Dans nombre de jeux de stratégie, tout conduit à la guerre. À travers la collecte de ressources, symbolisant le développement économique, et l’achat de compétences technologiques, symbolisant le progrès culturel, c’est la guerre que l’on prépare, c’est la suprématie militaire que l’on recherche. Même lorsque le jeu propose, à la marge, d’autres conditions de victoire, la guerre semble toujours inéluctablement liée à leur réalisation, car il apparaît souvent difficile de soutenir ces stratégies annexes durant toute une partie si l’on ne domine pas militairement l’adversaire.
Crusader Kings II est un jeu qui, loin de présenter la guerre comme une évidence, s’emploie à la rendre difficile et frustrante en multipliant les obstacles sur le chemin du joueur belliqueux. En cela, il se révèle sans doute le plus apte à placer de manière convaincante le joueur dans les souliers d’un seigneur du moyen âge occidental [1].
La guerre et la paix
Il ne faudrait en effet pas croire que les seigneurs médiévaux livraient bataille tous les week-ends [2]. Certes les trouvait-on régulièrement pris dans les affres de la guerre, mais celle-ci ne doit alors pas être confondue avec la bataille, car elle ne s’y résume pas. Si la bataille est bien l’affrontement d’ampleur entre deux armées rangées que le cinéma ou le jeu vidéo mettent si souvent en scène, la guerre médiévale se caractérise avant tout par une succession de pillages sporadiques entrepris par de modestes équipées chevaleresques, menées par un seigneur ou ses vassaux, qui banquetteront probablement le lendemain avec leur adversaire, dans cette alternance perpétuelle de coups de mains et de réconciliations qui caractérisent les rapports entre aristocrates au moyen âge. Pour cette raison, on évite alors de tuer à la guerre, car le but poursuivi est l’enrichissement, et non le meurtre, acte qu’on réprouve même dans ce contexte lorsqu’il apparaît gratuit [3]. Tuer un adversaire ne conduirait d’ailleurs qu’à envenimer le conflit et à le faire dégénérer, ce que personne ne souhaite.
« Nul n’aventure à la légère ce qu’il tient déjà. La guerre n’est pas un tournoi : c’est une affaire. On n’y risque rien pour la gloire. Chacun se garde de démesure et, lorsque la cueillette a été bonne, se montre pressé surtout de rentrer. » [4]
Crusader Kings II met donc moins en scène la guerre que la bataille [5], cette mêlée qui oppose en un lieu donné des centaines, voire des milliers de combattants. Et c’est finalement un événement relativement rare au moyen âge car il implique de graves conséquences. La bataille n’intervient qu’en dernier recours, pour mettre fin à la guerre quand celle-ci n’est plus tenable. Elle constitue une manœuvre radicale, cet instant où deux adversaires mettent tout en jeu, une large partie de leurs moyens matériels et humains, sous le regard de Dieu, pour enfin se départager et résoudre une interminable querelle. Tout comme le duel judiciaire, dont elle est une imitation, la bataille est ainsi perçue comme un jugement divin et c’est donc un moment grave, décisif.
« La différence entre la bataille et les prudentes escarmouches de la guerre se marque à cette recherche de l’absolu, qui fait pénétrer dans une autre aire. Celle de la gravité et d’une liturgie du destin. Une province où nul ne se hasarde sans frémir. » [6]
Le vaincu se remettra toujours avec difficulté de sa défaite, car au-delà des conséquences purement matérielles, il se sera convaincu que Dieu était opposé à ses prétentions ce jour-là et, au moyen âge, même les hommes les moins pieux craignaient les risques encourus à trop contrarier leur créateur. Pour cette raison, la plupart des seigneurs ne recherchaient pas activement la bataille, car ils avaient conscience de la possibilité de tout perdre, jusqu’à leur vie dans le pire des cas, à cette époque où l’aristocratie se définissait principalement par sa fonction guerrière et se devait donc de se risquer au combat. Ils pouvaient ainsi aisément se satisfaire de règnes préservés de tels dangers [7], préférant étendre leur domination et leur pouvoir de bien d’autres manières.
Crusader Kings II n’échoue pas à faire ressentir au joueur un peu de la gravité des batailles médiévales, à lui faire comprendre une partie des enjeux emportés par des affrontements d’une telle ampleur. Le stratège trop avide, car trop habitué au rythme d’autres jeux de stratégie dans lesquels la rapidité est la clef de la victoire, peut effectivement perdre beaucoup en se lançant dans une guerre [8] mal préparée ou trop audacieuse, et le jeu n’en vaut clairement pas toujours la chandelle. Cet aspect permet à Crusader Kings II de se démarquer de ses concurrents car il encourage le joueur à employer d’autres voies vers la domination, totalement autonomes de toute entreprise guerrière, en insistant notamment sur la mise en place de stratégies matrimoniales, patrimoniales et dynastiques performantes.
Gone with the king
Cela contribue à retranscrire de manière étonnante quelques unes des principales préoccupations de l’aristocratie médiévale. Car avant d’aller risquer leur fortune, leur vie et l’avenir de leur dynastie sur le champ de bataille, dans des affrontements coûteux en hommes et en ressources, les seigneurs veillaient en premier lieu à assurer la bonne transmission de leur pouvoir et de leur patrimoine, en réalisant notamment un mariage lucratif, prestigieux et, l’espérait-on, fécond.
Le joueur de Crusader Kings II se pose lui aussi régulièrement la question : la prise vaut-elle cet investissement en temps, en or et en âmes ? Ne faut-il pas assurer ses arrières en priorité ? Une guerre qui s’éternise et les vassaux s’agitent, la banqueroute menace et l’on devient une cible de choix pour tout voisin attentif au moindre signe de faiblesse qui l’autoriserait à fondre sur des territoires qu’il voudrait siens [9]. Le jeu n’exalte donc pas la témérité et la gourmandise mais récompense la patience, la prudence et l’intelligence politique. Il est ainsi tout à fait possible, et même parfois judicieux, de laisser une génération régner sans conquérir le moindre bout de terre, en préférant se concentrer sur la consolidation du pouvoir hérité des aïeux, en plaçant les bons vassaux aux bons endroits, en contractant un bon mariage et en préparant une bonne succession, ce qui sera parfois bien plus profitable à long terme.
