Les jeux mainstream qui parlent ouvertement de politique ne sont pas fréquents. Ceux qui le font de façon sérieuse encore moins. Republic : The Revolution tentait l’expérience en 2003, dans le contexte de la conquête du pouvoir d’une ancienne république soviétique. Un jeu d’un abord peu évident, mais qui n’a pas manqué d’attiser la curiosité des joueurs.
Ce qui frappe immédiatement dans Republic : The Revolution, c’est l’apparente simplicité de ses mécanismes de jeu. Ceux-ci reposent sur trois ressources, qui sont la force, l’influence et l’argent. Ces trois valeurs agissent les unes sur les autres de façon privilégiée selon le principe de pierre-ciseau-papier : la force (rouge) se montre supérieure à l’influence, l’influence (bleu) se montre supérieure à l’argent (jaune) qui domine lui-même la force. Chaque quartier de la ville contrôlé apporte une certaine quantité de ces ressources. Celles-ci permettent de mener des actions qui réclament diverses combinaisons des trois éléments.
Si les fondamentaux sont simples, le fonctionnement s’avère plus compliqué, tant les actions et les mécanismes de jeu manquent de clarté. Les caractéristiques des personnages peuvent être améliorées avec l’expérience, mais à quoi correspondent au juste la « puissance », le « charisme », la « présence », le « contrôle » ? Rien ne l’explicite vraiment, pas même le manuel. Le joueur est amené à supposer, tâtonner, parfois sans trouver de réponse. L’effet des actions n’est pas toujours évident, et n’apparaît qu’à la tranche horaire suivante, chaque jour étant divisé en trois tranches. De manière générale les mécanismes de jeu sont plus compliqués que riches, telle la procédure de recrutement des lieutenants qui est finalement assez hasardeuse et peu intéressante : elle évoque un peu la « bataille ouverte » de nos jeunes années. Le nombre d’actions disponibles n’enraye en rien l’ennui qui s’installe doucement mais sûrement.
A ces règles un peu floues et pas très excitantes, Republic : The Revolution ajoute un inconfort constant qui cette fois-ci souligne de façon bienvenue la condition du dissident en terre autoritaire : rien ne se bâtit durablement, de façon tangible et solide. Qu’il s’agisse de la connaissance des quartiers, de leur contrôle ou de la cohésion de son équipe, tout est temporaire et peut être vite remis en cause. Le joueur doit inlassablement répéter les mêmes actions pour maintenir sa popularité, et toujours entretenir les fondements de sa force en même temps qu’il la développe dans d’autres sphères. Cette atmosphère de changement permanent, de flux et reflux, change de la plupart des jeux de gestion qui permettent de construire du « dur », des fondations dont l’existence est permanente ou du moins durable, rassurante pour le joueur.
Graphiquement, le jeu propose un mélange de 2d sous forme de carte et un rendu 3d qui permet de voir les bâtiments et la modeste animation urbaine. A l’époque de sa sortie Republic : The Revolution était visuellement impressionnant, mais la vue 3d ne permet guère que de constater les évènements, et on n’agit réellement que sur de rares actions : les entretiens avec les personnages, des enquêtes sur des lieux précis. L’utilité de cette carte est donc très faible en termes de gameplay, et si l’apport est incontestable au niveau de l’atmosphère, on peut douter en fin de compte de la pertinence de ce travail colossal. Le souci du détail est aussi notable au niveau textuel, chaque bâtiment étant l’objet d’une courte notice et chaque passant ayant une identité propre.
Cette ambiance originale est probablement l’une des forces de Republic : The Revolution. Le temps de jeu est « réel » mais lent, la rue a un aspect un peu figé et triste, l’architecture monotone évoquent le cadre sourdement délétère des ex-pays communistes. Le tout mis en musique avec une rengaine à la tonalité ambigüe, à la fois un peu enjouée et mélancolique… Slave ?
Au niveau des idées, car on pourrait supposer qu’il y en ait dans un jeu de politique, on constate une certaine confusion entre la fin et les moyens (force, influence, argent). Il n’y a qu’au travers des logos, des noms (« Union des ouvriers socialistes » par exemple) que l’on trouve des évocations idéologiques claires. Rien ou presque n’est dit du fond politique dans le jeu, et l’idéologie de « force » fait aussi bien référence aux ouvriers qu’à la mafia.
