Pourquoi Square Enix ressasse-t-il le passé ?

Il y a deux semaines sur les planches du Playstation Experience, Shinji Hashimoto annonçait aux fans un énième portage numérique de Final Fantasy VII, sur Playstation 4 cette fois-ci. Quelques jours plus tard, une fuite, plus tard confirmée, indiquait que la compilation Final Fantasy X/X-2 connaitrait le même sort. Plus tôt encore, cette année, Final Fantasy XIII prenait le chemin de Steam. Le constat est indéniable : en quelques années, Square Enix le développeur console s’est tari, cherchant tant bien que mal à conserver sa place en rééditant à tour de bras.

Crashtest

Non pas qu’il soit seul. L’industrie japonaise dans son ensemble se trouve dans une impasse conjoncturelle. En 2012 le marché retail s’est crashé, voyant s’échapper la moitié de ses revenus, directement récupérés par le jeu smartphone nippon dans son ascension folle. Résultat, les investissements autrefois attribués aux middle-games, voire aux AAA, sont transférés vers une multitude de petites productions mobiles qui saturent les stores japonais, mais sont rentables. Un problème se pose alors pour le versant console des opérations : comment continuer à occuper le terrain avec un budget amputé de la sorte ? Il faut comprendre d’où Square Enix est parti pour pouvoir répondre.

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Fin des années 2000, la boite dû composer avec les particularismes régionaux. Face à la pénétration de plus en plus faible des titres japonais en occident avec la génération PS3, elle n’avait d’autre choix que de se résoudre à manager au niveau local avec sa subsidiaire Eidos, rachetée en 2009. D’où la triplette Tomb Raider, Hitman et Sleeping Dogs, trois titres dont le développement a drainé les caisses de Square Enix. Quinze millions d’unités vendues étaient attendues en Europe et aux US, neuf ont été délivrées dans le monde entier. Entretemps, la première version de l’ambitieux MMO Final Fantasy XIV fait un four. Début 2013, le couperet tombe. La compagnie subit d’énormes pertes (environ 130 millions de dollars), conduisant Yoichi Wada, PDG de l’époque, à prendre la porte. Ce qui laisse la voie libre à son successeur, Yosuke Matsuda, pour appliquer un large plan de restructuration financé à hauteur de 85 millions de dollars.

Matsuda le gestionnaire

Sous la nouvelle présidence la stratégie se veut plus agressive. Mot d’ordre : réduction des dépenses, présence accrue. Les bouchées doubles sont mises sur la campagne de réédition des classiques qui dure depuis 2008 et l’avènement du dématérialisé. De fait, au moins vingt portages ou remakes édités par Square Enix sont parus en 2014. Contre huit en 2012. L’avantage est double. Les coûts sont d’une part négligeables, se limitant bien souvent aux frais d’adaptation. D’autre part, les campagnes de communication modestes capitalisent facilement sur les effets d’annonce ainsi que sur l’aura du jeu pour faire vendre. Tout en amplifiant la visibilité médiatique du studio à peu de frais. En quelques mois, tout un pan du catalogue Final Fantasy et Dragon Quest se voit catapulté sur les stores des constructeurs. Certains sont remakés à l’occasion pour plus de fraicheur comme Dragon Quest VII, à paraitre sur 3DS. Leur développement est en revanche externalisé afin de ne pas peser sur les opérations de la maison-mère qui consacre toutes ses ressources restantes aux blockbusters Final Fantasy XV et Kingdom Hearts III. Et au mobile.

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En préparation de et suite à la réorganisation Matsuda, Square Enix a fait le choix de déléguer son catalogue de milieu de gamme (Bravely Default chez Silicon Studio, Drakengard 3 chez Access Games) et de relocaliser le développement mobile en interne, à l’opposé de Wada qui avait préféré confier la franchise Chaos Rings (iOS, Android) à Media Vision. Une décision qui fait suite à un investissement massif dans des infrastructures online destiné à combler le retard technologique qu’avait pris la société. Prenant ainsi modèle sur le géant japonais GungHo, Square Enix centralise ses activités mobiles afin d’assurer un suivi sur le moyen-terme des applications qu’il lance sur le marché, plutôt que de fonctionner par bloc de sortie. Fin prêt, Square Enix annonce le mois dernier une vaste gamme d’apps Final Fantasy sur smarpthones pour 2015. C’est l’amorce d’une politique agressive de conquête par la force de la licence, sans jamais vraiment chercher à se réinventer. Car il s’agit en réalité plus de façonner une porte d’entrée pour fidéliser le vaste vivier de joueurs mobiles à la marque - et aux mécaniques -, puis de créer des ponts vers le catalogue core-gamer, plus couteux. Comme avec le service de jeu en streaming Dive In (smartphones et tablettes) sur lequel Square Enix espère à terme exporter tout son catalogue (vieux comme récent), et faire payer un abonnement pour y avoir accès.

