"Des couloirs". Voilà la remarque récurrente à la sortie de Final Fantasy XIII, que ce soit de la part des joueurs ou de la presse spécialisée. Pourtant ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un jeu vidéo est construit de cette manière. Pourquoi tant de haine ?
Il suffit de regarder une carte de Final Fantasy XIII pour immédiatement comprendre le problème soulevé par tous les textes qui lui sont consacrés. Pendant la majeure partie du jeu, la progression est linéaire, nous amenant d’un point A à un point B. Rédhibitoire pour la majorité des joueurs et des testeurs, ce point est devenu le centre d’une quantité effroyable de blagues et d’attaques gratuites.
Tout d’abord, c’est vrai, c’est même totalement vrai : Final Fantasy XIII est un jeu linéaire dans sa première partie, guidant dans d’étroits couloirs les personnages, sans aucune possibilité de s’en sortir. Les lieux visités, tour à tour étriqués, sombres, fermés, encadrés par des montagnes ou des murs, rendraient n’importe qui claustrophobe.
Mais il ne faut pas considérer que l’aspect négatif du jeu. Le couloir, c’est avant tout un moyen de canaliser le joueur pour lui offrir une formidable expérience narrative et, tout comme le système de niveau dans cet épisode, un outil permettant au développeur de maîtriser la difficulté. Il est impossible d’affronter des ennemis plus forts que soi ou de faire un détour le temps d’accomplir une quête secondaire alors que le monde a besoin d’être sauvé.
Barrières de sécurité
Oui, les couloirs nuisent à la liberté. Mais ils viennent améliorer la cohérence du jeu. Si l’on regarde Final Fantasy IV, VII ou IX, on remarque que le joueur est placé sur des rails plus vastes, plus discrets, les laissant vagabonder, accomplir des quêtes ou des missions. Toutefois, les aires de jeu demeurent limitées. Dans le septième épisode, Cloud et ses amis n’ont pas immédiatement la possibilité de quitter le premier continent. Une fois l’océan traversé, ils se retrouvent coincés sur autre bout de terre. Ce n’est qu’au bout d’une trentaine d’heures de jeu que le vaisseau volant — le fameux airship symbole de la série, tout naturellement absent du XIII — fait son apparition.
Cette structure de jeu, où l’on déplace le joueur de zones fermées en zones fermées, utilise des limites artificielles : des barrières magiques, des océans ou des montagnes a priori infranchissables. Les développeurs peuvent aussi faire passer l’envie au joueur de s’écarter du chemin. Il est curieux de comparer à ce titre le premier Final Fantasy et le treizième épisode. Dans FFI, le monde est largement ouvert, et il est même possible d’aller affronter le boss final au bout de quelques minutes de jeu. Par contre, s’approcher de ces zones est dangereux, pour ne pas dire impossible, tant les ennemis sont d’un niveau bien supérieur à celui des personnages. Les personnages meurent, et le joueur comprend que certaines régions lui sont pour le moment inaccessible, se promettant de revenir à tel ou tel endroit plus tard, quand ils auront le niveau. Ce genre de procédé est aujourd’hui difficilement acceptable par le joueur lambda, qui va être interloqué : pourquoi ai-je perdu ? Pourquoi ce game over ?
Couloir humanitaire
Tout n’est pas raté dans ce Final Fantasy XIII et on semble oublier la formidable proposition de Square Enix, qui conscient de la chute du J-RPG — dont il est en partie responsable — dynamite le genre afin de le faire renaître. Plus de village, de marchands, de PNJ qui débitent des dialogues aussi stupides qu’inutiles. L’aventure, toute centrée sur le voyage des personnages, sera vécue par le joueur d’une manière toute particulière.
Final Fantasy XIII raconte avant tout le dangereux périple d’une bande de parias. L’exposition des motivations qui animent les personnages sont autant d’occasions d’offrir de beaux moments d’émotion. Le jeu est pensé comme un road-movie : plusieurs personnages partent vers une destination, mus autant par des objectifs que par une nécessité physique d’avancer sans cesse. Ils rencontrent de nouvelles têtes, sont confrontés à des évènements extérieurs. Cette structure permet de multiplier les points de vue, de parler de plusieurs thématiques et d’offrir un moment de gloire à chacun des personnages. Mais il s’agit aussi de les confronter à leurs contradictions, à leurs peurs. C’est ainsi que Final Fantasy XIII se révèle : couloir numérique, peut-être, mais surtout c’est aussi pour le joueur une autoroute de sentiments et de chocs, passage étroit qui guide, conduit et maîtrise le voyage des héros.
