10. Fonds marins

The Witness

Les vertiges du monolithe

En renouant avec l’ésotérisme des premiers temps du jeu vidéo, The Witness invite à une archéologie culturelle où se croisent pêle-mêle Centipede et les hippies de Ken Kesey, Stanley Kubrick et Legend of Zelda, Led Zeppelin et Ronald Reagan, ou encore Gilles Deleuze et Dark Souls. Héritier d’une époque qui n’en avait pas fini avec la métaphysique, le jeu de Jonathan Blow est-il pour autant une machine à se perdre dans les mystères de l’univers ?

The Witness serait-il le 2001 l’Odyssée de l’espace du jeu vidéo ? Le film de Stanley Kubrick est célèbre pour avoir mis son spectateur devant un objet mystérieux et riche d’interprétations. Que signifie le monolithe ? Pourquoi réapparaît-il ? Que nous dit Hal de nous-mêmes ? Quel sens donner à cette traversée lumineuse qui mène à un final où se rejoignent l’homme, le temps et l’univers ? Certains cherchent encore le sens de cette oeuvre métaphysique totale, décortiquant chaque signe laissé par un cinéaste maniaque et lucide, laissant délibérément le spectateur devant une oeuvre trouée prête pour la spéculation. 2001 est peut-être le premier grand film Hollywoodien à clé, et sa date de sortie, 1968, coïncide avec une époque qui fut le berceau d’une contre-culture cherchant les secrets du cosmos dans le LSD et les croyances alternatives. Entre Easy Rider (sorti la même année) et le film de Kubrick, le plus hippie et le plus influent n’est peut-être pas celui qu’on croit. Et si l’histoire de The Witness commençait là ? À une époque dont seul un Elon Musk semble aujourd’hui se souvenir, et où la conquête spatiale atteint alors son apogée (le voyage d’Apollo 11 en 1969). Une apogée à laquelle 2001 donne une perspective mystique qui aura participé à façonner notre vision d’un monde qui croyait alors plus que jamais dans le futur et les mystères de la conscience.

Futurisme psychédélique

Point de croisement d’un entertainement aux fondations aussi ludiques que scientifiques et foraines, le jeu vidéo naît à ce moment où les utopies des années 70 se transforment pour pénétrer progressivement un monde de technologie — dont 2001 raconte à la fois une forme de point de départ, d’achèvement et de réponse aux préoccupations de l’époque. Dans cette décennie faite de désillusions idéologiques, de crise économique et sociale ou encore d’angoisses écologiques voire humanitaires, la transformation de la contre-culture hippie et la fin des trente glorieuses coïncident avec l’arrivée d’un nouvel imaginaire du futur créant une ultime frontière. Se dessine alors un nouvel horizon, des lendemains où se mélangent autant de réalités alternatives que de fantasmes apocalyptiques et de mutations technologiques, vecteurs d’une nouvelle humanité augmentée par l’ordinateur et non plus seulement la robotique — image dont HAL est le parent sinon la matrice. C’est le début d’une nouvelle science-fiction pré-cyberpunk, à cheval entre les vertiges de Philip K. Dick, les visions hallucinées de Métal Hurlant, l’héritage mystique de Led Zeppelin, l’utopie pionnière de Star Trek, ou encore le trans-historisme pop de Georges Lucas, qui débouchera sur l’explosion du blockbuster avec Star Wars — film qui n’aurait jamais existé sans le 2001 de Kubrick. Jusqu’au début des années 80, les premiers temps du jeu vidéo sont encore influencés, participent de cette époque baroque où un néo-futurisme se combine à un ésotérisme hybride dont l’esthétique et certaines figures (l’extra-terrestre comme dépassement d’un humanisme aux idéaux fatigués) trouveront en partie refuge dans le New Age, pour ainsi dire né avec les consoles d’Atari.

