12. Poisson frais

Evoland 2

Patchwork

Gagnant de la Ludum Dare #24, Evoland a eu suffisamment de retentissement pour sortir en version payante, agrémenté de quelques ajouts — la version originale est toujours jouable en ligne. Deux ans plus tard, Evoland 2, présenté comme une suite agrandie et surtout scénarisée, n’a pas connu le même succès, avec dix fois moins de ventes [1]. Pourtant, en s’éloignant de concept du premier, il est parvenu à aller au-delà du simple exercice de style.

Peut-être ce désintérêt relatif est-il lié à un titre trompeur. Alors que le concept du premier opus était d’améliorer petit à petit le jeu lui-même, Evoland 2 ne propose en fait aucune évolution, ou alors très rapidement réglée. L’action-RPG qui tapisse le jeu est posé dès les premiers moments et ne bougera que graphiquement. Sur ce canevas viendront se greffer différents genres — que l’on ne citera pas tous ici, leur découverte faisant partie du jeu — à peu près tous issus du même âge d’or de la SNES. On passe donc d’une exploration horizontale du jeu vidéo à son parcours transversal, dont le but est plus de toucher la fibre nostalgique que de donner une véritable leçon d’histoire vidéoludique.

Les références sont donc nombreuses. En fait, il n’y a que cela, puisque Evoland 2 n’invente volontairement rien et recopie tout. Chaque genre vient avec des éléments de gameplay immédiatement reconnaissables : si c’est de l’action-RPG, on peut évidemment couper tous les buissons ; si c’est un jeu de baston, on s’empressera avant toute chose de faire un quart-de-cercle-coup-de-poing . Cette syntaxe nécessite donc d’être un joueur aguerri pour pouvoir en profiter pleinement ; mais en réalité, il y a suffisamment à voir pour ne pas se sentir étranger. Ne connaissant par exemple pas pas le Professeur Layton, j’en ai personnellement manqué le clin d’œil, mais cela ne m’a pas empêché de résoudre les énigmes.

Pour autant, la parodie ne se fait pas envahissante. On n’est pas ici dans un film de Friedberg et Seltzer où but est simplement de caser une tonne de blagues à la minute. Ici, on prend le temps d’étudier chaque genre, généralement au long d’un niveau conséquent, avec parfois un peu de rab’ — sans compter l’action-RPG qui soutient l’ensemble. Finalement, on regrette les quelques séquences ludiques qui ne durent que le temps d’un boss.

Peut-être cela fait-il trop longtemps que je me suis éloigné des jeux console, mais je trouve la plupart des adaptations au moins aussi bonnes que l’original. Basiques, certes, mais reprenant tout ce qui a fait le succès des jeux de l’âge d’or de la SNES. Les graphismes sont jolis, la musique excellente. Le mode tactical-RPG par exemple semble simpliste, mais je m’y suis amusé bien plus qu’à travers le lourd Banner Saga, pourtant plus inventif. Façon de rappeler que les vieilles marmites font souvent de bonnes soupes.

Bien sûr tout n’est pas rose : sauter d’un mode à l’autre dérègle nécessairement la difficulté, ne serait-ce que parce que chaque joueur a ses faiblesses. De plus, certains genres alourdissent nettement le rythme. Parfois les développeurs s’en excusent explicitement : ainsi lors d’un horripilant passage de JRPG où l’un des personnages remarque que ces rencontres aléatoires sont assez pénibles, ce à quoi un autre répond que « certains méchanismes ont mal vieilli ». Mais surtout, on sent un net ralentissement vers la fin du jeu. Manque de temps, de budget ? Épuisement créatif ? En tout cas, il est probable que certains niveaux auraient gagné à un peu de variété — pourquoi y a-t-il à nouveau un plateformer dans le niveau des trolls, alors qu’un remake de Lost Vikings s’y prêtait particulièrement ?

Heureusement, le scénario a entre-temps réussi à happer le joueur. Comme tout le reste, il ne brille pas par son originalité : même monde à plusieurs époques — coucou Chrono Trigger — avec boucles et paradoxes à gogo, des catastrophes du futur qu’il faut empêcher dans le passé, le tout mâtiné d’une guerre entre humains et démons. Bref, le menu ordinaire de l’aventure RPG, narré de façon aussi bavarde que d’habitude. Mais ici aussi la leçon a été bien apprise : les personnages sont attachants, les conflits intéressants. Et c’est souvent drôle sans forcer la dose, ce qui est toujours appréciable.

Et surtout le scénario colle parfaitement au gameplay, les différentes temporalités symbolisant l’évolution graphique. Et c’est là la véritable surprise du jeu : ce qui devrait être un empilement de mini-jeux sans aucun lien se retrouve formidablement articulé une fois la manette en main. Chaque genre semble intervenir à bon escient, au bon moment, comme la pièce d’un puzzle vidéoludique. Le passage d’un style à l’autre se fait naturellement, justement parce que le classicisme de chacun permet la facilité de prise en main.

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Au moment où le jeu se délinéarise et se délite donc un peu, le joueur retrouve le plaisir d’une exploration en trois dimensions — deux pour l’espace, une pour le temps. L’occasion parfaite pour doter les PNJs d’une myriade de petites histoires en plusieurs temps. L’univers y gagne un véritable souffle : on prend plaisir à relier les époques, à chercher les liens entre personnages. En parallèle, l’inévitable jeu de cartes — encore une fois très simple, mais plus efficace que bien d’autres — fournit une autre excuse pour sillonner le temps et l’espace.

Les game jams cachent trop souvent que l’expérimentation n’a de sens que parce qu’elle peut aboutir à une belle réussite. On peut aimer l’OuLiPo par plaisir intellectuel, mais La Disparition a ceci de formidable que c’est un véritable roman en plus d’un exercice de style. C’est ce qu’a compris Shiro Games : assembler un méta-jeu, c’est bien ; en faire un véritable jeu à son tour, c’est mieux.

Notes

[1] Selon steamspy, depuis août 2015.

Il y a 2 Messages de forum pour "Patchwork"
  • Cédric Muller Le 30 décembre 2015 à 12:28

    Fidèle contemplateur de Nicolas Cannasse (surtout pour Haxe, tour de force réalisé avec quelques comparses et qui envoie paître loooooin les Microsoft et autres développeurs de soit-disant méta-outils), je ne peux qu’encourager le monde vidéo-ludique à consommer son oeuvre. Bel article, qui résume parfaitement la philosophie de son créateur : ouverture. Je vais l’élire comme la personnalité française la plus influente (avis subjectif bien évidemment).

  • Stephanie Le 19 février 2016 à 07:42

    J’aime beaucoup ce genre d’univers. Ça donne envie d’y jouer.

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