Road-movie
À la différence d’un Skyrim ou d’un Oblivion, il est ici question d’offrir aux personnages un voyage prédéfini, que le joueur implique partagera. Dans la série The Elder Scrolls, le personnage est muet, créé de toutes pièces et finalement n’est que l’avatar du joueur qui vit les évènements directement. Dans Final Fantasy XIII, le joueur voit les personnages vivre et réagir, il s’identifie à eux et à leurs émois. S’opposent ainsi deux façon d’aborder l’écriture et la narration. Si l’on prend un autre exemple, Final Fantasy X reste pour beaucoup un des meilleurs épisodes de la série. Sa structure est excessivement linéaire. Il s’agit d’une quête, avec un objectif lointain à atteindre et qui implique un sacrifice ; un périple au but défini mais sans cesse compliqué par les séparations, les obstacles et les rebondissements. Final Fantasy XIII aussi bien que Le Seigneur des Anneaux fonctionnent de la même façon. Les deux jeux partagent par ailleurs de nombreux aspects de level design : le dixième épisode de la série est lui aussi un immense couloir. Visiter une plaine revient à circuler dans un espace réduit, une route, sans pouvoir en sortir. Et pourquoi ? Parce que le jeu veut raconter un périple mais aussi évoquer un monde à travers le voyage du joueur, étape après étape.
Touristes
Dans la vie réelle, lorsque nous visitons un endroit ou lorsque nous allons dans une direction pour une raison importante, nous allons souvent directement au but. Si vous êtes déjà allé au Grand Canyon aux USA, vous savez qu’il y a plusieurs points de vue et que personne ne va ailleurs, parce c’est pratique et parce que c’est sans danger.
Nous prenons tous la même voiture de location de nous roulons sur la même route pour arriver au même point de vue. Il s’agit de la même route pour accéder à notre station de ski ou notre plage préférée. Rares sont les gens qui sortent de ces sentiers battus. Personne n’aurait accepté que Frodo Baggins aille cueillir des fleurs ou faire un grand détour. Lui-même ne l’aurait pas voulu. Pourtant John Marston (le héros de Red Dead Redemption) s’arrête tous les vingt mètres cueillir de la camomille. Très occupés à empêcher l’invasion imminente d’Ivalice, Vaan et ses amis (de Final Fantasy XII) se permettent de faire de la chasse aux monstres. Personne n’empêche le capitaine Shepard de Mass Effect de perdre son temps à scanner des planètes alors qu’une force terrifiante menace la galaxie !
Les couloirs permettent d’éviter cette dispersion : canaliser le joueur revient à mettre en avant la volonté et les motivations des personnages. Limiter le joueur dans ses déplacements permet de limiter le vide — qui est une denrée difficile à gérer pour le jeu vidéo : trop d’espace et l’ennui s’installe, pas assez et tout semble trop étriqué. Car, à la différence du monde réel, la zone traversée dans un jeu vidéo ne sera calculée et affichée que si le joueur la visite.
Chasseur de monstres
Après trente heures de couloirs, lorsque Lightning et ses amis passent sous une arche et arrivent sur la vaste et sauvage plaine de Pulse, le joueur sent monter en lui une puissante impression de liberté et de danger. Cocoon et ses couloirs étaient des territoires connus et maîtrisés. Ils étaient fermés car artificiels, construits de toutes pièces par des esprits malveillants qui cherchaient à profiter des humains. Ces murs invisibles, ces ravines, ces tunnels et ces ponts qui encadrent les premières heures du jeu ne sont pas qu’un truc de level design, ils font partie intégrante de l’univers de Final Fantasy XIII.
En comparaison, Pulse et ses espaces ouverts sont l’aventure avec un grand A, ils sont la nature libre, sauvage, violente. Ce sont des mastodontes géants qui n’ont pas conscience de la présence des personnages. Ce sont des animaux qui s’affrontent sans même vous lancer un regard. Face à cet océan de possibilités, Lightning et ses amis se retrouvent libres, pour la première fois. Ils ont maintenant le choix de remplir certaines missions secondaires et de mettre leur quête en pause. C’est une bouffée d’air incroyable, d’autant plus formidable qu’elle arrive tardivement.
Que ce soit Pulse ou le Grand Canyon, vous ouvrez les yeux et devant vous l’immensité, à perte de vue. Il vous faut quelques minutes pour accepter l’ordre de grandeur, pour comprendre ce qui vous entoure, pour vous adapter. Vous êtes seul au monde, soudain sans attaches et sans contraintes. Vous êtes libres pour la toute première fois. Vous êtes sorti du couloir.
