Précurseur du genre survival horror, Alone in the Dark tentait sa renaissance en 2008, avec un titre aussi pavé de bonnes intentions que l’Enfer. Annoncé comme un blockbuster, le jeu souffrira d’une production chaotique et de multiples retards, le condamnant un peu trop vite au pugilat critique.
Né à la glorieuse époque d’Infogrames, la saga Alone in the Dark n’avait, comme bien des hérauts de la "French Touch", rien de spécifiquement français. Elle démarre en Nouvelle-Angleterre, pour nous servir du sous-Lovecraft, se poursuit avec des pirates vaudous, s’égare dans une ville fantôme du far-west. Son personnage emblématique, le Near Death Investigator Edward Carnby meurt une première fois, renaît sous la houlette du studio Darkworks, devient même héros de nanar chez Uwe Boll. Ressuscité par Eden Games – ironie du sort, Carnby affronte cette fois rien de mois que… le Diable. Dont "la plus belle des ruses" est "de vous persuader qu’il n’existe pas", comme disait Baudelaire cité en ouverture. Enfin, un peu de patrimoine français dans cette série gavée de références américaines. Même si la phrase, on s’en doute, fut probablement piquée à Poe. Lucifer, donc, qui comme Gozer le gozérien avant lui, a choisi New York pour son retour aux affaires.
Fin de saison
Un homme se réveille sans aucun souvenir. Un de plus, serait-on tenté d’écrire. Et autant le dire tout de suite, le jeu dont il est le héros ne prendra jamais la peine de nous révéler comment en est-on arrivé là. Alone in the Dark Season One, tel était le titre souhaité par David Nadal, directeur du projet. Aurait-on eu droit à un épisode flashback sous forme de DLC, plus tard ? Peu probable, tant l’éditeur Atari s’est empressé de couper court à cette perspective, avant même de savoir si l’ancêtre du survival allait voir son grand retour couronné de succès. Alors, il faudra bien faire avec et le joueur n’a guère le temps de se poser de questions. Il voit flou, à travers les yeux du protagoniste tout juste sorti du coltar. Et le jeu lui demande d’appuyer sur le stick droit pour… cligner des yeux. Voilà une action à laquelle le jeu vidéo ne l’avait pas habitué. Il cligne des yeux, donc, et sa vision devient plus nette, jusqu’à distinguer quelques personnes malveillantes. Sur le point d’être exécuté, il est sauvé par l’apparition d’un phénomène paranormal, une "fissure" qui semble aspirer ses proies. Pour se sentir un peu plus concerné par la situation, l’immeuble dans lequel il se trouve est en flammes et s’effondre peu à peu. Et autour de Central Park, le fléau se répand à grande vitesse…
Au début de ce cinquième Alone in the Dark, rien ne paraît simple. Les commandes déroutent, partagées entre une vue caméra à l’épaule pour les déplacements (empruntée à Resident Evil 4, c’est de bonne guerre) et une vue subjective lorsqu’il s’agit de tirer. Puis, en persévérant un peu, on comprend mieux les différents partis-pris de jouabilité. Certains ennemis jettent au visage de Carnby une substance qui obstrue sa vision, l’empêchant de viser correctement. Comment s’en débarrasser ? En clignant des yeux, bien sûr. Plus positif pour le joueur : Carnby est doté d’un sixième sens qui lui permet de voir les points faibles ennemis lorsqu’il ferme les yeux. La persistance de ce pouvoir pourra être améliorée au cours de l’aventure en déracinant littéralement le mal qui ronge New York : des sortes de tentacules éparpillés dans Central Park à détruire, le plus souvent par le feu. Mais ce qui n’est pour le joueur peu curieux qu’une énième quête syllogomaniaque devient en réalité un défi passionnant, chacune des racines du mal se trouvant dans des décors uniques qui forment autant de mini-niveaux, chacun proposant une énigme spécifique.
