10. Fonds marins

007 : Blood Stone

Route nationale 007

Qu’est-on en droit d’attendre d’un jeu vidéo tiré de James Bond ? De l’originalité ? De la prise de risque ? Ou bien alors tout ce qu’on aime, ni plus ni moins ?

Il existe un certain nombre d’éléments que tout fanatique de James Bond attend avec impatience. Plus que les gadgets ou les vannes sur les précédents épisodes, ce qui fait à chaque fois hurler de joie réside dans la structure même de la série : une séquence pré-générique qui amène une chanson, la fameuse scène où James est au lit avec une jeune femme, la mort violente du grand méchant et bien sûr la musique, des cuivres qui hurlent [1] et des morceaux jazzy dès qu’on rentre dans un casino.

Je n’étais pas sûr de retrouver tout ça dans James Bond 007 : Blood Stone. Dernier jeu développé par Bizarre Creations (Project Gotham, Blur), le titre faisait figure de vilain petit canard, coincé entre la grosse machine qu’est Activision et une franchise qui n’a pas souvent eu l’occasion de briller sur consoles. Acheté dans un bac d’occasion pour le prix d’un sandwich dans une gare parisienne, le titre se défend étonnamment bien. Sans doute parce qu’il suit à la lettre la recette des films, particulièrement celle de la période Brosnan, sans doute la plus pauvre et la moins inventive de toute la saga mais, paradoxalement, celle qui reste la plus simplement identifiable. Cela tient aussi à mon âge — j’ai grandi avec Brosnan avant de découvrir les aventures précédentes — voire à l’envie de retrouver un James Bond comme on en fait plus, après un Skyfall surprenant mais presque trop original.

Visage des acteurs en pâte à modeler (pauvre Daniel Craig, pauvre Judi Dench), animations et lipsync à la rue, tout va bien, nous ne sommes pas dans un jeu AAA mais plutôt un underdog qui cherche à faire comme les grands, sans avoir les reins assez solides. Le jeu est trop court, trop buggé et trop peu novateur pour espérer surprendre le joueur moderne. Il n’y a rien de bien neuf ici, seulement l’envie de faire comme si on avait l’argent et puis tant pis pour le reste. Bienvenue dans le purgatoire du jeu vidéo, ce genre qui s’est éteint durant cette génération, coincé entre le titan AAA et les nouveaux dieux indépendants.

Pour le fan de Bond, celui qui aimerait en manger trois par semaine, il y a de quoi se régaler. Le tout commence à Athènes où 007 doit arrêter un terroriste venu faire exploser une bombe durant le sommet du G20. On découvre notre héros, silencieux à la main, qui nettoie un bateau avant de s’engager dans une course-poursuite dans le port. Sans prétention, le film qui se déroule sous nos yeux serait au fond un Bond correct sans plus : ni trop con, ni trop misogyne, ni trop daté, ni trop bordélique. Bien rangées, les scènes se suivent naturellement. Quand le pire est évité, Bond boit un vodka Martini en Grèce et se fait féliciter par M., c’est bon, la chanson peut commencer.

C’est sans doute là que la magie opère. Et par magie, il faut bien sûr entendre illusion. Quelque part le fan est ravi car jusqu’à ce Blood Stone aucun jeu vidéo Bond n’avait eu l’audace d’être aussi bêtement cinématographique. La faute à la technique sans doute, pas encore au point pour afficher des décors suffisament réalistes ? La faute aussi à la modernisation (et non l’apparition) du TPS, qui permet à James Bond d’être vu et incarné en même temps. Il faut dire que la série revient de loin : si GoldenEye était un bon jeu, c’était davantage grâce au talent de Rare que par sa fidélité au film. Les jeux suivants ne sont pas forcément réussis, pas bons, pas beaux. On s’y ennuie... quand on arrive à y jouer.