Ecrans obscurs

Ce n’est pas un scoop que de rappeler sur quel syncrétisme se sont fondés les premiers temps du jeu vidéo à la fin des années 70, alors fabriqué par une génération venue d’horizons divers, et qui fit connaissance avec les ordinateurs sur les bancs de la fac, pendant que d’autres meurent dans les rizières du Vietnam : Alan Miller, David Crane ou Steve Cartwright, tous ont achevé leurs études autour de 1973 en Californie avant de rejoindre Atari quelques années plus tard - pour le quitter ensuite et fonder Activision où ils auront le droit d’inscrire leurs noms sur les cartouches. Après Bauer et Bushnell, ces pionniers du game design (parmi lesquels on inclura un Tomohiro Nishikado) ont façonné les premiers jeux dans un contexte culturel et artistique qui n’a pas encore tourné la page avec la coloration hallucinée des seventies. Pourtant, rien de spirituel a priori dans Pac Man ou Space Invaders. En apparence : la génération qui a vécu l’arcade de l’époque et qui depuis s’est tourné vers la création indépendante, celle des Jason Rohrer, Phil Fish, Jonathan Blow (et la nôtre), sait et a pu déjà souligner la dimension ésotérique des jeux d’alors. Mais comment prenait-elle forme ? Qu’est-ce qui donnait à ces jeux d’antan une aura qu’aujourd’hui ils n’auraient plus et qu’il faudrait ressusciter ? Pourquoi certains d’entre eux semblaient entourés d’un mystère si épais, dans les entrailles de leurs bornes, qu’on se retrouvait aussi intrigué que devant 2001 ? Comme toute forme d’oeuvre, chaque jeu est le produit de son temps, le médium évoluant autant avec sa propre histoire que celle qui l’entoure. Mais si les influences culturelles ont un rôle (sur les genres autant que l’esthétique), l’évolution du médium en a une également.

« Qu’est-ce qui donnait à ces jeux d’antan une aura qu’aujourd’hui ils n’auraient plus et qu’il faudrait ressusciter ? »

En dépit du succès massif des premières consoles, le jeu vidéo n’est alors pas domestiqué, et bénéficie encore au début des années 80 d’une certaine rareté et donc d’un savoir à construire. Les premiers magazines voient à peine le jour (Electronic Games Magazine nait en 1981) quand Dona Bailey et Ed Logg sortent Centipede en arcade pour Atari. Et personne ne peut en parler en dehors de son cercle d’amis ou des habitués d’un lieu : les BBS sont réservés à quelques techies privilégiés qui ne deviendront populaires et surtout massifs qu’avec Internet. Le jeu vidéo est partout, il fascine le cinéma, les marques, son succès est universel, et pourtant, le joueur est encore dans l’obscurité. Il ne sait rien, à une époque où l’accès à la connaissance, quelque soit le domaine, nécessite des démarches encore loin de portée d’un clic dans un monde en temps réel. Le projet Star Wars de Ronald Reagan, en partie initié après la vision par ce dernier du film Wargames de John Badham, aurait-il pu exister à l’heure de Twitter ? L’époque était au fantasme et aux informations tronquées ; le jeu à sa préhistoire, ouvert à toutes les spéculations, les superstitions, renforcées par un monde encore plus que jamais capable de se bercer d’illusions. La rumeur pouvait alors devenir légende et influencer concrètement nos rêves et l’Histoire.

L’âge de cristal

Les premiers temps du jeu vidéo poussaient à une herméneutique aux ramifications et résonances multiples. Ils prenaient encore place dans des lieux de rassemblement ouverts où le joueur, en glissant sa pièce dans la borne, pratiquait à chaque fois un semblant de rituel devant un monolithe dont il ne savait, d’abord, rien. Comme le spectateur de 2001 avant l’arrivée d’Internet, le jeu vidéo était un objet à déchiffrer, que ce soit en arcade ou ailleurs. Ce n’est pas tant les contraintes techniques qui sont en cause - même si celles-ci poussent aussi au minimalisme, à l’abstraction et par là à un symbolisme notamment hérité du jeu de rôle : lui-même reposant sur une fusion de folklores multiples dont l’époque fût friande, celle-ci cherchant le spiritualisme ailleurs que dans les grandes religions monothéistes. Par ses limites, ses balbutiements, son absence coutumière alors de tutoriel, le jeu vidéo contient une part obscure, énigmatique et parfois accidentellement mystérieuse. Pour accéder à la connaissance du jeu, il faut une pratique intensive qui ne débouche pas nécessairement sur une érudition parfaite (les jeux d’Hidetaka Miyazaki sont parmi les rares avec FEZ et The Witness à vouloir ressusciter ce rapport en respectant sa magie).