Éclair de génie
Après quatre aventures dans des décors précalculés (Resident Evil oldschool, comme disent les djeuns), Edward Carnby passe aux mains d’un studio qui s’est bâti une solide réputation dans la simulation automobile (V-Rally, Need for Speed Porsche Challenge, Test Drive Unlimited). Paradoxalement, cela ne lui a pas permis de passer son examen de conduite avec succès. Maljouables, capables de cascades surréalistes et involontairement hilarantes, particulièrement pénibles lorsque leur emploi est imposé par la progression, les véhicules d’Alone 5 ont heureusement d’autres fonctions dans l’optique "aventure-action" du titre. Comme lorsque Carnby met le feu (au sens propre) au moteur avant de démarrer, lançant le bolide à toute bringue sur une pente pour sauter en marche au dernier moment, laissant l’épave aller s’exploser sur un nid démoniaque autrement inatteignable. Car voilà toute l’astuce. Plutôt que de reprendre paresseusement les recettes éculées de ses prédécesseurs, cet épisode se voit doté d’une multitude de possibilités ludiques, dont certaines ne sont pour ainsi dire jamais indiquées au joueur. Risqué à l’époque de l’assistanat permanent et du crépuscule du game over. Pas de fil d’Ariane qui vous indique toujours la direction à suivre ici, ni de textes vous donnant la solution après plusieurs essais infructueux. Ça, Carnby n’a pas fini de courir pendant des heures dans ce Central Park cauchemardesque, pour fuir une créature monstrueuse ou simplement trouver son chemin dans les ténèbres, sans trop savoir quoi faire. Parfois, il essaie un peu n’importe quoi, pour voir si ça marche et souvent, ça marche. La tension éprouvée dans l’obscurité est alors traversée par un rayon de lumière, un éclair de génie.
Le survival réinventé
Outre le travail remarquable réalisé sur les ambiances, les énigmes se distinguent en mettant à profit le moteur du jeu et la "physique" qui en découle, ainsi que les ressources disponibles dans les décors. Oubliées, les manivelles octogonales et autres portes à la poignée cassée des survival nippons. Si Carnby n’a pas la bonne clef, il tire sur la serrure avec son flingue ou brûle carrément la porte si celle-ci est en bois. Pour faire disparaître la matière noire qui menace de l’emporter, il peut utiliser sa lampe torche, ou des bâtons lumineux lorsque celle-ci n’a plus de pile, voire une chaise enflammée au préalable. Les ennemis eux-mêmes peuvent être mis à contribution, un peu à la façon de certains passages d’Eternal Darkness. Suite à sa sortie sur Xbox 360, Alone in the Dark s’est généralement fait descendre dans les tests, ce qui n’étonne pas vraiment à une époque où les jeux vidéo sont jugés essentiellement à l’aune de leurs qualités (ou défauts) techniques. Et dans cette optique de fiche produit/guide d’achat, même la jouabilité n’est plus qu’une donnée mécanique, quantifiable. Inutile de se voiler la face : Alone in the Dark est techniquement déficient dans le sens "mal fini". La beauté des décors, les effets pyrotechniques et la bonne tenue de la direction artistique peuvent-ils résister aux réactions illogiques des ennemis, au comportement horripilant des voitures ou aux blocages causés par des soucis de jouabilité ? La critique a dit non. Et pourtant. Si son manque de finition rapproche Alone in the Dark de quelques mauvais souvenirs estampillés Atari (Driv3r, Enter the Matrix), il reste un jeu étonnant, inventif et, osons le mot, brillant. Pris indépendamment, chaque élément du jeu finit par poser problème à un moment de la progression. Mais si le joueur accepte de vivre l’expérience dans sa globalité plus que dans ses détails, il trouvera là une aventure sans réel équivalent. Un survival horror réinventé, maladroit dans son exécution mais empli de pistes et propositions stimulantes. Commercialement, ce fut un échec. Mais il ne manquait pas de panache.
Vos commentaires
Barbo # Le 26 octobre 2011 à 10:03
Une variante de la défaite glorieuse bien de chez nous, donc. ;)
La version PS3 est réputée s’en sortir bien mieux que la version 360, tu as peut-être eu l’occasion de l’essayer ?
Laurent # Le 26 octobre 2011 à 10:11
Et bien non car je n’ai pas de PS3 ^^ Atari avait promis un patch pour le version 360, qui l’aurait mise au niveau de la version PS3, mais il n’est jamais sorti...
