10. Fonds marins

Simple divertissement ?

"Qu’on me laisse jouer en paix ! " semble être le cri de désespoir de certains joueurs. Le plaisir du jeu paraît à leur yeux incompatible avec le sérieux propre aux questions sociales. Mais le jeu vidéo peut-il être ainsi réduit à un simple rôle de divertissement ?

« Peut-être que " les gens " jouent, parfois, simple hypothèse, pour échapper un peu à TOUT ce qui fait l’époque et la vie quotidienne, et n’ont pas envie qu’entre deux donjons à looter, leur jeu favori leur serve une séance de rééducation ? »

— StephaneF, commentant Joueurs, encore un effort.

De tous les discours qui ont pu émerger lors du Gamergate, c’est certainement celui prônant le droit à jouer « en paix » qui m’a le plus dérouté. Car si cette affaire a souvent été perçue comme un affrontement entre des positions conservatrices et progressistes dans le jeu vidéo, elle peut aussi être interprétée comme l’émergence d’une opposition bien plus violente, entre ceux qui défendaient leur divertissement « pur » comme moyen d’évasion du réel, face au camp des critiques du jeu vidéo comme médium porteur de questions sociales. Voyant ce débat relégué à la marge du conflit, il m’a semblé nécessaire de l’interroger.

Un an après les faits, voilà qui peut paraître une lutte d’arrière-garde. Au contraire, cette tension n’a jamais été vraiment résolue et s’est même polarisée en incompréhension. Tout comme il est nécessaire de définir un sujet avant toute étude, il aurait été pertinent de fixer une base de débat commune, afin que chacun parle le même langage.

Jouer, c’est pour de faux, non ?

La proposition qui cristallise les tensions peut être résumée de la manière suivante : le jeu a pour unique finalité le divertissement, et toute intrusion du réel — par l’intermédiaire de questions sociales — vient gâcher ce procédé. Sous l’apparente simplicité de cette formulation émerge un premier problème : on ne sait trop si c’est le principe du jeu ou celui du divertissement qui est incompatible avec le réel.

La roulette russe, ce jeu familial.

Dans la définition qu’en donne Roger Caillois (reprise dans l’article de Guylain Delmas), le jeu est par nature borné par des règles, et ainsi coupé du réel (dans le temps et dans l’espace). Il existe un « en-jeu et un hors-jeu », afin que les actes du joueur soient sans conséquences dans notre monde (la mort du joueur dans le jeu est symbolique). Par conséquent, le jeu se distingue à ce point du réel que « toute contamination avec la vie courante risque de corrompre et de ruiner sa nature même » [1].

Réel et jeu ne forment pourtant pas deux espaces hermétiques. Le jeu hante notre culture, ainsi que l’a démontré Johan Huizingua [2]. Traquant les survivances du jeu dans des domaines aussi divers que le théâtre, la musique, les célébrations religieuses, la politique ou le procès, Huizingua en a déduit que la culture naît « dans le jeu ». Notre culture est imprégnée de traces ludiques, et il est peu d’institutions – jusqu’à la guerre – qui ne reprennent des qualités du jeu (séparation du champ de bataille, incertitude de l’issue, présence de règles…).

Arma III, jeu garanti sans réalisme.

A l’inverse, le réel peut se glisser dans la fiction du jeu, au travers de règles qui miment des situations réalistes (jouer au gendarme et au voleur, par exemple), et par le biais du jouet : pistolets ou voitures en plastiques, modèles réduits de trains/avions/cuisine… Le jouet est ici un élément tiré du réel sur lequel se bâtit notre propre fiction ; il ne nuit pas au divertissement, bien au contraire, il le rend possible. Le jeu vidéo n’échappe en rien à ce phénomène : réalisme des armes à feu dans un FPS, de la physique des véhicules dans une simulation, etc…

Laissez-moi m’évader !

Si ce n’est pas le jeu, c’est alors le divertissement qui ne supporte pas le réel. Je m’amuse avec ma réplique d’arme à feu, et ce faisant j’oublie qu’elle est extraite de notre monde, j’en oublie mon quotidien.

Cette proposition, qui fait sens lorsqu’on conçoit le divertissement comme un moyen d’évasion, pêche par simplification. L’analyse de la réception du cinéma de divertissement [3], dont on pourrait penser que les spectateurs cherchent juste à échapper à leur morne vie le temps d’un film, propose d’autres lectures.

Encore un gamer qui rêve d’échapper à la grisaille de son quotidien.

Cette réflexion découle d’un constat : nombre de films de divertissement ne doivent pas uniquement leur succès à une machine marketing bien rodée, mais parce qu’ils entrent en résonance avec leur époque, mettant en scène les tensions et conflits qui travaillent la société. Or, si ces films abordent, même de manière détournée, des oppositions qui proviennent du réel, c’est peut-être que les spectateurs ne cherchent pas tant à échapper à ce dernier, qu’à s’y confronter de manière indirecte.

