Animal Crossing, Les Simpson Springfield
Ma vie c’est de la merde, je l’échangerais bien contre celle des Simpson
Les plus anciens lecteurs de Planetjeux.net s’en souviennent peut-être.
Animal Crossing a sauvé mon couple.
Bien sûr, avec son univers généré aléatoirement pour chaque joueur, le titre atypique de Nintendo, mieux que tout autre, tisse un lien particulier, personnel, affectif presque, avec celui qui le pratique. Dans un article fameux de feu le magazine Joypad, Tristan Ducluzeau, avec ses mots que tous les journalistes jeu vidéo auraient tort de ne pas lui envier, avait parfaitement illustré le phénomène, narrant comment un renne avait commencé à draguer sa copine sous son nez. Il m’est arrivé un phénomène pareillement troublant.
Dans ma forêt aux animaux vivait Bill le lézard, un charmant voisin au bonjour chantant qui n’aimait rien plus que se trémousser gaiement sur son paillasson. Un jour, j’aborde la gaillard, qui me propose une affaire : un fossile, prétendument de grande valeur, à faire expertiser pour le revendre encore plus cher au musée du coin. L’objet coûtait un rein, mais j’étais d’humeur joueuse et je rendais service au reptile en le débarrassant de son caillou. Oh certes, je sais ce que vous allez dire. Que si le marché était si intéressant, Bill le lézard serait allé directement revendre le fossile au musée, pour gagner encore plus d’argent. Mais le monde d’Animal Crossing était ainsi fait, et Bill, je le savais au fond de moi, n’était jamais qu’un putain de robot.
J’ai donc dépensé toutes mes économies avant de porter le fossile au musée. Évidemment, c’était du toc.
Putain de robot
J’étais furieux. Vraiment. Je n’en revenais pas m’être fait duper de la sorte. Alors je suis retourné voir Bill, qui me salua un sourire jusqu’aux oreilles, comme si de rien n’était. Je tentai de lui parler de l’affaire mais bien sûr, rien ne se passait, car le protagoniste d’Animal Crossing, en bon héros Nintendo, ne sait rien dire, se contentant de recueillir la béatitude ambiante.
Sauf que. Animal Crossing dispose d’un service de courrier, qui permet d’écrire de son clavier virtuel des lettres aux personnages du jeu. Je tenais la faille par laquelle mettre Bill le lézard devant son crime. « Espèce d’enfoiré », écrivis-je, « je bosse dur pour rembourser ma maison et toi, tu me détrousses de toutes mes économies ». La missive était accompagnée d’un trognon de pomme, en signe de mécontentement. Le lendemain, la réponse de Bill m’attendait. Le stupide robot lézard n’avait rien compris, baragouinant un charabia incompréhensible. Ma propre lettre n’avait pas dû faire beaucoup plus sens sur lui. C’en était trop. Je me rendis chez Bill, ma pelle à la main. Et je commençai à creuser des trous autour de sa maison, de façon à ce qu’il ne puisse plus en sortir. Vengeance bien éphémère, puisqu’un simple changement d’écran rebouchait instantanément mes tranchées.
Plusieurs semaines après l’incident, le jour de mon anniversaire arriva. Je me trouvais chez mon amie, dont les parents n’avaient alors jamais fait preuve d’une grande curiosité à mon égard. Comme je m’en doutais, ils ne savaient donc pas que c’était mon anniversaire et ne dirent rien de spécial à ce sujet. Je sortis, ce jour-là, ma DS pour lancer Animal Crossing. Ma boîte aux lettres virtuelle avait reçu du courrier.
C’était Bill. Bill le lézard. Qui me souhaitait un bon anniversaire.
Et j’ai ressenti une sorte de tristesse. Les robots avaient gagné. Comment en était-on arrivé là ?
Farces ou friandises
Entre son calendrier (sur Game Cube) qui suivait les saisons et les fêtes de la vie réelle et ses options communautaires (à partir de la version DS) visant à partager ses objets et constructions avec d’autres joueurs, Animal Crossing annonçait l’essor du social gaming symbolisé par les productions Zynga (FarmVille & Co). Suprême ironie ; Nintendo, l’éternel réfractaire du online, qui alla même jusqu’à inventer ces grotesques codes amis pour dissuader les plus acharnés, avait tracé la voie du jeu social avec ses contraintes temporelles rendant le jeu injouable plus de dix minutes par jour. Aujourd’hui, tout le monde tente de récupérer la plus grosse miette d’un marché réduit à peau de chagrin, à commencer par EA avec ses Sim City Social et Simpson Springfield.
