Alors que les serveurs de Battle.net souffrent toujours de l’afflux massif des joueurs, on ne peut que constater le succès commercial de Diablo III : Blizzard annonce en avoir écoulé plus de six millions. Il n’en est que plus urgent de s’interroger sur les raisons qui ont poussé Activision Blizzard à mettre en place un système de DRM exigeant des joueurs une connexion constante. Ce choix relève d’une politique très précise, qui montre à quel point le jeu vidéo est le reflet de la société de marché contemporaine.
On sait que la généralisation du haut débit a entraîné une mutation en profondeur du paysage vidéoludique, permettant l’éclosion des jeux indépendants, mais induisant aussi pour les éditeurs la tentation de modifier la nature de leur produit : passer de la vente de biens à celle de services. De ce point de vue, Diablo III constitue une étape cruciale dans un processus au cœur des préoccupations d’Activision. Il n’échappe à personne que le géant de l’édition cherche à rentabiliser au maximum ses deux pôles phares, Blizzard et la licence Call of Duty. Pour le moment, l’éditeur expérimente de nouvelles sources de revenus. En introduisant des micro-transactions au sein de son MMO phare World of Warcraft, il s’inspire du succès non démenti des jeux free to play. En proposant un passe saisonnier pour CoD : Modern Warfare 3, il tente d’appliquer le modèle de l’abonnement qui a fait la fortune de WoW à son autre grande licence. Il suffit de jouer à Diablo III pour vérifier qu’une des préoccupations principale des développeurs a été de d’assurer au titre un revenu constant.
De ce point de vue, le mode de DRM adopté prend tout son sens. Il ne s’agit pas, comme chez Ubisoft, d’un simple moyen pour éviter le piratage. Il faut prendre les développeurs de Blizzard au pied de la lettre quand ils affirment que le jeu est pensé pour le online. Car le cœur du jeu ne se situe pas, comme on pourrait le penser, dans ces couloirs peuplés de monstres que le joueur envoie valdinguer tel un derviche looteur, mais bien plutôt dans le marché sur lequel circulent les loots. Même si l’interface, qui oblige à sortir du jeu pour y accéder, semble lui réserver une place périphérique, c’est l’hôtel des ventes qui est mis au centre de l’expérience. S’il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions définitives sur une économie encore balbutiante, d’autant que les transactions en monnaie réelle ne sont pas encore lancées, on comprend assez rapidement que ces transactions ne sont pas un élément accessoire, mais que le game design les rend indispensables.
Un système politique
En ce sens, Diablo III est un jeu éminemment politique. Non parce qu’il délivrerait un message orienté ; à vrai dire, je n’en sais rien, je suis aussi pressé de cliquer furieusement pour passer les dialogues que je le suis pour hacher vagues après vagues de mobs. S’il y a bien un élément accessoire dans le jeu, c’est sa — piètre — dimension narrative. Diablo III est un acte, un système politique, qui pose le marché à la fois comme une évidence, une nécessité, et l’ultime juge de paix. Il y a quelque chose de fascinant et de terrifiant dans les jeux en ligne, en ce qu’ils se placent à mi-chemin entre l’utopie et l’expérience sociale à grande échelle. Utopie, dans la mesure où les développeurs ont le champ libre pour poser des règles faisant table rase (malgré son échec, Tabula Rasa avait au moins pour lui le titre le plus signifiant du genre) des contraintes structurelles, et peuvent par exemple, réaliser le marché totalement transparent dont rêvent les penseurs néo-libéraux. Expérience sociale, dans la mesure où les joueurs habitent ce monde, en explorent les contours, et où l’usage qu’ils font des règles met celles-ci à dure épreuve.
En tant qu’utopie, Diablo III se fonde sur plusieurs mythes propres au libéralisme économique, que l’univers diégétique permet de naturaliser. Dans le monde du jeu, tant la devise que les biens marchands sont immanents. Les donjons, succession de couloirs organiques, secrètent l’or, il y pousse des loots par génération spontanée, richesses que les héros s’empressent de métaboliser et de mettre en circulation sur le marché, avec une évidence biologique. Il ne faut pas se laisser prendre au piège de la fiction, à ces barbantes histoires d’anges déchus et de démons très méchants que les scénaristes nous racontent, sans trop y croire eux-même. Le seul démon qui règne ici est ce bon vieux Mammon, et les véritables mythes fondateurs sont ceux de la doxa économique : les individus – héros de leur aventure, de leur carrière – sont des agents économiques rationnels, le marché est transparent comme l’air, et la liquidité gouverne le monde avec autant de constance que les lois de la thermodynamique.
Un marché utopique
Pour observer ce système mythologique, il suffit de se pencher sur le gameflow. Chaque joueur est un agent économique rationnel, d’autant plus prévisible que les enjeux auxquels il se confronte sont simples : progresser dans le jeu, battre les boss, s’enrichir afin de progresser un peu plus, dans un mouvement de développement personnel cyclique, aussi organique qu’ininterrompu. Pour avancer, il faut travailler, c’est à dire jouer, exploiter les ressources naturelles des donjons, véritables mines d’abondance. Ce travail est récompensé par des loots générés aléatoirement, soumis à des variations statistiques, mais cet aléa se normalise avec le temps autour d’une moyenne : à terme ni la chance ni l’efficacité du travail ne sont particulièrement déterminants pour celui qui farme. Tous les loots n’ont pas la même valeur, mais si l’on excepte le prestige de la qualité (rare, légendaire…), cette valeur est absolument transparente : les différentes statistiques de l’objet sont immédiatement visibles. Certes, leur utilité relative est sujette à débat, mais rien n’empêche les joueurs de calculer leur poids relatif, et c’est d’ailleurs le passe-temps favori d’un certain nombre de fans, les theorycrafters, qui analysent mathématiquement le système de jeu pour en déduire les stratégies les plus efficaces. On est bien loin d’un marché réel où la valeur des biens est toujours sujette à caution, et où toute affaire comporte un risque : le casque légendaire ne va pas pourrir sur place à cause d’une grève des dockers, la production des gemmes ne risque pas de s’arrêter pour cause de tsunami, pas plus que la nouvelle épée que j’ai achetée n’a la moindre chance de se révéler un faux grossier, produit avec des matériaux non conformes. Enfin, la liquidité immédiate ou presque, constitue le rouage essentiel du mécanisme. Tous les biens sont convertibles en or, que ce soit à bas prix chez les PNJ marchands, ou sur le marché semi global (il existe trois serveurs distincts pour l’Amérique, l’Europe et l’Asie) de l’hôtel des ventes.
Ce n’est pas un hasard, si contrairement à World of Warcraft, Diablo III ne lie aucun objet de valeur au personnage qui l’a trouvé ou équipé. Il s’agit pour Blizzard de favoriser la circulation des biens, dans l’espoir d’en tirer à terme, lorsque les transactions en monnaie réelle seront en place, de confortables revenus : le développeur prendra 15 % par transaction, et demandera une commission supplémentaire pour transférer ces gains sur le compte Paypal du joueur. La distribution aléatoire des loots contribue à rendre le marché nécessaire. Comme le dit, sarcastique, un personnage du jeu, « someone’s trash is someone’s else treasure ». Rien ne garantit que les objets ramassés par le personnage lui seront utiles : telle épée n’a aucun intérêt pour un magicien, mais fera le bonheur d’un barbare. La diversité des builds possibles [1] et la multiplicité des bonii accordés renforce encore cette nécessité de l’échange. Pour une même classe, selon les compétences choisies et le niveau de difficulté, tel privilégiera la force, tel autre l’endurance ou la régénération… Face à des exigences spécifiques pour des ressources générées aléatoirement, seul le marché et la liquidité qu’il permet sont capables de faire correspondre l’offre à la demande.
Une utopie rentable
Cette utopie libérale n’est pas pour Blizzard un acte gratuit visant à édifier les masses et à promouvoir les bienfaits du marché. Elle ne se justifie en outre que pauvrement en termes ludiques. De nombreux joueurs semblent déçus, constatant que pour le moment l’hôtel des ventes tend surtout à les priver du plaisir de tuer des boss afin de récolter leurs trésors, plaisir qui fait tout le prix du genre. A l’heure actuelle, l’équipement que l’on trouve sur le marché est beaucoup plus accessible que celui qu’on peut ramasser en cours de partie, et à bas niveau le crafting est totalement inutile. Il faut sans doute voir là un problème d’équilibrage, les développeurs n’ayant peut-être pas pesé toutes les conséquences d’un marché aussi ouvert, et où les joueurs s’empressent de revendre leur équipement obsolète [2]. La promotion du libéralisme apparaît bien comme un acte intéressé, puisque l’objectif est de dégager un profit récurrent par le biais des transactions en monnaie réelle. Pour le moment, on ne peut que spéculer sur l’efficacité du procédé, mais l’enjeu n’est pas négligeable. On se doute bien que si ces transactions s’avéraient rentables, elles intégreraient bien vite les autres titres en ligne d’Activision, de Call of Duty à Titan, nom de code du prochain MMO de Blizzard. Diablo III constitue un véritable coup de sonde quant à l’exploitation des micro-transactions dans un titre AAA. Jusqu’où peut-on aller ? Il s’agit en effet ici d’une nouvelle sorte de rentabilisation, puisque l’hôtel des ventes n’apporte pas de réel contenu, se contentant de fournir une infrastructure où échanger des contenus payés par les acheteurs d’un jeu déjà vendu 60 euros.
Bien entendu, Blizzard s’inspire d’un certain nombre de modèles qui semblent indiquer que les joueurs sont prêts à sortir la carte bancaire pour acheter des biens virtuels. D’abord, il faut reconnaître l’influence considérable des gold farmers, qui de Diablo II à World of Warcraft, en passant par tous les MMO de quelque importance, ont prouvé qu’un véritable business pouvait se développer en marge des mondes persistants. On peut même penser que ce sont ces entrepreneurs à la limite de la légalité qui ont ouvert la voie aux micro-transactions, telles qu’on les retrouve dans les MMO free to play ou les jeux Zynga (Farmville). Face à la persistance de ces transactions entre économie virtuelle et économie réelle, les développeurs ont compris qu’il était à leur avantage d’en tirer parti, et en 2008, CCP a ouvert la voie étant le premier développeur à permettre expressément aux joueurs les transferts depuis l’économie de son MMO EVE Online vers la monnaie réelle, par le biais de cartes d’abonnement achetables ingame, les Plex.
