12. Poisson frais

Trials Evolution

Les jeux du peuple

Avec Trials Evolution, la console de Microsoft entre de plein pied dans l’UGC — l’user-generated content — et offre enfin un peu de liberté aux créateurs de tout poil.

Après avoir fait quelques courses de la (maigre) carrière solo, tout joueur un peu curieux ira fouiller le mode création de Trials Evolution, sobrement appelé "Track Central". On y retrouve deux éditeurs mais aussi, et ce dès le lancement du jeu, des dizaines de circuits et de mini-jeux en tout genre. C’est exactement ce genre d’initiative qui manquait au Xbox Live Arcade pour devenir une plate-forme encore plus intéressante : s’ouvrir à la communauté. La voie avait été ouverte et entretenue par Sony avec Little Big Planet puis avec inFamous 2 ou ModNation Racers. Ces quelques exceptions confirment toutefois la règle des consoles verrouillées, en opposition au jeu vidéo PC, ouvert à souhait, surtout à une époque où Bethesda et Valve proposent aux joueurs de Skyrim d’utiliser Steam pour s’abonner à des mods.

La tendance met du temps à s’inverser, mais elle semble arriver. On a par exemple pu voir la Team Meat et leur Super Meat Boy sur Xbox Live Arcade se doter de contenu supplémentaire et d’ailleurs gratuitement et sans passer par la validation de Microsoft. Ce genre d’ouverture permet avant tout de fidéliser et de faire vivre des jeux qui sortent, se vendent peu et disparaissent à jamais dans les limbes d’un marché à la mauvaise visibilité ; elle montre aussi que les fonctionnalités online d’une console doivent dépasser les frontières du multijoueur. Il ne s’agit pas seulement de s’affronter, mais aussi de partager.

Pour Trials Evolution, Microsoft et RedLynx [1] proposent non seulement du contenu neuf mais aussi des outils de création. Le premier éditeur propose d’aligner des blocs de décors pour fabriquer ses circuits avec simplicité. Cet outil efficace n’arrive toutefois pas à la cheville du second éditeur, aussi que complet que difficile à prendre en main. Très vite, on se rend compte que la volonté de RedLynx n’est pas tant de proposer un éditeur de circuit de moto-cross qu’un créateur de jeu vidéo : gestion de la caméra, évènements scriptés, lumières, éléments de gameplay...

Une fois créés, les nouveaux circuits sont à disposition de tous les joueurs. Les finir permet de les noter ; les mieux évalués ou les plus téléchargés sont mis en avant, en plus d’une sélection de RedLynx. On peut regretter l’absence de partage entre amis : on aime un niveau, on voudrait la passer à un camarade mais on ne peut pas ; pour l’instant il faudra taper le nom du créateur dans un moteur de recherche un peu confus. Nous vous proposons d’ailleurs en fin d’article plusieurs épreuves à tester par vous-mêmes.

En l’espace de quelques jours on a donc pu jouer à de petites perles, forcément vilaines, non-professionnelles, buggées ou tout simplement débiles ; des perles de détournement, de manipulation, de pastiche, de ridicule. On peut par exemple parler de Haunted, sorte de survival-horror glauque et moche où l’on avance et on sursaute au fil des scripts. Il y a des parodies ou des hommages : Super Meat Boy, Angry Birds, Xevious voire le bien nommé Silhouette qui s’inspire de A Shadow’s Tale et où l’on ne voit que les ombres du pilote et du circuit.

La majorité des circuits et des épreuves sont crétines, mal finies ou tout simplement inutiles... reste que l’on peut participer à une course-poursuite avec des flics, tenter de rattraper un train, jouer avec les ralentis pour éviter une pluie de bombes et des plateformes tournoyantes voire revivre un niveau de Amnesia : The Dark Descent de Frictional Games. La liste n’est pas exhaustive.

Contrecoup évident : le mode solo de Trials Evolution passe pour un petit jeu de vieux en comparaison des idées débordantes et débiles de la communauté. Les circuits de RedLynx s’enchaînent avec une maîtrise évidente de la difficulté et de l’humour crasseux (comme passer la ligne d’arrivée et se prendre un piano sur le coin du casque ou se faire bombarder par un sous-marin), le tout enrobé par un moteur graphique vieillissant et une bande-son (commentaires et musiques) de plouc mais tout ça, au final, est bien gentil.

