dans sa liste d’amis. En crapahutant, les pions gagnent des connaissances leur permettant d’aider leur maître à se repérer. On reconnaît, poussé un peu plus loin le système d’indices qui était une des innovation majeures de Demon’s Souls. Il est aussi possible de récompenser les pions qui ont donné satisfaction, et le joueur a donc tout intérêt à créer un comparse attractif sur le marché online. Pour ce faire, il dispose d’un puissant créateur, qui permet de modeler à sa guise un personnage, du lutin au fort de la halle, de la matrone à la svelte sylphide. Plus classique, le système de progression n’en demeure pas moins intéressant : au bout de quelques heures de jeu, les personnages peuvent changer de classe, afin de mixer les compétences des différentes professions, et les min-maxers trouveront assurément leur bonheur.
Dragon’s Dogma étonne surtout par sa hardiesse. Pour un jeu qui se cherche autant et qui semble craindre de faire des choix, il ne manque pas de panache quant à l’essentiel : les développeurs ne transigent guère quant il s’agit de l’exploration. D’abord, le héros de l’épopée se doit d’avoir de bonnes semelles : content ou pas, le personnage devra partir en expédition à pied, pas de voyages instantanés à la Skyrim. Et il faudra faire bien attention de ne pas trop traîner en route car une fois le soleil couché, il ne faut pas s’attendre aux claires nuits américaines auxquelles le jeu vidéo nous a habitués. Ici, la nuit est noire comme un four, les lanternes n’éclairent qu’à quelques pas, et dans l’ombre sont tapies des bêtes et des bandits qui n’hésiteront pas à profiter de l’effet de surprise : on songe à une version open world de la fameuse Tomb of giants de Dark Souls. D’ailleurs les effets d’éclairage sont souvent magnifiques, et contribuent à donner au décor une réelle identité, malgré des textures plutôt pauvres, qui permettent cependant des perspectives à couper le souffle. Du village de départ, on aperçoit au loin Gran Soren, la capitale, qui se trouve à un bon quart d’heure de course de là.
« Mettre les pieds dans l’inconnu »
Ce jeu sur les perspectives et sur le clair-obscur — les brumes du bois de la Sorcière, Gran Soren à la lumière des torches, les donjons oppressants — contribue à rendre l’exploration angoissante. Même si le jeu est plutôt lent et facile, il n’est pas impossible d’être débordé par des adversaires trop nombreux qu’on n’aurait pas vus venir. Paradoxalement, la caméra assez mal embouchée contribue à la sensation d’être submergé, au point qu’on se demande dans quelle mesure ce n’est pas voulu. Même si les coups trouvent l’ennemi le plus proche dans l’axe du regard, impossible de verrouiller un adversaire de manière définitive. Seul l’adversaire que l’on vise ressort du décor grâce à sa barre de vie, et il est facile de perdre les ennemis les plus petits dans les broussailles ou les zones d’ombre. De la sorte les combats sont assez brouillons, mais rendent bien la confusion de la mêlée, et demandent au joueur de mémoriser au moins à peu près les positions respectives des ennemis. Avancer, c’est ainsi rester en permanence sur ses gardes, risquer le guet-apens, c’est une aventure. Le jeu entretient bien, dans ses vingt premières heures en tout cas, l’impression de mettre les pieds dans l’inconnu, où tout est possible. Et si le voyage est parfois terne, il faut une fois de plus reconnaître à Capcom le mérite d’avoir osé le gigantesque.
Si après un tutoriel — pour une fois tonitruant — qui nous voit hacher une énorme chimère, et après une confrontation en cinématique avec un dragon géant, le jeu nous invite à faire nos gammes sur le petit peuple de la fantasy (brigands, gobelins, loups, mais aussi lapins ou mouettes...), Capcom nous amène progressivement à combattre du lourd : griffons maousses, cyclopes comaks’, hydres massives, titanesques bestioles à la Ray Harryhausen, aux barres de vie conséquentes, sur lesquelles il faut parfois grimper — façon Shadow of the Colossus — pour atteindre leurs points faibles. Ces boss ambulants se promènent sur la carte, et ils ont une fâcheuse et jouissive tendance à vous tomber dessus au mauvais moment : lorsque, fatigué, vous revenez au crépuscule d’une longue exploration, ou au beau milieu d’une mission d’escorte. Dans les cas les plus compromis, la meilleure solution reste souvent la fuite, au risque de tomber de Charybde en Scylla.
Jeu monstre, bâtard, canard boiteux aux ailes de chimère, Dragon’s Dogma mérite une considération, non sans réticences, mais réelle. Parfois fade, le voyage est souvent épicé, quelquefois vertigineux. Les joueurs tératologues, amateurs de curiosités et d’exploration ne perdront pas leur temps s’ils décident de laisser une chance à cette étrange et dispendieuse créature. On pourrait attendre une suite plus maîtrisée, mais Capcom aura-t-il les moyens de dompter ses ambitions ?
Vos commentaires
Anthony Jauneaud # Le 21 juin 2012 à 09:37
Maintenant que j’ai fini Max Payne 3, je peux revenir sur Dragon’s Dog—oh non, Dawnguard !
BlackLabel # Le 23 juin 2012 à 12:02
J’adore ce jeu, avec un vrai gameplay, pas de background inutile, une beauté de tous les instants malgré une technique qui souffre. Mon jeu de la gen.
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