Lorsqu’il pénétra dans l’immense objet non identifié qui gravitait au-dessus de Jupiter, notre petit astronaute découvrit une collection de disques. Pas celle d’un mélomane fou, malheureusement pour lui, mais plutôt un arsenal de lames de scie circulaire qui tournicotaient, rebondissaient, se reproduisaient dans une java infernale et bien affûtée. « C’est tout ? » pensa l’astronaute. Puis il fut transformé en carpaccio.
Oui, c’est tout. Le titre "Disc Room" est parmi les plus explicites de l’histoire du jeu vidéo. Une pièce vide, un pauvre gars, et puis des disques, comme si un esprit malade avait dupliqué une des scènes de supplice de Cube. Il y a bien quelques pouvoirs jetés en pâture au joueur pour rééquilibrer un rapport de force trop inégal, mais on ne peut en utiliser qu’un à la fois, sinon ce serait trop « compliqué ». Ouh, le vilain mot que voilà, Disc Room doit rester simple, voyons, minimaliste comme une Pizza Margherita.
Certes incongrue, la métaphore culinaire revendiquée par ses auteurs se tient. Quelques ingrédients choisis avec soin, assemblés avec passion, débarrassés du superflu, produiront parfois un met infiniment supérieur à l’aberration aux sept fromages dont vous aimez tant vous empiffrer. Dans la création artistique comme en cuisine, savoir aller à l’essentiel est souvent préférable à l’éparpillement. D’ailleurs, rester simple, c’est souvent le plus compliqué. Dans le jeu vidéo, cette doctrine porte un nom : design par soustraction.
Le pari semble d’abord réussi, et on court de bon cœur se faire trancher en fines lamelles. Il y a un hic cependant : a répéter en boucle les deux mêmes accords, on se retrouve vite à tourner en rond, c’est pour cela que vous ne trouverez pas de bon morceau punk qui dure plus de trois minutes (et aussi parce qu’au bout de trois minutes de pogo-bière, l’arrêt cardiaque guette). Comme un jeu vidéo est censé durer plus longtemps qu’une pause café, il faut un peu d’astuce. Faire évoluer le level design par exemple. Dommage, les niveaux de Disc Room sont des pièces vides. Varier les ennemis alors ? De ce côté, bel effort, le jeu déballe une charmante galerie des horreurs aux dents acérées. Cela fait illusion un temps, on se demande à quelle sauce on se fera déchiqueter dans la salle suivante. Mais à l’arrivée, pas de miracle : comme Ape Out, avec lequel il partage un art du design épuré jusqu’à l’os, Disc Room est un de ces jeux qui pataugent passé une première brillante impression, juste le temps de faire le buzz sur Twich.
Certainement conscients de cette faille tragique, les auteurs de Disc Room ont fait le choix de tordre leur formule, comme un cuisinier désespéré qui jetterait des tranches d’ananas sur une Margherita trop fade. Chaque pièce du jeu possède une série d’objectifs qu’il convient de remplir pour accéder à la suivante : s’empaler sur une lame particulière, découvrir un nouvel ennemi, il ne s’agit plus tant de survivre que de trouver la bonne manière de mourir. Un choix de design aussi incongru mène logiquement à l’échec : en un changement de règle, Disc Room se perd entre le jeu d’arcade et le puzzle game. Mais il prive surtout le joueur de la gratification de finir le niveau en un seul morceau. Peu importe à quel point vous êtes bon, vous n’en sortirez pas vivant [1].
On pouvait reprocher beaucoup de choses à Ape Out, mais celui-ci adoptait au moins une posture radicale, jusqu’au-boutiste : celle d’un gorille en cavale qui compose un solo de batteries à coups de tatanes. Où nous emmène Disc Room, malgré sa simplicité revendiquée ? Nulle part, et on a beau gratter, son adorable vernis cartoonesque ne recouvre qu’un vide intersidéral. Alors forcément, ça pique. Car faire un bon jeu vidéo, comme pour n’importe quelle production artistique, comme pour la bouffe d’ailleurs, cela demande une bonne dose d’abnégation : il faut mettre quelque chose de soi pour produire un objet digne d’intérêt. Attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas écrit : il ne s’agit pas ici de justifier le crunch et les pratiques toxiques qui sévissent dans les cuisines (réelles et vidéoludiques). On peut s’investir personnellement dans ce qu’on fait trente-cinq heures par semaine, il reste encore beaucoup de fonctionnaires héroïques pour nous le rappeler.
Mais cette part de soi que met le développeur dans son jeu, c’est ce qui fait la différence, la raison pour laquelle Celeste, pour ne citer que lui, a du cœur et quelque chose à raconter. Et si tous les bons jeux n’ont pas d’histoire intime à déballer, tous ont en commun cette générosité. Il faut voir avec quelle passion les développeurs de Dead Cells parlent de leur jeu et du soin apporté aux animations pour rendre combats et déplacements jubilatoires. Ce n’est pas par hasard qu’on engouffre des heures dans le jeu de Motion Twin, mais parce que quelqu’un a pris sur son temps pour que chaque porte enfoncée, chaque coup critique soit simplement jouissif [2].
Disc Room sent le side-project à plein nez, le truc écrit sur un coin de table par ses auteurs. Cela nous le rendrait presque sympathique : que le jeu indépendant regorge de projets plus légers, d’espaces d’expérimentation est toujours une bonne nouvelle. C’est la preuve d’une diversité, le cadre parfait pour s’aventurer dans d’autres formes, tester de nouvelles idées. Et puis les game jams, Itch.io ou le défunt système flash — paix à son âme — produisent un écosystème pour que les producteurs puissent se faire la main avant de pondre le prochain Celeste ou Outer Wilds. Mais vendu plein pot sur switch et steam, Disc Room joue-t-il sur ce terrain ? Trop propre, trop calibré, il ne prend jamais vraiment de risques. Elle a définitivement un arrière goût de réchauffé, cette Margherita.
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