Revenir sur le mode carrière après avoir vécu le mode création fait l’effet d’un cheat code de GTA : le retour au "réel" est difficile. Il y a bien quelques niveaux fendards, des hommages à d’autres jeux XBLA comme Limbo et un mode multijoueur solide... mais qui n’arrivent pas à provoquer l’hilarité, l’horreur ou la surprise comme les niveaux des utilisateurs. Preuve qu’au final, la communauté a gagné.

Toutes les épreuves créées par RedLynx eux-mêmes (nom de créateur : redlynxlive) dont un jeu avec un jetpack assez corsé et d’autres surprises...

Les acrobatiques Stop Time (créateur : waqwaq7), Jump BIG Time (créateur : RedLynx ANBA) et Yeti (créateur : Corruptedbomb).

Les rigolos Cop Chase (créateur : jack kelland) et Dont miss the train (créateur : Muerte To tha G).

Le flippant Haunted (créateur : gAmeboy 5000).

Les parodiques Amnesia trial 2 (créateur : pontcanna) et Mirros edge.shard (créateur : Lish II7).

Et l’excellent Silhouette (créateur : Split Jugular).

N’hésitez pas à nous soumettre vos coups de cœur dans les commentaires.

Notes

[1] Microsoft édite le jeu sur XBLA, trois ans après l’énorme succès de Trials HD, même si RedLynx appartient depuis novembre 2011 à Ubisoft.

Il y a 18 Messages de forum pour "Les jeux du peuple"
  • Steph Le 25 avril 2012 à 11:13

    J’ai toujours tendance à opposer frontalement les consoles qui seraient verrouillées et le pc qui serait ouvert , au moins un peu plus libre. Ton article me rappelle que ce propos, s’il reste vrai, est toutefois à nuancer. Par exemple la plupart des éditeurs sur console sont tout de même ultra-limité : faire varier quelques paramètres, empiler les "briques" à disposition de telle ou telle manière (LittleBigPlanet), mais pas plus. Ce qui est certainement dû à une exigence d’accessibilité.

    D’après ce que tu dis ici, celui intégré à Trial Evolution est déjà beaucoup plus puissant. Mais y’a-t-il un jeu console ou l’on peut créer ses outils soi-même, et détourner suffisamment le jeu pour en faire quelque chose qui n’a plus qu’un vague rapport avec le titre de base ? Un peu à la manière du mod RTS pour Crysis (jamais terminé d’ailleurs ...) http://www.youtube.com/watch?v=fF6k...

  • Steph Le 25 avril 2012 à 11:18

    flûte post réflexe : je trouve en revanche le titre un peu exagéré. Si la communauté s’est emparée du jeu, le nombre de limitations et de contraintes - simplement techniques pour certaines - qui pèsent sur la diffusion/appropriation de l’œuvre font que, tout de même, ces jeux du peuple ressemble à une sorte de démocratie sous surveillance. Mais peut-être est-ce ironique ? ... et du coup je passe pour une tanche ?

  • Martin Lefebvre Le 25 avril 2012 à 11:19

    C’est marrant que par hasard on publie ce papier juste après celui de Laurent Braud sur la génération procédurale. Voilà deux modalités qui permettent de prolonger la durée de vie d’un soft alors que le contenu généré à la main est de plus en plus compliqué et coûteux à produire, du moins si on veut un niveau de prod élevé...

  • eet Le 25 avril 2012 à 11:33

    Comment on fait pour trouver un niveau en tapant le nom du niveau ? C’est possible ?

  • Laurent Braud Le 25 avril 2012 à 11:35

    Pas essayé Trials ... mais ton article me ramène à une époque douloureuse d’addiction à XMoto, lui-même clone d’Elastomania. Y’avait aussi un éditeur et une communauté très active. J’ai arrêté d’y jouer parce que 15 nouveaux niveaux (généralement infaisables) par jour, c’était trop.

  • Anthony Jauneaud Le 25 avril 2012 à 12:19

    @Steph : Le titre, comme toujours, est une petite blague, bien évidemment. La supériorité du PC sur la console reste son contrôleur : il est difficile de faire une interface de logiciel d’édition avec une manette et celui de Trials est sacrément complexe à prendre en main.