Ainsi, au mois d’octobre, Les Simpson Springfield a accueilli une mise à jour à l’occasion du traditionnel épisode Simpsons Horror Show de la série animée. Et le Springfield rebâti par les joueurs de voir des zombies arpenter ses rues, devant des bâtiments inédits (cimetière, maison hantée…) pour autant d’opportunité de collecter farces ou friandises à troquer sur Origin.
Tout cela n’est pas grand-chose, mais m’a rappelé, cette année, l’existence d’Halloween. On a beau avoir entendu ce nom dans toutes les séries américaines de l’Histoire de la télé, impossible d’en comprendre l’esprit sans l’avoir vécue là-bas. Ou alors, dans la campagne profonde. Oui, croyez-le ou non, mais dans les campagnes françaises, les enfants fêtent Halloween, avec leurs déguisements, sacs à bonbons et farces ou friandises. La première fois, on se croit réellement victime d’une faille dimensionnelle. J’étais en train de hurler le refrain d’In Bloom de Nirvana sur Lips, avec mon frère, quand l’interphone a sonné. Dehors, des marmots peinturlurés, venus me demander des bonbons que je n’avais pas prévus.
Mon frère et mes parents partis, ce jour-là, je me suis mis à jouer à Mass Effect. Et alors que la nuit était bien avancée, l’interphone me fit sursauter. Je sortis et distinguai, sous une pluie battante à travers les ténèbres, deux fillettes sans joie qui me fixaient dans leurs costumes de sorcière. Leur vision me glaça le sang et sans doute auraient-elles préféré s’introduire sans bruit dans ma maison afin de m’égorger dans mon sommeil. Je rebroussai donc chemin, fouillant dans mes placards pour trouver de vieux sachets de Fisherman’s Friend que je n’avais jamais eu le courage d’avaler. Je revins ensuite vers les fillettes qui ne bougeaient pas d’un cil et leur donnai les sachets. Elles repartirent sans un mot, et je me souviens avoir souhaité à cet instant que l’avertissement au dos du sachet (ne pas donner aux enfants de moins de six ans) fût sérieux.
Un peu bizarre
J’ai l’air de me moquer mais j’aime sincèrement Halloween. Aujourd’hui, je vis dans une ville, modeste certes, mais cela veut dire qu’Halloween n’existe tout simplement plus. Personne ne semble même envisager la possibilité d’une telle chose. Alors, ne reste plus qu’Animal Crossing, Les Simpson Springfield et autres MMORPG (auxquels je ne joue pas, mais le Grand Merlan me souffle que le phénomène y existe aussi), pour, un peu, célébrer cette fête.
Noël approche. Lili se saisit de mon iPod touch et tombe sur cette notification des Simpson Springfield : « Votre arbre de Noël est prêt ! » Elle tombe des nues, trouve ça bizarre que je mette un arbre de Noël à Springfield mais pas chez nous. Je lui réponds qu’elle sait très bien pourquoi il n’y a pas d’arbre de Noël chez nous, et pense à nos trois chats, cons comme des balais, qui ne se rendent pas compte que manger des aiguilles de sapin, ça les fait crever. Mais trop tard, le mal est fait, Lili fait la moue dans son canapé et me redit que tout de même, c’est un peu bizarre d’avoir un sapin dans un jeu mais pas dans son appartement.
À cet instant, je suis sur le point de lui raconter ce qui me semble bizarre, à moi : qu’un jour, un putain de robot se soit souvenu de mon anniversaire, au contraire de ses parents. Mais finalement, je ne dis rien, je n’ai jamais été doué pour les anniversaires, et je me contente de baisser les yeux en pensant à son grand-père, qui vient d’être hospitalisé. Je pense à Bill le lézard, au différend que nous n’avons jamais réglé. Je pense aux petites sorcières de la campagne isèroise, qui, peut-être, m’aurait piétiné jusqu’à la mort si elle n’avait pas eu leur sachet de Fisherman’s Friend. Je pense au grand-père de Lili qui se laisse mourir. Oui, je baisse les yeux, sans rien trouver à dire, pensant que la vie est une chienne, et qu’à la fin, on meurt.
Je pense à Bill.
Message de la Rédaction : suite à nos articles sur le "DoritosGate", nous pensons qu’il est nécessaire d’expliciter au maximum la situation de nos auteurs. Laurent Jardin vend ses services de traduction depuis plusieurs années auprès (entre autres) d’Electronic Arts. Il n’a pas travaillé sur le jeu Les Simpson Springfield.