Au moyen âge, alors que la succession par primogéniture n’avait encore rien d’inéluctable, la mort d’un souverain pouvait effectivement mettre une dynastie en péril [10] et ce n’est pas pour rien que de nombreux monarques s’empressaient de concevoir un fils et de l’associer à la couronne pour le faire reconnaître le plus tôt possible comme successeur légitime [11].
Dans Crusader Kings II, une succession mal préparée et votre royaume vole en éclat, déchiré par les partages et les révoltes vassaliques [12]. Mourir en temps de guerre sans rien n’avoir anticipé se révélera d’autant plus catastrophique que votre héritier se verra contraint d’affronter d’ambitieux vassaux rebelles avec une armée dispersée et amoindrie, car vous l’aurez sans doute menée combattre de l’autre côté du pays. Réaliser une succession correcte est donc un défi parfois plus ardu que celui que peut constituer une campagne militaire. Quant au mariage, son importance réside dans le fait qu’il ouvre des possibilités d’extension auxquelles le droit de la guerre seul ne permet pas d’accéder. Le droit, oui.
Dieu et mon droit
Lorsqu’il veut en venir aux mains, le joueur de Crusader Kings II se trouve effectivement d’abord confronté au droit. A une époque où le jeu vidéo tend plutôt à donner tous les pouvoirs et tous les droits au joueur [13], il est pour le moins déstabilisant de se heurter à un tel obstacle juridique virtuel.
Le droit intervient principalement sous la double forme des notions de casus belli et de territoire de jure [14]. Ainsi le joueur n’a-t-il pas la possibilité d’attaquer un adversaire s’il ne dispose pas de casus belli, c’est à dire d’un motif de guerre légitime. Le casus belli le plus commun est la revendication dite « de jure » qui correspond à la capacité, souvent héritée parfois usurpée, de faire valoir des droits sur un territoire donné pour être admis à l’attaquer. Si ces mécanismes semblent en premier lieu devoir limiter les ambitions du joueur, en guidant la construction de son empire afin de préserver une relative cohérence stratégique et historique, ils contribuent également à rendre le jeu étonnamment proche de la réalité des conflits médiévaux [15].
Car le moyen âge, contrairement aux idées reçues, ne constitue aucunement une époque de chaos et de barbarie. Le monde médiéval occidental est au contraire une société de droit, relativement rigide, et l’on ne peut y faire n’importe quoi. Au moyen âge, l’idée de guerre légitime existe déjà [16]. A la guerre comme à la bataille, bien qu’à différents degrés de solennité, les belligérants font systématiquement tout leur possible pour s’assurer et faire admettre que le droit (et donc Dieu, car on considère que toute institution humaine existe de son fait, ou du moins avec son approbation) est bien de leur côté. Pour apparaître légitime, une attaque armée doit ainsi reposer, officiellement du moins, sur des revendications et des prétentions territoriales légales. Les seigneurs ne manquent alors jamais de produire le document de propriété, authentique ou falsifié, d’une terre dont ils revendiquent la jouissance, ou de réciter oralement la chaîne de transmission de celle-ci pour prouver qu’elle leur revient de droit. Une seule guerre apparaît légitime de manière automatique : celle qu’on mène contre les infidèles, au nom de Dieu, et le jeu n’oublie pas cet aspect.
Tout ceci est d’une importance capitale car tout manquement public au droit entache sérieusement l’honneur et la réputation, deux notions avec lesquelles le moyen âge ne plaisante absolument pas.
Vertu et infamie
Le monde médiéval occidental est en effet une société d’honneur qui s’articule en très grande partie autour de la notion de réputation (fama), celle de l’individu, celle de sa famille ou celle de son groupe social. La réputation s’apparente à un véritable capital social à préserver à tout prix si l’on ne désire pas se retrouver exclu de certains aspects de la vie de la communauté, quitte à la laver parfois dans le sang lorsque la nécessité l’exige. Être publiquement convaincu de malhonnêteté, d’usurpation ou d’un quelconque méfait, au terme d’une procédure officielle ou tout simplement par la rumeur, constitue une sérieuse atteinte à cette réputation et donc à la crédibilité, c’est un handicap social à long terme que chacun cherche à éviter [17]. Si à cela s’ajoute une peine d’excommunication prononcée par un évêque, c’est la vie éternelle en plus de la vie terrestre qui s’annonce compromise. Sur leur lit de mort, même les pires blasphémateurs sont alors prêts à tout pour être de nouveau admis dans la communion des chrétiens et ne pas risquer la damnation éternelle.
Dans Crusader Kings II, la réputation est un énième obstacle qui prévient le joueur de n’en faire qu’à sa tête. La réputation conditionne les alliances que l’on peut former, limite le nombre de troupes que les vassaux sont prêts à mettre à la disposition du joueur, peut autoriser une révolte contre un seigneur dont la domination apparaît soudainement tyrannique et par conséquent illégitime.
Comme dans la réalité, chaque action contraire au droit souille la réputation. Retirer un fief à un vassal fidèle, briser une trêve, assassiner publiquement un ennemi ou un innocent, comploter et être découvert, tout cela se paie, par prélèvement sur le capital réputation du personnage. Et lorsque le joueur se met tout le monde à dos, tout devient beaucoup plus difficile, si ce n’est insurmontable. Au moyen âge en effet, personne ne survit seul et l’isolement est à la fois suspect et dangereux. Les monarques eux-mêmes doivent se reposer sur leurs aristocraties, qui les servent tout autant qu’elles les modèrent. L’absolutisme des empereurs romains est oublié, celui des rois de droit divin est encore à inventer, le souverain n’est alors reconnu que comme le premier parmi un groupe de pairs.