Du coup difficile d’en juger mais pour ce que j’en ai lu, cette version PS3 "lissait" pas mal d’éléments (l’inventaire, la conduite, la caméra...) pour les rendre plus conformes aux attentes du marché, on va dire. Et cela peut sembler paradoxal mais au fond, je me demande si ça n’efface pas un peu ce qui m’a tant plu dans ce jeu : son côté mal branlé qui oblige à "bricoler", à prendre des chemins détournés, à exploiter les failles (comme ce moment où on peut contourner un bug par... un autre bug ^^).
En fait, c’est un jeu idéal pour l’ancien testeur que je suis ;)
Nano # Le 26 octobre 2011 à 11:35
Ne t’inquiètes pas pour la version PS3, elle est suffisamment buggée pour ne pas perdre son côté bricolé. :)
En gros, elle est un peu plus longue (tout le passage dans le métro qui a été supprimé dans la version 360, mais qui existe dans les autres sur PS2, Wii et PC). Et puis pour le reste c’est un ptit update graphique, et la possibilité d’utiliser le deuxième stick ce qui n’est vraiment pas du luxe.
Enimal # Le 26 octobre 2011 à 22:33
C’est exactement ce que j’ai ressenti en jouant à ce jeu, c’est un jeu bourré d’idées géniales, mais qui malheureusement n’a pas été fini.
En parlant de trucs non fini, c’est dommage de ne pas avoir abordé la fin de Alone In The Dark, qui est un véritable pétard mouillé, et qui paradoxalement m’a fait beaucoup rire.
Laurent # Le 27 octobre 2011 à 10:23
Haha oui, la fin ^^
Perso le côté "à suivre" ne me gêne pas trop (Eden avait déjà fait le coup sur Kya), mais en l’occurrence j’ai eu le sentiment de ne pas du tout comprendre ce qu’il se passait. Il y a une "bonne" et une "mauvaise" fin, mais comme on ne capte rien au film...
rhed308 # Le 24 novembre 2011 à 14:29
La première chose qui m’est venue à l’esprit quand j’ai terminé Alone in the Dark, est "quel dommage". Car il part sur de bonnes idées mais la plupart s’effondre dans leur mise en place. Ce n’est ni un survival vu la quantité d’équipements mise à disposition ruinant tout challenge, ni un jeu d’action vu le nombre d’ennemis, ni un jeu d’enquête qui arrive bien trop tard dans l’aventure. Le scénario reste beaucoup trop en surface et il suffit de voir la fin pour se dire "que s’est-il passé ?". C’est dommage d’autant que la dernière salle du jeu est a mon avis un petit bijou de design tout comme la salle 943 qui déclenche ces petites utilisation de la loupe et la lampe torche.
Monter dans un véhicule est une plaie, et je cauchemarde encore de ce passage en Taxi dans un New York en pleine dévastation. Le système "série TV" semble devoir imposer un contenu important avec de la variété, mais j’avoue que j’aurai mille fois préférer rester à pied, en vue subjective ainsi que dans un jeu mieux ficeler dans le scénario et plus orienté enquête.
Ce jeu est presque un melting pot d’idées qui s’annulent et nuisent à la personnalité du jeu qui n’en manque pourtant pas.
J’ai pour ma part joué à la version PS3, et j’ai constaté que tous les "épisodes" étaient disponible dès le début de notre première partie, proposant ainsi de voir directement la fin... J’ai du mal à comprendre l’intérêt de ce choix.
Laurent # Le 24 novembre 2011 à 14:43
Le système de "chapitrage DVD" était justifié selon les dev par le fait que beaucoup de joueurs ne vont pas au bout de leurs jeux. Donc, il fallait pouvoir "sauter" un passage trop difficile... Mais effectivement aller directement à la fin n’a aucun intérêt.
Je pense que le problème de la structure "série TV" n’est pas tant la variété que le déséquilibre : certains passages sont très bons, très aboutis (le musée, notamment, ou l’espèce de temple à la fin) alors que d’autres ont l’air d’avoir été ajoutés à la dernière minute (les poursuites en bagnole, les cavernes...)
Laisser un commentaire :
Suivre les commentaires : |