Plus connue pour Dynasty Warriors (dix-huit ans cette année) et Samurai Warriors (bientôt douze ans), la formule « musô » conjugue bourrinage intensif et stratégie dans un curieux mélange de vitesse et de surplace. Après avoir été costumée en One Piece, Ken le Survivant ou encore The Legend of Zelda (l’année dernière sur Wii U, l’année prochaine sur 3DS), elle se tourne vers Dragon Quest, la série phare d’Enix.
À mon avis, il est difficile de résumer aux néophytes un musô autrement qu’en détaillant ses défauts. Répétitive, rigide et laide, la série a de loin l’apparence d’un beat’em up sans intérêt où l’on démonte des centaines d’ennemis moches dans de grandes arènes labyrinthiques. Le jeu est généralement servi avec une énorme plâtrée immangeable d’Histoire, à savoir la période des Trois Royaumes (220-280) pour Dynasty Warriors, l’époque Sengoku (1477-1573) pour Samurai.
Dans la plupart des épisodes, l’objectif consiste à défendre des forts en repoussant des vagues d’ennemis, à prendre des bases adverses et à trucider des généraux aux noms à rallonge qui vous en veulent pour une raison indiscernable. On répète cela pendant trente heures avant de jeter un œil aux modes supplémentaires, tous plus chronophages les uns que les autres. Car le talent de Tecmo-Koei consiste à combiner tous les éléments pour offrir jusqu’à plus soif des défis, des quêtes et des missions alternatives. On parle ici de production industrielle et écologique : on recycle plus dans un Warriors qu’à San Francisco.
Le premier musô tombe des mains généralement au bout de dix heures. Le second nous captive davantage. Le troisième devient légèrement obsédant. Et ensuite…, c’est l’hypnose. Les critiques et les points négatifs passent au second plan. C’est laid ? Oui, mais moins qu’avant. C’est répétitif ? Pas depuis le nouveau système de tension qui permet de tripler les combos. C’est incompréhensible ? Pas vraiment, si on a joué aux quatre jeux précédents qui racontent la même histoire, on se surprend se souvenir de tous les noms des personnages et des liens familiaux qui les unissent. Pratique pour briller en société ou gagner à Questions pour un champion.
Après le très efficace Hyrule Warriors, on était plutôt curieux de savoir ce que Dragon Quest allait devenir une fois passé à la moulinette musô. Après tout, avec son indéboulonnable système de combat, la série d’Enix n’est pas du genre à innover. Il y a bien des spin-off, plus ou moins éloignés (Rocket Slime est un jeu d’aventure à la Zelda, Joker se concentre sur la collecte de monstres). Une fois Heroes en main, on ressent une sensation de soulagement. Déjà parce que le jeu ne fait pas trop honte à la PS4, mais aussi, et surtout parce qu’il surprend. Et quand un musô surprend, c’est qu’il a d’ores et déjà gagné.
L’idée centrale de Dragon Quest Heroes tient dans ses monstres. Ils sont au cœur de l’intrigue — dont on se fiche éperdument, tout comme les scénaristes — et du gameplay. En dézinguant des hordes d’ennemis, on récupère parfois de grosses pièces qui viennent remplir un inventaire. Il s’agit en fait de grossières pokéballs qui, une fois utilisées sur le terrain, servent à la défense ou l’attaque. Chaque monstre a bien entendu son pouvoir et son utilité qui va vous aider à accomplir votre objectif principal.
Mi-jeu d’action bourrin et mi-tower defense, DraQue Heroes vous met une fois sur deux dans les pattes une cible très fragile à protéger coûte que coûte. On peut soit attendre sagement que les hordes d’ennemis vous tombent sur la gueule (généralement une mauvaise idée), où on peut sortir de sa zone et ralentir le flot intempestif de monstres. En prenant ce risque, on se retrouve à la fois chair à canon et porte-drapeau, petite main et capitaine. D’où le titre du jeu, dont le Heroes marque autant la présence de personnages de la série enfin réunis que du rôle unique que l’on endosse : en première ligne, mais aussi derrière, devant, sur les côtés, sur tous les fronts, à tout instant.
Le plus plaisant dans ce Dragon Quest Heroes reste sans nul doute ses sensations. L’hypnose est immédiate, aussi bien à cause des à-côtés proches de la série originale (alchimie, quêtes, collections) que des personnages. Le casting un peu restreint — une petite dizaine de héros, dont quatre nouveaux — offre une variété de gameplay fantastique. En bonne archère, Bianca transforme le jeu en TPS. Nera, la magicienne, piège le terrain avec des bulles qu’elle fait ensuite exploser. Le bourrin Yangus fait baisser la défense pour mieux nettoyer un champ de bataille en deux coups de hache. Quant à Isla l’ingénieure, elle double ses attaques lorsque l’on récupère son boomerang au bon moment… Et ainsi de suite.
Ce mélange curieux de stratégie et d’action est aussi plaisant que simple à prendre en mains. Certaines missions semblent à première vue infaisables, mais c’est sans compter sur la perfection du système et la maîtrise des développeurs qui arrivent à offrir des situations stressantes et de puissantes solutions. On est face à une machine d’une rare efficacité, qui ronronne de bout en bout. Le tout reste très mécanique — allers-retours à la base entre chaque niveau, PNJ sans vie, musiques qui bouclent trop vite — bien sûr, et le jeu ne surprend que dans son espace clos et fermé.
Mais bon, que dire de plus ? Dragon Quest Heroes est un musô et ainsi échappe à toute critique objective. On aime ou on aime pas. Si on aime, on est parti pour des heures et quelques beaux moments. Si on aime pas, on aura quand même plaisir à retrouver l’ambiance de la série originale, impeccablement retranscrite jusqu’à ces dialogues niais et sucrés auxquels il est si difficile de résister. C’est bête, mais ça marche, d’un bout à l’autre, sans se fatiguer. On restera sans doute un poil agacé par l’interface, clairement d’un autre âge avec ses doubles validations et sa taille digne d’un jeu PS2.
Toutefois, la vraie bonne nouvelle de Heroes tient à sa sortie en Europe et à son casting très « occidental » (personnages en provenance du IV, du V, du VI et du VIII, les plus connus par chez nous) qui semble sonner une nouvelle ère pour la série. Il est désormais temps que la grande sœur de Final Fantasy s’offre entièrement à nous. À l’heure où certaines franchises historiques tentent de se réinventer et se perdent en cours de route (Final Fantasy XV et Tales of Zestiria), Dragon Quest fait mine d’être le dernier rempart contre le progrès à tout prix. Ah ! Que le classicisme à du bon !
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