La phase initiale de création du personnage se fait sous forme de questionnaire reconstituant la sensibilité du héros : il ne s’agit pas tant d’un programme que du costume que vous allez prendre pour accéder au pouvoir. On peut se poser la question de cette absence de fond pour un jeu qui parle de politique : cynisme, prudence idéologique, manque de ressources culturelles, volonté de rester dans le superficiel ?
L’une des réponses pourrait transparaître à travers le choix d’inclure une bonne part d’actions scénarisées dans la partie. Le fil conducteur est un désir de vengeance, le dictateur Karasov étant à l’origine de la disparition des parents du héros. Le joueur évolue donc entre deux dimensions : d’une part un jeu de gestion, où il mène sa barque comme il l’entend, et d’autre part une aventure scénarisée qui lui dicte régulièrement des directives pour faire avancer l’histoire : contacter un personnage, obtenir un niveau de soutien donné dans tels quartiers… Le joueur peut ainsi être à la fois aux débuts de son ascension politique au niveau « scénaristique » alors que dans les faits du jeu de gestion il maîtrise déjà la ville.
Au final le mélange des deux n’est pas très heureux, le joueur ne parvenant jamais à se créer un destin original dont il serait le seul maître. Il reste tributaire du dessein originel de son avatar, guidé par la vengeance, et ne peut jamais s’en affranchir. Les trois fins que proposent le jeu, selon la couleur « idéologique » du joueur, le ramènent d’ailleurs à cette origine : que la partie finisse en compromis, en révolte populaire où en coup d’Etat , la cerise sur le gâteau n’est pas la concrétisation d’un projet pour un peuple, mais l’aboutissement d’une vengeance personnelle scellée avec la mort de Karasov. Tout ça pour ça ?
Vos commentaires
Locke # Le 24 octobre 2013 à 23:43
Un p’tit com’ pour saluer ce très bon article sur ce pas si très bon jeu que ça mais ma foi, son fond d’originalité fait que je ne regrette pas d’y avoir joué. La redondance des longues journées vides d’événements est un facteur mortel pour le fun, cependant je lui trouve un côté terriblement réaliste. Le coup d’état que prépare le joueur est lent, se fait à la fois en surface et en profondeur. On envoie le démarcheur syndicaliste faire signer sa pétition auprès du quidam pendant qu’une petite frappe règle son compte au larron du camp d’en face qui s’était amusé à faire un discours flamboyant sur mes plates-bandes la veille, puis on se met en veille un jour le temps que l’émotion des événements retombe... Et les moyens vont crescendo avec l’ascention du héros.
Hélas, je ressors au final avec l’amère sensation de jouer à un jeu plateau de hasard. Le reboot des opinions de quartier tous les trois jours a de quoi faire arracher des cheveux tant il fout en l’air la stratégie du joueur.
Strife # Le 26 octobre 2013 à 11:34
Du coup, en peaufinant la formule et en gommant certains défaut, on pourrait avoir quelque-chose d’intéressant. Peut-être aussi en ajoutant quelques mécaniques supplémentaires, s’il y’a des temps morts.
Un jeu qui emprunterai quelques mécaniques de Mount & Blade, Total War ou Kenshi avec un aspect politique abouti et évolutif, ce serait quand même le panard. Déjà, quand on pense à tous les jeux à factions (Clear Sky, Fallout NV, Skyrim...) terriblement frustrants de par l’impossibilité de monter sa propre compagnie, je me dit que ce serait dommage de pousser le concept aux oubliettes pour quelques essais infructueux. Et bien sûr les jeux de gestion-stratégie imposent souvent leur idéologie plutôt que de choisir/construire la sienne, même dans les derniers Might & Magic ou Spellforce il me semble qu’on joue des persos prédéfinis malgré la composante RPG.
Mais bon, la politique fait peur, et le jeu-vidéo n’est pas fait pour traiter des sujets sérieux, n’est-ce pas ? En espèrant que des initiatives à succès comme Papers, please changent doucement les mentalités.
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