La plupart des micro-transactions tendent à remplacer les farmers en offrant à des prix défiant toute concurrence (facile quand on peut produire ex nihilo le bien virtuel que l’on vend) les mêmes services qu’eux. Mais Diablo III pousse la logique un peu plus loin, puisque loin de bannir les farmers, il les intègre à son modèle de revenus, en se contentant de prélever une commission sur les opérations financières. Evidemment, il est difficile de prédire si lesdits farmers y trouveront leur compte, ou si la taille du marché rognera suffisamment leurs marges pour qu’ils décident d’aller voir ailleurs. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer avec un rien d’effroi les conséquences du système mis en place par Blizzard. On sait bien que le jeu en ligne n’échappe pas à la mondialisation et que la force de travail des habitants des pays émergents est mise au service des consommateurs des pays développés, qui ont plus d’argent que de temps disponible pour farmer. Pourtant on ne peut que pâlir à l’idée que Blizzard, loin de condamner cette pratique, se contenterait de s’en faire le souteneur, prenant aux travailleurs du virtuel une taxe sur les échanges, véritable rente sur l’exploitation. Evidemment, cela n’a rien de surprenant quand on réfléchit au pragmatisme de l’économie capitaliste, mais il y a quelque chose de glaçant à trouver tant de cynisme dans le contexte d’un simple jeu, où le travail ne produit que du vent.
L’œil du marché
Ce modèle économique nous permet de faire retour sur notre point de départ, la présence extrêmement contraignante de DRM. On comprend mieux l’intérêt de celle-ci : la connexion permanente requise, c’est l’œil du marché qui surveille en permanence le joueur pour que surtout il n’aille pas produire une fausse monnaie, qui provoquerait une dévaluation immédiate. Certes, l’inflation est inhérente à une économie virtuelle où les ressources sont inépuisables, et où chaque joueur génère des dizaines de loots et des milliers de pièces d’or à chaque partie. Ce phénomène, qu’on nomme mudflation, est bien connu des spécialistes du MMO, et il existe des solutions pour le contrôler : instaurer des péages (money sinks) afin de détruire une partie de l’argent, proposer périodiquement de nouveaux objets désirables, ou modifier les règles du jeu pour relancer la machine. Mais pour que le système crée la confiance, Blizzard a besoin de contrôler totalement les leviers de l’économie, ce qui nécessite une surveillance constante des joueurs. L’objectif étant pour le développeur de se placer comme le garant et le principal bénéficiaire des échanges dont il garantira le volume et la fiabilité. Avec un modèle économique basé sur la commission qui rappelle celui des sites de poker en ligne, les transactions doivent être sécurisées. La plus grande hantise du patron de casino est bien évidemment les tricheurs, et le développeur craint comme la peste les hackers qui menacent le climat de confiance. Mais après tout leur présence est une bonne excuse pour vendre un authentificateur de compte, il n’y a pas de petits profits.
Cette position à proprement régalienne, pour ne pas dire démiurgique, du développeur montre assez bien à quel point le marché est compatible avec l’autoritarisme, et à quel point ses acteurs sont à la merci de celui qui en dicte les règles. Sur son petit marché virtuel, Activision est évidemment hégémonique, comme le sont à plus grande échelle Apple ou Amazon sur iOS et Kindle. Cette tentation pour les grandes entreprises de se créer un marché privé où des agents économiques indépendants sont libres tant qu’ils payent leur côte part est compréhensible : c’est extrêmement rentable pour l’opérateur, et les efforts sont majoritairement le fait de travailleurs indépendants (auteurs, développeurs, farmers…), que l’ouverture du marché et la concurrence inhérente mettent sous pression plus qu’elles ne les libèrent. On ne peut d’ailleurs manquer de rapprocher ces micro-structures fermées de la structure d’ensemble macro-économique, où la finance « too big to fail », intermédiaire indispensable, peut dicter aux citoyens ses conditions, même les plus extravagantes. Autant dire que les joueurs qui voudraient se dépayser et oublier quelques temps la crise en s’évadant dans des donjons, passer leur colère sur des monstres… en auront pour leur argent.
La mutation du jeu en ligne est déjà bien avancée, mais pour le moment rien n’est encore définitif. Il apparaît clairement que la direction choisie pour Diablo III a tout pour inquiéter, non seulement parce qu’elle nous impose dans les mondes virtuels une vision mythologique d’une société de marché pourtant peu glorieuse, mais aussi parce que les joueurs risquent fort d’être les dindons de la farce. Si Blizzard joue sans trop de risques, puisque même en cas d’échec des ventes en monnaie réelle leur dernier titre est d’ores et déjà un succès, certains joueurs risquent de payer assez cher leur passion pour le hack’n’slash. Il ne s’agit pas d’appeler à boycotter Diablo III : à tout prendre, le gameplay, sans réelle originalité, est plus qu’efficace, et il y a de quoi s’amuser ; jouer au libéralisme n’est pas nécessairement le promouvoir, pour peu qu’on sache y mettre de la distance. De plus, et c’est là que l’expérience sociale prend tout son sens, rien ne garantit a priori le succès des transactions. Il sera d’autant plus intéressant de voir comment évolue le jeu, l’usage qu’en fait la communauté [3], en souhaitant que l’hôtel des ventes en monnaie réelle se transforme dès son ouverture en une ville fantôme virtuelle, une sorte de Rapture hantée de bots. En tout cas il faudra suivre de près l’évolution du jeu, qui nous en apprendra autant sur l’avenir du jeu vidéo en ligne que sur l’état d’esprit de nos contemporains. Il se pourrait bien que l’utopie libérale vire à la mascarade, pour notre plus grand plaisir, à moins qu’elle ne soit le dernier refuge — virtuel — d’une idéologie à bout de souffle. C’est un spectacle que nous ne manquerons sous aucun prétexte.
Merci à Ray François pour son attentive relecture de connaisseur des jeux en ligne.
Notes
[1] Reste à voir si cette diversité sera viable à haut niveau, mais nul doute qu’un effort d’équilibrage, voire un changement périodique de celui-ci au gré des patchs, permettra de soutenir l’activité du marché.
[2] Le marché se stabilisera certainement quand la majorité des joueurs actifs aura atteint le niveau 60 et l’ultime niveau de difficulté, le mode Inferno.
[3] Certaines guildes d’Everquest World of Warcraft fonctionnent comme de vraies petites entreprises, avec leurs cadres, leur gestion par objectifs, et il faut avant d’y être pris à l’essai montrer un CV et faire preuve de motivation. D’autres au contraire, ressemblent plus à des communes anarchistes, sans leadership défini. Même si les structures du jeu invitent à un certain individualisme et à une forme de cupidité, elles n’excluent pas des attitudes plus altruistes.
Vos commentaires
Steph # Le 25 mai 2012 à 07:21
pour polémiquer, j’imagine que le vieil Hayek produirait l’analyse inverse.
Blizzard possédant absolument tous les leviers, et devant avoir accès à toutes les informations, les analyser pour produire une réaction adéquate pour tenir l’économie, se retrouverait immanquablement pour lui dans la position de l’état planificateur, avec toutes les critiques qui vont avec. Mais c’est vraiment pour chipoter.
Reste que je trouve très appréciable ce que tu dis sur les conséquences pratiques du système d’échange - l’émergence d’une classe de prolétaire vidéoludique -, une chose qui est plutôt ignorée en temps normal. Les seuls problèmes éthiques étant la violence et la pornographie.
Enfin, je ne sais pas si l’hôtel des ventes est tant que ça au coeur du jeu au final. À la fin de l’acte 2, je n’y ai toujours pas eu recours et je n’ai pas l’intention de le faire...
Martin Lefebvre # Le 25 mai 2012 à 08:48
Oui enfin l’analyse économique classique a ses limites, parce que dans ce cas le développeur n’est pas qu’un Etat qui gère le marché, il est aussi le dieu providentiel qui tient toute innovation... Ce n’est pas comme si les joueurs s’échangeaient des mods qu’ils auraient créés(il me semble qu’ils avaient plus ou moins pensé à ça pour Starcraft 2), ils se vendent des loots qu’ils génèrent mais que Blizzard a inventé.
Pour ce qui est de la centralité de l’HV, évidemment tu peux décider de ne pas y avoir recours, c’est même peut-être mieux pour apprécier le loot que tu trouves, mais...
Tu perds la principale innovation d’un jeu très classique.
Le jeu me paraît balancé pour l’HV, notamment pour les raisons que j’ai développées dans le papier. Enfin pour le moment le jeu me paraît complètement mal balancé d’ailleurs, avec des loots qui ne correspondent pas au niveau de difficulté. Est-ce un moyen de faire mordre les joueurs à l’HV ou la conséquence d’une courbe de leveling qu’ils ont trituré ?
Zhak # Le 25 mai 2012 à 08:53
Merci pour cet article très intéressant ! Gros joueur de diablo depuis des lustres, je suis tout a fait d’accord avec cette centralisation sur l’hôtel des ventes. Personnellement j’ai d’abord refusé d’aller y faire mes emplettes, considérant qu’être suréquipé gâcherait le challenge du jeu, mais quand j’ai commencé à jouer en parties publiques, le prolétaire vidéoludique que j’étais s’est vite senti exclu et dépassé par la puissance de feu des pratiquants chevronnés du marché, et plus beaucoup d’autre choix que la désociabilisation online où la résignation à la loi du capital !
D’autre part, point très important que tu n’as peut être pas encore eu le temps d’expérimenter mais qui appuie encore plus l’idée : A partir du lvl 60, a défaut de pouvoir lvler plus loin, l’expérience acquise se transforme en augmentation du pourcentage de découverte d’objets magiques : le jeu ne se résume plus qu’à une pure poursuite du loot (et par conséquent la revente de l’inapproprié pour racheter ce qui convient à sa classe)
Zhak # Le 25 mai 2012 à 08:55
Heu pour précision, je suis d’accord avec l’idée de l’article qu’est la centralisation sur l’hôtel des ventes, mais pas forcément avec la politique de blizzard en la matière !
Divoox # Le 25 mai 2012 à 11:32
Excellente article ! Même pour le simple observateur de MMO comme moi mais qui trouve ces univers fascinants. Je comprends un peu mieux ma passion pour les jeux solos ou les parties multijoueurs "physiques" à plusieurs autours d’une bonne vieille console :)
Drup # Le 25 mai 2012 à 12:32
Excellente analyse, qui approfondi de façon intéressante mes pensées sur la question.
On pourrait également rajouter que le dernier mode de difficulté "inferno" est une bonne poursuite de cette mécanique de centralisation du jeu autour de l’hdv.
En effet, par un système de tiers, l’équipement actuellement nécessaire pour se débrouiller à un acte est très facilement trouvable à l’acte suivant. Tandis que se débrouiller avec l’équipement obtenu jusqu’ici devient très dur.
Cependant, tout ceci reste de lvl 60 (vu que c’est le niveau max). La majorité des joueurs, voulant continuer leur avancée, pourront passer par l’AH, obtenir les équipements des actes suivants pour passer l’acte en cours, et ainsi de suite.
Ainsi, même si l’AH n’est pas nécessaire au début du jeu, celui ci est pensé pour recentrer le joueur vers l’AH lorsqu’il arrive vers la fin du jeu.