Quel autre choix dans un pays où l’écosystème des jeux en ligne et smartphones représente cinq milliards de dollars de plus que le marché console vieillissant ? La conjoncture ne laisse en définitive pas vraiment le luxe à l’éditeur japonais, obligé de développer son activité mobile dans le double but de rester dans la course et de créer des synergies avec leur offre console. Laquelle fait dorénavant l’objet d’un partenariat essentiel avec la pépinière de studios japonais de taille moyenne (Artepiazza, Indies Zero, etc), irriguée - maintenue à flot même - par cette dynamique. Cette constellation de petites boites prend plus ou moins la relève de Square Enix le développeur (y envoyant dans le même temps leurs créatifs en mission). Car contraint d’exécuter un business-model que son environnement économique direct lui impose, il doit prendre une posture d’éditeur gestionnaire de franchises sur le long cours. Mais cela tout en cherchant à produire un contenu qui, à terme, devrait rediriger les joueurs sur les rails d’une expérience plus core-gamer. La réédition s’inscrit ainsi dans une logique plus large de dialogue entre deux catalogues, d’émulation enthousiaste autour de noms marquants et de succès passés. Elle est ici un moyen de subsister - évidemment - tout autant qu’un tremplin pour la pérennisation du jeu vidéo japonais sur console. En tentant de rapatrier vers le cœur d’activité un public déserteur en sensibilisant à une marque, à une franchise, Square Enix contribue d’une certaine manière à renverser le rapport de force actuel entre mobile et console. Malgré ses errances de communication - souvent condamnables - Square Enix reste le gardien du temple.

Il y a 7 Messages de forum pour "Pourquoi Square Enix ressasse-t-il le passé ?"
  • sseb22 Le 18 décembre 2014 à 15:31

    Et avec les grosses productions de moins en moins nombreuses, on comprend mieux pourquoi le VRAI remake de FF7 ne sortira jamais !

  • Hell Pé Le 20 décembre 2014 à 14:04

    À propos de Square Enix, sous un angle moins business et plus créativité, j’avais lu ce billet de Tim Rogers publié sur Kotaku il y a trois ans, "A Planet Without Square-Enix". L’auteur y prédisait, en plaisantant (à moitié), que les futurs représentants de prestige du JRPG ne viendront plus de SQE mais plutôt de studios comme Leven-5 ou Mistwalker, tandis que le "gardien du temple" s’enfoncera dans une faillite créative. Il est intéressant de voir, aujourd’hui, comment la situation a réellement évolué.

    Accessoirement pour sseb22 qui évoquait "le VRAI remake de FF7" : dans son article, Rogers (grand fan de FFVII) raconte une de ses anecdotes préférées, celle du jour de lancement de Final Fantasy XII. Je te recommande de la lire, si tu ne la connais déjà ;)

  • Martin Lefebvre Le 20 décembre 2014 à 14:41

    Les prod récentes de Mistwalker (lol) et dans une moindre mesure Level-5, c’est tout de même pas gégène... Je suis pas certain que ce soit chez Square que la faillite créative est la plus criante...

  • Hell Pé Le 21 décembre 2014 à 17:16

    Martin, lesquels sont, d’après toi, les meilleurs RPG japonais sortis récemment ?

    Ce n’est pas une question rhétorique : j’ai fait peu de JRPG, et je me demandais quel titre récent mérite le coup d’œil dans ce registre. On dit du bien de Bravely Default, par exemple, mais y’en a t-il d’autres ? Si ce n’est ni Mistwalker ni Level-5, quels sont les studios nippons à surveiller ?

  • cKei Le 21 décembre 2014 à 18:20

    Hell Pé : laisse tomber Bravely Default, il en a justement un gros. Et si c’est le gameplay qui t’attire, je te conseille plutôt de faire de "vieux" jeux. Dans le m^me style, tu as FFIII, FFV, et FF 4Heroes of Light. Globalement c’est la même chose, le système de brave/défault en moins et surtout sans ce défaut majeur.

    Après pour les JRPG à faire, tout dépend ce que tu entends par "récents" et surtout quels sont tes gouts. le fait est que cette année les 3-4 bons JRPG que j’ai pu faire sont des jeux de niche, aux caractéristiques bien spéciales. Donc ça ne plaira pas à tout le monde.

    - Atelier Echa&Logy
    - Demon Gaze
    - Tears to Tiara 2

    Et c’est tout pour 2014. Y’a eu aussi FFXIII LR mais plein de défauts aussi, et Fire Emblem Awakening que perso j’ai pas aimé plus que ça.

    Sinon pour 2013, The Guided Fate Paradox m’avait bien accroché tout comme le Disgaea Annuel dans la lignée des précédents.

    Mais globalement si tu cherches un JRPG "classique" de bonne facture et récent, je te souhaite bien du courage. Depuis Xenoblade Chronicles, j’attends encore :/

  • Manu Le 22 décembre 2014 à 15:34

    C’est un article très intéressant. Il faudrait plus d’articles de ce style qui permettent de comprendre les enjeux auxquels font face les studios, et leurs conséquences en terme de créativité, de catalogues ou d’orientation.

  • Morm Le 13 janvier 2015 à 12:30

    Article très intéressant en effet.
    Ça fait des années que je ne crois plus en cette boite qui m’as tant fait rêver quand j’étais gamin, mais c’est vrai que devant la conjoncture actuelle, il faut relativiser. C’est juste dommage d’avoir voulu capitaliser sur une licence qui dès le début a divisé les "fans" (ff13), et je trouve qu’ils auraient du continuer à faire des jeux rentables sur 3ds et Vita comme ils faisaient sur DS et PSP en leur époque plutôt que de tout miser sur le mobile.

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