Surgelé

Ishar

Se promener dans la campagne

Quand j’étais adolescent je détestais me promener. Ma mère, comme toutes les mères je suppose, voulait que je m’« aère », que je sorte de ma chambre calfeutrée et malodorante (du moins selon des critères d’adulte). De toute ma mauvaise volonté de jeune je trainais des pieds à l’idée de sortir avec maman. Evidemment, je préférais rester "enfermé" en ne faisant rien de vraiment sain ni d’utile. Pourtant j’aimais bien l’idée d’être dehors dans la verdure : j’adorais même me promener dans Kendoria.

Une légende française.

Dehors, vraiment

Lorsqu’il paraît en 1992 Ishar s’inscrit dans la lignée prolifique des jeux qui ont pour père le fameux Dungeon Master (1987). Il est parent des Might and Magic et autres Eye of the beholder. Il en partage les traits caractéristiques des jeux de rôle (équipe de personnages, statistiques, inventaire, expérience), ainsi que le fameux déplacement par case avec combats en temps réel.

Le ciel, un motif légitime d’émerveillement esthétique et ludique.

Pourtant une différence énorme le distingue d’emblée : il n’y a pas de murs. Le joueur débute en rase campagne et la grande majorité du jeu se joue à l’air libre... Là où les autres titres du genre nous faisaient constamment naviguer à travers des couloirs et des salles, franchir des portes, Ishar permet le plus souvent de se déplacer librement. Et la bande-son confirme d’emblée l’évidence visuelle de la rase campagne environnante : on entend bien des bruits d’animaux et le vent. A l’époque, le contraste est saisissant avec les labyrinthes souterrains des jeux cités plus haut, et autres Bloodwych ou Black Crypt.

La carte ne localise le joueur qu’au point de départ. Rustique.

Cette géographie ouverte a quelque chose de fascinant : ainsi une maison isolée d’un village est réellement isolée, et non pas reliée par un couloir tortueux (comme les faux extérieurs de Eye of the Beholder 2 ou Lands of Lore). Et sans murs la cartographie habituelle des donjons labyrinthiques n’est plus réalisable. Le joueur est délicieusement contraint à se promener. Il peut bien se fixer quelques repères, mais pas question ici de compter « le nombre de cases du couloir ».

Une redistribution de la difficulté

Qui dit rase campagne dit terrain de combat ouvert, et donc changement complet dans des stratégies habituellement caractérisées par l’esquive et les manœuvres serrées dans le faible espace disponible des boyaux des donjons. Il est ici possible de décamper en filant tout droit, ce qui n’est d’ailleurs pas si utile car les monstres s’arrêtent souvent assez vite, quand ils ne sont pas totalement incapables de se déplacer ! Des monstres immobiles, l’idée semble grotesque, mais pourtant elle n’est pas synonyme de facilité excessive. Les combats ne sont pas si exigeants certes, mais dans Ishar les membres de l’équipe se fatiguent en se déplaçant, et à chaque coup qu’ils portent... Mieux : l’équipe ne peut manger ou se reposer qu’en payant, cher de surcroît.

Les pieds fermement ancrés sur le pont, ce garde ne reculera ni n’avancera. Il ne peut que demeurer ou disparaître.

La vie à l’air libre est dure, et accéder à un abri a un prix. Tout comme les sauvegardes. L’économie du jeu est rude, et si la progression de l’équipe permet d’avoir à la longue les coudées un peu plus franches, les débuts sont laborieux et le coût des charges fixes exorbitant. Comment s’en sortir pour sauvegarder à 1000 pièces d’or ? Manger à 500 et dormir à 800, quand en regard le bénéfice d’un gobelin tué est de seulement 50 pièces d’or ? On s’en sort, mais en souffrant (et en tombant sur un trésor de 15000 PO dans une maison abandonnée, certes).

La taverne, plus que jamais lieu de repos et de détente...

D’une région à l’autre, de la surface au sous-sol

Evidemment Ishar est un jeu de son époque, et par conséquent le terrain est plat. Mais les régions ont pourtant leur originalité. Des chênes ici, des bouleaux là, des haies suffisent au joueur d’alors pour ressentir un dépaysement, sans compter bien entendu les variations de monstres. La densité des arbres joue aussi, et la région de Rhudgast rend bien la sensation d’une forêt épaisse un rien étouffante.

Trois visages de la forêt dans Ishar.

Mais la sensation d’oppression est bien évidemment à son maximum dans les rares donjons du jeu. Les zones labyrinthiques ont un caractère exceptionnel dans Ishar, et le joueur y est mal à l’aise. La bande sonore exploite et renforce admirablement l’aspect angoissant de ces situations, en meublant les donjons de tout un tas de bruits inquiétants qui ne sont pas directement liés à des monstres. L’impossibilité de se reposer sur place, la fragilité des combattants qui doivent se nourrir régulièrement à l’aide de leurs faibles réserves font de ces zones des pièges dont on souhaite sortir au plus vite, et le rapatriement à l’air libre est une bouffée d’oxygène, un retour rassurant à la normale (bien que les monstres qu’on y trouve ne soient pas forcément plus tendres). Le système des sauvegardes payantes pousse par ailleurs le joueur déjà peu rassuré à prendre des risques, évitant d’y avoir recours trop souvent...

