Souvenez-vous du moment où le virtuel vous a offert, pour la première fois, le déplacement tridimensionnel. Souvenez-vous de votre premier décollage à Top Gun sur NES, ou de ce choc devant Descent sur PC : la troisième dimension, c’était la dernière barrière ; à travers notre écran, il n’y avait plus de limites. Qui aurait cru que des décennies plus tard apparaîtraient d’autres simulateurs où l’on redescendrait non pas à deux dimensions, mais une seule ? Que certains abandonneraient la liberté d’un Wing Commander Privateer, et préféreraient une vie virtuelle bien réglée, calée sur les horaires du Londres-Brighton de 17h55 ?
Pour être honnête, la niche des simulateurs de trains tentait déjà des amateurs en 1986, date de sortie de Southern Belle, qui proposait le Victoria-Brighton en "graphismes vectoriels". Les expérimentations ferroviaires restent toutefois assez rares jusqu’aux années 2000 où, la technique aidant, des productions plus importantes voient le jour. Les Trainz, les Densha de Go ! (à partir de 1995), ou Microsoft Train Simulator se partagent le gâteau. Le développeur de ce dernier, Kuju Entertainment, quittera finalement le giron de Bill Gates pour fonder une boîte tout simplement nommée RailSimulator.com et publier lui-même son logiciel, originalement nommés Rail Simulator puis RailWorks.
Dernier en date de cette lignée, RailWorks 4 : Train Simulator 2013 nous met donc au commandes de quelques locomotives authentiques sur des trajets fidèlement reproduits (paraît-il). Dans le monde de la simulation, le mot d’ordre pour attirer le chaland est la fidélité. Y compris bien évidemment dans les horaires : on mettra 33 minutes de Münich à Ausbourg à bord d’un Intercity-Express, comme dans la vraie vie. Attention, l’estampille 2013 n’en fait pas pour autant un véritable poisson si frais que ça. Le changelog entre versions 2012 et 2013 tient sur le papier à cigarette d’un cheminot.
« ... la SNCF vous présente ses excuses pour ce retard ... »
Malgré (ou à cause de) sa généalogie, Train Simulator affiche bien des retards pour un soft qui se veut de 2013. Les graphismes sont vieillots, les bugs toujours présents — même si les crashes n’interviennent que rarement pendant la conduite —, les temps de chargement dignes d’une Playstation 1. Les scénarios sont scriptés (oui, il se passe des choses sur les lignes), ce qui rend l’intérêt de la rejouabilité assez ridicule. On préférerait jouer aux commandes réelles plutôt qu’à l’interface simplifiée, mais elles sont peu maniables, et perdues sur des tableaux de bords parmi des tas d’autres boutons probablement authentiques, mais non implémentés. Pourquoi n’y a-t-il pas tout simplement une image récapitulative par locomotive indiquant les commandes disponibles ? Et si l’on veut rentrer dans le jeu de la simulation fidèle, que sont censées faire les commandes factices [1] ?
Un mot sur le modèle économique du soft, qui est la risée de l’internet : le jeu, vendu 43€, comprend quelques lignes et machines. A côté, une gigantesque flotte de DLCs (même si certains ont disparu depuis la version 2012) proposent, pour quelques dizaines d’euro, une locomotive supplémentaire ou une ligne. Ce qui en fait de loin le jeu le plus cher sur le marché, extensions inclues, à plus de mille euros le total. On comprend bien que le principe est de picorer plutôt que de tout parcourir. Mais le prix d’un seul tracé dépasse nettement le prix habituel d’un DLC, pratique elle-même déjà très discutable.
Et puis, au final, le jeu n’est même pas très difficile, si l’on exclut la gestion de la pression dans les machines à vapeur (pour lesquelles un tutoriel en forme de wagon-école aurait été bienvenu). Les locomotives diesel ou électriques se conduisent avec une manette des moteurs et une de freins ; parfois même les deux sont combinées. Il ne reste plus, pour respecter les limitations de vitesse tout en arrivant à l’heure à la gare, qu’à appréhender l’inertie du train afin de freiner ni trop tôt ni trop tard. La puissance du moteur et les freins changent d’un véhicule à l’autre et selon le chargement, ce qui fait qu’on met toujours un peu de temps à s’adapter d’une partie à l’autre. Maîtriser Train Simulator est donc une question d’adaptation à des valeurs numériques qui changent (à moins de ne rejouer qu’avec une seule locomotive) plutôt qu’une acquisition de compétence.
Une touche de zen
Réalisant cette litanie de problèmes, le joueur désemparé fait maintenant face à une question inattendue. Pourquoi jouer à un tel jeu ? Quel intérêt a donc ce titre qui n’est pas un bac à sable, ne raconte aucune histoire — passons sur le terrible suspense "y’aura-t-il des chèvres sur la Seebergbahn ?" —, et ne propose qu’un faible challenge ? D’où vient ce plaisir qui apparaît tout de même à conduire ses wagons du point A au point B ? Justement, ce sont ces contraintes relâchées font du titre un exercice agréable de tempérance.