Survivances de l’horreur de la guerre dans Massacre à la Tronçonneuse, alors que le pays digère les images insoutenables du Vietnam [4] ; propos écologiste dans Avatar tandis qu’émergent les problèmes environnementaux ; succès d’Intouchables dans une France minée par un débat nauséabond autour de « l’identité nationale » ...

Autre exemple, concernant un genre complet : Anne-Marie Bidaud attribue le succès du cinéma catastrophe des années 1970 entre autres aux schémas de lecture structurants qu’il propose aux Etats-Unis plongés dans le doute, et qu’on peut partiellement résumer ainsi : alors que dans la réalité d’une catastrophe il n’y a que des morts, au cinéma tout désastre entraîne l’émergence d’un héros. Plus proche de nous, le cinéma Marvel joue un rôle similaire dans l’Amérique post-Irak.

Leatherface, le visage souriant de l’amérique.

Il apparaît donc réducteur de faire du divertissement un simple échappatoire. Peuvent y être attribuées des fonctions structurantes, d’expression culturelle collective, voire cathartiques ou mythiques. Le tout dépendant aussi des usages et des publics, qui ne sont pas homogènes, et donc pas tous sensibles aux mêmes conflits. Toutes ces fonctions ne sont pas pour autant perçues de manière consciente, et ne s’opposent aucunement au plaisir ressenti.

Cette conception du divertissement ne s’oppose pas aux envies de ceux qui ne jouent que pour se vider l’esprit. Mais ce qu’elle postule, c’est que le réel n’est pas a priori absent du divertissement, et surtout qu’il n’est pas toujours perçu consciemment ; il y est schématisé, simplifié, soumis à la métaphore. Jusqu’ici, aucun problème : nous avons tous besoin de cette schématisation pour parvenir à saisir le monde dans sa complexité — c’est le rôle du mythe — et le jeu vidéo ou le cinéma hollywoodien y participent. Ce qui pose question, justement, ce sont les choix des oppositions, des conflits qui y sont représentés, ou en sont écartés.

0% de matière mythique.

L’idéologie est l’idée de mon adversaire… ou pas

Mass Effect et son imaginaire progressiste font écho aux questionnements qui traversent nos sociétés. A contrario, ce qui est reproché à Assassin’s Creed ou GTA lorsqu’ils ne proposent pas de personnage féminin jouable, c’est d’occulter les évolutions de la société, et de ne pas tenir compte des changements et tensions qui touchent au rôle de la femme (ou du moins de les reléguer en arrière-plan). Or ces choix, bien souvent présentés comme techniques ou commerciaux, relèvent aussi de l’idéologie.

Car si « l’idéologie » est par abus de langage utilisée pour dénigrer la pensée de l’autre, le terme recoupe une réalité bien plus complexe. Celle d’un système de représentation ; c’est-à-dire d’images et de concepts qui s’imposent à nous – inconsciemment – et orientent, déterminent notre perception du monde [5]. Pour résumer, l’idéologie filtre et teint l’ensemble de ce que nous voyons ou entendons, sans que nous en prenions conscience.

Peut contenir des traces d’idéologie.

Le cinéma et le jeu vidéo sont tous deux porteurs d’idéologie, dans le sens où leurs images et leurs récits ne reproduisent pas le réel tel quel, mais résultent d’un processus de fabrication qui est déterminé par des a priori esthétiques, économiques et/ou idéologiques. Par exemple, la construction du récit autour d’un (ou plusieurs) protagoniste(s), qui est une convention dans la quasi-totalité de la production occidentale, peut être interprétée comme le relais de l’idéologie de notre société selon laquelle ce sont les individus — les « grands hommes » — qui font l’histoire. Il serait pourtant possible d’imaginer des récits sans protagoniste, mettant en scène des groupes ou des foules, comme a pu le faire le cinéma russe post-révolutionnaire.

Si le jeu vidéo est un aussi bon conducteur d’idéologie, c’est parce qu’il plonge le joueur dans un état de concentration et d’investissement émotionnel, atténuant son recul et sa distance critique, le rendant d’autant plus sensible à ces schématisations. L’idéologie, en tant que système de représentation, n’a pas besoin d’être verbalisée, et peut donc être transmise sans récit. Le jeu vidéo y substitue nombre d’autres supports, moins perceptibles, tels que le level design, le décor, le graphisme, voire le gameplay.

Ce qui choque de premier abord dans l’analyse du médium comme construction idéologique, c’est qu’elle infirme le « naturel » de certains processus. En effet, la pensée libérale portée par les industries culturelles [6] se veut universelle et transparente, car c’est bien connu, les entreprises ne font pas de politique [7]. Elles n’y auraient aucun intérêt, puisqu’un message à caractère politique pourrait les couper d’une partie de leur public. L’idéologie prônée est donc imperceptible, non seulement parce qu’elle est niée par les concepteurs et par une partie du public, mais surtout parce qu’elle s’accompagne d’une esthétique de la transparence.