    @eet : Tu ne peux pas et c’est idiot. Par contre tu peux chercher par créateur. La plupart des circuits que j’ai sélectionné viennent des meilleurs téléchargements... mais jusqu’à quand le resteront-ils ?

    @Laurent Braud : Au bout d’un moment, la communauté devient trop énorme pour tout faire, surtout quand la moitié des circuits sont ratés ou buggés. Mais il y a quelques perles qui valent bien le temps perdu à errer dans des trucs informes.

  • Harold Jouannet Le 25 avril 2012 à 12:49

    @Steph : j’ai du mal à croire que l’éditeur de niveau de LBP soit significativement plus limité que celui de Trials Evo, au contraire. Il y a justement un certain nombre de niveaux qui ont utilisé différents glitchs pour proposer des niveaux originaux (une sorte de GTA en vue de dessus dans le 1, une simili vue FPS dans le 2). Je ne dis pas que c’est abouti ludiquement, mais les possibilités sont bien là. L’éditeur du 2 permet de reconfigurer énormément de paramètres, au point que j’ai joué à une sorte de mini dungeon RPG en coop (avec barres de vie, de mana et coups spéciaux).

  • Steph Le 25 avril 2012 à 13:15

    J’avoue ne pas avoir touché à LBP2. Le premier vraiment pas longtemps, mais suffisamment pour voir que c’était pas très tres élaboré non plus, et trials non plus justement je posais la question parce que je trouvais que celui de Trials avec l’air sacrément puissant.

    @Martin n’est pas ce genre de contrainte qui a présidé au recourt à cette méthode dans Diablo 1 ? Et la mise en place d’un outil de génération procédurale est peut être rentable qu’à très haut volume de production (une espèce d’économie d’échelle) ? Je n’imagine pas le boulot pour faire un outil performant...

  • Steph Le 25 avril 2012 à 13:17

    Avait l’air... Pas avec. Désolé.

  • Martin Lefebvre Le 25 avril 2012 à 13:19

    @Steph : je pense que le papier de Laurent répondra à pas mal de tes questions.

    Le procédural c’est plus vieux que Diablo, c’est un truc piqué aux roguelikes, dont tout le piment est d’être rejouables ad vitam aeternam.

  • Steph Le 25 avril 2012 à 15:03

    euh... non ^^ mais c’est pas grave.

  • Laurent Braud Le 25 avril 2012 à 16:10

    @Steph c’est pas tant de boulot que ça. Tout les rogue-like sont sur ce principe et on imagine bien qu’écrire un algo qui fasse juste des pièces connectées (à la Nethack) c’est pas très dur. La version de Diablo 1 est pas beaucoup plus compliquée, au moins pour les premiers niveaux. Pour une version plus avancée, Tarn Adams tient un journal assez détaillé de son programme pour DF (par exemple la génération de villes, etc).

  • BlackLabel Le 28 avril 2012 à 13:18

    Anthony Jauneaud :"Revenir sur le mode carrière après avoir vécu le mode création fait l’effet d’un cheat code de GTA : le retour au "réel" est difficile."

    C’est un peu le problème de la création sur les jeux vidéo consoles. On trouve peu de créations intéressantes, mais en plus ça gâche aussi les niveaux déjà présents dans le mode solo. ModNation Racers le jeu ayant été fait avec l’éditeur, ça n’a strictement aucune personnalité. Infamous 2 ne fournissant pas d’éléments originaux, on pond des missions minables en comparaison du solo (sur lequel on ne souhaite plus revenir) sans possibilité de se démarquer. LBP y’a beaucoup de possibilités mais le gameplay reste pas terrible du tout (pas essayé le 2).