Vos commentaires
Bibishop # Le 10 novembre 2011 à 10:51
Comment me redonner foi en un jeu qu’on avait jamais essayé de me vendre.
J’avais juste entendu dire que la première partie était ennuyeuse mais que la fin du jeu était formidable, maintenant je me rend compte qu’on ne ferait pas tant d’éloges de la seconde partie si la première n’était pas si linéaire. Vive les contrastes, c’est comme se taper sur le pied avec un marteau parce que ça fait du bien quand ça s’arrête.
Quoi qu’il en soit, moi qui suit très tolérant niveau linéarité, j’ai maintenant très envie de me lancer dans cette aventure.
Martin Lefebvre # Le 10 novembre 2011 à 11:02
Je fais aussi partie des défenseurs de FF XIII. Ce n’est sans doute pas un chef d’oeuvre, mais il fait des choses intéressantes si on le prend pour ce qu’il est plutôt que pour ce qu’il pourrait être. Les combats sont gracieux comme un ballet, le scénario est certes nunuche mais certains personnages (les filles surtout) sont charmants.
C’est du bon jeu easy listening, qui détend et s’avale très agréablement. Comme le note Anthony, c’est intéressant de voir comment Square prend des risques en emmenant la série dans des directions originales au lieu de débiter à la chaîne des jeux sur un même modèle.
BlackLabel # Le 13 novembre 2011 à 23:16
Dans RDR et Mass Effect, les quêtes annexes sont laissées à la discrétion du joueur qui peut aménager son temps de jeu comme il le souhaite, personne ne l’oblige à les faire. Ces missions-là ne fonctionnent pas dans la même dimension temporelle que le scénario ; les heures "perdues" à chasser des sangliers dans RDR, elles ne sont "perdues" que par le joueur, pas pour Marston. C’est un espace d’expérimentation, tu t’amuses, t’essayes des choses, puis tu reviens à la quête de Marston quand tu ressens l’envie de connaître la suite.
C’est comme chercher les trésors dans Uncharted, c’est du pur jeu ; évidemment que Drake ne trouvera jamais un trésor inca accroché à une poutre au plafond dans un vieux hangar londonien. Tout comme Cole Phelps dans L.A. Noire en a rien à faire d’essayer toutes les bagnoles de l’époque. Mais le joueur, lui, ça peut l’intéresser.
Les couloirs dans un J-RPG au contraire t’empêchent de prendre le large alors que c’est élémentaire. Ça dure pas huit heures un J-RPG, et on a besoin de se changer les idées au sein même de l’aventure, de faire des fois "ce que l’on veut" parmi les possibilités offertes par le titre, de fouiner à gauche et à droite, de découvrir par nous-mêmes. Les gens parlent d’un manque de liberté avec FF10 ou 13, mais c’est plutôt un manque d’espace, on se sent à l’étroit et complètement dirigé quand ça devrait être suggéré. En plus ils ont une direction artistique à vomir, mais ça c’est une autre histoire.
Le truc c’est qu’à force de vouloir être narratif le plus possible, les jeux gâchent la partie ludique et deviennent des mauvais jeux vidéo racontant maladroitement des histoires pas terribles. Je trouve déjà qu’à la base le scénario des FF est extrêmement envahissant. Alors dans ceux à couloirs... ^^
Zali L. Falcam # Le 23 novembre 2011 à 11:24
"Dans Final Fantasy XIII, le joueur voit les personnages vivre et réagir, il s’identifie à eux et à leurs émois."
Le jour où je m’identifierai à Hope ou à Vanille, je consulte.
Martin Lefebvre # Le 23 novembre 2011 à 12:02
Bah je sais pas Vanille je la trouve plus humaine que les gros durs ou les femmes à poigne et à gros lolos qu’on nous refourgue habituellement. C’est pas un personnage inoubliable, mais j’adore sa façon de marcher les bras levés...
André Balso # Le 10 décembre 2011 à 13:29
Le problème n’est effectivement pas celui de la liberté (factice dans tous les FF, quel que soit le procédé utilisé pour la limiter), mais de l’espace. FF XIII ne nous montre même pas de chemin où il nous serait interdit d’aller : le seul chemin qui existe est celui que parcours le joueur. Donc l’univers dans son ensemble se résume à ce chemin. Lorsque, dans n’importe quel type de jeu, on distingue au loin une corniche prolongée d’un sentier que l’on ne pourra jamais emprunter, l’imagination étend l’univers du jeu au-delà de ses limites accessibles. Ici, malgré les arrières plans grandiose, pas l’amorce d’une échappatoire possible.