Pour Nathan, il est naturel d’être viril et d’avoir un flingue.

Pour qu’un message soit transmis sans être perçu, la fascination du joueur ne doit pas être interrompue. Il faut que ce dernier oublie que son jeu vidéo est un produit fabriqué, qu’il n’ait plus conscience d’être face à la résultante de prises de décisions partiellement conditionnées par les a priori des concepteurs. Le cinéma américain fait appel pour cela à une série d’artifices qui permettent au faux (le plateau de cinéma) de nous apparaître crédible : règles de narration, de montage, techniciens laissés hors-champs, etc. On peut légitimement se demander si la course au photoréalisme, l’uniformisation des gameplays, l’épure des interfaces visuelles, la chasse au bug ne résultent pas d’une logique similaire : gommer tout ce qui pourrait nous rappeler que nous sommes dans un jeu vidéo, rendre le processus de fabrication — et ainsi l’idéologie prônée — transparent.

Certes, le public n’est en rien uniforme et les usages divergent en fonction du vécu et de la culture de chacun. Mais le divertissement et le réel ne sont pas opposables pour autant. Par son processus de schématisation du réel, relais d’une idéologie qui se veut transparente, le jeu n’est pas qu’un simple divertissement. On conçoit aisément le danger d’une idéologie qui n’est plus perçue comme telle, mais devient « naturelle ». C’est ce processus que les critiques du jeu vidéo ont tenté de rendre visible. Car dévoiler, même partiellement, une idéologie transparente, c’est déjà la neutraliser.

Notes

[1] Caillois, Roger, Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1996, ISBN 2-07-032672-1, p. 101. 1ère Ed. publiée en 1958.

[2] Huizinga, Johan, Homo Ludens, Essai sur la Fonction Sociale du Jeu, Paris, Gallimard, 2014, ISBN 978-2-07-071279-3, 1ère Ed. publiée en 1938.

[3] Par cinéma de divertissement, j’entends blockbusters, films de genre, etc. ; des films que l’on peut considérer comme « non réalistes ». Pour trouver une réflexion approfondie sur le sujet, je renvoie aux travaux de Rick Altman et Lee Drummond aux Etats-Unis, Raphaëlle Moine et Anne-Marie Bidaud en France, sur lesquels je me suis appuyé pour cet article.

[4] Lire à ce sujet les ouvrages de J.B. Thoret sur le cinéma américain des années 1970.

[5] Cette définition approximative s’inspire de celle que donne Louis Althuser de l’idéologie dans Pour Marx.

[6] Ou les idéologies libérales, car il ne s’agit pas d’un bloc monolithique, plutôt de conceptions qui s’appuient sur la doxa, sur un socle d’aprioris universellement acceptés tels que « l’homme est libre de ses choix ».

[7] Exemple, un peu daté : Gerry Rich, président du marketing chez MGM : “nous n’avons aucun programme politique, nous vendons juste du divertissement.”, citation extraite de Klein, Naomi, No Logo, Babel, 2002, p.273.

Il y a 16 Messages de forum pour "Simple divertissement ?"
  • roger Le 23 septembre 2015 à 16:28

    Voilà un point de vue certes plutôt juste mais pas très audacieux... Evidemment les jeux nous disent quelque chose, et ils traduisent une pensée, voire une idéologie. Je ne me reconnais pas dans le camp de ceux qui voudraient "jouer en paix", l’idée de vouloir jouer sans penser au monde est absurde puisque les jeux sont aussi le monde, mais je suis parfois fatigué par la surinterprétation de tel ou tel aspect d’un jeu, avec cette chasse un peu systématique aux gages de progressisme. Ah... le gentil progressiste-féministe-antiraciste Mass Effect qui sait si bien saisir l’évolution de la société, Oh... le vilain GTA raciste (si si certains l’affirment :D) et sexiste qui ne propose pas de personnages féminins jouables ? Quel rétrograde !
    Et si une certaine partie de la population captée par le GamersGate était simplement lasse de l’offensive morale progressiste sur le jeu vidéo ? Lasse que certaines personnes tracent une bonne direction à prendre. "On n’impose rien, hein, mais ce serait bien que GTA permette de jouer une femme... Cela suivrait les évolutions de la société."
    Moi je n’ai pas envie que mon jeu préféré suive les évolutions de la société. Je veux qu’il suive sa propre voie, qui n’est pas celle du progressisme mais de la critique sociale acerbe et du cynisme noir. Il ne donne pas une bonne image des femmes, ni des noirs, ni des latinos, ni des homos. Ni des blancs hétérosexuels. Pourquoi donc serait-il féministe ?
    Suggérer qu’il serait meilleur en offrant une forme de parité, en prenant sa petite dose d’éthique est une absurdité, autant dire que les chats seraient meilleurs s’ils étaient végétariens.