Tempérance : c’est bien le mot. Dans beaucoup de jeux, la difficulté est calculée pour que les capacités du joueur soient utilisées au maximum. Il faut tout regarder, tirer le plus vite possible sur ce qui bouge, résoudre des puzzles relativement complexes. Habitué à ce style, le joueur qui débute à Train Simulator commencera invariablement par accélérer sans fin, atteindre des vitesses folles, avant de dérailler dans un grand orgataclysme. Comme dans toute expérience vidéoludique, il s’agit là d’un tâtonnement dans le noir à la recherche des limites du jeu ; or, il y a ici peu de limites puisque peu de possibilités, mais également peu d’intérêt à faire n’importe quoi, à la différence d’un open world à la Just Cause 2.
Si le joueur accepte maintenant de passer le cap, de jouer le (vrai) jeu, celui-ci lui proposera au contraire le plaisir de la retenue, et de la maîtrise totale des instruments proposés. Il serait facile de dépasser les limites de 15 miles/h aux alentours d’une gare ; c’est pourquoi il y a un certain point d’honneur, presque de roleplay, à tenir la vitesse à 14,9 pendant les quelques kilomètres concernés. Plus loin, il faudra attendre 5 minutes devant un feu rouge, avec la satisfaction de savoir patienter. On cherche de plus en plus d’épuration, le freinage parfait, un redémarrage en douceur. On agit peu, mais chaque décision est précise.
Du coup, on en vient à aimer le titre pour sa leçon de zen inattendue, et à apprécier les raffinements qu’il propose, notamment pour la gestion de l’inertie du véhicule, et des bruitages : le son des moteurs et des freins sont superbement reproduits et deviennent des repères de conduite précieux. On lance une balade dans l’Oxfordshire entre deux parties de jeux plus conséquents, pour le plaisir du calme, pour se faire bercer par le tchak-tchak récurrent, bien au chaud dans sa cabine tandis que le givre paillette la campagne anglaise. Et l’on en regrette d’autant plus les nombreux défauts, avant de rêver à plus de possibilités : un mode où des consignes surgiraient de façon aléatoire ? Une implémentation complète des tableaux de bord ? Et, allons-y franchement, un mode multijoueur sur des cartes qui ne serait plus forcément linéaires ? Ah, mais serait-ce ajouter une dimension de trop ?
Notes
[1] Apparemment, il faudrait se tourner du côté de ZDSimulator, un mod amateur du Microsoft Train Simulator où l’on change soi-même les fusibles de sa loco. On attendra la traduction de l’ukrainien...
Vos commentaires
4k45h3d0 # Le 18 octobre 2012 à 09:03
Non mais Train Simulator ça peut aussi être ultra-hype [son NSFW NDLR]
http://www.youtube.com/watch?featur...
4k45h3d0 # Le 18 octobre 2012 à 09:13
Parfois je ne joue pas à COD4 parce que c’est trop exigeant en termes d’attention, de réactivité, de tension. Il me faudrait peut-être un Train Simulator, mais en fait je rêve surtout d’un Car Simulator où on ne ferait pas la course, où l’on ne ferait que chiller en front de mer, en mettant un coup d’hydraulique de temps en temps... aaaah poésie quand tu nous tiens.
Martin Lefebvre # Le 18 octobre 2012 à 09:18
Monsieur au pseudo imprononçable ta vidéo est très drôle mais tague tout de même NSFW quand ça braille "bitch motherfucker" dès la première seconde ;)
Laurent Braud # Le 18 octobre 2012 à 09:37
Donc ok, je retire le "peu d’intérêt à faire n’importe quoi", on peut faire une vidéo.
Si tu veux, monsieur 4k, y’a des tonnes de simulateurs de camion ... de machines en tout genre ... vraiment tout. Malheureusement j’ai peur que la qualité soit vraiment difficile à supporter.
Alexis Bross # Le 18 octobre 2012 à 09:46
J’aime bien les trains sans être particulièrement un fan. Du coup, mon rêve ça serait un jeu de gestion de compagnie ferroviaire. Gérer sa petite ligne, en acheter d’autres, gérer la satisfaction des clients (taux de remplissage), entretenir les rails, développer de nouvelles locomotives (gérer un design et performances), se confronter à des concurrents, investir dans le métro et le tram, gérer la communication en cas d’accident, redéployer sa flotte selon une certaine stratégie, avoir des bus de remplacement en cas de pépin (et pourquoi pas investir dans des lignes de bus et des compagnies de taxis) etc.
Idéalement je vois bien cela prendre place au Japon. Ce pays a produit beaucoup de jeux de train, mais du peu que j’ai pu en voir, ce n’est pas folichon.
Martin Lefebvre # Le 18 octobre 2012 à 09:48
Euh Alexis... http://fr.wikipedia.org/wiki/Railro...
Laurent Braud # Le 18 octobre 2012 à 09:58
@Alexis : tu décris à peu près Cities in Motion, restreint au niveau de la ville. J’ai essayé (Paradox l’offrait à un moment) et ça m’a plutôt déçu. Surtout c’est très dur.
Par contre en gestion de train, j’ai passé des dizaines d’heures sur l’excellent OpenTTD, reprise libre (et très développée) de Transport Tycoon.
Alexis Bross # Le 18 octobre 2012 à 12:26
Oui, mais c’est pas toujours sexy Railroads... :(
Mais je prends bien toutes les références. Mon commentaire me servait surtout à me faire renseigner...
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