Par ailleurs, couloir resserré ou pas, quêtes annexes ou pas, il s’agit toujours d’aller d’un point A à un point B dans un FF. Même dans FF XII, certainement le titre le plus ouvert de la série, tous les espaces de jeu communiquent les uns avec les autres, et l’on peut aller (à pied !) de l’extrémité A à l’extrémité B de la map. Donc la question est plutôt de savoir ce que l’on fait de ce trajet, comment on le rythme, etc... Et là, la "crédibilité" n’a en réalité que peu d’importance : il est possible de faire un nombre de digressions ahurissantes dans FF VI tout en restant complètement impliqué dans son histoire, alors que FF XIII, qui ne permet rien de ce genre, nous plonge dans une fiction maladroitement amenée qui nous laisse sur le bord de la route (puisque si l’on ne se réfère pas à l’encyclopédie du menu on ne comprend... rien).
Alors oui, le système de combat est génial, Pulse est grandiose, et certain des personnages intéressants (Lightning en premier lieu), mais l’ensemble est beaucoup trop déséquilibré, même si l’idée de faire jouer le contraste entre les couloirs de la première partie et l’introduction soudaine d’un espace ouvert est séduisante. Mais à titre de comparaison, la sensation d’espace offerte au joueur dans DQ VIII lorsqu’on lui donne la possibilité de se transformer en oiseau après l’avoir fait galérer des heures à pied sur une map pourtant ouverte est sans commune mesure....
Martin Lefebvre # Le 10 décembre 2011 à 14:09
Tu n’avais pas parlé d’écire un article sur DQ VIII, d’ailleurs ? nudge, nudge, wink, wink, say no more say no more.
André Balso # Le 10 décembre 2011 à 22:50
Si, si, je suis dessus, for real ! Mais je vais arrêter de m’engager sur les délais, hein, par contre, ça vaudra mieux je crois...
Altamhyr # Le 6 avril 2014 à 13:00
Je me pose deux questions :
as tu déjà joué à des RPG ?
pourquoi confondre quêtes secondaires et couloir ?
Je me fendrais bien d’une longue explication, mais je vais faire court et clair : Toute cette "défense" de FFXIII, me laisse à penser que l’auteur est passé à côté de ce qui fait les principes d’un RPG. Surtout pour dire que Gran Pulse offre un immense espace...
Ekyrby # Le 8 décembre 2016 à 16:15
L’échec de FFXIII, c’est qu’en voulant canaliser l’attention des joueurs envers ses personnages et son histoire, il oublie complètement de donner un contexte et un environnement qui puisse servir de base à ses élements. Or, l’exploration, les quêtes secondaires et les dialogues avec les NPCs sont les mécaniques classiques qui permettent de rajouter de la profondeur à un univers et à rendre le joueur concerné par son sort. FFXIII modernise cette formule classique mais oublie de remplacer ces mécaniques. Comment me préoccuper de l’avenir du monde si je n’en vois personne, si je passe dans chaque localité sans m’y arrêter, si je n’ai pas de moyen de m’impliquer dans des taches de moindre ampleur ?
A l’inverse, les open world concentrent leur efforts sur ces mécaniques d’ancrage dans un monde pour le rendre vivant, au risque de diluer l’histoire. C’est toute la difficulté d’UN RPG que de construire un monde cohérent et de rendre le joueur concerné par son sort tout en développant une histoire à un niveau plus personnel qui s’intègre bien à cet univers. C’est ce que réussit à faire FF7, quand bien même la liberté d’action est limitée pendant une bonne partie du jeu. Le fait que le jeu commence par un environnement étroit et étouffant, Midgar, permet de construire une histoire à taille humaine avec un contexte immédiat et proche. Puis quand le joueur quitte Midgar pour entrer dans ce monde qui n’a jamais été mentionné avant, le sentiment d’immensité est incroyable et l’histoire qui a été construite s’inscrit dans un cadre beaucoup plus grand. Pour autant, malgré cette sensation de liberté, qui y a t il à faire à part aller à Kalm ?
Coté FFXIII, la moitié du jeu s’opère à toute vitesse dans des environnements et parmi des gens qu’on a pas le temps d’apprendre à aimer. L’attention du joueur est concentrée sur l’histoire et les personnages, mais les enjeux dramatiques qui sont compris par les personnages nous sont inaccessibles, faute d’avoir les éléments nécessaires.
Dans la seconde partie, le jeu tombe un open world sans background et pas vraiment intéressant. Bien sur, il y a la liberté d’action, mais pour quoi faire ? C’est avant que le joueur la voulait, pour faire sien un monde qui flotte maintenant dans le ciel.
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