Primus inter pares
Ce particularisme de la société médiévale, qu’on représente trop schématiquement comme une pyramide dite féodale [18], est parfaitement sensible dans Crusader Kings II. Le joueur ne fera rien sans le consentement de ses vassaux. Leur soutien est impératif pour rester au pouvoir, leur accord est nécessaire pour changer la loi, leur autonomie politique leur est précieuse et ils accepteront très difficilement l’impôt car au moyen âge, on considère que « le roi doit vivre du sien », c’est-à-dire des ressources issues des domaines qu’il tient en propre.
Cet aspect est probablement l’un des plus frustrants du jeu, surtout pour les amateurs de stratégie en temps réel qui ont l’habitude de tout contrôler, de l’accumulation des ressources à la production de troupes. Dans Crusader Kings II comme au moyen âge, le souverain doit offrir des terres à ses fidèles pour récompenser leur loyauté mais aussi car il n’a pas les moyens logistiques de les exploiter lui-même. Dès lors, le joueur-roi se prive des revenus produits par ces terres. L’usufruit en est abandonné aux vassaux qui doivent lui fournir en contrepartie une contribution en hommes pour l’armée, voire un impôt s’il ose les y contraindre. Le joueur demeure ainsi tributaire des troupes concédées par cette aristocratie, ce qui rend toute entreprise militaire beaucoup plus délicate à mettre en œuvre, surtout si l’on considère le risque qu’un vassal mécontent retire soudainement ses hommes pour les employer dans une rébellion.
C’est un équilibre précaire, la puissance du suzerain est contrebalancée par celle de ses grands vassaux et l’on se souvient soudainement de ce cours d’histoire où l’on nous présentait une carte de France mettant en relief la petitesse du domaine royal capétien comparé aux possessions de tel ou tel duc. Et pourtant, les rois capétiens n’ont jamais été abattus [19] ; au joueur de s’en souvenir et de faire ce qu’il faut pour rester en place. Ce serait d’ailleurs oublier que ces ducs ne tenaient pas davantage l’intégralité de leurs terres en propre et qu’ils se reposaient à leur tour sur des vassaux. Au moyen âge, nul n’est tout puissant et laisser se dégrader les relations entre un duc et ses fidèles est parfois une stratégie viable pour le neutraliser, dans la réalité comme dans le jeu.
Conclure
Il faut bien admettre que Paradox Interactive a produit un jeu d’une finesse rare et cela n’est sûrement pas étranger à son gameplay qui cherche et parvient brillamment à retranscrire certaines des principales réalités sociales et politiques du monde médiéval. Tout comme l’ouvrage de Georges Duby, Crusader Kings II concourt à diffuser auprès d’un public profane une autre image du moyen âge, en donnant à voir la complexité des systèmes de valeurs, de représentation et d’organisation sociale d’une époque encore trop souvent méprisée et caricaturée. Deux œuvres qui mettent le moyen âge à portée de main, qui le font sortir de l’exotisme dans lequel on le relègue communément et qui, plutôt que de nourrir encore et toujours les fantasmes du public, suscitent chez lui une véritable curiosité intellectuelle.
Notes
[1] Ce billet se concentrera sur la seconde moitié du moyen âge occidental, les années 1000 à 1500, car c’est le cadre du jeu à l’origine. La situation était sensiblement différente aux époques précédentes.
[2] L’excellent livre de Georges Duby, Le dimanche de Bouvines, qui nous servira d’appui tout au long de ce texte, débute ainsi de manière amusante en indiquant qu’on ne combattait normalement pas le dimanche, jour totalement dédié à Dieu. Cet ouvrage, sous prétexte de raconter la bataille de Bouvines en 1214, décortique en fait le contexte socioculturel de l’époque. Le livre propose alors une véritable sociologie de la chevalerie du XIIIe siècle, passant en revue les grands moments qui rythmaient son existence : la paix, la guerre, le tournoi, la bataille.
[3] DUBY G., Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 2009 [1973], p. 184.
[4] DUBY G., op. cit., p. 187.
[5] Seule l’extension The Old Gods donne à voir des pillages et des razzias typiques de ce que pouvait être la guerre médiévale. Mais tout ceci reste réservé aux païens, ce qui est fort dommage.
[6] DUBY G., op. cit., p. 194.
[7] En 150 ans, entre le Xe et le XIIe siècle, la dynastie des comtes d’Anjou n’a livré que six batailles, soit une tous les vingt-cinq ans. Sur une même période de temps, la Flandre n’en a connu que trois. Quant à la dynastie capétienne, après la défaite de Louis VI le Gros (oui) à Brémule en 1119, ses successeurs ne coururent plus ce risque jusqu’à la bataille de Bouvines, remportée en 1214 par son petit-fils Philippe Auguste, soit presque un siècle plus tard. DUBY G., op. cit., p. 194-195.
[8] Qui se traduit, en termes de jeu, par une série de batailles et de sièges décisifs.
[9] Cet aspect devient cependant moins prégnant à mesure que l’empire du joueur atteint des dimensions extravagantes. Il dispose alors d’assez de troupes pour écraser quiconque se dresse sur son chemin.
[10] La guerre de Cent Ans est ainsi en grande partie un conflit dynastique, Edouard III d’Angleterre possédant des prétentions à la couronne de France tout aussi légitimes que celles de Philippe VI.
[11] Ainsi Hugues Capet fait-il sacrer son fils Robert dès son accession au trône pour sécuriser sa succession et balayer les prétentions d’éventuels héritiers carolingiens. De 987 à 1179, tous les rois capétiens feront de même.
[12] Il est cependant à noter que le « partage salique » n’a absolument aucun sens. Il traduit le « gavelkind » anglo-saxon, système de transmission obscur et marginal, a priori comparable au partage patrimonial qui existait chez les Mérovingiens. Si les développeurs ont voulu faire référence à ce dernier (bien qu’il n’ait jamais porté ce nom) il aurait en fait fallu que chaque enfant hérite d’une partie égale de chaque titre. Là où il n’y avait qu’un roi de France par exemple, une telle succession en aurait créé plusieurs, suivant le nombre d’enfants. Cela est difficilement transposable en termes de jeu. Dans Crusader Kings II, le « partage salique » équivaut finalement à léguer chaque titre dans son intégralité en donnant le plus puissant à l’aîné puis en distribuant relativement équitablement le reste. Ceci correspond en fait le plus souvent à une simple primogéniture, avec compensation pour les autres enfants à qui l’on octroie une sorte d’apanage.