Blood Stone, lui, arrive après tout le monde et ça se sent : après avoir sauvé Athènes, 007 est expédié à Istanbul où il enquête. Smartphone haute technologie, vision augmentée à la Batman : Arkham Asylum ou Assassin’s Creed, interaction avec le décor... rien de bien original. La sauce prend, petit à petit. Il faut dire que le jeu a deux qualités évidentes. La première tient à la présence de Daniel Craig qui a largement modifié le ton et la violence de la saga. Le Bond de Brosnan était un expert des armes à feu, Craig est un bourrin qui attaque au corps à corps, qui brise les nuques. Le combat rapproché, élément emprunté à Jason Bourne [2], offre au joueur agressif des tirs automatiques. Oui, comme dans Splinter Cell : Conviction. On vide les salles en quelques instants, on fait les armes à la première occasion.

Aucune sensibilité, aucune douceur dans ce Blood Stone, bourré de scripts jusqu’à la moëlle, à part peut-être dans les décors, superbement détaillés, colorés et animés — chaque lieu visité est un émerveillement, tout comme le 007 du cinéma — et c’est là sa deuxième qualité. On court, on tire et on recharge en faisant tourner la caméra. On veut de l’exotisme, du luxe. La baie de Monaco. Un bain turc. La jungle sud-asiatique. Et on veut de la vitesse. Car si Blood Stone est développé par Bizarre Creations, c’est aussi pour mettre en avant les courses-poursuites en voiture. On roule vite mais mal, les véhicules sont de gros blocs sans vie. On lui préférera Split/Second, formidable délire télévisuel et exagérément explosif.

Reste qu’au détour de chaque virage, après chaque intersection, le joueur est accueilli par des explosions et des coups de feu. Illusion je vous disais : la magie du son et des effets spéciaux qui habillaient si bien les aventures de Pierce Brosnan trouvent ici une nouvelle maison. C’est bête comme Blood Stone est bête. Il pique tout, ici et là, sans hésiter une seule seconde. Le TPS 101, la base de la base. On a même droit à un hélicoptère comme boss final. Marcus, Leon, Nathan et 50 Cent ne sont pas impressionnés, ils ont déjà vécu tout ça. Souvent même en mieux.

Voilà déjà l’heure de terminer le jeu. Cinq petites heures au compteur, la joie de n’avoir pas dépensé 60 euros à sa sortie et en même temps le goût amer d’avoir profité de la mort de Bizarre Creations pour s’amuser un peu. Ils ont même bossé sur un mode multijoueur abominablement vide, carcasse sans vie laissée là, on ne sait pas trop pourquoi et qui évoque sans doute aux quelques anciens développeurs pas mal de tristesse en repensant à ces heures de crunch pour rien.

Récemment le jeu a disparu de Steam — les droits de la franchise n’appartiennent visiblement plus à Activision — et c’est presque tant mieux. On réalise petit à petit que le jeu vidéo nous offrira souvent des déceptions de ce genre : sortir des jeux, inonder les magasins et les affiches dans le métro et puis disparaître jusqu’à devenir un souvenir lointain… Certains iront jusqu’à relancer le jeu, comme on se remet encore une fois Moonraker. On sait que le film n’est pas très bon, on s’en moque. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse...

Notes

[1] Celle de Blood Stone, signée Richard Jacques, est une splendeur. Je vous propose d’écouter un extrait.

[2] Les développeurs du jeu raté The Bourne Identity sont d’ailleurs remerciés au générique de Blood Stone

Il y a 5 Messages de forum pour "Route nationale 007"
  • rhed308 Le 3 septembre 2013 à 00:33

    Ton article me fait imaginer une scène totalement fictive.
    Un costard cravate d’Activision débarque avec une mallette chez Bizarre Créations. A l’intérieur il y a 3 choses.
    - La première est le cahier des charges a respecter : il comprend les codes de James Bond que tu évoques (intro, musique, gunfight et course poursuite) + L’obligation d’ajouter un multijoueurs parce qu’il y en a partout.

    Si le studio se charge lui même de développer ce multijoueur plutôt que de le confier à un autre (sous-traitance souvent appliquer. Exemple made in Activision : le dernier Wolfenstein) cela fait d’entrée de jeu moins de temps, d’argent et d’effectifs sur le solo.
    Ma question : qui a développé le multi ? Bizarre ou un autre ?