J’ajouterais, car je vois beaucoup de monde faire la confusion, que Diablo n’est PAS un MMO :)
On pourrait s’y laisser prendre par la sorte de parenté avec Wow, mais les mécanismes sociaux ne sont pas du tout les même dans un jeu solo a forte composante multi joueur que dans un MMO traditionel. C’est le premier M qui fait tout.
Pour terminer, je t’invite a t’intéresser au système économique d’Eve online, que tu évoques rapidement, qui lui est un capitalisme beaucoup mieux construit et nettement moins utopique.
Laurent Braud # Le 26 mai 2012 à 08:45
@Drup : pas un MMO ? I beg to differ. Mon expérience de WoW se résume à
jeu en solo la plupart du temps
farming de temps en temps
l’AH
une guilde d’amis qui jouent en parallèle, avec qui faire ...
... des donjons / gros boss en coop
éventuellement rejoindre d’autres gens à la volée.
Le schéma se reproduit exactement ici, avec l’AH pour principale interaction avec la communauté. Effectivement, je n’avais pas joué à haut niveau dans des grosses guildes où il faut gérer des équipes de 30 ; c’est la seule différence.
Guy Vault # Le 26 mai 2012 à 12:27
C’est vrai que l’article est vraiment intéressant. Je ne m’étais pas posé autant de questions quant aux sujets évoqués dans le texte. Pour tout dire, ça me passerait presque large au dessus de la caboche.
Car comme une grosse partie des accros de la franchise, j’ai abordé Diablo 3 sous l’angle de l’aventure pour moi tout seul. Avec l’idée de découvrir une trame (aussi naze soit-elle), des ambiances à travers le visuel mais aussi via le Lore imaginé, de la cinématique qui déchire, de la furie dans les affrontements, une interface léchée, de belles animations, du ludique et des surprises, un niveau caché... Bref, des trucs bateaux pour satisfaire mon désir d’être face à du travail hyper bien réalisé, qui respire le fric bien investi (à défaut d’être au service d’un truc original). Et plus que tout : même si le choix d’un barbare me permet de "rusher" pour débloquer les niveaux de difficulté plus costauds, j’ai envie de découvrir le jeu de façon pépère, dans ces moindres détails, sans être pressé par des coéquipiers qui ne sont là que pour bouffer du pack de monstres sans profiter des détails, des petites histoires, des dialogues...
Pendant la bêta, par curiosité, j’avais partagé les quêtes avec d’autres joueurs : AU SECOURS. Les mecs et donzelles avaient pour manie de zapper les dialogues, de tracer droit vers les boss, sans explorer les maps de fond en comble, etc. Une horreur, pour moi. J’y remettrai plus les pieds. Ou alors, qu’en bonne compagnie.
Le fait qu’il y ait - j’ai envie de dire "en marge" me concernant - des possibilités de grouper et d’avoir accès à des options "multijoueurs" ne vont aucunement gâcher mon plaisir solitaire, cela dit. Cette porte ouverte est une perspective appréciable. J’en serai pas client, ne supportant pas de jouer avec des noobs et/ou des gens roxent mieux que moi et aiment le faire savoir (les salauds). Par contre, en y réfléchissant, et suite à une expérience en parallèle sur Torchlight 2, je constate effectivement qu’il y a une entourloupe : en principe, dans un hack’n slash, les items légendaires ou les sets surpuissants, tu les trouves de manière aléatoire au fil de ta progression, et en fonction du gabarit de tes adversaires. Dans le jeu de Blizzard, c’est pauvre. Durant ma partie, je n’ai pour le moment rien ramasser de réellement intéressant pour mon avatar. Même les big boss ne rapportent rien de transcendantal. C’est d’autant plus frustrant que dans Torchlight 2, pour rester sur mon exemple comparatif, tu tombes toutes les 10 mn sur du bon matos. Ça participe à te donner envie de progresser, de suer à grosses gouttes. Dans Diablo 3, le "système des carottes" est beaucoup moins intéressant. Cela tue un peu le plaisir de jouer, je trouve.
Martin Lefebvre # Le 26 mai 2012 à 13:40
Ne joue pas avec moi alors Guy ! Franchement je trouve le scénario absolument déplorable, et les cinématiques, à part celles inter actes sont à peine dignes d’un jeu de niche sur PS2... Le boss qui te taunte en plan fixe vu de haut dans un AAA en 2012 ? oO
Explorer les maps de fond en comble n’a aucun intérêt de mon point de vue, puisqu’il n’y a que peu de secrets, et que de toutes façons le loot est totalement random.
Je ne pense pas que ce soient les joueurs qui refusent l’exploration et la narration, c’est le jeu qui ne leur offre pas. D’ailleurs je ne comprends pas, même si c’est la tradition, pourquoi le jeu est structuré de la sorte. le côté narratif en boucle ne colle aucunement au gameplay, et franchement devoir se retaper en boucle le même début avec ses alts, les mêmes histoires planplan, c’est assez étonnant comme concept. D’autant plus étonnant que contrairement à ce qu’on a souvent dit, le grand Blizzard savait innover et ne se contentait pas de polir des formes inventées par d’autres... WoW était un jeu révolutionnaire à pas mal d’égards, pas juste un clone d’EQ. D III, à part l’HV et sans doute le système de skills, reste assez planplan...
Pour le côté MMO de DIII je suis de l’avis de Laurentb. Certes, ce n’est pas un MMO au sens strict, mais par certains côtés ça y ressemble, avec l’HV qui est très massivement multi (ça doit être les plus gros marchés virtuels au monde, si pas en volume du moins en personnes touchées...), et tout bêtement le principe d’être tous connecté à un même serveur, même si tout est évidemment instancé et qu’on peut ne pas croiser un seul joueur.
D’ailleurs je trouve D III extrêmement conservateur en fait. Quand on voit ce que From a fait avec le online des Souls, on se dit que vu le temps de développement et les moyens du dév, Blizz aurait pu faire bien plus.
Guy Vault # Le 26 mai 2012 à 16:42
Ah [moi-même et mon nombril] l’exploration d’une map, de fond en comble, j’adore dans un jeu du genre. Ça répond totalement à ma curiosité psychorigide d’explorateur de "nouveau monde" - même virtuels, et à défaut de pouvoir voyager dans des contrées perdues irl (chui malade en avion, en train, en voiture, en vélo et j’ai des pieds trop mal foutus pour de bonnes chaussures - snif). Je ne suis content de moi que lorsque je suis parvenu à tout cartographier. S’il y a des zones d’ombre, un nuage de guerre, des endroits que je n’ai pas visité, je suis pas content de moi. Ça m’obsède. J’en dors pas ! [/moi-même et mon nombril]
En terme d’envergure et de "secrets", c’est pas la panacée dans Diablo 3, si on s’amuse à le comparer avec l’immensité de Sacred 2, par exemple. Il y a un gouffre entre les deux. Le King se fait littéralement explosé sur ce point tant il est rachitique et linéaire. Mais le petit plus aléatoire de certains donjons (cf. Hauts faits) me pousse à jouer cette carte-là pour justifier la montée en puissance de mes stats, et l’expérience des différentes stratégies de combat (propres à chaque classe). Tant pis si ça recycle à tour de bras. Dommage, même. L’idéal aurait été que Blizzard, pour un jeu doté d’une telle réputation, ait la bonne idée d’inclure des embranchements scénaristiques et de l’aléatoire à tous les niveaux, histoire de gonfler encore plus le replay value. Mais d’UNE, il me semble que le studio - qui se traîne une réputation presque valvienne en manière de rapidité de production, était déjà hors délais, de DEUX, vu l’orientation multijoueurs du titre, c’était peut-être techniquement plus compliqué de construire autant de variétés (zone de départ différentes, chemins de traverse...) en fonction de la classe de perso choisie.
La trame et le Lore, ouais, sont nuls. Dans le fond. J’aime pourtant la façon dont ils sont développés (via les petits évènements d’ambiance qui progressent en même temps que nous, via les bouquins que l’on trouve et les intervenants qui participent à cette construction, via les compagnons qui blablatent souvent pour ne rien dire...). Techniquement et artistiquement, ça poutre, c’est très méticuleux, c’est assez copieux. On peut difficilement reprocher à ce jeu de n’être pas bourré de petites attentions, d’une foule de détails. Y’a moyen d’y trouver son compte, de ne pas tracer sans se retourner (entre chaque étape de quête, il se passe quelque chose). C’est pas le summum, ok, mais il y a de la matière pour qui en recherche. L’enrobage aurait été - EN PLUS - au service d’un contenu en béton armé, ça aurait été étonnant pour un Diablo, mais peut-être pas pour un Blizzard, je le concède. Quoique, j’ai pas souvenir d’une production Blizzard qui en jette scénaristiquement ? Starcraft ou Warcraft m’ont pas hyper marqué à ce niveau, la vraie surprise venant sans doute de la profondeur des personnages plus que des enjeux de l’histoire somme tous classiques (avec choc des races, rebondissements boum boum, etc). F’in, je m’avance trop, car je n’ai pas encore terminé Diablo 3. J’attends pas de tomber de ma chaise. Je sais à quoi m’attendre, de toute manière.
Après, le lien permanent à internet, c’est quasi stigmatisant pour les joueurs qui ont des débits merdiques ou une connexion instable. Principalement pour ceux qui, comme moi, sont dans une logique de Diablo = Solo, se contrefoutant du multi, du système économique entre joueurs... Mais c’est dans la lignée d’une époque qui veut contrôler au max le produit "vendu" (là, j’ai envie d’écrire "loué"). Je suis pas spécialiste, mais un DRM de cette trempe, ça doit être beaucoup plus difficile à pirater. Sur du long terme, j’entends. L’absence d’une option pouvant jouer hors connexion n’est pas anodine. C’est des malins, chez Bizzard.
Martin Lefebvre # Le 26 mai 2012 à 17:07
Sur la DRM, oui c’est très difficile à pirater, d’autant qu’il semble qu’une bonne partie du gameplay soit calculée sur les serveurs. Ce que j’ai essayé d’expliquer c’est que cette DRM sert aussi à permettre à tout le monde d’aller sur le marché. Même à toi. Si tu veut monter en difficulté, à un moment tu vas sentir que ton stuff est insuffisant, et même toi joueur solo, hop tu vas filer à l’HV (ou arrêter de jouer), et tu vas pouvoir participer, ce qui ne serait pas le cas s’ils avaient séparé online et offline. De fil en aiguille, ils espèrent aussi te faire acheter du loot payant, allez juste un euro au lieu de farmer 10 heures quoi...
Bon on en est pas là, l’HV est totalement buggé pour le moment, ils ne peuvent pas encore lancer les transactions en monnaie réelle, qui ont été reportées.
Sur la narration, je trouve le jeu très mauvais, même si comme je l’ai dit sur le forum, il y a de bons moments d’ambiance, et qu’en effet les commentaires sur les monstres & co sont bien fichus.
Je trouve par contre les actes 3 et 4 encore plus fades point de vue décor.