[13] Grand Theft Auto, Saints Row, Prototype...
[14] Comprendre « de droit », prononcer « dé iouré ».
[15] C’est ainsi par son mariage avec Mathilde, héritière du royaume d’Angleterre et du duché de Normandie, que Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, acquiert la légitimité nécessaire pour s’attaquer à Etienne de Blois, usurpateur des titres de son épouse. Victorieux, Geoffroy devient duc de Normandie. Son fils Henri, sera comte d’Anjou, duc de Normandie et roi d’Angleterre. Il mettra la main sur l’Aquitaine en épousant la duchesse Aliénor. Voilà comment deux mariages judicieux peuvent construire un empire.
[16] DUBY G., op. cit., p. 181 et 191.
[17] Lire Claude GAUVARD, De grace especial, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010 [1991], p. 135-141.
[18] Tout aussi schématiquement reproduite dans le jeu, mais on comprend qu’il s’agit de rendre le tout fonctionnel. Au moyen âge il était pourtant possible d’être roi d’Angleterre, donc suzerain ultime pour les territoires anglais, tout en étant vassal du roi de France pour des territoires possédés sur le continent comme le duché de Normandie. Ce fut le cas pour les rois d’Angleterre de 1066 à 1202, date à laquelle Jean sans Terre refusa de se présenter à une convocation de son suzerain, Philippe Auguste, le roi de France. Ayant dérogé au droit, Jean se vit confisquer ses fiefs continentaux. En 1209, ayant une nouvelle fois contrevenu au droit, Jean se fit excommunier par le pape qui autorisa alors Philippe à envahir l’Angleterre. Devant la menace, Jean finit par se réconcilier avec le pape. Le règne de Jean d’Angleterre illustre les difficultés que pouvait rencontrer un souverain médiéval, surtout s’il manquait de finesse. Plus habile, Philippe Auguste parviendra, lui, à raffermir durablement l’autorité du roi de France.
[19] Avant 1792...
Vos commentaires
4k45h3d0 # Le 2 octobre 2013 à 09:39
héhé... une critique de jeux vidéo qui est aussi le texte d’un historien : ça fait plaisir
roger # Le 2 octobre 2013 à 12:37
Ce qui est frappant avec les jeux de Paradox c’est cette manière de rendre hommage à la richesse de l’histoire et à l’intelligence parfois un peu torturée des hommes. Ils sont bien loin de tous ceux qui utilisent l’histoire comme un simple habillage pour vendre des jeux finalement assez génériques. Je n’ai rien contre ces derniers, j’aime bien les Total war par exemple, mais ceux qui ont créé Crusader Kings 2 imposent le respect par l’estime qu’il témoignent de façon évidente à leurs joueurs. Je les aime :D
Senturus # Le 2 octobre 2013 à 13:43
Très bel article, intéressant et juste.
Je viens de découvrir Crusader Kings II (je savais depuis longtemps que ce jeu était pour moi, mais je n’avais encore jamais réussi à "rentrer dedans"), et c’est un jeu remarquable et prenant. Et qui se permet le luxe d’être très accessible en plus, pour peu que l’on se force un peu les premières heures de jeu.
Par rapport à ce qui est dit dans l’article, j’ai tout de même tendance à penser que Crusader Kings II pousse "un peu trop" à la guerre tout de même (et il manque, comme c’est écrit, la possibilité de faire des "chevauchées", axées sur le pillage et non la conquête), mais peut-être que je manque de recul sur le jeu. Et je pinaille.
Au passage : pourquoi les magazines d’histoire parlent-ils si peu de ces (rares il est vrai) jeux comme Crusader Kings ou ses confrères de Paradoxe ? Je suis abonné à "l’Histoire", et autant on parle des films, BD, romans... aux contextes historiques, je n’ai jamais lu la moindre ligne sur un jeu vidéo ! Un jeu comme ça mériterait d’être connu des passionnés d’histoire, même s’ils ne connaissent pas le monde des jeux vidéo. Je propose à l’auteur de proposer sa collaboration à l’un de ces magazines !
Tony Fortin # Le 2 octobre 2013 à 16:59
Superbe article qui me donne vraiment envie de me mettre à Crusader kings 2
Martin Lefebvre # Le 2 octobre 2013 à 17:04
Je vous invite à aller voir le blog de vulgarisation historique tenu par Maxence, c’est très intéressant et je me suis immédiatement dit qu’il aurait des choses à écrire sur CK II.
Nano # Le 3 octobre 2013 à 10:12
Simplement passionnant. J’ai beau n’avoir aucun atome crochu avec les prods Paradox, c’est décidé, je vais me laisser tenter.
Maxence Bidu # Le 3 octobre 2013 à 12:25
Merci pour ces commentaires encourageants. Ça fait plaisir car j’ai accouché de ce texte dans la douleur, n’arrivant pas à me positionner et à déterminer si le résultat était trop technique ou justement pas assez.
Au final, je reste relativement schématique. Je suis sûr que des spécialistes auraient quelques remarques à faire (et qu’ils n’hésitent pas !), mais il fallait aussi que ce soit digeste.
Je rappelle au passage que le tableau que je brosse à grands traits correspond à une époque et une zone géographique précises : la seconde moitié du moyen âge occidental (la chrétienté latine), et principalement les XIe-XIIIe siècles. C’est l’époque traitée dans l’ouvrage de Duby. Il ne faudrait pas croire que la réalité était totalement comparable sous l’empire carolingien ou au XVe siècle. Il est important de prendre conscience du fait que le moyen âge est une période très longue et que c’est un vrai fourre-tout inventé à la Renaissance. Le moyen âge n’a pas de cohérence absolue. Clovis et Jeanne d’Arc étant séparés de 950 ans, on imagine bien qu’ils n’ont pas connu les mêmes réalités. J’écrirais presque un billet là-dessus.