    Je n’ai pas envie d’être éduqué par des jeu. Je n’ai pas non plus envie que l’univers du jeu vidéo intègre un code Hays à l’envers et qu’on se réfère à une bible progressiste non dite avant de faire des choix . Ou alors qu’on le fasse pour tous les moyens d’expression et qu’on aboutisse à cette autocensure qui semble être ardemment désirée sans que le mot ne soit prononcé. Ah oui, dit comme ça ce serait horrible...
    Parlons plutôt de coller aux évolutions de la société ;)

  • Martin Lefebvre Le 23 septembre 2015 à 16:38

    Tiens faudra vraiment que je finisse mon papier sur GTA V, le jeu qui prend son joueur pour un esclave. :D

    Pour le reste, ce n’est pas interdit d’être réac (pas plus qu’il n’est interdit de dire que les réacs le sont, et qu’ils ont tort). Ce qui est grotesque, c’est de le cacher sous un apolitisme de façade (ou d’ignorance à soi). De même que, comme l’explique Eric Fassin (http://www.regards.fr/web/article/e...) il est grotesque pour les polémistes d’extrême droite de se prétendre "briseurs de tabous", alors qu’ils ne font que réactiver de vieux tabous...

  • roger Le 23 septembre 2015 à 17:42

    Je ne défendais que mon point de vue personnel.
    Pour ce qui est des "réacs" j’aurais un peu de mal à les définir. Il y a plusieurs niveaux de justice et d’équité, et on peut-être réactionnaire sur l’un et progressiste sur l’autre. Ca brouille les cartes et ça emmerde le monde mais on peut être à la fois xénophobe et pour la redistribution des richesses entre nationaux, on peut être féministe et ne guère s’offusquer des autres inégalités. Lesquels sont réacs, lesquels sont progressistes ?
    Evidemment tu as une petite minorité de gens qui sont à la fois racistes, homophobes, sexistes et pour le maintient des inégalités sociales. Mais quand on parle des réacs de chez nous, qu’il s’agisse des Finkelkraut, des Zemmour, des Onfray (qui ferait paraît-il désormais partie des réacs) on a quand même des individus et des discours un peu plus subtils et variés que ça.
    On s’éloigne du sujet mais au niveau des tabous je pense qu’il serait malhonnête de dire qu’ils n’existent pas. Le terme de tabou est certainement un peu fort mais si les polémistes de droite ou d’extrême-droite ont autant de succès ces dernières années, c’est qu’ils ont libéré une parole qui s’exprimait moins librement avant.
    Ou peut-être qu’une certaine réalité a simplement été masquée pendant les années 80 avec l’activisme SOS racisme / Benetton, et les polémistes et l’extrême-droite politique sont simplement là au moment où le voile se dissipe pour tirer les marrons du feu.

  • Cédric Muller Le 24 septembre 2015 à 02:10

    Certes, le public n’est en rien uniforme et les usages divergent en fonction du vécu et de la culture de chacun. Mais le divertissement et le réel ne sont pas opposables pour autant. Par son processus de schématisation du réel, relais d’une idéologie qui se veut transparente, le jeu n’est pas qu’un simple divertissement.

    Presque rien à voir, mais cela me fait penser à la photo de Mark Karpeles lors de son arrestation au Japon début août, abordant une casquette Danganronpa. Aucun média n’a relevé ce geste, néanmoins fort de conséquences analytiques (le virtuel, le réel, la justice, le geek, le désespoir). Le jeu n’est pas qu’un simple divertissement.

  • Duc_Plastique Le 24 septembre 2015 à 06:00

    Un article qui tombe sous le sens, mais pour une piqûre de rappel, c’est okay.

    Permettez-moi donc de résumer ici ce que toute cette affaire (dont j’ai pris très récemment connaissance en réalité) m’a inspiré, après lecture des différents dossiers dédiés et commentaires associés sur ce présent site essentiellement.

    Finalement, tout ce à quoi ce grand charivari (je veux dire le Gamergate et Cie) aura servi - ce que j’en retiens en tout cas - c’est de montrer que l’Univers du JV (tant du côté de la production, que du côté de la "communauté" des joueurs) en est arrivé à un point de "mainstream-isation" quasi total, au point de parvenir à refléter assez fidèlement la société d’aujourd’hui, avec ses parts antagonistes (assez minoritaires) réactionnaires, progressistes, conservatrices... Et une large masse de citoyens / consommateurs plutôt indifférente dans l’ensemble, à l’opinion néanmoins partiellement malléable. Car quand j’y regarde, je vois que la production vidéoludique actuelle n’est ni plus ni moins sexiste/raciste/violente que le reste des productions associées aux arts plus traditionnels comme le cinéma, la littérature... On en est pratiquement au même point, à mon sens - c’est-à-dire qu’on y trouve de tout, en sachant où chercher. Ou du moins, on s’en approche de plus en plus. Et toutes prêtent (ou pourraient prêter) occasionnellement le flanc à des critiques similaires en matière de défauts de représentation des réalités sociales.