« Par ses limites, ses balbutiements, son absence coutumière alors de tutoriel, le jeu vidéo contient une part obscure, énigmatique et parfois accidentellement mystérieuse »

Le jeu ne se donne pas seulement à jouer, pour maîtriser ses mécaniques ou atteindre le meilleur score, mais à être décrypté comme on le ferait d’un texte sacré. Il offre des mondes aux règles cachées, qu’il faut explorer encore et encore pour les comprendre, quand celles-ci ne sont pas faites pour créer de la confusion : niveaux ou bonus cachés débloquants des fonctions fugitives ; easter egg dévoilant le nom de l’auteur du jeu comme un secret partagé seulement par des initiés ; cheat dont il faut connaître les lignes de codes, bien avant l’arrivée du Game Genie, lampe d’Aladdin qui évoque explicitement la part magique du jeu vidéo. Quelque chose se trame dans les entrailles des circuits imprimés ; quelque chose se joue dans ces jeux qui parfois obligent à sortir papier et crayon pour dessiner l’espace de jeu, à une époque où la carte n’est même pas une option, et le programmeur un obscur nerd aux pouvoirs de sorciers.

En partie sous l’influence du gouvernement Reagan et sa politique conservatrice, le jeu vidéo a basculé dans un infantilisme qui ne lui collait pas à la peau jusqu’en 1981, date où les accusations délirantes à son égard démarrent. Etait-ce parce qu’il invite alors, et déjà, le joueur à devenir une nouvelle forme d’explorateur ? Un aventurier qui devant le jeu (en tout cas certains) apprend un nouveau langage, ce qui est toujours le premier pas vers une autre approche de la réalité. Réalité que les hippies voulaient transformer, altérer, réinventer. Et si quelque chose de ce rêve, dont s’est toujours souvenu Jeff Minter avec ses élucubrations ludo-psychédéliques, avait alors fait peur à l’administration qui a foutu en l’air l’économie américaine ? Spéculations ? Interprétation ? Sans doute en partie, mais c’est aussi là où se tient la grandeur involontaire des premiers jeux : leur capacité à générer du mythe.

A.I

Quand on juxtapose cette période avec la nôtre, Internet semble une effroyable machine à tout désacraliser. C’est pourtant toujours dans le flou que se glisse idéalement l’imaginaire. Dark Souls serait-il aussi fascinant et vénéneux avec un tutoriel d’Ubi Soft ? Shadow of the Colossus serait-il aussi poétique et vertigineux avec des cinématiques explicatives et un espace plein d’ennemis à la Far Cry ? Comme le cinéma a fait du hors champ l’envers invisible et magique de l’écran, le jeu vidéo a fait de l’économie (qu’elle soit d’informations, d’image et donc de moyens) un tremplin vers l’abstraction et l’ailleurs. Kubrick n’avait pas d’autre volonté avec 2001 que celle qui préoccupe Jonathan Blow sur The Witness : ne jamais trop en dire, ni en montrer, pour laisser le joueur faire son chemin. «  Il y a des domaines du sentiment et de la réalité qui sont inaccessibles à la parole. Les formes d’expression non verbales comme la musique et la peinture permettent d’y accéder, mais les mots sont un terrible carcan  » expliquait le cinéaste à l’époque de la sortie du film. La citation pourrait être mise dans la bouche du game designer qui, malicieusement, a émaillé son jeu de monolithes.

« Le joueur n’est jamais seul face à lui-même, il dialogue en permanence avec une intelligence »

Car The Witness est l’héritier de cette longue lignée qui renvoie à 2001, passe par les circonvolutions métaphysico-futuristes des années 70, les premiers temps du jeu vidéo et la Rétromania diagnostiquée par Simon Reynolds dans son essai éponyme (et à laquelle Braid participait déjà avec son look de plateformer 16-bits). Il glisse le joueur dans un même rapport non explicite aux choses, bâtissant un monde abstrait dont l’exploration et les échos s’articulent par touches suggestives et mouvements d’éveil. Chaque pas, chaque nouveau puzzle, est une progression, une déduction, une ascension, poussée par un principe d’apprentissage qui se reconfigure au fil de la difficulté et des règles mélangées - en vieil anglais, la racine du titre renvoie à "Wit", soit la conscience de l’apprentissage, d’observer, de comprendre, autant dire la clé de voûte du jeu. Mais plus qu’à des mécaniques et un système, le jeu confronte le joueur à un esprit, et c’est une de ses plus grandes réussites : donner à chaque tableau non pas seulement une logique de difficulté évolutive, mais faire ressentir que quelqu’un, ou quelque chose, nous sollicite. Dans la grande solitude de ce monde figé où l’homme est statufié et le décor ruines ou vestiges, le joueur n’est jamais seul face à lui-même, il dialogue en permanence avec une intelligence qui, comme HAL, est moins artificielle qu’on ne le croit. Etre mi-homme, mi-machine, et embrasser l’univers, le portrait que The Witness dresse de Jonathan Blow ne manque pas d’ambition.