@Senturus :
Crusader Kings II était nominé (sic) pour le prix du meilleur jeu vidéo historique 2012 par le magazine Historia. Mais il n’a pas gagné.
Généralement, les personnes qui sont sollicitées pour écrire un article dans ces magazines sont des enseignants-chercheurs. Et c’est ce qui doit garantir la qualité de ce contenu. Je pense qu’il faut d’ailleurs se méfier des articles qui ne sont pas signés par des chercheurs en poste à l’université ou au CNRS. J’ai personnellement encore du chemin à faire.
Il est vrai cependant que le jeu vidéo est encore considéré comme un loisir puéril, donc on n’en parle pas. Mais les choses avancent, au fur et à mesure que le jeu vidéo devient plus mature. Les historiens de demain ont pour certains grandi avec le jeu vidéo et quand j’étais en master, je me souviens même d’un enseignant qui nous enjoignait à nous détendre sur Crush the Castle... Comme quoi.
roger # Le 3 octobre 2013 à 15:39
Hé ben dis donc, vaudrait mieux qu’ils laissent tomber les jeux vidéo chez Historia, ce que j’ai lu est assez consternant, valait mieux rien du tout. Déjà les 3 critères d’attribution du prix :
"l’originalité de l’approche historique, l’abondance de la documentation utilisée et le graphisme"
Soit au niveau du pur jeu, le seul critère est le graphisme. Okay, on sent qu’on a affaire à des gens qui savent ce qu’est un jeu vidéo :D
Ensuite le ton est tout pourri, comme s’il était évident que dans la rubrique jeu vidéo on devait régresser mentalement :
"Assassin’s Creed Revelations scotche les joueurs à leurs écrans, les lobotomise, jusqu’à ce que mort s’en suive. Mort d’Ezio, mort des traîtres, mort de la console ou mort clinique du cerveau."
Ouais ouais, en plus ce sont des "gens qui jouent" qui parlent comme ça. Ils auraient dû un peu moins jouer avant d’écrire. On s’en doutait mais on a la confirmation : ça marche pas bien un cerveau mort.
Bon je reste dubitatif sur l’attribution du prix à Assassin’s creed plutôt qu’à Crusader Kings, je cherche une réponse et la voilà. Le principal mérite de celui-ci est qu’"il respectait scrupuleusement la chronologie historique". Déjà l’argument est nul à chier à la base, mais en plus on ne peut pas du tout dire ça pour CE JEU LA.
C’est marrant, quand on lit les journalistes de jeux vidéo on a tendance à les trouver parfois nazes et crétins, mais là il sont battus à plate couture. Chapeau messieurs dames ;)
Martin Lefebvre # Le 3 octobre 2013 à 17:03
Il y avait pas des pubs pour Ubi ou un truc comme ça dans ce numéro ? :sifflote :
Alexis Bross # Le 3 octobre 2013 à 20:41
Je n’avais pris la peine de le dire avant, mais je trouve ce texte non seulement brillant, mais utile. C’est une approche qui me plaît.
Je joue à Crusader Kings II et je me suis surpris à sourire parce que j’ai eu des réminiscences de mes parties. Le point fort de ce texte est d’expliciter la notion du droit au Moyen âge, que je ne connaissais pas. Cela explique beaucoup du gameplay de CKII. C’est vrai que le "plaisir" de ce jeu provient de ces contraintes qui nous empêchent d’agir, tant bien même nous sommes monarque. Et c’est assez intéressant justement de jouer à ce jeu qui cadre le joueur là où on cherche généralement à additionner les possibles.
J’ai une question historique, aussi. Dans la note 12 du texte, il est marqué ceci :
Cela veut dire que le gavelkind - ou partage salique - n’était pas répandu au Moyen âge mais seulement dans le jeu ? Est-ce que le terme même de "partage salique" existe-t-il ? Parce que beaucoup de joueurs se conseillent sur les fora pour "éviter" ce genre de dynastie. Le partage salique m’a bouté hors du trône du Royaume de Pologne au bout de 4 générations. :(
Maxence Bidu # Le 4 octobre 2013 à 11:14
Attention, ce genre de question peut déclencher une guerre ! ^^
Le terme de "partage salique" n’existe nulle part (à ma connaissance).
Ceci étant dit, qu’ont voulu rendre les développeurs ?
En regardant le terme qui est utilisé dans la version anglaise du jeu (et dans les premières versions françaises avant mise à jour), "gavelkind", on comprend qu’ils ont voulu traduire en termes de jeu un type de succession qui existait chez certains Anglo-Saxons et chez les Francs au début du moyen âge, avant le IXe siècle, donc avant même le début du jeu.
Chez les Francs, ce type de succession n’avait pas de nom particulier. Elle consistait, pour un monarque, à diviser son royaume entre ses fils à sa mort. Ainsi Clovis partagea-t-il entre ses quatre fils le royaume qu’il avait mis une vie à construire.
Ce type de partage a fait couler beaucoup d’encre chez les historiens, dès le XIXe siècle. Cela montrait selon eux que les "Germains" ne connaissaient, à la différence des Romains, aucune notion de l’Etat public et que leurs royaumes étaient considérés comme la propriété privée des rois ; ceux-ci les partageaient donc à leur mort comme on partage un trésor.
Les historiens se sont beaucoup moqué de ces partages, selon eux absurdes car ils nuisaient à la puissance du royaume. Mais ils les comprenaient en fait mal, de même que le jeu les retranscrit assez mal (les joueurs ont donc raison de fuir ce genre de succession). Je vous épargne les détails, mais on tend aujourd’hui (B. Dumézil par exemple) à nuancer la portée de ces partages, car le royaume des Francs mérovingiens n’a jamais définitivement implosé (contrairement à ce qui peut se passer dans le jeu).