    C’est là que stigmatiser un camp comme l’autre sur la base SJW corrompus et/ou abrutis vs méchants gamers des cavernes revient à tomber dans le panneau d’un buzz assez artificiel dans ses fondements, et surtout dangereux dans ses implications. J’associe personnellement cet épisode au triomphe du modèle "démocratique" moderne qui consiste à diviser la population (pour ne pas dire le peuple) en communautés de plus en plus étroites, artificielles elles aussi, et à les opposer les unes aux autres, promouvoir un certain chaos idéologique, communautariste, mais aux horizons strictement bornées par un appareil médiatique veillant au grain, afin de circoncire l’expression de frustrations socio-économiques réelles ou imaginaires à un débat le plus creux possible, le plus largement anecdotique, et surtout sans lendemain.

    En bref, et pour rérésumer, voici que le JV, de par sa simple (et relativement récente) popularité, entre de plein fouet et de manière fracassante dans l’air médiatique moderne, à base d’affrontements communautaristes, et de débats biaisés, pour enfler rapidement jusqu’à prendre une ampleur nauséabonde. On brasse de l’air, d’accord, essentiellement pour faire du bruit. Mais c’est en vain. Ou, disons, pour occuper le terrain (des esprits - entre deux publicités coca-cola). On occupe l’espace publique avec du rien, pour ne surtout pas se remettre en cause, pas sérieusement en tout cas.

    Alors, qu’une certaine minorité de joueurs, qui se croit encore à peu près les dépositaires d’une sorte de contre culture, se sente tout d’un coup menacée par les offensives progressistes (assez justifiées par ailleurs) d’une frange journalistique maladroitement féministe - et avec le recul - ça n’a rien d’étonnant. La violence ayant caractérisé le débat qui s’ensuivit peut quant à elle s’expliquer simplement par le médium même qui en fut le principal théâtre : l’internet, qui, par sa dimension anonyme et la distance qu’il instaure entre les différents participants, permet à chacun de s’exprimer et de se comporter avec le maximum de méchanceté, pour le minimum de répercussions. Si tout ce beau monde s’était retrouvé dans une même pièce en face à face pour en discuter on peut douter qu’il se soit produit chose plus violente que quelques éclats de voix, et voilà.

    Mais, manifestement, l’écran ne sert pas de miroir à tout le monde.

  • Florent Maurin Le 24 septembre 2015 à 15:35

    Merci beaucoup Guillaume pour cet article. C’et vrai que la question a déjà été abordée, mais il me semble nécessaire d’y revenir régulièrement pour voir comment les choses évoluent.
    Je fais des "jeux du réel" avec mon studio depuis 6 ans maintenant, du coup la question m’intéresse particulièrement.
    A mon sens, il y a eu effectivement toute une époque où le jeu vidéo niait farouchement tout lien avec la réalité. Quand Jesse Schell disait "Reality ? Worst game ever !", c’était un peu pour blaguer, mais pas tant que ça, au fond. Mon analyse à 2 balles, c’est que si, pendant longtemps, dans l’esprit de la plupart des game designers, une problématique politique, sociétale, ou même amoureuse ou philosophique ne pouvait pas faire un bon jeu, c’est parce qu’il s’agissait de questions trop angoissantes. C’est finalement beaucoup plus rassurant de designer un système de crafting, un arbre de compétences druidiques ou un railgun qu’un simulateur de coeur brisé ou de clochardisation.
    Mais la réalité est un système, ou plutôt une myriade de systèmes, dont certains proposent des challenges tout à fait passionnants - et donc posent les bases pour d’excellents jeux. Il suffit d’accepter de la regarder en face pour s’en rendre compte.
    Du coup, je travaille en ce moment même à l’écriture d’un "manifeste pour des jeux du réel". Je reviendrai poster le lien ici quand ce sera bouclé.

  • Nomys_Tempar Le 24 septembre 2015 à 17:15

    Tout à fait d’accord avec ce dernier commentaire. Le Gamergate montre une fois de plus qu’en tant que masse on est plus désunie que jamais. On peut y voir le triomphe de la démocratie dans ce qu’elle a de moins intéressante, ou aussi une manifestation de ce qui fait la post-modernité (les deux étant entrecroisé) : L’absence d’idéologie chez l’individu et par extension l’absence de liens entre les choses. Par exemple l’absence de sens qu’on voudrait voir dans le divertissement, juste jouer à des bons jeux, juste créer des bons jeux...

