12. Poisson frais

Resonance

Quatre

Après cinq ans de développement, Resonance, le très attendu point & click du studio WadjetEye, a enfin vu le jour. Contrairement à ce que son style rétro pourrait laisser penser, Resonance est un jeu résolument moderne, qui sublime les différents genres du jeu d’aventure à travers quatre personnages. Quatre...1+1+1+1, mais aussi 2+2 et 3+1.

Cet article contient des spoilers, mais guère plus finalement que le trailer du jeu.

Les entrelacs

Resonance met en scène Tolstoy “Ed” Eddings, un mathématicien travaillant sur une nouvelle technologie au potentiel dépassant l’entendement. Lorsque son supérieur et ami le Dr. Morales l’appelle pour lui faire part de sa peur d’être surveillé et sa volonté de détruire le fruit de leurs années de recherche, Ed se retrouve embarqué dans une aventure s’étendant bien au delà du champs scientifique. En tant que blondinet sympathique plus doué de sa tête que de ses mains, Ed s’inscrit dans une longue lignée de héros de jeux d’aventures : Roger Wilco, Guybrush Threephood, Freddy Pharkas, Georges Stobbart, Brian Basco... Il est une sorte d’archétype, celui en lequel le joueur n’aura aucun mal à s’identifier, simplement parce qu’il en a l’habitude. Il est le garant de la tradition point & click.

Resonance met en scène Anna Castellanos, jeune femme médecin à l’hôpital d’Aventine. Malgré un passé douloureux, elle est parvenue à mettre de l’ordre dans sa vie en chassant ses vieux démons. Ceux-ci vont pourtant resurgir quand son oncle agonisant fait irruption sur un brancard à l’hôpital où elle travaille. Elle devra alors se faire violence, déterrer ses souvenirs enfouis, revivre dix fois les même cauchemars et s’échapper de nombreuses situations mortelles. Elle est l’adulte et l’enfant à la fois, le conscient et l’inconscient. Elle est Max Laughton de Sanitarium, Laura Harris de D, Alexandra Roivas d’Eternal Darkness, bref : l’héroïne de l’horror game psychologique.

Bennet

Resonance met en scène Winston Bennet, détective pour l’ACPD, Aventine City Police Department. Vieux, usé, il évolue dans un monde qu’il ne comprend plus tout à fait, il regrette les bonnes vieilles filatures, les interventions musclées, et surtout, il ne se fait pas à la bureaucratie totalitaire qu’est devenu le département de police. C’est une coupure de courant généralisée et l’explosion d’un laboratoire qui vont le pousser à mener l’enquête et à adopter de nouvelles méthodes. Bennet est une autre grande figure du point & click, l’antithèse de Ed : le héros bourru, inflexible qui préfère l’action à la réflexion et n’hésitera pas à foncer tête baissée dans n’importe quelle situation. Il est le flic, le privé, l’homme de poigne : Lewton de DiscWorld Noir, Ray McCoy de Blade Runner et l’incontournableTex Murphy.

Resonance met en scène Ray Abbot, hacker, blogueur (même s’il s’en défend), toujours à l’affût d’un bon scoop, quitte à ne pas respecter à la lettre la déontologie des journalistes, et c’est le moins que l’on puisse dire. Ses recherches l’ont mené à un mystérieux projet nommé Antevorta, et il en mettrait sa main à couper : il y a un papier à faire là-dessus. Équipé de son smartphone et de son password cracker USB, il est un personnage résolument moderne qui ne recherche pas des objets mais des informations, des données. Il passera par conséquence la plus grande partie de son aventure les yeux rivés à un écran, fouillant dans les boîtes mails, entrant des lignes de codes. Plus que la tradition point & click, il évoquera les œuvres de Christine Love : Digital : A Love Story et Analogue : A Hate Story.

Quatre personnages, quatre archétypes, quatre histoires, quatre gameplays, voilà ce que met réellement en scène Resonance. Le joueur sera alors amené à passer de l’un à l’autre, de manière chronologique, logique, ou non, et à jongler entre les différentes intrigues, un peu comme dans les romans La Vie mode d’emploi de Perec ou Marelle de Julio Cortazar. Mais c’est peut-être plus du cinéma qu’il faut rapprocher Resonance, car comme dans les films aux intrigues entremêlées d’Iñárritu ou de Guy Ritchie, tout finit par converger : les personnages se réunissent et les scénarii fusionnent.

Sauf que ce n’est pas la fin, ce n’est que le début.

Concorde et discorde

Voilà donc Ed, Anna, Ray et Bennet réunis sur la pelouse d’un terrain de baseball. Désormais, il leur faudra évoluer de concert, le joueur incarnant chacun d’entre eux à sa guise. On est pourtant loin de la série Gobliiins ou de tous ces classiques reposant sur la multiplicité des personnages joueurs, car il s’agit moins ici d’utiliser les personnages selon leurs caractéristiques (untel est le costaud, untel a des pouvoirs magiques, untel peut ramasser des objets...) que selon leurs personnalités. Oui, Bennet peut se charger de décrypter le message laissé à Anna par son oncle, oui, Ray peut tenter de faire fonctionner les machines du labo...mais est-ce vraiment à eux de le faire ? Naturellement, on se tournera toujours vers le personnage le plus adapté à la situation, pas parce qu’il est le seul à pouvoir la résoudre, mais parce qu’on se porte nous-même garant de la cohérence de Resonance. De la même manière, si la plupart des objets de l’inventaire sont échangeables à loisir entre les personnages, on se surprendra à attribuer leur propriété à l’un ou à l’autre. Ces cotons-tiges par exemple ont été trouvé par Ray, ce sont les siens, Anna peut bien les lui emprunter mais il faudra les rendre par la suite, même s’ils ne lui seront probablement plus d’aucune utilité.