Donc ce type de partage est quelque chose de très particulier, qui est clairement circonscrit sur les plans chronologique et géographique. Dès le Xe siècle (au moins) on fait attention à léguer le royaume dans son intégralité. On ne devrait donc pas voir ce "partage salique" dans le jeu.
Pourquoi "salique" ? C’est là le deuxième versant de l’erreur des développeurs (ou des traducteurs ?).
"Salique" est l’adjectif qui découle de "saliens", le nom qu’on a donné aux Francs de Clovis pour les distinguer des Francs "ripuaires", installés le long du Rhin. Si l’on suit la logique du jeu, le "partage salique" serait dès lors le partage "comme le faisaient les Francs saliens", c’est-à-dire les Mérovingiens.
Il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’on invoque les Francs saliens pour désigner de manière erronée un type de succession particulier.
Au milieu du XIVe siècle, avec la mort de Charles IV (le dernier fils de Philippe le Bel), on ne trouve plus de capétien mâle en ligne directe à mettre sur le trône de France. Philippe a aussi eu une fille, Isabelle, qu’il a marié avec le roi Edouard II d’Angleterre. Leur fils, Edouard III, est donc le petit-fils de Philippe le Bel, et il estime que la couronne de France lui revient. L’aristocratie française n’est pas d’accord et va chercher un neveu de Philippe le Bel , Philippe VI de Valois, pour le faire roi. C’est une des raisons de la guerre de Cent Ans.
Il faut alors trouver une justification légale à cette éviction d’Edouard III (encore une fois, le droit est important). Un moine finit par exhumer l’ancien code de lois des Francs saliens, intitulé le "pacte de la loi salique" et rédigé vers le VIe siècle. C’est un code de lois typique de ce qu’ont produit les barbares qui se sont installés dans l’Empire romain, on y trouve donc principalement une liste d’amendes à payer pour réparer telle ou telle faute (vol, meurtre...). Le moine du XIVe siècle finit malgré tout par trouver dans cette loi, un passage assez ambigu et obscur qui pourrait légitimer le choix de Philippe VI. C’est une phrase qui dit qu’aucune femme ne peut hériter de la "terre salique" (tandis que d’autres passages autorisent les femmes à hériter d’autres terres).
Encore aujourd’hui, les historiens ne savent pas à quoi correspond cette "terre salique". Mais au XIVe siècle on s’est vite empressé d’utiliser ce passage pour exclure les femmes de la succession à la couronne de France. Edouard III ayant hérité de ses prétentions via sa mère Isabelle, il n’est pas légitime selon ce fragment obscur. Voilà pourquoi il n’y a depuis pas pu avoir de reine de France. On utilise l’argument de la "loi salique", alors que celle-ci n’a absolument rien de clair.
Mais tout ceci est une petite digression de ma part. C’était juste pour pointer le mauvais usage, à nouveau, de l’adjectif "salique". Il n’y a pas de "partage salique", cette dénomination n’existe nulle part, ni au VIe siècle, ni au XIVe siècle.
Et comme je l’ai dit dans la note 12, si les développeurs avaient réellement voulu retranscrire, en termes de jeu, un partage tel qu’il existait chez les Mérovingiens, ils auraient dû faire que chaque titre principal (les titres de roi en fait surtout) se fractionne en autant de morceaux qu’il y a de fils. Mais ce n’est pas le cas. Le titre principal va, il me semble, toujours à l’aîné (ce qui finalement garantit la cohésion), et ce sont les titres secondaires, comme les duchés et les comtés, qui sont répartis entre les fils (et non pas fractionnés).
Ce n’est finalement pas si différent de ce qui peut survenir dans une succession par primogéniture stricte. Dès la fin du moyen âge, le second fils du roi de France reçoit souvent en apanage le duché d’Orléans et/ou le duché de Tourraine et/ou le comté de Valois, etc. Sans que cela ne nuise à l’unité du royaume vu que le titre de roi de France va en intégralité à l’aîné.
De la même façon, dans le jeu, le joueur ne doit réellement craindre l’implosion que lorsqu’il possède plusieurs titres de rois (donc des titres égaux), car les frères de l’aîné, devenant eux-même rois, ne seront pas automatiquement ses vassaux. Sauf si je me trompe.
Toujours est-il que les Mérovingiens (les "Francs saliens" d’où les développeurs tirent leur "partage salique") n’ont jamais été que roi des Francs, donc c’est ce titre royal qui était fractionné, ce qui encore une fois n’est pas le cas dans le jeu.
On pourrait aussi parler des Carolingiens, mais on ne s’en sortirait plus et je ne pense pas qu’on parviendrait à des conclusions très différentes.
Alexis Bross # Le 4 octobre 2013 à 22:18
Merci pour les explications, cela m’a passionné !
Avec une pointe de provocation, on peut donc dire que si le "partage salique" n’existe pas dans le jeu, en fait "le pacte de la loi salique" justifiant d’un point de vue légal la non accession au trône de France de Edouard III est lui aussi sorti de nulle part. :)
Maxence Bidu # Le 5 octobre 2013 à 12:42
Il n’y a pas de provocation à dire cela, il s’agit bien d’une construction juridique. Mais comme toujours au moyen âge, il faut rendre toute nouveauté légitime en la faisant passer pour ancestrale, quitte à travestir pour cela le sens d’anciens documents.
La différence avec le "partage salique" créé par les développeurs est que ces derniers tentent honnêtement, bien que de manière erronée, de reproduire une réalité ancienne.
Martin Lefebvre # Le 5 octobre 2013 à 14:39
C’est intéressant cette discussion sur le partage salique :nerd :
Est-ce que ce n’est pas avant tout un problème de traduction ? Le gavelkind n’est-il pas un terme plus correct ? Après je n’ai pas suffisamment étudié le jeu pour savoir où Paradox place le gavelkind, mais il me semble ne l’avoir rencontré que dans les marges européennes (en Pologne et peut-être en Ecosse ?).