C’est dur de comparer avec WoW, qui n’a pas eu le même budget (65 millions de $ d’il y a dix ans), mais si le jeu n’avait pas une histoire bien intéressante, la mise en scène était parfois extrêmement bien fichue pour l’époque (2004) et les donjons étaient vraiment créatifs niveau narrative design... Je crois que pas mal de monde a gardé un bon souvenir de son premier run dans les Deadmines par exemple...
Bon, après c’est certain que l’équipe A de Blizz est sur Titan, et que le gameplay de base (mais pas la structure) de D III est très bien fichu, avec en effet des animations bourrées de détails géniaux.
BlackLabel # Le 26 mai 2012 à 23:31
Très bon article !
etienne # Le 27 mai 2012 à 20:15
Economie politique de Diablo.
Très bon article, qui démontre bien l’homologie entre ce jeu et les mécanismes de marché, sujet passionnant que je propose d’approfondir ici. La compréhension nécessite une certaine maitrise des théories et mécanismes fondamentaux des sciences économiques, en particulier du modèle dominant...désolé.
-Diablo et les processus économiques émergents :
Ce que l’auteur manque en revanche, c’est que DiabloII avait vu émerger cette logique de marché de façon entièrement spontanée et non prévue par l’éditeur dans le mode de jeu en ligne. Très rapidement, les échanges étant possibles entre personnages dans les villes, par le biais d’une interface mal conçue, des techniques de commerce et de troc rudimentaires étaient apparues - et avec bon nombre d’exploits possibles qui faisaient que de nombreux joueurs imprudents se faisaient littéralement dépouiller.
La dynamique du jeu, en particulier l’existence à partir de l’extension LOD, d’objets spécifiques à des classes spécifiques est effectivement une illustration parfaite de la nécessité de l’échange, à partir du moment où il y a spécialisation : certains objets étant spécifiques aux classes, ils étaient forcément inutiles à certains et très recherchés par d’autres. Or le troc implique la rencontre de deux personnes ayant des besoins exactement symétriques, ce qui est peu probable. La monnaie, comme équivalent général de l’échange, permet de surmonter cette limite, et il est intéressant qu’elle soit apparue spontanément dans DII non pas dans sa forme triviale, les pièces d’or, mais dans un item particulier (en l’occurence un anneau relativement rare, la Stone of Jordan - SOJ).
On ne saurait mieux illustrer deux principes économiques fondamentaux : la relation entre division du travail et nécessité de l’échange mise en évidence par Adam Smith en 1776, et la supériorité de l’échange monétaire sur le troc.
Il est donc éclairant de noter que l’Hôtel des ventes mis en place par Blizzard ne vient pas de l’imposition par le haut d’un modèle marchand, mais au contraire de la volonté de contrôler - et bien sûr de profiter - d’un marché qui de toutes façons avait spontanément émergé dans DII. C’est exactement la différence qui existe entre les marchés financiers structurés, avec chambre de compensation, fixation centralisée et instantanée des cours - les bourses - et les marchés non structurés, de "gré à gré", parfaitement obscurs et où forcément les possibilités de fraude sont plus élevées.
Il est donc parfaitement logique que l’éditeur ait créé cet instrument, puisqu’il était de toutes façons dépassé par un marché émergent qui aurait fait apparaître ces formes économiques de toutes façons. Les mécaniques entre DII et DIII sont donc de ce point de vue absolument identiques, à ceci près que Blizzard a tiré les leçons des processus émergents de DII, en en prenant le contrôle dans DIII.
-Le looting comme « fabrique du désir et de la frustration » : un ressort essentiel de l’économie marchande contemporaine
Comme le démontre très bien l’auteur, il est aussi très étonnant que le looting, la recherche du meilleur équipement ait fini par représenter le ressort essentiel de la série, ce qui avait certainement du échapper aux premiers concepteurs de Diablo : en créant une probabilité d’apparition quasi-nulle mais non nulle pour certains biens, on crée du désir, à la manière du Jackpot. Par une incidence certainement non prévue par les concepteurs originaux qui pensaient au départ fournir un jeu d’action contenant des éléments RPG, le systême à la fois pervers et génial de génération pseudo-aléatoire des items, extrêmement profond pour qui a décortiqué un peu le systême de jeu, Diablo est devenu une sorte de « jeu de hasard collaboratif », unique en son genre, bien plus qu’un simple H&S.
Le monde ne produisant en lui-même qu’un nombre extrêmement limité d’items super-rares, un joueur solo n’a quasiment aucune chance d’en voir un jour la couleur : c’est l’agrégation de l’action de millions de joueurs qui est susceptible de les faire apparaître, ce qui implique de faire appel à l’action simultanée et cumulée de milliards d’itérations pour espérer accéder à certains items, à défaut de pouvoir se les « payer ». Blizzard a ainsi poussé dès DiabloII de nombreux joueurs vers le jeu en ligne comme les mécréants attirés par le « veau d’or ».
Ce ressort est aujourdhui parfaitement assumé par l’éditeur.
La génération (« drop ») des items est conçue de telle manière qu’un personnage d’un niveau très élevé a systématiquement une très grande probabilité d’obtenir des objets d’un niveau inférieur, faisant apparaître 99.999% du temps un objet dont il n’aura pas l’utilité, à partir du moment où il est tombé, ne serait-ce qu’une fois sur un bon item au cours d’une partie précédente. Ce qui fait que le looting dans Diablo devient assez rapidement une expérience décevante et frustrante (« deceptive » en anglais), d’autant plus qu’on monte en niveau.
Comme l’expérience, la probabilité d’augmenter son équipement croit de façon logarithmique, c’est-à-dire nécessite un temps de plus en plus long pour des améliorations de plus en plus espacées. Or le principe de la montée en niveau est que le joueur est accoutumé dans les bas niveau à être récompensé et à progresser rapidement, ce qui génère chez lui le désir et la nostalgie douloureuse d’une progression facile et rapide lorsqu’il a atteint des niveaux très élevés : plus il s’améliore, moins il le fait rapidement, et moins il tombe souvent sur l’item de ses rêves, et seul l’échange peut lui permettre de retrouver cette progression et soulager la frustration. On est typiquement en face de la stratégie du dealer et de l’accoutumance, ce qui explique la longévité de la série.
Or ici encore, la mécanique de Diablo reproduit, non pas la réalité économique, mais le fondement du modèle néoclassique de l’utilité marginale décroissante et des rendements proportionnels décroissants sur lequel est fondé l’équilibre : plus on produit, plus on utilise un facteur ou plus on consomme un bien, moins le rendement ou l’utilité générée est élevée. C’est exactement le cas dans le jeu : plus le joueur "travaille", c’est-à-dire plus il passe du temps à jouer, moins la rentabilité de ce travail est élevée, la rentabilité étant conçue ici comme l’espérance mathématique de tomber sur un item satisfaisant ses besoins à un niveau donné. D’un côté, les items considérés comme surpuissants à un niveau inférieur, sont sans intérêt à un niveau supérieur, donc le désir est de plus en plus difficile à assouvir (utilité marginale décroissante), et la probabilité d’obtenir des meilleurs items décroit fortement avec le niveau (rendements décroissant). Comme le modèle Classique, DII décrit donc un monde stable à long terme, où la satisfaction décroit à mesure de la progression infinie des richesses, et ceci par construction : c’est définitivement un monde de rareté, malgré la profusion de ce qui n’apporte plus aucune utilité.
D’où aussi l’avantage artificiel du recours aux autres et à l’échange : en réalité, le farming et les runs individuels , compte tenu des statistiques très restrictives, a une rentabilité extrêmement faible par construction, ce qui implique d’y passer des centaines d’heures pour un résultat parfois nul, compte tenu de la nature même des évènements probabilistes. Des évènements répétés à l’infini ne font pas augmenter la probabilité de toucher le jackpot, qui reste exactement la même à chaque essai, contrairement à une idée répandue : cela implique simplement que les espérances de gains moyens s’approchent des probabilités prédéterminées, et qu’une série d’évènements consécutifs ne donnant aucun résultat a une probabilité très faible, mais pas nulle. Or les individus répugnent à l’idée qu’une série d’évènements consécutifs très peu probable puisse survenir, ce qui les fait jouer au loto ou à la roulette, même s’ils perdent tout le temps. C’est ce qui fait que des joueurs de très haut niveau rejouent sans cesse à Diablo, et voient très rarement leur voeux exaucés.
D’où l’impossibilité pratique pour un joueur seul de rassembler un set unique complet, par exemple, et la nécessité de recourir à l’hôtel des ventes pour espérer y parvenir.
Le commerce permet donc aux moins chanceux d’obtenir ce qu’ils pensent « mériter » au bout d’un certain temps de jeu, souvent très long, et corriger ainsi une « injustice », qui à défaut d’être réelle, est ressentie comme telle.
-Diablo comme synthèse du capitalisme : valeur d’échange contre valeur d’usage
Et là où effectivement le modèle de Diablo atteint son paroxysme, c’est qu’il implique le recours à la main-d’oeuvre abondante et pas chère, à savoir les "farmers" chinois constituant une nouvelle forme d’esclavage dont le capitalisme nous a depuis longtemps accoutumé. Cependant, le fait de trouver spontanément choquant la mobilisation de ressources réelles - du travail réel fourni par des gens en l’état de dépendance à des moyens de subsistance réels - pour produire du "vent", ici des bouts de codes numériques, révlèle une profonde incompréhension du modèle libéral de marché. Ce modèle s’interdit de juger ce qui doit ou pas être produit : ce qui compte c’est l’existence d’une demande solvable pour un bien ou un service donné.
S’il existe, du seul fait d’une mécanique de génération aléatoire d’items - créant une rareté absurde en elle-même - dans un jeu vendu à des millions d’exemplaires dans le monde par la filiale d’une firme multinationale, une demande solvable justifiant de faire tourner un logiciel fondamentalement basé sur la fonction pseudo-aléatoire RAN (pour randomize), alors il est rationnel d’allouer des ressources et du travail à ce type d’activité. Les farmers chinois ne font pas autre chose que faire tourner un logiciel par une série d’imputations infinies, ne produisant pas autre chose qu’une série de codes prédéterminés. On peut faire la même chose en jetant à l’infini des dés. On pourrait se dire qu’il serait peut-être plus rationnel d’utiliser le pouvoir calculatoire des ordinateurs dans le monde pour procéder à des simulations à application scientifique (généthon, etc...), mais ce n’est pas le problème du modèle néo-classique de marché.
Le capitalisme est en ce sens typiquement producteur de valeurs d’échange (ce qui peut être revendu pour acheter autre chose) et seulement accesoirement producteur de valeurs d’usage (ce qui est intrinsèquement utile aux hommes). Le farming et le transfert de monnaie virtuelle en monnaie réelle pour « acheter » des bouts de codes déjà présent dans un code, puisque généré par celui-ci, en est une illustration flagrante.