    Il faudrait plutôt des éditeurs de maps multijoueurs pour des genres comme le FPS pour véritablement fournir aux joueurs du concret niveau création, quelque chose de durable, mais évidemment ça on n’en aura pas car les DLCs ne se vendraient plus :/

  • potexto Le 5 mai 2012 à 20:19

    Bientot, un editeur de niveau arrive sur Dustforce, d’apres ce que j’ai pu voir. De plus en plus de jeux adoptent cette idée de niveaux créés par la communauté. C’est tres prometteur

  • Steph Le 6 mai 2012 à 15:56

    @LaurentB : Merci pour les précisions. :)

  • etienne Le 6 mai 2012 à 19:08

    De l’abus des lieux communs dans le JV

    Cet article va dans le sens du vent et de la valorisation excessive et bien naïve de jeux apparemment de plus en plus ouverts à la "création", à la "liberté" et à la "communauté", alors que le gros de l’industrie de JV fonctionne comme les autres industries culturelles de masse : une consommation passive de produits créés par d’autres, qui sépare les usagers plutôt que de les rassembler, tout en donnant l’illusion de "communauté" par la simultanéité des usages et des pratiques en réalité surdéterminées par les développeurs.

    Cette notion d’UGC me fait plus penser aux jeux éducatifs à la Nathan/Plyaskool supposés développer la créativité des enfants en leur proposant des opérations simples à partir d’un contenu déjà offert : "crée ton propre...". Bien entendu, l’enfant ne "crée" rien d’autre que ce qui est déjà contenu dans la boite. Idéologie marketing d’une "créativité" tronquée et factice, reposant sur le sentiment vague que la culture contemporaine ne laisse aucune liberté aux usagers, et sur laquelle rebondissent les éditeurs, et malheureusement les journalistes technophiles manquant de recul et prompts à voir de la "liberté", de la "démocratie" et de la "créativité" dès que l’industrie pond quelque chose d’apparemment neuf (on nous a fait le même coup avec Internet, les blogs, le Web2.0 etc...). On avait eu la même vague mercantile avec les pseudos logiciels d’édition musicale il y a 10 ans, consistant à aligner des boucles préenregistrées, à la manière d’un Ableton Live pour demeurés : deviens toi même ton propre DJ...
    Maintenant, le mot d’ordre, c’est "crée on propre JV".

    On retrouve cette idéologie dans les mauvaises pubs pour Microsoft ou Intel, centrés sur la "créativité" de l’usager de l’outil informatique, alors que, comme M. Triclot l’a très bien démontré, l’utilisation de l’outil informatique est devenu la principale tâche des travailleurs des services, dont l’aspect répétitif et procédural domine, ne laissant aucune autonomie et marge de "créativité" dans la plupart des cas (si l’on met de côté justement les professions authentiques de conception, très minoritaires : ingénieurs, designers, architectes, musiciens etc...). Tout se passe comme si les industries culturelles de flux, dont les JV ne sont qu’une branche spécifique, mettaient en avant d’un côté ce que l’informatisation du travail contribue à détruire de l’autre, à travers la taylorisation et la standardisation des métiers de service pilotés par l’informatique : homogénéisation des pratiques, strandardisation des procédures, cochage de croix et manipulation de données quantitatives à longueur de journée etc...

    Les notions de "communauté" et de "partage" sont ainsi devenus des topos usés jusqu’à la corde dès leur apparition avec le Web 2.0, et leur usage est parfaitement abusif. Si l’on se tourne du côté de la seule plateforme où une telle "communauté" - puisqu’il est d’usage d’appeler ainsi la masse indistincte des utilisateurs séparés les uns des autres en dehors de rencontres aléatoires sur des forums anonymes - existe déjà depuis longtemps, celle des mods sur PC, on voit bien qu’il s’agit bien plus de l’agrégation d’initiatives individuelles que d’une coordination de projets proprement "communautaires". Au delà de l’utilité indéniable de certains projets qui finissent le travail des développeurs professionnels pris par des délais trop courts, la prolifération des mini-mods suscite globalement peu d’intérêt.
    C’est un peu comme le "livre d’or" d’une expo ou d’un resto, ou les grafittis dans les toilettes de bar ou sur un monuent touristique : on n’en fera jamais un livre, et personne n’a envie de le lire. La plupart des mods ajoutent des modifications mineures en termes de graphiques ou de gameplay, et personne ou presque ne les télécharge.