Après en termes ludiques c’est un défi assez intéressant de gérer un pays qui est en gavelkind, et ça correspond bien à la philosophie de Paradox qui consiste, tout en respectant la logique de l’histoire, à mettre le fun au centre des préoccupations... En un sens dans CK II il y a une sorte de progression ludique des formes de succession, quelque chose comme l’élection étant le moyen le plus sûr de jouer avec le système pour pousser un héritier choisi (encore qu’on puisse toujours "éliminer" les héritiers impropres à règner).
Maxence Bidu # Le 5 octobre 2013 à 16:07
Je ne pense pas que le problème réside fondamentalement dans la traduction. Le gavelkind anglo-saxon est à priori totalement similaire au type de partage qui existait chez les Francs. Vu qu’aucune expression consacrée ne désigne, en Français, ce type de partage, ils ont choisi de traduire par "partage salique", le partage "comme chez les Francs saliens". Pourquoi pas, même si ça ne me paraît pas très heureux. Je voulais surtout signaler que je n’ai jamais vu aucun historien utiliser une telle expression.
Ce n’est donc pas la traduction qui est réellement problématique. C’est, d’une part, le fait que ce type de partage n’existait plus à l’époque mise en scène par le jeu et, d’autre part, le fait que les effets du gavelkind / "partage salique" ne sont pas les mêmes dans le jeu et dans la réalité.
Dans la réalité, les quatre fils de Clovis ont hérité à égalité du titre de roi des Francs et le royaume a été partagé équitablement. Le gavelkind anglo-saxon avait a priori les mêmes effets.
Dans le jeu, un roi de France ne peut pas diviser son titre de roi entre ses fils, même en "partage salique". Il le donnera à l’ainé. Les cadets auront des duchés et des comtés en compensation. Ça ressemble donc plutôt à une primogéniture particulière et pas du tout à un partage comme le gavelkind.
Dans les dernières parties que j’ai faites, le gavelkind était largement représenté dans toutes les régions, ce qui contredit la réalité historique. Mais comme tu le signales, il y a un aspect ludique, c’est un des défis donnés par le jeu au joueur.
Martin Lefebvre # Le 5 octobre 2013 à 17:34
En matant vitaf sur Wikipedia (oui je sais, un amateur qui discute avec un spécialiste du sujet à coups de lien wikipédia, c’est vite vu ;) ) il semblerait que la Norvège ait eu des lois de successions qui ressemblent pas mal à ce que CK II appelle gavelkind, c’est peut-être ce qui a inspiré Paradox.
http://en.wikipedia.org/wiki/Salic_...
http://en.wikipedia.org/wiki/Heredi...
Après en effet appliquer ça à la France ce serait étrange... Tu as en tête des domaines où ils ont appliqué le gavelkind de manière manifestement erronée ? Après évidemment le jeu emploie des concepts simplifiés, déjà bien difficiles à saisir pour le profane, et qui ne peuvent évidemment pas représenter toute la complexité des lois d’héritage propre à chaque pays.
Maxence Bidu # Le 5 octobre 2013 à 20:15
Les paragraphes que tu proposes ici ne me contredisent en fait que sur un seul point : la chronologie. Je ne savais pas que les scandinaves avaient conservé ce type de partage aux XIe et XIIe siècles. Je me basais surtout sur les mondes franc et anglo-saxon / anglo-normand où la primogéniture s’enracine plus tôt.
Cependant, ce que je pointais surtout dans la note 12, et dans mes commentaires, ce n’est pas tant la question de la chronologie que le fait que les modalités du "gavelkind" tel qu’il est présenté dans le jeu ne correspondent pas correctement aux modalités du "gavelkind" historique. Et tes extraits me confortent totalement dans cette idée.
C’est ce que j’ai dit à plusieurs reprises :
Et tes extraits ne disent pas autre chose : ils insistent sur le fait que, dans ce genre de partage, les héritiers sont tous considérés comme rois. Le titre royal est fractionné entre les fils, qui règnent en égaux jusqu’à ce que l’un d’eux se fasse éliminer (comme chez les Mérovingiens notamment).
Cependant, dans le jeu, et comme je le dis dans la note 12, le "gavelkind" ne conduit jamais à un fractionnement des titres (sauf si ma mémoire me joue des tours). Ça ne conduit qu’à une répartition, le titre principal (un titre royal par exemple) allant le plus souvent à l’aîné et les cadets se répartissant des titres secondaires. Ça ne correspond donc pas au "gavelkind" historique, mais plutôt à une simple primogéniture avec compensation pour les cadets, qui ne sont alors pas les égaux de l’aîné, mais ses vassaux. Sauf bien sûr si le père avait plusieurs titres de rois, mais là on part dans autre chose (les héritiers sont alors rois de différents royaumes, ils ne partagent jamais un même titre).
Mais de toute façon, tout cela n’était qu’un pinaillage. J’admets dès le début qu’un véritable "gavelkind" serait difficile à retranscrire en termes de jeu.
PS : J’ai vérifié en jeu et le "partage salique" ne me semble au final pas si mal réparti que ça. J’avais un souvenir erroné d’un royaume de France en partage salique en plein XIe-XIIe siècles.
Matthieu # Le 9 octobre 2013 à 03:58
Passionnant article, merci ! Je commente très rarement mais je tenais absolument à remercier l’auteur pour cette très belle critique qui m’a fait apprendre plein de choses sur cette époque et définitivement donné envie d’en apprendre davantage.
Après je ne sais pas si j’aurai le courage de me lancer dans CKII (qui demande un investissement en temps non négligeable), mais lire l’ouvrage mentionné me paraît maintenant indispensable :)
Antonin CONGY # Le 16 octobre 2013 à 01:36
Travaillant sans relâche dans le sens d’une vulgarisation de l’Histoire au travers des productions pop-culture, je ne peux qu’être enthousiaste face à un tel article.
Juste une précision : la loi salique invoquée en France est d’abord pensée, avant de faire barrage à Edouard III, pour éloigner de la succession au trône Jeanne (la fille de Louis X) soupçonnée de bâtardise suite à l’affaire de la Tour de Nesles...