Adieu au langage

Jeu sur la connaissance comme condition de l’infini (et inversement), The Witness met le joueur dans un état de recherche continue (par les puzzles ou l’exploration), ponctuant l’île de symboles donnant à l’oeuvre une portée poétique communiquant avec sa mécanique. Cette construction crée un rapport similaire aux jeux des premiers temps, tout comme l’utilisation du symbolisme graphique renvoie aussi bien à un folklore New Age, qu’au Tri Force de Zelda. Le jeu se veut étrange en tout, invitant à observer, lire, comprendre, s’interroger, sans prétendre compléter tous les trous. À l’inverse Blow préfère la suggestion, la suspension, le recours aux audio-logs servant de chambre de résonance et de point d’interrogation. On aurait tort de voir en eux une affirmation poussive voire arrogante de la démarche artistique et intellectuelle du jeu. Les audio-logs ont une fonction quasi godardienne dans leur système d’associations d’idées, d’images, de visions du monde. Comme le souligne Jacques Rivette dans un entretien republié dans le numéro 720 des Cahiers du cinéma, à propos des films du cinéaste helvétique : "ils fonctionnent par énigme". Blow n’a pas d’autre prétention. Il s’interroge, sur la conscience, l’esprit, le savoir, la science, la réalité, la nature, le cosmos, l’être, la vie, le jeu. Et ses interrogations passent à la fois par les audios-logs et l’écho que ceux-ci prennent au travers de l’expérience de jeu ainsi que son espace. Les extraits vidéos, projetés dans une salle dont l’écran éteint montre un oeil géant qui semble observer le joueur, vont encore plus loin dans cette démarche. Que ce soit par des extraits d’une conférence avec un gourou zen, ou par le final de Nostalghia (Blow suit également la démarche spirituelle et symbolique de Tarkovski), ils invitent le joueur à regarder, écouter, tisser des liens. Tout en opérant une hybridation (les images vidéos rompant le décor onirique et diégétique du jeu) ils ouvrent à un cheminement proche de celui des puzzles. Mais des puzzles sans solutions, ouverts, conçus pour mettre le joueur en état méditatif, prêt pour une exégèse à laquelle le jeu ouvre, comme Kubrick amenait son spectateur à penser la place de l’homme dans l’univers dans 2001.

L’île mystérieuse ?

Les monolithes de Jonathan Blow répondent-ils pourtant à ceux du réalisateur de Shining ? Pourquoi 2001 continue-t-il d’intriguer quand The Witness, parfois vertigineux, souvent brillant, quelques fois laborieux, pourrait ne plus fasciner dans dix ans ? C’est peut-être l’un des rares endroits où le jeu semble échouer à restituer pleinement l’ésotérisme des premiers temps du jeu vidéo. Celui-ci émergeait alors d’un geste non réfléchi et qui depuis toujours est une condition pour voir naitre l’inconnu. À l’inverse, The Witness est un jeu sans accident, longuement mûri, perfectionniste - comme les films de Kubrick avec lesquels il partage aussi le concept d’oeuvre cerveau. Ainsi l’île est par définition un lieu fermé d’où regarder ailleurs, vers l’horizon (à l’image de la dernière statue de la mère et l’enfant), mais sans dépasser ses limites. Le promeneur peut rarement s’oublier, s’égarer, penser à autre chose qu’au système, au puzzle, à être actif, dans un état d’éveil ou de sollicitation. Le jeu fonctionne selon un principe vertical et non horizontal : il se termine sur une montagne qu’il faut gravir puis descendre au fur et à mesure d’un processus de déconstruction (faire semblent d’ouvrir le coeur du jeu, montrer ses dessins préparatoires...), avant de revenir au point de départ. On ne s’échappe pas, la frontière est en dedans, en soi, et l’aventure consiste en une curieuse exploration de l’impermanence dans un monde figé se terminant sur une boucle.