Ceci est renforcé par le système de mémoire introduit dans le jeu. En plus de disposer d’objets pour interagir avec l’environnement, chaque personnage possède une mémoire à long terme et à court terme pour ouvrir de nouvelles conversations ou de nouvelles pistes de réflexion. Si la mémoire à long terme est propre à chacun et ne dépend pas tant des décisions du joueur, la mémoire à court terme est laissée à son appréciation. Celui-ci pourra alors attirer l’attention du personnage sur certains détails, et pas sur d’autres, construisant ainsi sa singularité et son importance au sein du groupe.

Parlons-en du groupe ! Originellement composé de quatre membres, il lui arrivera de se disloquer et d’expérimenter plusieurs autres combinaisons : trois et un, deux et deux, deux et un et un... S’il s’agit parfois d’un ressort scénaristique, le plus souvent ce sera au joueur de décider : quatre personnages sur un écran, c’est vite encombrant. On s’amusera donc parfois à créer de nouvelles complicités, d’abord celles qui semblent les plus évidentes, Ed et Anna par exemple, qu’on aimerait bien voir finir ensemble, puis d’autres plus délicates : Ed et Bennet, Ray et Anna, ou encore Ray et Bennet, qui sont pourtant aux antipodes l’un de l’autre.

Ces alliances qui se font et se défont sous-tendent un important problème : celui de la confiance. Nos quatre personnages semblent pour le moment partager un intérêt commun, mais combien de temps cela durera-t-il ? Plus nous avançons dans le jeu, plus le risque de discorde grandit, et on se prend à s’interroger sur les vraies motivations de chacun de nos avatars. Même si leurs avis divergent sur certains points, Ed et Anna semblent soudés, ne serait-ce qu’émotionnellement. Mais que penser de Bennet quand l’oncle d’Anna nous écrit explicitement de nous méfier de la police ? Ou de ce fouille-merde de Ray en quête de sensationnel ? Avec une telle richesse dans les relations de ses quatre héros, on se doute que Resonance comportera plusieurs fins.

Il y aurait bien d’autres choses à vanter dans Resonance : l’ingéniosité de ses énigmes, la profondeur et l’actualité de son scénario (pourtant écrit il y a cinq ans), la qualité de son écriture et de son voice-acting, la façon qu’il a de digérer les points & clicks de ces vingt dernières années et de n’en garder que le meilleur, les prouesses réalisées sur le logiciel Adventure Game Studio pourtant assez rigide, mais Ed, Anna, Ray et Bennet sont déjà suffisamment de raisons (quatre) pour se lancer dans l’aventure.

Il y a 2 Messages de forum pour "Quatre"
  • FatMat Le 10 juillet 2012 à 14:22

    C’est amusant de te lire, de voir que tu as réussi à jouer le jeu comme il faut, au mieux. Peut-être que ce genre exigeant du jeu d’aventure demande des joueurs artistes.

    Pour ma part, j’ai fait un bien mauvais joueur pour une bien mauvaise expérience de jeu, constamment frustré par la complexité du système et les switchs de personnage, le caractère illogique et ultra-fermé de certaines manipulations. En guise de synthèse du point & click, il me semble qu’on redécouvre toute la valeur de l’expression "casse-tête".
    Et avec tout cela, j’ai le pressentiment qu’il y a derrière quelque chose de riche, de très bon, avec lequel le jeu ne me laisse pas jouer. La qualité d’écriture est évidente, mais c’est comme si tout le système du jeu s’opposait à ce que j’en profite. Grandeur et misère de l’aventure point & click. Plus modeste, plus simple, je crois que j’avais préféré Gemini Rue.

  • Pierre Corbinais Le 10 juillet 2012 à 19:00

    C’est vrai que pour moi Resonance est passé comme une lettre à la poste, et même si je suis un grand amateur de point & click, je ne suis généralement pas très patient en y jouant et finit toujours par les finir à la soluce. Dans Resonance pourtant, je n’ai regardé la soluce qu’une seule fois (et je ne l’ai pas regretté : une stupide histoire de clic droit là où j’avais déjà effectué 150 clics gauche).

    Je ne sais pas si tu avais remarqué (j’imagine que oui quand même), c’est qu’en faisant discuter les personnages entre eux, ceux-là te donnent de nombreux indices. Si tu demande donc à chacun des personnages ce qu’il pense de la situation présente, tu es à peu près sûr de savoir exactement quoi faire en croisant les informations. Je trouvais ce système extrêmement intelligent, une sorte de soluce soft, intégrée dans le jeu lui-même (je n’avais pas réussi à le caser dans l’article alors j’en profite).

    Je n’ai pas du tout ressenti de caractère fermé des manipulations, j’ai vraiment l’impression que le jeu me laissait faire tout ce que je voulais, mais c’est peut-être qu’il était assez bien conçu pour me le faire croire. Le coup du journal crypté m’a beaucoup plus par exemple. Je me suis amusé à le décrypter en partant de rien, sans clé, sans indice rien, un peu comme Sherlock Holmes dans Les Hommes Dansants. Du coup, je n’ai jamais su si c’était ce que j’étais supposé faire (ce qui me semblerait étonnant compte tenu de la certaine complexité du truc) ou si le jeu m’a laissé griller des étapes.

    J’espère que tu es tout de même arrivé jusqu’au bout du jeu...ça en vaut la peine.

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