    Quand aux projets les plus ambitieux, certes ils existent, mais ils sont le fait d’une ultra-minorité de passionnés et/ou semi-professionnels, qui n’ont rien à voir avec la masse des joueurs : on est loin du "peuple". En outre, la plupart n’aboutissent pas ou sont mal finis ou ils sont des compilations de mods disparates qui donnent un rendu assez peu homogène, à quelques exceptions près, parfois effectivement remarquables. Mais dans ce cas on a affaire à de véritables semi-pros, qui bossent à plusieurs sur des projets extrêmement longs, ce qui fait que ces cas exceptionnels ne peuvent rivaliser avec les studios professionnels. Pour prendre un exemple, le mod Crysis 1 "Casus Belli" vient à peine de sortir au moment où il est déjà question de la sortie de Crysis3 : qui va y jouer ?
    L’industrie, Bethesda et consorts, tente de récupérer ce potentiel "créatif" en tentant de faire croire qu’il s’agit de la propre initiative des éditeurs : c’est vraiment une escroquerie, depuis quand faut-il s’abonner sur Steam pour avoir accès à des mods ?
    La création de jeux, en dehors de mini-jeux flash tout pourris au gameplay antédiluvien (variations infinies à tendance "arty" de Pac-man ou Donkey Kong) tout comme le cinéma, ne peut être "démocratique", pour une raison simple : il faut des compétences, du temps, des moyens et des équipes coordonnées de spécialistes. Tout comme Sundance est devenu en quelques années une succursale d’Hollywood, le "JV indépendant" n’est qu’une vaste foire aux talents permettant de sélectionner les professionnels futurs du secteur. On est loin de cette lecture naïve et consensuelle de la "création de tous pour tous".

    Dans le monde console, on atteint le comble de l’hypocrisie, où les outils d’édition mis à la disposition des joueurs sont extrêmement limités, et où la "liberté créative" se résume à assembler des circuits de voiture ou des plateformes et à les partager avec ses amis facebook, ce qui inspire au pire l’indifférence au mieux les encouragements qu’on donne à un enfant qui vient de faire un dessin bien moche : c’est bien mon petit. Personne ne s’intéresse à la petite crotte que chacun expose fièrement dans son coin, pour une raison simple : il y en a beaucoup trop et elle se ressembent toutes. Cette propension de l’industrie du JV à vouloir persuader le joueur qu’il vit une expérience authentiquement singulière alors qu’il fait la même chose que tous les autres ne laissera jamais de m’étonner. L’aveuglement des commentateurs autorisés du JV à ce sujet m’étonne encore plus. C’est un peu comme le karaoké : de l’"art" à la portée des caniches.
    Cette mode de "l’édition pour tous" est donc un leurre, pour une raison simple : réaliser des jeux finis, intéressants et profonds demande énormément de temps et de moyen COORDONNES, c’est d’ailleurs pour cela qu’il existe des studios de professionnels. Les seules "communautés" qui existent dans le monde du JV ne sont pas les joueurs isolés, mais les sociétés de production, c’est-à-dire des entreprises réunissant des salariés spécialisés et disposant de fonds.

    De très nombreux jeux PC - RTS et FPS en particulier - fournissent depuis deux décennies des éditeurs de maps, de missions ou de campagnes mis à la disposition de l’utilisateur final et compris dans la boîte (je ne parle pas ici des kits de développements pour moddeurs). La plupart du temps, ces fonctionnalités font figure de gadget inutilisé, c’est un petit plus pour la durée de vie, cela ne coûte pas cher aux producteurs puisqu’il suffit d’adapter leur éditeur dans une version tronquée et simplifiée, mais ça n’intéresse qu’une ultra-minorité de passionnés, capables effectivement de pondre une jolie map et de gagner des "contest".
    Pour ma part, j’ai pu passer un peu de temps à jouer à placer des arbres ou des bâtiments sur une carte après avoir fini un jeu, mais ça ne donne pas envie d’aller très loin. Pour une raison simple : batir un scénario, déclencher des évènements, écrire des lignes de texte...bref, faire un truc potable, c’est très chiant pour un joueur lambda, pour un résultat tout simplement minable, faute de temps, de compétence et d’un outil adapté : je préfère assumer ma médiocrité de joueur passif et joyeux.
    Personnellement, je ne crois pas aux succès durable des jeux "Do it yourself" à la Little Big Planet, puisque la "création de jeu" tue le jeu lui-même : la "pseudo-création" l’emporte sur le jeu, et à partir du moment où il y a plus de soi-disant créateurs que de joueurs potentiels, plus personne ne joue. Quand à l’idéologie du "partage", on est exactement dans le processus inverse : il s’agit de flatter le narcissisme d’un très grand nombre d’individus dépourvus de talent ou de compétences particulières dans ce domaine - ce qui n’est pas un problème en soi - à partir de "micro-créations" toutes plus ou moins identiques et sans intérêt, l’opération s’annulant à partir du moment où la multiplication exponentielle des "créations" fait qu’il n’y a plus personne pour daigner y prêter la moindre attention. Ce processus est avant tout générateur de frustrations en masse, à la manière des sélections pour la "Nouvelle Star"...
    On retrouve ceci dans le climat consensuel autour du succès de "Minecraft", sorte de Lego géant pour enfants attardés, consistant à tuer des centaines d’heures pour fabriquer une réplique du Titanic ou de la cathédrale de Chartres en gros pixels, ce qui n’a aussi rien d’un phénomène communautaire en dépit du succès numérique sur le plan des ventes, et représente un aspect bien pauvre de la "créativité" : cela fait penser à ces retraités qui réalisent des répliques de monuments en allumettes, on est plus proche de l’autisme et à mille lieues du "partage" et de la construction d’un projet "communautaire". La seule différence est que le réseau permet d’infliger potentiellement à la terre entière leur "création" absurde et inepte.