« Reproduire la magie des premiers temps est-il possible ? »

Quelle place alors accorder au mystère si celui-ci est l’objectif du jeu ? Il résiste dans les creux, dans les connexions, dans le cheminement poétique des audio-logs et parfois certains décors. Mais comment peut-il réellement advenir s’il a été conçu comme un enjeu ? Vouloir créer du mystère n’est-ce pas déjà apporter une réponse à ce qui par essence n’en a pas ? Au bout du compte, le jeu ne serait-il pas limité par son intention ? Reproduire la magie des premiers temps est-il possible ? Les jeux d’Hidetaka Miyazaki montrent que oui. Mais Jonathan Blow ? En exposant explicitement sa démarche ésotérique, The Witness ne réduirait-il pas non moins la portée, que le trouble, de son expérience ? Les films de David Lynch n’exerceraient pas la même fascination si le geste de l’auteur de Twin Peaks n’était pas avant tout intuitif (le mystère apparait dans l’irrationnel et l’ineffable). Un début de réponse se situe peut-être dans les courants de pensées multiples que le jeu veut marier.

A Link to the Past

Les auteurs cités par Blow renvoient tous au passé. En citant Arthur Eddington, Albert Einstein ou Richard Feynman, l’auteur ressuscite une époque où la science pouvait révolutionner le monde au point d’imposer une vision radicalement nouvelle. Le temps scientifique sur lequel il s’appuie est celui des grandes découvertes, de la relativité, de l’atome, du Projet Manhattan, de la conquête spatiale, auquel il combine la philosophie de Lao Tseu, les théories en psychologie de Skinner, la poésie de l’indien Tagore ou les réflexions de Nicolas de Cues. Ce paquetage New Age, qui peut être vu comme le cheminement intellectuel, métaphysique et donc personnel de Blow, rappelle un temps qui semble aujourd’hui oublié ou en tout cas daté. Un temps de la croyance où la science était encore l’apanage de quelques uns, et non un milieu où par le gré du hasard et des rencontres émergent des concepts ; un temps des pionniers qui dépassaient autant de nouvelles frontières qu’ils inventaient de nouveaux paysages en marchant sur la lune.

« Le monde est la série infinie des inflexions » — Gilles Deleuze

The Witness est un appel nostalgique vers ce monde disparu et qu’une poignée d’hommes éclairés pouvaient illuminer, interroger, inventer. L’apparente contradiction du jeu, entre un oeil tourné vers l’infini de la connaissance, et un monde figé, fermé, vivant mais en boucle, se réglerait donc par la position offerte au joueur, lui permettant d’observer les choses depuis une île qui serait l’incarnation de ce que nous aurions perdu. L’utilisation des puzzles comme unique mode de jeu suit la même logique de retour en arrière et de re-sublimation : ne démontrent-ils pas les mille variations possibles d’un même concept ? Soit une forme d’éternel recommencement possible qui rappelle ce que disait Gilles Deleuze dans un cours sur Leibniz « Le monde est la série infinie des inflexions ». Ainsi le mystère est moins dans les recoins cryptés du jeu dont il faudrait comprendre le sens, que dans sa capacité à ressusciter un mode de pensée où la science cohabite avec la métaphysique et la magie d’être au monde. Au bout de l’aventure, The Witness ne laisse pas planer une énigme pour des générations de joueurs. Sa proposition est ailleurs, elle est dans l’idée de proposer une expérience concrète du réenchantement comme mode d’existence. Blow ne revient pas seulement à une autre époque du jeu vidéo, de la science, du spirituel, ou même de la culture pop pour élaborer sa proposition, il crée un objet à partir duquel une pensée prend forme et propose un regard sur le monde. Autant dire qu’il s’agit d’un évènement avec lequel nous pouvons bâtir. Ils ne sont pas si nombreux.

Il y a 5 Messages de forum pour "Les vertiges du monolithe"
  • Laura Laura Le 16 mars 2016 à 19:22

    Très intéressant, merci !

  • Le 20 mars 2016 à 17:08

    Merci pour cette critique et analyse
    Au fait, c’est hors sujet, mais que devient le magazine Games qui n’est plus paru depuis septembre ?
    Je cherche en vain des informations depuis un moment..

  • Nikhil Le 21 mars 2016 à 12:12

    Les dernières news de Games c’était qu’ils n’avaient pas payé leurs pigistes depuis l’été 2015 je crois, et après la montée de prix à 15€ avant l’absence de nouvelle sortie, je crois qu’on peut dire que le projet est enterré

  • Le 21 mars 2016 à 17:42

    Merci pour la reponse Nikhil,
    Vraiment dommage, c’etait une bonne proposition ce magazine

  • raphY Le 1er mai 2016 à 17:14

    Je suis en lendemain de cuite, j’aurais tellement aimé lire cette article mais c’est au dessus de mes forces. Une version oral avec des images du jeu pour illustrer ce serait super. #youtubegeneration

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