  • Guillaume Chevalier Le 26 septembre 2015 à 18:29

    @Florent Maurin :
    Merci beaucoup pour le retour, j’aime beaucoup cette idée que la réalité propose de beaux challenges ludiques, donc j’attends de lire le manifeste !

    @Roger
    Après réflection (et je ne peux pas dire que Martin ne m’avait pas prévenu), je me dis que le choix de citer le Gamergate et GTA étaient peut-être malvenus, dans le sens où les polémiques qu’ils ont pu provoquer ont tendance capter l’attention au détriment d’autres exemples.

    Sur la place de la femme (ou des minorités ethniques) dans le jeu vidéo, je n’ai en fait pas grand chose d’original à dire (cela n’en fait pas des questions secondaires pour autant). C’est plutôt sur des processus invisibles et plus profondément intégrés que portait ma réflexion.

    C’est pourquoi je citais l’exemple du protagoniste, qui est aussi vecteur d’idéologie, mais on pourrait tout autant parler de la représentation de l’autre, de la croissance comme seul modèle économique envisageable, etc etc. Il me semble que ceux-ci sont étroitement liés à l’individualisme et aux schèmes de domination que l’on trouve dans nos sociétés... (et donc aux frustrations socio-économiques dont parlait Duc_Plastique)

    Cela reste peut-être de l’enfonçage de portes ouvertes pour certains. Il me semble cependant que ces sujets n’ont pas été étudiés à leur juste valeur, ou que la porte n’a peut-être pas été assez enfoncée. Car lorsque je lis :

    “ je n’ai pas envie que mon jeu préféré suive les évolutions de la société, Je veux qu’il suive sa propre voie”

    j’ai l’impression que ne pas avoir été complètement compris : le propos de l’article était justement de démontrer que de dire qu’un jeu suit “sa propre voie” n’a pas de sens, sa conception ayant été soumis à des déterminants économiques, techniques, idéologiques...

    En tout cas je retiens la leçon : la prochaine fois je parlerai de Minecraft, des Sims ou de Farming Simulator

  • roger Le 27 septembre 2015 à 17:10

    Non mais quand je dis qu’un jeu doit pouvoir "suivre sa propre voie" ça ne veut pas dire qu’il est ou qu’il doit être à l’abri du monde qui l’entoure. Tu es gentil d’attirer mon attention là-dessus, mais j’ai un peu conscience des déterminants économiques, techniques, idéologiques et autres. Si je ne suis pas d’accord ça n’est pas forcément parce que je n’ai pas compris. ;)

    Simplement un jeu, comme toute œuvre n’est pas que le fruit de cela. Il est aussi le fruit d’une pensée, d’un esprit, qu’il soit individuel ou collectif, d’un regard particulier. Pour moi cette particularité du regard est sacrée, c’est la liberté d’expression. Le fait que les GTA soient des histoires d’hommes (jusqu’à présent du moins) ça fait partie de ce regard et ça n’a aucun sens de déplorer que les femmes n’y aient pas assez leur place. On jouera une femme dans GTA un jour, peut-être qu’il faut simplement attendre que les créateurs aient la sensation d’avoir quelque chose d’intéressant à raconter avec.

    Et accessoirement GTA est un jeu de malfrats, de voyous bagarreurs. Les profils de délinquants violents ne sont pas exclusivement masculins mais il y a quand même une sacrée prédominance des hommes en la matière. C’est peut-être une raison toute simple, de bon sens, qui explique que ces jeux soient des jeux à protagoniste masculin.

    Je sais que j’ai beaucoup développé GTA, mais autant répondre sur un exemple précis que je connais un peu ;)

  • roger Le 27 septembre 2015 à 17:33

    Juste un mot pour compléter : je ne nie pas la validité de l’analyse globale, le sexisme est partout donc dans les jeux aussi, mais j’aime pas qu’on prenne de mauvais exemples, ou des exemples qui du moins me semblent mauvais. C’est comme un exposé d’une féministe qui commençait sa critique des figures machistes dans le jeu vidéo en utilisant une illustration de Duke Nukem. Moi j’ai toujours trouvé que c’était second degré Duke Nukem, que le gros balèze sévèrement burné bien beauf c’était de la caricature pensée comme telle, et donc une image justement tournée en dérision de la virilité ultra-testotéronnée que la nana critiquait. C’est con, après ça j’ai pas eu envie de voir le reste qui avait perdu pas mal en crédibilité à mes yeux sur des jeux que je ne connaissais pas et où je ne pouvais pas vérifier la pertinence du discours.