-Diablo et la formation spontanée d’une monnaie :
Il aurait été intéressant aussi de noter que le problème de l’inflation monétaire a été très tôt résolu par les joueurs en ligne de DII - l’or étant une ressource monétaire infinie dans le jeu, sa dévaluation inévitable a fait qu’il a rapidement été abandonné comme outil de transaction.
Là aussi, un phénomène parfaitement émergent dans DII- c’est-à-dire non décidé par personne en particulier, à commencer par Blizzard - a peu à peu imposé un item rare , la "Pierre de Jordanie"(SOJ), comme base de la monnaie. On est typiquement dans le modèle de la "bonne" monnaie qui chasse la "mauvaise" (cas de la dollarisation de certaines économies à monnaie nationale très dévaluée, du fait de l’hyper-inflation) : ce modèle prédit ce qui se passe en réalité, c’est-à-dire que la monnaie est une convention dont la première fonction est sa stabilité comme réserve de valeur, comme dans l’économie réelle.
Et que lorsqu’elle est inapte à remplir cette fonction, elle disparaît en tant que monnaie : c’est le cas des pièces d’or dans Diablo.
La différence ici est que ce n’est pas le "prince", ici Blizzard, qui en frappant une monnaie officielle de son sceau aurait imposé une monnaie, mais les joueurs eux-mêmes, sans coordination, par une sorte de convention tacite. Une fois qu’un consensus est établi, il s’impose et il est impossible de revenir en arrière.
Le problème est que des programmes de hack ont tôt fait de dupliquer ces items, et le marché de DiabloII fut rapidement envahi de fausses SOJ, dont il était difficile de connaitre l’authenticité a moins d’entrer dans le code. Blizzard a été contraint de manière répétée de fermer les comptes soupconnés de receler des "dupes", ces items dupliqués, mais d’une manière extensive qui a pénalisé aussi des propriétaires d’items authentiques. L’économie de DII était en ce sens plutôt cahotique et incertaine, la durée de jeu faisant que, même en dehors de la triche, les SOJ perdaient aussi de leur valeur irrémédiablement au fur et à mesure des milliards d’heures de jeu cumulées.
-Les « fondamentaux » de la valeur dans Diablo et dans l’économie réelle
Une autre analogie avec les modèles économiques réside dans le fait que les statistiques d’apparition des items uniques sont entièrement prédéterminées : il est donc parfaitement possible d’établir les prix relatifs à l’avance, comme simple inverse de rapports de probabilités d’apparition, les items les plus rares étant logiquement les plus chers. Ce systême déterministe est une parfaite illustration du modèle néoclassique walrassien de prix, où les conditions techniques, et donc les raretés relatives des biens sont connues à l’avance, comme s’il existait une valeur fondamentale et déterministe aux biens : c’est ce que les économistes orthodoxes appellent pompeusement les fondamentaux, or la dernière crise financière a définitivement rappelé qu’un tel concept ne s’applique pas à l’économie réelle. Il n’existe en économie réelle aucun « fondamental » de la valeur, mais une série de conventions plus ou moins stables au cours du temps. La valeur d’un bien dépend de la valeur que les autres accordent à ce bien, qui dépend elle-même de l’anticipation que chacun a à propos des anticipations des autres : c’est donc une notion circulaire attachée à aucune caractéristique définie extérieurement, comme l’a très bien démontrée A. Orléan.
Or dans Diablo comme dans le modèle standart, la valeur est prédéterminée par la rareté relative des biens et l’état des préférences, qui sont donnés a priori, ce qui implique qu’elle peut être connue à l’avance, ce qui est parfaitement irréaliste. C’est aussi d’ailleurs en quoi ce modèle est une fiction, puisque dans l’économie réelle, la frontière des techniques évolue de façon endogène, ce qui fait qu’il est impossible d’évaluer des biens non encore produits à l’avance. D’une certaine façon le modèle orthodoxe explique bien mieux l’économie de Diablo que l’économie réelle.
- Remarques finales à propos de l’obligation du jeu en ligne dans DiabloIII : de l’utilisation raisonnable de la triche pour « finir » un jeu
Une grande différence entre DII et DIII réside dans l’obligation de jouer en ligne pour ce dernier, y compris pour une aventure en solo. Comme on l’a dit, à partir d’un niveau élevé, le seul motif du jeu reste la "chasse au trésor", en multipliant les run dans les niveaux où les probabilité d’items uniques sont non nulles, tout en restant très faible. Le génie des concepteurs de DII est d’avoir volontairement programmé des probabilités extrêmement faibles pour les items rarissimes, ce qui fait que le jeu récompense très rarement les joueurs de ce point de vue à très haut niveau, et lorsque le joueur est récompensé, sa satisfaction est momentanément décuplée, mais temporaire. Or ce principe finit sérieusement par lasser à la longue.
Le gros avantage pour un joueur solo de DiabloII à la fin du jeu, qui avait épuisé toutes les mécaniques du jeu, est qu’il autorisait la triche, par le biais d’éditeurs tiers du type ATMA, permettant l’importation d’items entre personnages d’un même joueur, et même carrément la création directe à partir des codes hexadécimaux. Pour un joueur qui a fait le tour des persos, cela permettait au moins de s’échanger à soi même des items entre persos (auto-muling) sachant que l’apparition d’une arbalète rarissime avait 5 chances sur 6 de se produire pour un personnage d’une classe n’en n’ayant pas l’usage.
Si le recours à l’édition n’a évidemment aucun intérêt en début de jeu, cela pouvait permettre un déblocage des items en fin de jeu pour le simple plaisir de tout tester avant de ranger définitivement la boite, sans tuer des heures de temps en « Meph run » ou autre « Baal run », opérations répétitives et parfaitement assommantes : après tout, un joueur solo n’engage que son propre plaisir et peut bien faire ce qu’il veut, sans forcément devoir mobiliser de la main-d’oeuvre chinoise pour prolonger une expérience video-ludique...
Car, comme on l’a vu, le profil type du joueur de long terme de ce type de jeux est basé sur le sentiment d’incomplétude, celui de ne pas avoir épuisé totalement ce que le jeu avait à offrir. La meilleure preuve est que ce jeu dispose de la rejouabilité la plus élevée au monde, et que des joueurs sont prèts à payer en monnaie réelle pour assouvir ce désir de complétude.
En effet, selon ma propre expérience, si on se contentait de progresser bêtement dans l’histoire au cours des trois niveaux, Normal, Cauchemar et Enfer, sans multiplier artificiellement les run, on finissait toujours le jeu au niveau "Enfer", avec un équipement assez minable, les stats des items d’élite étant extrêmement restrictives. On avait donc maîtrisé 100% du jeu, en ayant paradoxalement trouvé 2 ou 3 items uniques...au mieux. La caractéristique de ce jeu est paradoxalement qu’il ne fait que commencer réellement que lorsqu’on l’a fini...et cela peut durer indéfiniment.
La pseudo-triche et l’édition en solo grâce aux logiciels tiers permettait ainsi tranquillement d’en finir avec l’infinissable, de s’amuser encore un peu avec un énorme gros-bill quasi invincible avant de passer définitivement à autre chose, puisque pour le coup, on était certain de ne plus progresser.
En forçant le mode solo en ligne dans DiabloIII, de telles manipulations sont devenues impossibles, et Blizzard s’est réapproprié la maitrise de l’incomplétude inhérente au jeu, en disant au joueur que si il veut vraiment profiter de ce que le jeu a à offrir de meilleur, à savoir les super équipements, soit il devra continuer à jouer indéfiniment en comptant sur sa bonne étoile, soit il devra passer à la caisse. Pour les nombreux joueurs, qui dans le cas d’un jeu aussi culte et apprécié que cette licence, ne parviennent pas à résister à cette pulsion de maitrise et de complétude, Blizzard a ainsi réussi à rétablir un lien de dépendance absolue.
C’est d’autant plus paradoxal que les biens ainsi tant convoités n’appartiennent pas et n’appartiendront jamais au joueurs, la contrat de licence finale de l’utilisateur stipulant que l’ensemble des informations logicielles (le code) reste la propriété exclusive de l’éditeur.
Jamais une firme du secteur des industries culturelles n’avait réussit à établir un tel lien de soumission volontaire avec sa clientèle avec des jeux comme Diablo ou Wow : en ce sens il s’agit effectivement d’une innovation marchande inédite, comme seul le capitalisme contemporain sait en créer.
Martin Lefebvre # Le 27 mai 2012 à 21:31
Etienne, tu ne voudrais pas qu’on mette ton commentaire en page et qu’on en fasse un article ? Ce serait plus facile de te lire comme ça. :)
Tes remarques sur Diablo II sont évidemment justes, mais je n’ai pas pu ou su entrer dans les détails faute d’y avoir joué à l’époque, où j’avais de toutes autres préoccupations.
Pour ce qui est de la bonne monnaie, la question se posera sans doute différemment dans DIII, puisqu’avec WoW Blizzard a acquis un réel savoir faire pour créer des money sinks, et que le jeu sera évidemment patché de près. Mais je pense que les gemmes, dont les plus puissantes sont extrêmement rares et nécessitent d’être craftées vont très vite devenir une valeur refuge, même si comme WoW l’a montré Blizzard ne craignait pas de remettre quasi à zéro l’économie si pas à chaque patch majeur, du moins à chaque extension.
« Cependant, le fait de trouver spontanément choquant la mobilisation de ressources réelles - du travail réel fourni par des gens en l’état de dépendance à des moyens de subsistance réels - pour produire du "vent", ici des bouts de codes numériques, révlèle une profonde incompréhension du modèle libéral de marché. Ce modèle s’interdit de juger ce qui doit ou pas être produit : ce qui compte c’est l’existence d’une demande solvable pour un bien ou un service donné. »
Oh je ne pense pas que ce soit de ma part une incompréhension du modèle libéral, et le choc n’est pas celui de la surprise (même si tout en connaissant un phénomène, il est courant qu’on soit choqué de constater de visu pour ainsi dire ses effets). C’est plutôt que le jeu, par son aspect virtuel (sans entrer dans les détails), tend à dévoiler les mécanismes avec une horrible limpidité. Si le libéral pourra arguer qu’après tout il vaut mieux pour un individu farmer dans WoW que crever de faim a la campagne, il aura un peu plus de mal à montrer l’utilité réelle du travail effectué.
Pour le formuler autrement, et aussi horrible que cela soit, il me semble qu’il y a un degré entre un esclavage qui permettrait de bâtir les pyramides et un autre qui consiste à "brasser du vent", quelque chose comme le pas entre le cynisme et la cruauté ? C’est évidemment discutable.
Jaykera # Le 28 mai 2012 à 07:52
Vraiment très intéressant. Pour ma part, j’ai rangé DIII dans sa boîte après avoir fini le mode nightmare.
Je trouve que deux éléments s’opposent terriblement : le plaisir de jouer pour looter et la quasi obligation de passer par l’auction house pour avoir un stuff décent.