    La vague d’enthousiasme des acteurs et commentateurs spécialisés du JV autour de l’UGC en dit plus sur les fantasmes de ce corps de métier que sur l’évolution réelle des industries culturelles, et devrait donc retomber à la manière du flop retentissant de "Second Life" il y a 10 ans, époque où ces mêmes personnes mettaient sur un pied d’égalité existence virtuelle et vie réelle, au nom de la formidable multiplication des possibilités d’existence que de tels mondes promettaient.
    Quand on s’est rendu compte que ces serveurs concentraient massivement une frange de cas sociaux cherchant refuge dans cette sphère virtuelle et que les serveurs ont rapidement été désertés, tout le monde en est revenu. On se rendra compte de la même façon que l’UGC est une grosse baudruche qui masque difficilement le grand mouvement d’homogénisation des pratiques culturelles à l’oeuvre dans le JV, par delà les odes à la "liberté" et à la "création".

  • Steph Le 7 mai 2012 à 15:07

    C’est difficile d’être en désaccord sur le fond avec toi Etienne. Reste qu’Anthony dans le titre qu’il a donné assume le côté ironique, ou caricatural de la chose et qu’il ne s’agit pas du tout de ce délire de nouvelle démocratie communautaire et participative. Je crois sincèrement que "jeux du peuple" est à lire ainsi. Pour le reste, l’article met clairement l’accent sur la pente vers l’ouverture que prend le jeu - même sur console - avec toutes les limites qu’il fait intelligemment apparaître.

    Ceci dit, on peut être de ton avis, et dire que tout cela n’augure rien d’aussi enthousiasmant tant, en réalité, on cantonne les joueurs à des activités marginales, réduites, atrophiées sans possibilitées réelles de création. Possibilitées qui n’apparaitraient pour autant avec simplement la mise à disposition d’outils plus perfectionnés. Pour le coup, le problème devient politique. C’est l’incapacité des individus à maîtriser le coeurs même de l’outil informatique, c’est-à-dire le code, qui met à distance et relèguerait à une passivité non choisie.

    Enfin, j’ai déjà fait un flop avec ça sur le forum, mais ça me fait penser à l’événement "Burn Jita" sur E.V.E. online où l’on tente de nous faire croire à un événement démocratique, expression d’une véritable liberté, par comme chez les autres (entendre les MMO concurrents). Bref, la critique s’exprime toujours à l’intérieur du cadre.

    Ca mérite une réponse. Le merlan est-il cuit ?

  • Martin Lefebvre Le 7 mai 2012 à 19:00

    On est un peu cuits oui, et on a profité des vacances et des ponts pour souffler un peu. On reprend cette semaine. :)

    EVE c’est passionnant, mais je ne connais personne qui y joue, c’est très intéressant de suivre l’évolution politique des serveurs (il y a apparemment de grosses différences entre l’Occidental et le Chinois...), mais je me vois mal en causer de seconde main... Et le peu que j’ai essayé du jeu, c’est tout de même pas hyper accessible.

    Je me demande ce que va donner le World of Darkness de CCP, a priori la licence est plus accessible.

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