  • PsyX Le 28 septembre 2015 à 09:30

    Ce qui me dérange le plus, c’est qu’à la première critique la communauté se braque, et lance une critique massive de tout les propos qui ont été fait.
    Anita Sarkeesian et ses vidéos par exemple : l’idée globale de son travail c’est de montré une tendance -le jeu vidéo est sexiste- qui reflète une réalité (notre monde est sexiste). A ça plusieurs réaction : des gens qui cherchent la petite bête ("Hey GTA c’est pas raciste" ; "Hey on peut aussi tuer des mecs !"), des gens qui refuse la critique ("Laisser moi jouer en paix") et des gens qui lui donne totalement raison ("Salope arrête tes vidéos !") et des gens... étrange ("oui mais les films et les séries télés et les comics aussi alors laisse moi jouer").

    Et c’est pareille avec toute critique féministe peut importe le sujet. Il n’y a aucun discussion, aucun débat.

    J’ai une amie qui a bien résumé le problème : "le féminisme vous montre que, aussi gentil que vous pensez être, vous pouvez être oppressif sans le savoir". Les gens se sentent visé par tout ces débats et refuse de se remettre en question, ou même juste de dialogué. C’est dommage...

  • Steve J Le 28 septembre 2015 à 09:35

    Je trouve un peu curieux de "sacraliser" le regard d’un GTAV après avoir moqué celui de Mass Effect 3 (et qu’en est-il de la "sacralité" du regard critique qui appartient aussi à la liberté d’expression ?).
    D’autant que GTAV me semble l’exemple même du jeu qui n’a de cesse de donner des leçons de politique au joueur, au travers de la narration omniprésente (on peut certes zapper les cinématiques mais pas les discussions par téléphone et les conversations en bagnole) on est sûr de bien connaitre les opinions du scénariste.

    Il ne s’agit pas juste d’inférer le sexisme des créateurs du jeu à partir du fait qu’il n’y a pas de personnage féminins jouables (ce qui est effectivement délicat) mais bien d’observer le traitement critique. En un sens GTAV fonctionne par vignettes satiriques qui donnent l’impression d’être sur le compte facebook d’un ami qui passe son temps à poster des liens sarcastiques sur la politique et la société (histoire, sans doute, que tous ses "friends" soient au courant de ses profondes pensées sur le monde).

    A l’inverse Mass Effect m’est moins désagréable. Peut-être parce que je me sens idéologiquement plus proche de ses créateurs (1) mais aussi parce que sa façon de parler de politique est moins intrusive. On est dans un univers de fantasy et le jeu fait le jouer de nous proposer un univers plus progressiste que le notre. Il n’est pas systématiquement dans le commentaire (et dans la ridiculisation de ceux qui ne pensent pas comme lui).

    (1) En y réfléchissant j’ai cependant beaucoup de sympathie pour le pourtant très réac’ Yakuza qui a au moins le mérite de la franchise et qui ne sacrifie jamais sa narration et son gameplay à l’exposé des convictions politiques de son auteur.
    Et je reconnais que Duke Nukem est tellement dans la performance du masculin, et dans l’excès, qu’on peut le lire comme une caricature de la virilité.

  • helenebedoin Le 7 octobre 2015 à 08:46

    Je n’avais pas encore pris le temps de lire tous ces échanges de commentaires. Pour ma part, je considère que cet article constitue une base de discussion et de réflexion non négligeables ; à ce titre, il a le mérite d’exister. Mais à lire les noms, il n’ y a que ... des discuteurs, et cela mérite qu’on s’y attarde peut-être ?

  • Stéphane Le 8 octobre 2015 à 15:15

    Merlan Frit serait-il un repaire d’hommes blancs cis ?

  • Martin Lefebvre Le 8 octobre 2015 à 20:45

    En fait j’avais lu ton post Hélène, sans le comprendre. Ca sent l’acte manqué. :)

    « il n’ y a que ... des discuteurs, et cela mérite qu’on s’y attarde peut-être ? »

    Je vais essayer de m’y attarder... Je sais qu’on a des lectrices, j’imagine qu’elles ne sont pas majoritaires, de même que nous n’avons que de très occasionnelles rédactrices.

    J’aime bien dire qu’au départ de Merlanfrit il y a un mec gay, une fille et un gars (votre serviteur) hétéros. Les autres n’ont plus le temps d’écrire ici, ou du moins pas autant, et c’est bien dommage, mais bon je me rassure en me disant que leur carrière dans le jeu vidéo avance pas mal. :)

    Je pense qu’on est un site féministe et très gay-friendly, mais on va pas se mentir, même si Stéphane (je sais pas bien lequel des Stéphane qui traînent ici c’est, mais bon s’il est de ma génération il doit avoir l’habitude, il y avait 3-4 Stéphane par classe) est sans doute ironique, il résume la situation :

    « un repaire d’hommes blancs cis »

    J’aimerais bien que ce ne soit pas comme ça, mais c’est un fait assez facile à déduire et j’ai forcément ma part de responsabilité. Après on n’échappe pas facilement à la sociologie et au milieu de départ...