De ma propre expérience, au lvl 51, j’ai doublé mon dps en achetant trois pauvres piéces à l’AH. Ca casse sérieusement le moral et le plaisir de looter...
Comment continuer à prendre plaisir â farmer quand on sait que tout est fait pour qu’on passe par l’AH ?
Steph # Le 28 mai 2012 à 09:00
@etienne : j’apprécie le travail fourni, et pour ma part je rejoins Martin. Ca ferait un très bon article.
Si je peux me permettre de vous demander (à vous d’ailleurs) s’il est possible d’ajouter quelques renvois ? Histoire de pouvoir vous suivre ? J’ai bien pigé qu’il était question de la richesse des nation pour etienne à certains endroit, mais en ce qui concerne Orlean, ou faut-il regarder ?
Enfin arrêtez moi si je me trompe, mais ce type d’analyses n’est pas une nouveauté (notez que ça n’enlève rien à la qualité de vos productions) vous pourriez nous donner d’autres références (je me souviens d’un truc sur Mario comme exploitation et pillage des ressources) ? Bref, un post-scriptum "pour aller plus loin" serait le bienvenue
Martin Lefebvre # Le 28 mai 2012 à 09:45
Pour Orléan, je pense qu’il s’agit de ce livre : http://www.lemonde.fr/idees/article...
Je ne l’ai pas lu, mais ça m’intéresse, j’ai du retard à rattraper en culture économique. Par contre, à lire les réactions, les "classiques" ont tendance à dire que le bouquin caricature leur position... A voir si c’est de bonne foi, je le prendrai sans doute dans les jours qui viennent.
Pour Mario et le "pillage", tu penses peut-être au papier classique de Henry Jenkins et de Mary Fuller (spécialiste de la litté du 16 ème si je ne me trompe) : http://www.stanford.edu/class/histo...
Drup # Le 28 mai 2012 à 17:25
Désolé, ce post risque d’être violemment hors-sujet ! En plus, vous me lancez sur un mauvais sujet, je pourrais en parler assez longtemps.
Je souhaite détailler un peu mon avis sur l’aspect MMO du titre. De plus, et pour ne pas avoir à y revenir plus tard : Laurent, ce n’est pas parce que tu joues a un jeu multi de façon solo que ce jeu est solo. ;)
Pour moi, l’aspect MMO d’un titre est une conséquence du besoin de coopération entre joueurs, voir entre beaucoup de joueurs.
Cette coopération permet de construire des interactions sociales et d’impliquer les joueurs dans des actions de groupe. Je parle ici de groupe de jeu, pas de groupe de connaissances comme les guides.
C’est non seulement l’aspect "multijoueur" mais également l’aspect "massivement" : sans besoin de coopération, il n’y pas de raison de se mettre à beaucoup : en effet, dépassé un certain nombre de personne, il faut s’organiser, se répartir les tâches de façon complexe, etc : ça devient compliqué. S’il n’en à pas le besoin, le joueur va éventuellement former des petits groupes (moins de 10 personnes), jamais des gros.
Dans diablo 2, il n’y aucun besoin de coopération, on peut tout faire seul. Le jeu en groupe est évidement bien plus amusant, mais n’est jamais nécessaire. Même le power leveling, qui permet de faire progresser un personnage faible à l’aide d’un plus fort, peut se faire seul, il suffit de 2 comptes ...
Dans Wow, comme donné en exemple, il y a parfois besoin de coopération, en particulier pour les instances. Nous parlons donc ici de groupe d’une trentaine de personne. On est très loin du "massivement", j’y reviens plus tard, mais c’est tout de même plus que la limite évoquée plus haut.
Et dans diablo 3 ? Et bien exactement comme dans diablo 2, il n’y a pas besoin de jouer en groupe. En fait, vu la modification de difficulté lors de jeu en groupe, il est même plus simple de jouer seul. Le seul besoin est celui de passer par l’AH, mais ce n’est pas nécessaire (juste beaucoup plus rapide) et pas différent des forums de d’échange du vénérable Diablo 2.
D’ailleurs, si Blizzard mettait en vente des objets aléatoires, ça ne changerait rien.
Un autre point que je considère important dans un MMO est le monde persistant. Attention, je parle de monde persistant, pas d’économie persistante. l’économie est une part du monde, certainement pas la totalité. Je ne parle pas non plus du personnage-joueur qui gagne des niveaux et de l’équipement, celui évolue dans le monde (supposé persistant), mais il n’est pas partagé entre les joueurs.
Wow est très loin d’être un bon exemple, mais il possède tout de même, il me semble, des territoires conquérables, archétype du monde persistant.
Diablo 2 comme 3 ne possèdent par la moindre once de persistance : les boss réapparaissent à volonté, les donjons se remplissent de nouveau, même les quêtes peuvent être "rembobiner". L’action de mon voisin n’a strictement aucune influence sur moi. Même mes propres actions n’ont que très peu d’influence sur ma prochaine séance de jeu !
J’entends déjà l’assistance me souffler "Ouai mais dans Wow aussi je peux re-trucider les boss et refaire les quêtes, c’est instancié !".
Oui, et c’est là ou je commence à être fâché avec la plupart des MMO.
Qu’est ce qu’une instance ? C’est un moyen, dans un jeu à univers persistant d’isoler le joueur dans son univers à lui, afin qu’il puisse, par exemple, refaire le portrait à un boss mondialement connu de son coté tandis qu’un autre joueur fait exactement la même chose dans son autre univers personnel.
En résumé, c’est un bout de jeu solo (ou faiblement multi) dans un jeu massivement multi. C’est vraiment une mécanique de MMO ça ?
La même remarque vaut pour les quête, réflexion en partie développée dans un excellent article de ce site (comme tout les articles de ce site d’ailleurs !).
Tout ceci m’amène à penser qu’il y a degré de MMOisation (odieux néologisme, je suis ouvert aux suggestions, meuporgisme, peut être ?). Diablo 3 est peut être tout en bas de l’échelle, Wow n’est pas beaucoup plus haut. Tor se situant entre les deux.
Je connais mal les "vieux" MMO tel qu’Ultima online, mais actuellement et dans les limites de mes connaissances vidéo-ludique, Eve online est, et de très loin en haut de l’échelle.
Je suis d’accord que diablo 3 est, pour un hack&slash, peut être aussi MMO qu’il aurait pu l’être (quoique Slage soit relativement prometteur de ce point de vue, malgré ces $^ù%& d’instances).
Pour terminer, je ne pense pas qu’un jeu à au plus 8 joueurs sur le même serveur avec système d’échange centralisé et anonyme soit plus MMO qu’un jeu à au plus 8 joueurs en LAN avec forum d’échange et envoie de perso-mule par mail. Au contraire d’ailleurs, les hotels de ventes anonymes n’encourage pas vraiment les interactions sociales.
# Le 30 mai 2012 à 18:49
@M. Lefebvre : aucune objection pour faire de mon post un article, puisqu’il était volontairement structuré au départ sous cette forme. :)
Je suggèrerais juste pour une meilleure compréhension les corrections suivantes :
remplacer le premier § :
"Très bon article, qui démontre bien l’homologie entre ce jeu et les mécanismes de marché, sujet passionnant que je propose d’approfondir ici. La compréhension nécessite une certaine maitrise des théories et mécanismes fondamentaux des sciences économiques, en particulier du modèle dominant...désolé."
par
"L’article de M. Lefebvre http://merlanfrit.net/Politique-du-loot démontre très bien l’homologie entre ce jeu et les mécanismes de marché, sujet passionnant que je propose d’approfondir ici. La compréhension nécessite une certaine maitrise des théories et mécanismes fondamentaux des sciences économiques, en particulier du modèle dominant...désolé."
et mettre en note les références suivantes, écrites en italique, puisqu’elles ont été réclamées :
à la phrase :
" la relation entre division du travail et nécessité de l’échange mise en évidence par Adam Smith en 1776"[note#1]
[note#1] A. Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations", 1776, http://fr.wikipedia.org/wiki/Recher...
à la phrase :
"c’est donc une notion circulaire attachée à aucune caractéristique définie extérieurement, comme l’a très bien démontrée A. Orléan."[note#2]
[note#2] "L’empire de la valeur. Refonder l’économie", par André Orléan
Le Seuil, 2011, 347 p.
Sinon, pourrais-tu m’expliquer ce que sont les "money-sinks" ?
Ce qui était intéressant dans le choix spontané des SOJ comme monnaie déchange dans DII, c’est qu’elles reflétaient un sorte de rationalité procédurale spontanée, en n’étant ni trop rares ni trop abondantes. Cependant, d’après mon expérience, la SOJ était en réalité trop rare pour devenir une monnaie durable, et je pense que c’est sa duplication artificielle par les hackers qui a permis de favoriser son abondance (je n’en n’ai jamais trouvé dans le jeu).
La monnaie doit à la fois être une "reserve de valeur" ET sffisamment abondante pour être accessible à tous comme moyen de paiement : je n’ai pas le souvenir que les runes ultra-rares de DII LOD soient devenues des formes monétaires dans le jeu.
Contrairement à ce que tu sembles suggérer, dans le monde réel, la monnaie est tout sauf une "valeur refuge" absolue : c’est sa relative abondance et son pouvoir "liquide", c’est-à-dire sa capacité à être convertie en n’importe quel autre bien qui lui confère son statut. Le succès des monnaies métalliques (or et argent) dans l’histoire économique, jusqu’à l’émergence des monnaies fiduciaires (les billets), s’explique avant tout par leur relative abondance (notamment du fait de la découverte de l’Amérique et des gisements d’or).
Dans le jeu, c’est cet équilibre entre abondance relative et rareté relative qui est intéressant dans le choix spontané de la SOJ par la "communauté" de DII.
Un bien trop rare ne peut obtenir le statut de monnaie, car cela bloquerait les échanges. Un bien trop abondant non plus car sa dépréciation serait trop forte au cours du temps. C’est un équilibre.
En outre, les "resets" monétaires imposées par les patchs me font penser au concept de "monnaie fondante" http://fr.wikipedia.org/wiki/Monnai... proposé par certains théoriciens, qui aurait l’avantage d’empêcher l’accumulation excessive propre au capitalisme et les phénomènes d’endettement : il s’agirait d’une remise à zéro périodique de la monnaie, mais difficilement applicable dans l’économie réelle fondée sur l’accumlation du capital (il n’y aurait plus aucun motif à épargner ni à investir).
Enfin, quand à l"’esclavage" dans ses formes capitalistes contemporaines, il s’agit là d’une question absolument fondamentale, et je suis totalement en désaccord avec toi : aucune finalité, aussi grandiose soit-elle (les pyramides) ne peut justifier l’exploitation de l’homme par l’homme. Ce n’est pas la finalité de l’activité qui est pertinente pour mesurer ce degré d’exploitation : c’est l’exploitation en elle-même qui est intolérable.