Vos commentaires
jukhurpa # Le 19 décembre 2012 à 11:28
Très sympa ce billet.
En parlant d’animal crossing, ça m’a fait penser à cette petite BD émouvante d’un coréen :
http://hyperbate.fr/dernier/?p=12007
Meporg # Le 19 décembre 2012 à 13:36
Un beau billet même si je suis un peu resté sur ma fin. J’aurai voulu savoir la suite. C’est peut-être mieux comme ça, en tout cas il est très touchant.
Sylh8 # Le 19 décembre 2012 à 16:17
Si un jour on m’avait dit que je lirai un billet sur le social gaming avec autant d’attention !
Hell Pé # Le 19 décembre 2012 à 19:16
Hé, je me rappelle de cet article de Tristan ! C’était dans le Joypad n°137 de janvier 2004. À l’époque, la rédaction venait de passer sous le contrôle de Future France (et donc de perdre une bonne partie de ses éléments) mais n’avait pas encore changé la maquette, et les "dossiers" de Tristan détonnaient au milieu du reste du magazine. Il n’en a fait que trois ou quatre avant de disparaître. D’ailleurs, le premier article de Laurent que j’ai pu lire, c’était à propos de Joypad, sur Krinein.
Sinon, ce serait intéressant de faire une critique comparée des Animal Crossing et des machin-ville. Il est vrai que ces deux genres ont une parenté, alors qu’ils sont apparus à deux endroits du monde différents, sur des plateformes très différentes, et si j’ose dire, à des fins différentes (j’hésite à poser le postulat que les Zynga-like sont nés d’intentions beaucoup plus "maléfiques" que les AC). Leurs points communs principaux seraient leur caractère addictif et leur popularité parmi le public non-gamer. On peut sans doute aller plus loin dans le rapprochement.
ked # Le 19 décembre 2012 à 22:39
Bravo pour ce billet, drôle et doux-amer. Un plaisir de vous lire.
Laurent # Le 19 décembre 2012 à 23:09
Belle mémoire, Hell Pé. Par contre, ressortir mes écrits d’adolescent, était-ce bien nécessaire ? ;-)
roger # Le 20 décembre 2012 à 09:49
C’est excellent, le dosage d’intimité est parfait ;).
Yoann # Le 4 janvier 2013 à 16:47
Beaucoup de poésie, j’ai eu un petit pincement de coeur en lisant ce billet empreint de philosophie, teinté d’existentialisme. Un billet très bien écrit, bravo ! (m’enfin, comme tous les textes de ce blog :) Qu’est-il arrivé à Bill ? Est-il toujours en vie ou ta vengeance a t-elle eu raison de lui ? Est ce que tu nous écris de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, d’où tu exerces ton obligation de soin ? :D Bon trêve de plaisanteries, encore bravo pour ce billet que j’ai beaucoup apprécié ;)
Leslie # Le 19 juillet 2013 à 11:54
Excellent billet, je l’ai trouvé drôle, et les passages plus tristes sont introduis de façon douce, avec humour !Je viens de découvrir se site, mais je suis impatiente de lire vos autres billets !
Lo # Le 27 avril 2020 à 11:46
En réponse à Hell Pé :
D’après mes recherches, l’article de Tristan Ducluzeau consacré à Animal Crossing ne figure pas dans le Joypad numéro 137 de janvier 2004 mais dans le Joypad hors-série spécial été 2004. Malheureusement il n’existe de ce numéro aucun scan accessible en ligne. Si quelqu’un a ce numéro sous la main, pourrait-il (ou elle) scanner l’article mythique de Tristan Ducluzeau et le mettre sur internet ? Remerciements infinis.
Hell Pé # Le 23 octobre 2020 à 13:55
En réponse à Lo :
Nom d’une pipe, ça fait sept ans ! Il se trouve que je voulais retrouver cet article pour en préparer un autre sur The Last of Us Part 2. Je vais faire en sorte de le récupérer chez mes parents et d’en faire des scans !
Hell Pé # Le 23 octobre 2020 à 14:07
OK, j’ai tapé des mots au pif dans Google et j’ai mon propre commentaire lu de travers : je pensais qu’on parlait de l’article de L.D. sur Max Payne, paru dans Joypad 139. Celui sur Animal Crossing se trouve bien au numéro 137, page 42.
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