Une pom-pom girl chasseuse de zombies. Sérieusement ? Avec Suda51 aux manettes, le jeu de série Z réussit son passage dans la division mainstream.
Responsable (au moins en partie) d’un des plus gros nanars du jeu vidéo (Michigan Report From Hell, également à l’honneur sur Merlanfrit), Suda « 51 » Goichi a réussi à se tailler une réputation d’auteur culte en une poignée de titres inspirés aussi bien du Château de Kafka que du catch Lucha Libre. Dans la foulée du succès critique killer7 (deux Edge Awards, tout de même), il se lance dans No More Heroes. La direction artistique est comparable mais la jouabilité, tirant avantageusement parti des limitations de la télécommande Wii pour ses combats de sabres laser, met tout le monde d’accord. De critique, le succès devient commercial et Suda a les roues libres pour développer une suite. Ce sera Desperate Struggle, et ce sera catastrophique. Dans le même temps, le bonhomme livre (mais de loin) Shadows of the Damned pour EA. Trop peu de gens, en fait, y ont joué pour en dire quoi que ce soit.
Là-dessus, Grasshopper Manufacture (studio dont Goichi est aussi le PDG, dans la grande tradition des artistes businessmen du milieu) annonce Lollipop Chainsaw. Au programme : des zombies et une pom-pom girl armée d’une tronçonneuse. Chez les fans de la première heure comme chez les éternels sceptiques, on crie au crépuscule. Suda 51, l’enfant terrible, l’intransigeant qui donna des sueurs froides à Hiroyuki Kobayashi [1], le clown qui assurait la promo de ses jeux en se filmant aux toilettes, serait donc rentré dans le rang, tournant en rond sur des pitch convenus et trop évidents. Notre confrère Jérôme Dittmar, à l’époque, écrivit sur feu le blog Chamboultout que Suda n’avait plus rien à vendre, plus rien d’intéressant à dire, plus d’inspiration. On le crut volontiers. Puis ce même chroniqueur signa une critique des plus élogieuses du jeu sur Chronic’art. Et bizarrement, on n’eut guère plus de mal à adhérer. Car le jeu, justement.
Certes, Suda n’évite pas quelques redites. Le coup du jeu vidéo dans le jeu vidéo, ça va, de Flower Sun and Rain à Contact en passant évidemment par killer7 et Heroes, on commence à connaître. Et dans Lollipop, c’est carrément un niveau entier qui est consacré à la plaisanterie. Mais il n’y a plus de catcheurs masqués mexicains, plus de pigeons messagers ni de références incessantes à la pop culture britannique. Oui, peut-être qu’en devenant mainstream (le jeu est édité par Warner Bros., rien que ça), Suda a arrondi les angles. Surtout, il a intelligemment laissé la place (sous la contrainte, peut-être, mais bon) à l’écriture à… James Gunn. James qui ? Un scénariste-cinéaste peu connu du grand public (euphémisme) mais qui paraît tout naturellement incarner l’alter-ego hollywoodien du creative director japonais. Qu’on en juge : impliqué (parfois même comme acteur) dans des productions Troma aux titres évocateurs comme Tromeo & Juliet ou Toxic Avenger IV, Gunn réalise l’horrifico-rigolo Slither (Horribilis en… français), avec l’acteur geek-friendly Nathan Fillion et des grosses limaces carnivores qui n’auraient pas dépareillé dans Michigan. Puis Super, film de super héros réaliste avec Ellen Page (en voie de geek-friendlysation) qui se mangera Kick Ass en pleine tronche.
Lollipop Chainsaw fonctionne mécaniquement sur une base somme-toute classique (beat à l’ancienne avec couleurs fluo, combos et pièces géantes à ramasser) avec, çà et là, compromissions habituelles au QTE. Mais ce qui marche le mieux, au fond, c’est l’absurde des situations, les personnages tous plus bigger than life les uns que les autres et les dialogues, hilarants. Suda a laissé pas mal de scories au vestiaire. Les zombies, qui n’en finissent plus de dominer le monde, savent paradoxalement éviter la routine (voir l’excellent Walking Dead), offrant leurs têtes en guise de ballons de basket (au sens propre) ou un caméo au chanteur de Mindless Self Indulgence, Jimmy Urine (ça ne s’invente pas), ici dans le rôle du zombie punk. Et dans ce grand délire, James Gunn aligne des répliques bourrées jusqu’à la gueule de vannes affûtées et de clins d’œil geeks.
Alors, l’invasion zombie en milieu teen movie n’est pas l’idée la plus follement originale qui soit. Mais bazardée dans le cadre d’un jeu Grasshopper, elle trouve une étonnante seconde jeunesse. Plus grand public (si tant est qu’une cheerleader portant la tête coupée – et néanmoins parlante – de son boyfriend à la ceinture soit grand public), plus américain, en fait. La bande-son est à l’avenant, entre Joan Jett, Atari Teenage Riot, Human League, Dead or Alive et bien sûr le Lollipop des Chordettes. Avec un titre des Donnas, c’eut été le jeu parfait. Dans Lollipop Chainsaw, l’enrobage, sans être bling-bling, dépote plus que dans les précédents titres du studio. Le jeu a logiquement cartonné, bien davantage que ses prédécesseurs, tandis que dans la presse et sur les Internets, les verdicts Monsieur Spleen vous parle se succédaient. Trop classique, trop court, réalisation datée, et autre entrée du cahier des charges…
En passant de Michigan à Lollipop Chainsaw, Suda a parcouru le chemin autrefois emprunté par un John Waters. Ça commence par un travesti mangeant sa propre merde et ça finit en comédie musicale avec John Travolta ou le Jackass Johnny Knoxville. Il s’en trouvera toujours pour maugréer que c’était mieux avant. Ou alors, on peut voir Lollipop Chainsaw comme le reflet vidéoludique d’Une nuit en enfer : de la pure série Z avec, faut pas déconner, le budget plus confortable d’une série B. Suda51, souvent hâtivement comparé à Quentin Tarantino, aurait ainsi trouvé en James Gunn son Robert Rodriguez.
Notes
[1] Producteur pour Capcom de Resident Evil 4 puis de killer7, qui eut toutes les peines du monde à canaliser la créativité débridé du réalisateur sur ce dernier
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