La largeur de la fenêtre de jeu permet d’embrasser le panorama en extérieur, mais donne une sensation d’écrasement sous terre...

La série

Décidément originale dans son genre, la série comprend deux autres volets qui explorent toujours la notion d’extérieur, mais de façon sensiblement différente. La grande île du premier volet cède la place à un périple à travers un archipel dans le deuxième. Ishar 3, qui se déroule essentiellement dans une grande cité, fait cette fois-ci voyager le joueur dans temps, la ville dans laquelle il évolue se muant en terre vierge dans un passé lointain...

Ishar 3.

Assez fidèle à elle-même d’un épisode à l’autre, la série ne note pas de changement spectaculaire ni de bâclage honteux (hormis la fin du premier épisode, qui semble avoir été bouclée dans la précipitation). Le changement d’atmosphère et de menus aménagements relancent toutefois l’intérêt dans cette ambiance un rien ironique propre à la série. Avec toujours ce dénominateur commun : la nature et le ciel ne sont jamais très loin.

Il y a 10 Messages de forum pour "Se promener dans la campagne"
  • Pierrec Le 25 février 2014 à 09:58

    les "Trois visages de la forêt" sont magnifiques

  • Rouille Le 25 février 2014 à 11:03

    J’avais été un peu... déboussolé, je crois que c’est le terme adéquat, en essayant ce jeu récemment. Il faut dire que je n’ai jamais touché à un Eye of the Beholder ou un Might & Magic, donc ça doit pas aider. Mais l’aspect bucolique m’avait favorablement frappé. C’est juste que je savais pas quoi faire, et que j’avais beaucoup de mal à me déplacer.

    Le jeu est dispo dans une compilation à bas prix avec des tas d’autres jeux de Silmarils. Dans Robinson’s Requiem on retrouve l’aspect "plein air", mais en beaucoup, beaucoup plus féroce. Rien ne pardonne.

  • Laurent Braud Le 25 février 2014 à 12:29

    J’allais aussi mentionner Might&Magic X. Est-ce qu’on a encore le droit de proposer une liberté aussi rigide aujourd’hui ?

  • Martin Lefebvre Le 25 février 2014 à 13:01

    Moi j’ai beaucoup aimé M&M X... pas tant comme un open world, même si le plaisir de se perdre et de se faire démonter par des monstres trop puissants est essentiel, mais plus parce que les combats au tour par tour sont vraiment excellents (NB : les M&M classiques n’étaient pas en temps réel, même si évidemment ils ressemblent à Dungeon Master, ils sont plutôt dans la lignée de Wizardry, c’est une autre branche). Très bonne surprise ce jeu.

  • Chaudron Le 9 mars 2014 à 20:33

    Il manque quand même une référence nécessaire à Crystals of Arborea, l’épisode fondateur de la série.

  • Jérôme Izard Le 10 mars 2014 à 19:29

    Je ne pense pas qu’on puisse dire que Crystals of Arborea est l’épisode fondateur de la série. Il n’annonce guère les Ishar qui sont très différents. Il y a certes l’histoire qui sert un peu de genèse, le déplacement par cases, mais il n’a pas grand chose d’un jeu de rôle. J’y ai joué longtemps après les Ishar et je n’ai pas trop accroché, j’aurais pu l’évoquer mais je n’avais pas grand chose à en dire ;)
    Et l’idée était d’aborder le jeu sous un angle un peu spécial, il y aurait plein d’autres choses à en dire c’est sûr !

  • Richard Dangereux Le 31 mars 2014 à 10:06

    Dans le genre promenade je me souvenais surtout de Drakkhen en 1989, bien que je n’y ai pas joué beaucoup c’était assez marquant pour l’époque niveau réalisation (et packaging).

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Drakkhen

  • Jérôme Izard Le 31 mars 2014 à 12:28

    Tiens j’ai aussi ça comme lien

     ;)

    L’environnement extérieur de Drakkhen est nettement plus spartiate et symbolique que celui d’Ishar, qui est relativement "touffu" au niveau graphique. La balade dans Drakkhen est aussi beaucoup plus périlleuse, puisqu’au détour d’un bosquet tu peux te faire éclater par un dragon alors que tu débutes juste le jeu. C’est violent et pas très bucolique, ta perception de l’extérieur est en grande partie fondée sur la crainte d’un combat déséquilibré qui peut frapper à tout instant. A ton désavantage bien sûr ;)

  • Stephane Le 31 mars 2014 à 13:55

    Excellents, les combats dans M&M X ??? Un jeu où on ne peut plus se déplacer du tout à partir du moment où un combat est engagé, sérieux ? Je l’ai désinstallé plus vite que mon ombre, ce truc - quand bien même les graphismes sont inhabituellement sympas pour un M&M.

  • Blood Le 27 février 2015 à 00:19

    Très bon article, félicitations ! C’est liberté de déplacement dans des environnements extérieurs est pour moi aussi un aspect qui m’a beaucoup plu dans Ishar.

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