Le plus appelle le plus dans DmC Devil May Cry, c’est un fait indéniable. En remettant à zéro les compteurs de la célèbre série de beat’em up de Capcom, les développeurs de Ninja Theory ont oublié jusqu’au nom de leur propre studio.
Trap him ! Destroy ! Kill Dante !
Discrétion, furtivité, infiltration, mouvements réduits au strict nécessaire, évitement de la confrontation : rien de ce que l’on associe traditionnellement aux guerriers-espions du Japon médiéval n’a droit de cité dans DmC Devil May Cry. Comme tout héros poseur et branché, Dante n’est guère adepte de la subtilité. A la fois ange par sa mère et démon par son père, il ne connaît jamais la moindre hésitation quand il s’agit de se jeter dans la gueule du loup, même quand celui-ci se trouve dans les limbes, ce monde parallèle à celui des humains où c’est pour ainsi dire déjà l’enfer. Les créatures ? Insignifiantes. Les boss et demi-boss ? De simples tas de bidoche boursouflés. Parfois, avant que des apparitions maléfiques ne lui imposent de faire parler la poudre et le fer, des ordres à l’adresse de ces monstres s’inscrivent sur les murs. On s’étonne qu’après avoir fini de couper, trancher, défourailler et fusiller les vagues ennemies sur fond de dubstep ou de metal-hardcore teinté d’EBM, il ne réplique pas en prenant le temps d’écrire en grand sur une paroi « Dante was here ».
Fondamentalement, on ne trouve pas là trace d’une quelconque nouveauté pour le nephilim le plus célèbre du jeu vidéo, les précédents épisodes ayant déjà parlé pour lui. Cette réinitialisation de la saga Devil May Cry sous la coupe des auteurs de Heavenly Sword et Enslaved – Odyssey To The West se contente de nous montrer, sans la moindre surprise, que Dante était un chien fou dès ses vertes années. On ne retiendra pas grand-chose d’autre de lui, ni même de ses alliés ou ennemis, tant le scénario et le faible développement des personnages échouent à toute implication réellement sérieuse. Ne reste donc que le loisir d’incarner quelqu’un qui, de son propre aveu, passe l’essentiel de son temps à trancher des vilaines bêtes et s’envoyer en l’air, sans pour autant nier quelques qualités à l’informatique ; l’archétype de celui à qui tous les jeunes mâles frustrés voudraient ressembler, et qui peut se voir rejeté manu militari quand leur utopie finit par plier puis rompre sous le poids des ans (cf. l’accueil général particulièrement froid à l’égard du nouveau design de Dante lors de sa première sortie, lors du Tokyo Game Show 2010).
One of those few assassins with class
La jeunesse étant le parfait berceau du fantasme d’invincibilité, notre héros se réclamerait presque de l’adoubement divin malgré son côté branleur et ses répliques qui tombent à plat les trois quarts du temps. L’introduction du jeu plante le cadre avec franchise : Dante tombe sans effort des bimbos en boîte, discute en public dans le plus simple appareil avec sa future assistante sans la moindre vergogne, sermonne un limier tout sauf fin pour qu’il ne touche pas à sa caravane, et trouve le temps, lorsque ce pachyderme des ténèbres l’envoie valdinguer avec son foyer dans les airs, d’enfiler ses fringues avant de reprendre contact avec la terre ferme. La classe peut avoir de multiples définitions.
Les premiers instants ingame résument à eux seuls la dimension excessive et grandiloquente qui habite le jeu. Elle se manifeste d’une part sur le plan graphique, par une coloration multiple et criarde alors que l’on traverse un parc d’attractions ; et d’autre part, par les premiers combats qui sont l’occasion de prendre ses repères avec un système dans la droite lignée des précédents épisodes de Devil May Cry : tout pour l’attaque. Dante répond au doigt et à l’œil : il saute, virevolte, esquive au lieu de parer, manie l’épée aussi facilement qu’un couteau à beurre, et le double-flingue tel une tête d’affiche d’un actionner sévèrement burné, comme si John Woo mettait en scène une adaptation de Rise Of The Triad ou Shadow Warrior. Ses mouvements sont amples et véloces, ils lui assurent un important périmètre d’action et des possibilités d’enchaînement considérables que seuls quelques timings exigeants sont en mesure d’interrompre. Quant à ceux qui raillèrent son look de minet gothique en le découvrant, un clin d’œil leur est indirectement adressé par une cinématique voyant Dante accidentellement affublé d’une perruque blanche dont il refuse de reconnaître le caractère prémonitoire. Quelle que soit sa tronche, merci de faire place : ce jeune homme a la ferme intention de faire son bout de chemin, condamnant à une mort certaine tous ceux lui faisant obstacle.
Et comme dans tout beat’em up qui se respecte, ce ne sont pas les ennemis qui vont manquer. Des êtres les plus filiformes ou squelettiques jusqu’aux boss les plus disgracieux en passant par les atrocités volantes, c’est un bestiaire pléthorique et en délit de faciès aggravé qui s’échine à entraver la progression de Dante vers sa confrontation avec un certain Mundus. Ce dernier a la double particularité de tenir l’humanité sous contrôle par le double effet des médias et d’une boisson énergisante, mais aussi d’avoir désapprouvé l’union de Sparda et Eva, les parents de Dante. Il le fit savoir à sa façon, tuant la mère et condamnant le père à la souffrance éternelle. Vous l’aurez compris, ce monsieur est très méchant.