Ce qui est intéressant dans l’histoire, c’est la dichotomie "valeur d’échange/valeur d’usage" du capitalisme : peu importe ce qui est produit, à partir du moment où cela répond à une demande solvable qui rend l’activité profitable.
L’"horrible limpidité" dont tu parles n’est pas une nouveauté : elle apparaît dès que tu achètes une paire de chaussures, des vêtements ou un smartphone...les JV n’apportent rien de neuf, ils ne font qu’accentuer le trait. J’aurais même tendance à dire que l’exploitation du "farmer" chinois doit sembler douce au regard des ouvriers et ouvrières textiles des "sweatshops" indiens et chinois.
D’autant plus que l’"esclavage moderne" n’est pas l’apanage du travailleurs chinois : réfléchis aux valeurs d’usages de métiers comme "directeur commercial", "directeur du marketing" ou encoe "webdesigner", et tu verras que la "cruauté" dont tu parles s’applique de façon universelle au capitalisme contemporain, comme créateur de "valeurs d’échange" totalement séparées des "valeurs d’usage". Le fait que ces gens-là soit biens payés et vivent confortablement ne change en rien leur condition aliénée : la finalité générale et aveugle du capitalisme contemporain est de canaliser l’ensemble des énargies humaines vers des finalités sans rapport avec une quelconque amélioration de la vie humaine, au seul prétexte de produire de la valeur d’échange. L’idéologie libérale est juste là pour nous rappeler de façon incessante que tout cela est dans l’ordre des choses...
Martin Lefebvre # Le 30 mai 2012 à 19:01
Tu peux me contacter par mail : [email protected]
Pour les money sinks, j’ai linké une défintion dans l’article : ce sont tous les frais (réparations, voyage, compétences, craft, commission d’HV) qui permettent de détruire de l’argent afin de réduire un temps au moins l’inflation.
Dans WoW, les montures épiques sont un bon exemple, quand tu payes plusieurs milliers de PO pour acheter le droit d’en avoir une, c’est autant de masse monétaire en moins.
Les réparations sont intéressantes dans la mesure où elles sont des money sinks dynamiques : plus ton équipement est haut niveau, plus il coûte cher.à réparer D’ailleurs un temps au moins (je ne suis plus le jeu depuis plusieurs années) les raideurs étaient obligés de farmer (ou d’acheter de l’or) pour se payer la réparation de leur équipement épique afin de pouvoir continuer à raider.
Hubert # Le 31 mai 2012 à 15:18
Merci pour cet article très intéressant. Je me permet d’ajouter quelques précisions, tirées de mon expérience (et de centaines d’heures) de Diablo 2.
La "Stone of Jordan" (SoJ) est effectivement devenue (un temps) la monnaie non-officielle des échanges de Diablo2. Plusieurs raisons à cela, selon moi :
1) la SoJ est un objet relativement rare (très faibles chances d’en trouver en jouant normalement),
2) c’est un objet (plus ou moins) utile à toutes les classes de personnage,
3) la SoJ est un anneau, qui n’occupe donc qu’une seule case d’inventaire. Il est facile d’en stocker en quantité.
Cependant, cet état de fait a été complètement modifié par l’arrivée du patch 1.10 (en 2004). Ce patch a en effet introduit un grand nombre de nouveaux "mots runiques" : des objets à créer en sertissant une série de runes dans le bon ordre dans une arme, armure,... Parmis ces objets, un certain nombre sont rapidement devenus des incontournables, tel le mot runique "Enigma" qui donne au porteur la compétence de se téléporter (compétence normalement réservée uniquement aux sorcières). Evidemment, les mots runiques les plus puissants requièrent les runes les plus rares. Pour donner une idée, un joueur va statistiquement trouver plus de 100.000 exemplaires de la rune la plus courante dans le temps qu’il mettra pour trouver un exemplaire de la rune la plus rare.
Avec l’apparition de ces nouveaux mots runiques, les runes sont devenues la nouvelle monnaie de Diablo 2. En effet, elles offrent les mêmes avantages que la SoJ, avec l’avantage supplémentaire d’être naturellement divisées en niveaux de raretés. Qui plus est, le jeu permet de convertir des exemplaires de runes de niveau inférieur (moins rares) en runes de niveaux supérieur (plus rares). Il est donc possible d’établir des correspondances précises du type 2 runes Ist valent 1 rune Gul, 2 runes Gulvalent 1 Vex, etc.
Concernant les money sinks, il est intéressant de noter que Blizzard en avait déjà introduit dans Diablo 2 en réaction aux duplications illégales de SoJs. Depuis le patch 1.10, la vente d’un certain nombre de SoJs aux marchands du jeu déclenche un "world event", l’apparition d’une version plus puissante de Diablo. Cet "Uber Diablo" est le seul monstre du jeu qui permet de récupérer le charme Annihilus (assez puissant, cela va sans dire).
Je n’avais jamais vraiment réfléchi à Diablo (et aux jeux en ligne en général) en terme d’économie. C’est assez intéressant en fait. J’attends de voir ce que ça va donner pour Diablo 3.
Franki # Le 1er juin 2012 à 03:32
L’article est très intéressant, attention de ne pas confondre néo-socialisme avec néo-libéralisme.
Merlin # Le 2 juin 2012 à 01:04
Bravo,
Rien lu d’aussi intelligent sur le vidéo-ludique depuis un bout un temps... /clap
Pour apporter ma pierre à l’édifice il est a noté que dans diablo3 aucun système favorisant le regroupement des joueurs n’existe (guilde ou groupe) et que les relations sont strictement encadrées. On change d’instance et de collègues de loots comme de chemise. Le seul et unique but étant de devenir le stakhanoviste épique des couloirs hantés d’un donjon déjà farmé de multiple fois (il faut refaire le jeu plusieurs fois et tuer Diablo en chain pour espérer décrocher ce titre glorieux).
Il faut croire que le travail à la "chain" manque aux prolétaires vidéo-ludiques en mal de reconnaissance...
Hypérion # Le 12 juin 2012 à 10:36
Plus besoin de se prendre la tête, y a une technique pour dupe l’or en ce moment ;)
source et explications : http://www.kaegys.com/diablo-3-comm...
Foetuss # Le 20 juin 2012 à 16:04
Ce n’est qu’un jeux, blizzard n’impose pas l’hôtel des ventes, il n’est pas indispensable, d’ailleurs il l’est encore moins avec la nouvelle mise à jour, pourquoi se poser ces questions que maintenant, project entropia (2003) pour ne citer que lui repose entièrement sur de l’argent réel, on dirais que certains découvrent avec diablo 3 l’aspect jeux/online/argent réel, qui existe depuis, je dirais pour ma part, ultima online (1997) !
Valfen # Le 21 juin 2012 à 14:44
Cet article et sa réponse sont tout à fait passionnants, forts bien écrits, et restent globalement dans une objectivité de bon aloi, ce qui est agréable vu les réactions que suscitent ce jeu depuis sa sortie.
Seul point qui me chagrine, Blizzard lui-même affirme ici : http://us.battle.net/d3/en/blog/631... que l’équilibrage initial du jeu n’a pas été pensé en partant du principe que les gens utiliseraient l’hôtel des ventes.
Doit-on en déduire que Blizzard est un horrible hypocrite et nous ment sciemment, comme tout le monde semble vouloir le supposer ? Ou bien doit-on, après avoir jouer un peu en self-drop, discerner suffisamment d’éléments tendant à laisser penser que ce message est de bonne foi ?
Que Blizzard espère se faire de l’argent supplémentaire avec l’hôtel des ventes, bien sur. C’est même leur droit.
Que Blizzard espère porter un coup sévère à l’économie parallèle qui existe dans ce genre de jeu, c’est évident.
Que Blizzard, ayant affirmé le contraire, ait pensé le jeu pour encourager les gens à utilise l’hôtel des ventes, alors que les joueurs n’ont besoin d’aucune aide pour se sentir obligé d’en faire usage (les deux articles le montrent très bien, nul besoin d’aider les ressorts psychologique déjà à l’oeuvre), j’en doute fort.
Même si je me doute que cela n’arrivera probablement pas, il serait souhaitable que les gens accordent un peu plus de crédit à la notion de bonne foi (ou de présomption d’innocence, c’est selon).
Martin Lefebvre # Le 21 juin 2012 à 17:23
Le problème c’est que le jeu du loot n’est pas intéressant sans l’HV... On doit se contenter de drops pourris, et on n’a aucune chance de se constituer un stuff cohérent. Ca veut dire que les dévsde Blizzard ne savent pas designer un système de loot ? J’ai des doutes, personnellement.
Je veux dire c’est pas comme si le principe du jeu incomplet jusqu’à ce que tu mettes la main au porte-monnaie était nouveau... Les F2P fonctionnent comme ça, et leurs dévs ont beau jeu de dire qu’on peut jouer autant qu’on veut sans payer... C’est vrai en un sens, sauf que c’est tellement insupportable dans ces jeux que personne ne le fait.
Je ne dis pas qu’on ne peut pas finir le mode normal, voire nightmare de D III sans passer par l’HV... Mais en l’état c’est une stratégie totalement sub-optimale, donc soit c’est une bourde monumentale de GD, soit c’est voulu.
Les déclarations de Wyatt Cheng sont assez drôles remarque... On dirait qu’il ne comprend strictement rien à l’équilibrage d’un système de loot. :) S’il est de bonne foi, il est peut-être juste un peu, euh, limité ? Il parle du taux de drops d’objets de tel ou tel niveau, mais en fait c’est assez superficiel comme analyse, ce qui compte ce n’est pas de choper un objet avec un bon ilevel, c’est d’avoir une distribution statistique utile... et vu le côté aléatoire de la chose, ça rend l’HV indispensable.
Un truc assez étonnant c’est que leur beta ait été si limitée... Impossible de voir comment le marché évolue avec si peu de contenu. En même temps pas besoin d’être docteur en économie pour le prévoir.
Valfen # Le 21 juin 2012 à 20:32
Diablo 2 comme Titan Quest partageaient aussi cette caractéristique commune au genre du hack’n’slash, à savoir que 95% du loot n’a absolument aucun intérêt. Ce n’est pas nouveau, c’est inhérent au genre, et Diablo 3 n’y fait pas exception. Les gens ont l’air tellement prompt à vouloir l’oublier que parfois je me demande si on a joué aux mêmes jeux...
L’hôtel des ventes déforme la perception des joueurs de ce que constitue un bon loot, au point que ce qu’on y trouve en vient à être considéré comme la norme, alors que les objets en vente représentent probablement moins d’un ou deux pourcent des objets lootés par les joueurs. (et je suis à mon avis très généreux)
Je ne discute nullement le caractère optimal de l’hôtel des ventes comme stratégie d’équipement, ni l’attrait quasi-irrésistible qu’il peut exercer sur les joueurs. Peut-être même que Blizzard aurait du savoir anticiper ces aspects, mais je pense que beaucoup de gens abordent cette polémique par le mauvais côté en partant du principe que c’est délibéré.