    MF c’est d’abord des gens qui se sont rencontrés sur un forum de JV, où les mecs étaient surreprésentés, et je peux comprendre que ça fasse un effet club de garçon qui ne pousse pas les filles à venir nous rejoindre. Quand on a l’âge moyen des membres de l’équipe, on a grandi à une époque où le jeu vidéo était un loisir très masculin (c’est en train de changer assez vite, et il y a pas mal de jeunes filles qui sont gameuses, plus qu’il y a 20 ans quand j’étais au lycée). Peut-être qu’à un moment de mon parcours le côté club de mec ne m’a pas déplu inconsciemment. Après ça s’entretient tout seul ce genre de clôtures, surtout sur des petits domaines.

    Et puis évidemment certains genres de jeu que l’on aime bien ici sont historiquement très marqués « masculins » : le jeu de stratégie par exemple, avec son côté militaire, etc.

    Pour la question de la couleur, c’est encore la sociologie qui nous rattrape : on est majoritairement de formation littéraire (d’ailleurs dans mon boulot de tous les jours ce sont les mecs qui sont minoritaires), et bon de mon temps les études littéraires faisaient très cercle de blancs. J’ose espérer que ça a évolué dans le bon sens depuis, et il y a évidement eu depuis longtemps des exceptions (je pense à mon excellente prof d’hypokhâgne originaire des Antilles, qui faisait cours à 50 jeunes bourgeois-e-s blond-e-s), mais elles étaient très rares. :/

    Bref, le constat c’est bien beau, mais que faire comme dirait l’autre ?

    A un moment j’ai essayé de recruter des rédactrices, mais c’est difficile de le faire pour plusieurs raisons. Peut-être parce qu’elles n’ont pas envie d’écrire dans cet environnement plein de mecs. Mais aussi parce que c’est un peu difficile pour nous qui ne payons pas de vraiment inciter les gens... Si on ne nous répond pas, c’est qu’on n’a pas le temps, l’envie... Et ça se comprend ! Les gens qui écrivent pour nous sont soit des connaissances, soit des gens qui nous proposent des papiers, soit plus rarement des gens dont on a aimé le blog et qu’on est allé débaucher. Et pour le coup, s’il y a un certain nombre de plumes féminines qui écrivent en français sur le JV que j’apprécie (Chloé Woitier, Marion Coville, Maria Kalash, Virginie Malbos, je vais en oublier c’est obligé... ) elles ont un peu mieux à faire que d’écrire pour nous (mais on est preneurs au cas où hein). C’est très rare qu’une femme nous envoie un papier, et à ma connaissance (mais je passe moins de temps en répérage qu’avant, donc j’ai sans doute des zones d’ombre), il n’y a pas non plus des masses de blogueuses JV pour qui passer par MF serait une expérience enrichissante (je sais pas si c’est bien formulé, mais je suis crevé).

    La dernière blogueuse dont le boulot m’a vraiment plu c’est Ebene Zolli, qui a écrit de beauxportraits de développeuses chez nous (bon après la théma qui devait l’accompagner a un peu tourné court pour des raisons d’organisation, à voir s’il ne faudrait pas relancer ça).

    Je sais plus trop où j’en suis, et c’est sans doute trop long et confus, mais pour résumer : si vous avez une plume (allez, pas de fausse modestie) et que vous avez envie de publier au tarif mirobolant de gratuit avec toute notre gratitude un papier sur le jeu vidéo avec un angle original, quel que soit votre sexe, votre genre, votre couleur : l’adresse mail c’est [email protected]

    Avec des bises.

  • helenebedoin Le 12 octobre 2015 à 09:06

    Merci bien pour ce long message. Pas de souci pour le site MF, ni de mise en accusation des blogueurs ci dessus qui cheminent dans la réflexion ! En fait, mon domaine quotidien n’est pas le jeu vidéo, mais davantage le jeu musical, encore -au combien !!- fort discriminant dans les musiques improvisées.

    En résumé, ce que cet article met en lumière se retrouve un peu partout dans l’inconscient collectif, qu’il soit féminin ou masculin d’ailleurs. Simone de Beauvoir le disait déjà, "on ne nait pas femme, on le devient", Catherine Vidal le confirme dans ses livres "Homme, femme, avons nous le même cerveau ?" et "nos cerveaux, tous pareils, tous différents". Mon commentaire s’inscrit dans cette démarche, et c’est pour ça que, comme je l’ai mentionné, cet article a le mérite d’exister et de créer le débat.
    Le chemin est encore long, mais chaque pierre y a son importance ...
    www.philo5.com/.../Beauvoir_...
    http://www.franceculture.fr/emissio...

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