    - La deuxième est un chèque pour le développement du jeu. Il est pas énorme et aucun supplément ne sera accordé

    - La 3e est le délai accordé de X mois pour développer le jeu. Le délai est surement trop court alors qu’aucun James Bond ne doit sortir cette même année (Quantum of Solace datant de 2008 et le jeu de 2010), cela reste donc inadmissible.

    Ton article me fait penser cette scène. Des conditions strictes pour un studio qui n’est pas au meilleur de sa forme, et qui n’a pas les épaules pour un tel projet que de toute façon peut de studio ont.
    Il faudrait vérifier l’ampleur de la campagne publicitaire mais je n’ai pas l’impression qu’elle fut importante (je demande confirmation) ce qui semble montré que même Activision ne supportait que très peu cette licence.

    Cela me fait l’effet d’un énorme gâchis.
    J’ai lu ton article 2 fois et je n’arrive même pas à voir une once d’intérêt à ce jeu. Je suis un bon amateur de 007 et pourtant le peu de jeux que j’ai goûté ne m’a jamais satisfait.
    En espérant que celui qui l’a récupéré saura mieux l’exploiter

    PS : On a le sentiment que la licence est maudite au vu du résultat des dernières productions avec l’espion anglais et la fermeture des studios qui les ont développés très peu de temps après

    Annexe : Article parlant de l’éventuelle perte de la licence par Activision : http://www.lesnumeriques.com/jeux-v...
    Article qui évoque l’idée dans travail bâclé pour sortir rapidement du jeu et en vendre avant la perte de la licence. Si ce peut être le cas pour 007 Legends, Blood Stone est sortit 2 ans auparavant.

    3 années, 3 jeux médiocres sortit dans une période où la masse de jeux à sortir est déjà conséquente (octobre/novembre). Comment ne pas éviter les retours de vestes ? A croire qu’ils n’ont aucun commercial chez Acti leur disant, quand sortir le jeu au bon moment.

  • julien Le 3 septembre 2013 à 12:18

    Bizarre était un excellent studio. Je suis un grand fan de Fur Fighters.

  • Anthony Jauneaud Le 3 septembre 2013 à 13:07

    @rhed308 : je me demande si ça ne vient pas de Bizarre eux-mêmes qui ont sauté sur l’occasion d’utiliser la licence James Bond de leur éditeur pour faire quelque chose... En tout cas, il est clair que ce Blood Stone était voué à l’échec. Il manque quelques mois de débugs et surtout une paire de couilles pour faire autre chose que du TPS générique :(

  • Mr_Tea Le 6 février 2018 à 16:17

    Oui je déterre, mais je découvre Merlanfrit depuis peu.

    Excellent article, très nostalgique et très réfléchit.
    Je pense personnellement que ce n’est pas tellement un gâchis, du moins pas aux yeux de ceux qui financent.
    D’autres médias fonctionnent de cette manière (livres/films/MMO/etc).
    Comme on a de l’argent qu’on veut investir, mais qu’on est complétement incompétent à définir ce qui fait un bon investissement, on cherche un gros succès à copier, on réduit les budgets au possible et on s’imagine qu’on va rouler sur l’or avec un énorme ROI.

    En ce moment, beaucoup de petites maisons d’éditions (livre) se cassent la figure pour ça, tentant d’inonder le marché de différentes licences en espérant que certaines prennent et fasse vivre la maison d’édition.

    Pareil pour les indies game, pour les mobiles game, pour les mmo, pour les films, etc.
    Je n’avais juste pas réalisé que ca se déroulait aussi pour les jeux plus classique.

  • Tarik Merabet Le 6 novembre 2021 à 12:50

    Moi j’ai adoré les 007 sur GameCube, nightfire, quitte ou double et goldenEye, chacuns très différents l’un de l’autre, le 1er en FPS, le second en TPS avec des clins d’œil aux films précédents, et le dernier avec des gadgets limite SF

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