Il est tout à fait possible, bien que ça puisse paraitre impensable, que ces aspects n’aient pas su être discernés (ou encore, effectivement, balayés comme inévitables, mais avec un équilibrage volontairement fait en partant du principe du self-drop/échange entre amis pour ne pas pénaliser les joueurs), et on se retrouve donc avec un procès d’intention là où il n’y a peut-être qu’une énorme erreur de jugement - et l’histoire abonde de ce genre d’évènements, qu’on ne vienne pas me dire que c’est impossible. C’est seulement improbable, ce qui est ironiquement approprié au propos, non ?
Ce qui est formidable, c’est que ça n’invalide pas du tout la passionnante analyse des aspects économiques et des ressorts psychologiques de Diablo 3 et des jeux futurs qui emprunteront une route similaire. :)
Rikkhunter # Le 22 juin 2012 à 05:09
Article qui pourrait être intéressant, qui soulève des points intéressants mais qui perd toute crédibilité en employant le mot "libéralisme" à tout va.
L’auteur devrait aller consulter la définition d’une économie libérale et il verra après environ 1/10 ème de seconde de réflexion que dire que Diablo 3 est une "utopie libérale" est une ineptie sans nom.
Il n’y a aucune concurrence dans cette économie. Blizzard est omnipotent (= état omniprésent = léviathan). C’est donc l’opposé du libéralisme.
Merci de rectifier le tir et d’éviter à l’avenir de continuer à propager toute une série de contre-vérités sur le libéralisme qui est décrié alors qu’il est totalement méconnu
BBronx # Le 22 juin 2012 à 12:28
Je tenais juste à soulever quelques points appréciable.
Nous ne verrons plus de site avec des achats d’item avec ALLOPASS, Désormais ce ne sont plus des joueurs asiatique qui joue 14 heures par jours 7j/7J pour nous vendre des biens avec un patrons qui en tire seul des bénéfices.
Actuellement même si blizzard en taxes ces transactions, elles ont lieux entre joueur et non plus entre joueur et esclave des temps moderne.
Par la suite, simplifier les transactions au seins du jeu aura apporté Que l’excellence est à porté de tous, plus besoin de bot ou de jouer de façon abusive pour arriver a un équipement correct.
Par ailleurs il n’y aura plus d’abus et d’escroquerie, Les items on une valeur moyenne clairement appréciable.
Sinon je trouve les marge prise par Blizzard sont trop importantes :-)
Martin Lefebvre # Le 22 juin 2012 à 18:23
@Rikkhunter
Il ne te semble pas que la constitution de marchés privés est la conséquence logique du libéralisme ? Ca me paraît pourtant découler assez clairement de l’intérêt des actionnaires (qui veulent le retour maximum sur investissement), et être totalement dans la logique du marché à partir du moment où il y a des clients. A la rigueur le capitalisme traditionnel se satisfait très bien d’un ROI de quelques %, mais l’ultra-libéralisme financiarisé veut du 10-15 % mini sinon ça ne vaut pas la peine... D’où la pression incessante pour le profit, y compris en menaçant la perspective à long terme.. dont les actionnaires se moquent. D’ailleurs selon une rumeur récente Vivendi chercherait à vendre Acti-Blizz maintenant que la valeur est haute : la multinationale veut se repositionner différemment et a besoin de cash.
Après, évidemment que Blizzard est en position régalienne. Cela tient d’abord à une tendance inévitable du capitalisme qui va faire que les acteurs qui ont les moyens de contrôler les marchés vont le faire. Pourquoi non, s’il en va de leur intérêt économique ?
Ensuite, de manière générale, le libéralisme de marché me paraît parfaitement soluble dans l’autoritarisme (la Chine est un bon exemple), alors que c’est plutôt difficile de le faire cohabiter avec la démocratie en période de crise (voir le TCE ou la Grèce pour des exemples récents). Le gros problème de la pensée libérale c’est qu’elle n’est pas capable de résoudre ce paradoxe : pour que le marché fonctionne, il faudrait que les agents soient tels que la théorie le souhaite, et qu’ils soient pour le marché, or ce n’est visiblement pas le cas, même quand les enjeux sont ultra simplifiés comme dans un jeu vidéo.
Enfin, Blizzard est l’auteur du jeu. De la sorte, il se place dans une position surplombante de démiurge, qui en un sens ne participe pas au marché, mais le crée, ses décisions font en quelque sorte force majeure. L’utopie ne se situe pas dans la position de Blizzard, mais dans la structure de l’oeuvre — de la fiction — qui nous est présentée par le développeur, où toutes choses égales par ailleurs, le marché est libre.
Eidolon # Le 23 juin 2012 à 14:23
@Martin : je crois qu’Hayek n’avait pas ce problème : "Ma préférence personnelle va à une dictature libérale et non à un gouvernement démocratique dont tout libéralisme est absent". La constitution de la liberté
Ensuite, n’oubliez pas le marché fonctionne toujours. ;)
Martin Lefebvre # Le 23 juin 2012 à 16:13
En toute honnêteté, l’école de Vienne, c’est encore autre chose, il me semble. Mais oui, la formule de Hayek est au moins conséquente avec les présupposés qui sont les siens. :)
Jonathan # Le 24 juin 2012 à 14:55
Bonjour à tous,
L’article est très intéressant, tout comme la majorité des commentaires qui suivent.
Loin de vouloir polluer le sujet ou inciter les lecteurs à suive mon exemple, je souhaite apporter un point de vue tout à fait différent à l’économie Diablo III.
Mon point de vue, ainsi que mon expérience sont ceux d’un gold farmer. J’ai acheté le jeu un ou deux jours après sa sortie, et je suis certainement l’un des premiers joueurs à avoir attaqué le mode armageddon. La frustration du loot dont vous parlez (et qui semble être une facette du jeu à part entière), je l’ai vécue très rapidement dans mon expérience de jeu. Refaire des quêtes et des boss en boucle pendant des heures pour finalement ne jamais trouver l’équipement dont j’avais besoin pour avancer, ça me connait !
Direction donc l’Hôtel des ventes en or, et nouvelle déception : même en continuant de jouer autant, je ne serais pas capable de m’offrir l’équipement de mes rêves avant des jours et des jours... Tant pis, je vais donc me tourner vers l’Hôtel des ventes en argent réel, j’ai les moyens, si toutefois les vendeurs restent raisonnables sur les tarifs pratiqués. Non disponible...
Ancien joueur de WoW et habitué des messages concernant la vente d’or en jeu contre de l’argent réel, je me dit qu’il est certainement possible de m’équiper de cette façon. J’achète l’or à des farmers professionnels et je continue ma progression ! Et là, nouvelle frustration... 36€ pour un million de pièces d’or. Je possède moi-même six millions et cette arme qui me plait tant est à onze. Calcul rapide : 36€ x 5 millions manquants + 6 millions durement farmés = arme largement surévaluée ! En revanche, cet or que je possède déjà me semble tout à coup bien plus précieux... Et si ce site achetait de l’or afin de gonfler un peu ses stocks ? Un petit clic sur leur live chat, 30 secondes de discussion avec leur hôtesse et le montant est fixé : ils me reprennent mes six millions d’or pour 108 dollars US.
Très satisfait de ma transaction et plutôt fier de moi (ou de la valorisation que ce site à fait de mon temps de jeu), je me prépare donc à réitérer. Farm, contact avec un site de vente d’or, encaissement de mon argent. Je fais ma seconde vente deux jours plus tard, mais le prix de l’or a déjà chuté de 4$ au million. Et malheureusement cette chute ne s’arrête pas là.
J’ai donc très rapidement investi dans un logiciel d’automatisation du farm, ou "bot". L’argent gagné chaque jour m’a permis de racheter d’autres boites Diablo 3, afin d’augmenter le rendement. La demande en constante augmentation, ainsi que la chute quotidienne du prix de l’or m’ont poussé à en vouloir toujours plus. En trois jours, 8 comptes qui tournent à temps plein. C’est à ce moment que ma machine atteint ses limites... Qu’à cela ne tienne, Diablo m’a déjà assez rapporté pour m’offrir une machine plus performante.
Aujourd’hui j’ai monté deux machines supplémentaires, payées à 100% par le farm, et faisant tourner respectivement 12 et 16 comptes. Si on ajoute ma première machine que j’utilise également pour tout type de taches et qui ne fait tourner "que" 4 comptes, on arrive à un total de 32 comptes farmant 24/24.
Je ne suis absolument pas ici dans un quelconque but de vantardise ou d’incitation à violer les règles établies par Blizzard, et je ne citerai pas plus de chiffres concernant les revenus d’une telle pratique. Ce sont cette frustration et ces besoins créés volontairement par Blizzard dans le but de faire fonctionner leur "nouveau" modèle économique qui engendrent ce genre de dérives. Si les joueurs étaient auto-suffisants en matière d’équipement (sans parler d’équipement ultime, mais au moins pour continuer à jouer et progresser dans des conditions correctes), l’HdV n’aurait même pas de raison d’être, et les farmers non plus.
Eidolon # Le 28 juin 2012 à 12:21
Plusieurs années plus tard...
L’école de Vienne c’est encore différent de quoi Martin ? Si je peux me permettre de faire un reproche à l’article, c’est justement que si on en comprend bien la position générale : "D3 est l’incarnation des représentations libérales de la société", j’ai plus de mal à voir de quel libéralisme tu rapproches cette vision ci ce n’est pas le rapprochement avec ces deux idées : tout est convertible en argent et le marché assure pour ce qui est de répartir. Une espèce de vision minimale.
Pour le coup le système mis en place par Blizzard ressemble bien plus à cette vision - de part la force employée par le policier pour faire respecter les contrats, ban, etc. - que d’une sorte d’État minimal ou tout serait laissé à l’appréciation du marché.
Reste que ça valait le coup de faire ce genre de chose, ne serait-ce que pour les réponses qui ont été faites (même si ça donne l’impression d’avoir mis en route la machine à tirer du profit symbolique).
Martin Lefebvre # Le 29 juin 2012 à 20:12
@Eidolon : je ne suis pas hyper clair dans mon commentaire. Je veux juste dire que l’école de Vienne n’est pas forcément représentative de la doxa néo-libérale (comme peut l’être l’école de Chicago par exemple), même si on est d’accord que ça revient globalement au même.
Et encore une fois, dans mon analyse, qui se place au niveau intradiégétique puisque je parle de mythes, Blizzard n’est pas l’Etat, il est dieu.
Le libéralisme Etat minimal est par ailleurs une pure utopie, qui n’a a ma connaissance jamais été pratiquée tel que les libéraux l’imaginent (ou alors dans les jeux vidéo ;) ). L’anarcho syndicalisme a connu plus d’applications réelles pour tout dire.
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