Madness begins
Heureusement, DmC Devil May Cry obéit à la tradition dont se pare son genre depuis quelques années déjà : la montée en puissance du protagoniste principal. Celle-ci est très flagrante dès le deuxième niveau, lorsqu’il retrouve petit à petit la mémoire à l’aide de son alliée Kat et de son frère Vergil en traversant diverses épreuves au sein des ruines de l’internat où il fut autrefois placé. Ce recouvrement est symbolisé par l’acquisition de deux nouvelles armes blanches aux pouvoirs respectivement démoniaques et angéliques, lui ouvrant accès à un éventail de techniques décuplant ses moyens d’attaque mais aussi sa mobilité ; ces armes peuvent en effet lui servir de grappin, autant pour attirer à lui divers ennemis ou fondre sur eux, que pour faire de même avec certains éléments du décor. Ces pouvoirs servent de prétexte à l’inclusion de nombreuses phases de plates-formes plutôt agréables, parfois présentes au sein de dimensions parallèles aux limbes où la direction artistique fait merveille avec des édifices gigantesques et déformés à l’extrême, et/ou de multiples pans de murs perdus dans les airs ; même si l’approche diffère de celle des aventures les plus sombres d’Alice, American McGee aurait approuvé avec enthousiasme le résultat. Certes, on ne s’affranchit pas de quelques problèmes d’appréciation des distances de saut que nombre de beat’em ups ne sont pas parvenus à résoudre, mais la plate-forme 3D elle-même ayant très rarement fait mieux, la mansuétude peut être de mise ; a fortiori quand les décors, sous l’impulsion des forces maléfiques environnantes, se déforment, se déchiquettent ou s’entrechoquent soudainement pour compliquer la tâche de Dante. Cette idée cumule tous les superlatifs : inattendue, très bien mise en scène, et incitant à rester sur le qui-vive sans que la moindre place soit laissée aux QTE, totalement inexistants d’un bout à l’autre de l’aventure.
On pourrait aussi évoquer divers évènements intervenant par la suite, tels d’autres armes récupérées par Dante, son acquisition d’une invincibilité temporaire (dont la mise en scène, proche du mode Hysteria d’Alice Madness Returns, le rapproche de nouveau avec ce dernier), une virée hautement psychédélique en boîte de nuit ou quelques affrontements mémorables (la Succube ou le surprenant combat contre Bob Barbas, chargé de la propagande télévisuelle de Mundus). Cela n’est cependant pas fondamental, car une fois le second niveau terminé, Dante a achevé son initiation. Il a retrouvé sa mémoire qui, sans le doter d’un passé très travaillé, donne un sens au parcours qui va suivre. Il a acquis, via les différentes phases de son exploration de l’internat, toutes les bases nécessaires pour atteindre son but ; au premier rang desquelles l’héritage armé de ses parents, qui assoit plus fortement encore son statut de nephilim et l’appétit de vengeance qui bouillonne en lui. Ce qui est à venir n’est en somme qu’une suite logique : une chevauchée infernale menée tambour battant, sur le fil du rasoir que se révèle être la frontière entre les limbes et le monde réel, deux faces superposées d’un univers dont la richesse esthétique d’exception rappelle le talent de Ninja Theory en la matière ; une odyssée ponctuée de combats acharnés, au rythme des pressions de boutons déclenchant les combos, et d’une bande-son idéale pour un jeu vidéo d’exploitation : nourrie de clichés, trop ancrée dans son époque, mais tellement efficace et à l’avenant qu’on en n’a cure.
Existence taken for granted, absolute
Ce périple débridé fait de DmC Devil May Cry l’incarnation de la jeunesse éternelle, celle qui fonce tête baissée, ne se retourne pas, et cède à la déraison en voulant tout tout de suite : la puissance, l’adrénaline, les sensations fortes, la jouissance sans entraves. Pour l’essentiel, ce ne sont pas là les valeurs les plus aptes à porter un message constructif, chargé de bon sens. Mais pour peu que l’on se remémore les sempiternelles colères d’un Kratos, lequel n’a jamais dû esquisser le moindre sourire de toute son existence, on peut bien se permettre de rajeunir de quelques années durant une poignée d’heures pour s’identifier à Dante. C’est toujours bien plus agréable que la vraie vie.
Vos commentaires
wuthrer # Le 5 avril 2013 à 09:04
J’avoue avoir été tout autant surpris de ressentir une petite touche American McGee Alice. Notamment par rapport au premier volet, avec ses univers éclatés et ses plateformes volantes.
"en voulant tout tout de suite : la puissance, l’adrénaline, les sensations fortes, la jouissance sans entraves." J’pense le seul point noir du jeu qui nuit à la pleine émancipation de ce concept, c’est son scénario. Je l’ai trouvé hypocrite. Ca m’est complètement égal que Dante devienne quelqu’un de bien pour s’acoquiner d’une ancienne délinquante rachetée, je m’attendais à beaucoup plus de légèreté (voulue et assumée) et de bêtise.
KotL # Le 5 avril 2013 à 13:31
Le simple fait que cette vidéo fonctionne si bien invalide totalement pour moi le scénario du jeu (ou en tout cas pas loin).
Après le jeu est joli à regarder, c’est sûr, le gameplay par contre n’est pas au top (surtout comparé aux précédents épisodes, le 3 en tête), j’ai bien plus accroché à la précision de MGR : Revengeance.
benco # Le 8 avril 2013 à 12:33
J’ai beaucoup aimé ce jeu malgré la perte du côté gothique / rock n roll si chère à la licence. Par contre personne ne parle de l’inspiration "Invasion Los Angeles" pour l’univers. Je trouve cela dommage...
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