Concernant le principe du partage des royaumes, et de l’absence du concept de primogéniture, je veux bien qu’on en nuance la portée en parlant d’unité culturelle et politique qui demeurent en partie, mais le traité de Verdun de 843 a quand même historiquement marqué la fin de l’Empire Carolingien et par la même le destin possible d’une unité franco-germanique... Je me trompe ?
Maxence Bidu # Le 16 octobre 2013 à 20:36
Après revérifications, la "réinvention" de la loi salique est relativement tardive et n’intervient que dans la seconde moitié du XIVe siècle, lorsqu’il devient réellement nécessaire de contrer les prétentions d’Edouard III sur le plan juridique. Celui-ci n’a déclaré la guerre qu’en 1337, soit déjà une décennie après l’accession de Philippe VI au trône (qui ne lui avait pas posé de problème dans l’immédiat) [cf. Balard-Genêt-Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette, 2003, p. 234.]
L’éviction de Jeanne en 1316, après la mort de son père le roi Louis X, n’a a priori pas nécessité qu’on exhume cette loi. Un certain nombre d’arguments autres ont pu suffire, comme la suspicion de bâtardise comme tu l’indiques, sa jeunesse (elle n’avait que 5 ans), le simple fait qu’elle soit une femme alors qu’il restait des hommes de sang royal en pleine possession de leurs moyens.
Avec Edouard III il faut aller chercher plus loin en trouvant le moyen de dire que sa mère, indépendamment de toute qualité individuelle, n’a tout simplement pu lui transmettre aucun droit.
Pour le partage, la nuance vaut en effet uniquement pour les Mérovingiens. Les Carolingiens eurent d’abord la "chance" d’y échapper avec Charlemagne et Louis le Pieux mais ce dernier sentit venir les problèmes. Il voulut préserver l’unité de l’Empire en ne donnant le titre d’empereur qu’à son aîné et en le positionnant au-dessus de ses frères (comme dans le "partage salique" du jeu finalement). Ses fils ne l’entendirent pas de cette oreille et le traité de Verdun conduisit effectivement à un morcellement définitif de l’Empire, malgré des expériences de réunification sans postérité à la fin du IXe siècle. Donc tu ne te trompes pas :).
Antonin CONGY # Le 4 novembre 2013 à 16:38
ok merci pour ces précisions :)
Kayl # Le 15 avril 2014 à 00:43
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_sa...
Lire le passage sur : Historiographie entre le VII° et le XIV° Siècle Puis la suite pour ceux que ça intéresse.
Pour résumez vite fait à partir de mes notes de cours (je suis en licence 2 histoire), l’argument de loi salique n’est même pas évoqué en 1316 et en 1328.
En 1316 et en 1328 le facteur déterminant du choix des frères de Louis X le Hutin (comprendre le désordonné, fin c’est un peu plus subtile que ça mais bon ^^’) puis de la dynastie Valois est l’argument National.
Cependant il ne faut pas se tromper, Édouard III est français (roi d’Angleterre mais français quand même, angevin pour être plus précis), mais il représente un souverain étranger au Royaume de France, alors que les autres prétendants sont eux vassaux du Royaume.(duc ou comte). C’est l’argument principal avancé.
En 1316, car Jeanne de France (fille de Louis X) était une femme et aurait du donc se marier avec un Prince (étranger ou non), mais la perspective de voir un Roi non français à mener à l’éviction de Jeanne (il y avait d’autres arguments mais c’est celui-ci le principal).
En 1328, car on ne veut pas d’une double monarchie dirigée par un seul souverain. Là encore cet argument pèsera dans la décision en faveur des Valois face aux Plantagenêt et à la famille du Comte d’Évreux.
L’argument proprement dit de loi salique n’est dépoussiéré qu’après le déclenchement de la Guerre de 100 ans (terme erroné mais ce serait un peu long à développer), vers 1358 (date communément admise mais pouvant être remise en cause et rapprochée de 1340).
Cet argument viendra renforcer les justifications juridiques des Valois au trône de France et affaiblir celle des Plantagenêt.
Kayl # Le 15 avril 2014 à 00:49
Double post, désolé d’avance,
Ayant une grande expérience sur CK II, je trouve cet article très bien construit et résumant à merveille le jeu et l’histoire médiévale de l’époque.
Pour ceux que ça intéresse d’en savoir plus sur le fait de s’enrichir à la guerre, je vous conseil la lecture de Jean Froissart (historien du Moyen-Age se démarquant par l’utilisation presque rituelle pour ses écrits du procédé " d’interview "), sur le Bâtard de Mauléon (bâtard noble d’une famille de langue d’oc, originaire du comté de Foix, qui a servis les perfides Anglois au début de la Guerre de 100 ans ; notamment avec les chevauchées du Prince Noir).
Maxence Bidu # Le 24 avril 2014 à 14:30
Rappelons malgré tout qu’Edouard III est à l’origine lui-même vassal du roi de France pour les territoires qu’il tient sur le continent comme le duché de Guyenne et le comté de Ponthieu. Dès lors, il apparaît délicat de parler de nation, même si la Guerre de Cent Ans va contribuer à la construction de ce concept.
Dans le royaume de France, certains soutiennent les prétentions du roi d’Angleterre, et Jean Froissart en fait partie, lui qui s’est mis au service de Philippa de Hainaut, la femme d’Edouard III et mère du Prince Noir.
Les lignes de démarcation entre les différents camps sont donc complexes, ce qui permet à Claude Gauvard de dire, au sujet de la bataille de Poitiers en 1356 :
« Les Anglais sont finalement peu présents sur le champ de bataille. Les combats voient plutôt s’affronter des Gascons et des Bretons contre d’autres Gascons et d’autres Bretons. »
(Le temps des Valois, PUF, 2013, p. 74.)
Maxence Bidu # Le 26 avril 2014 à 20:35
(Edit : Jean Froissart n’est a priori pas issu du royaume de France, pardon. Cela n’enlève rien au fait que les camps apparaissent difficiles à cerner.)
Laisser un commentaire :
Suivre les commentaires : |