Le vide est-il blanc ou est-il noir ? “Noir”, répond le scientifique, qui sait que le blanc, c’est déjà de la lumière. “Blanc”, répond le poète, qui aimerait bien couvrir sa page d’encre noire. Starseed Pligrim n’est pas aussi catégorique : pour lui, le vide, c’est le blanc, comme le noir. Et qu’importe le côté où l’on se trouve : le vide se doit d’être rempli.
Jouer à Starseed Pilgrim nécessitera d’être à la fois scientifique et poète, avec d’un côté la l’analyse, l’empirisme, la botanique (Starseed), et de l’autre la créativité, l’exploration et l’errance (Pilgrim). Il n’est pas possible d’apprécier Starseed Pilgrim sans accepter d’osciller entre ces deux modes de pensée. Entrez-y avec l’esprit trop cartésien, et le jeu vous déroutera au plus haut point, entrez-y avec l’âme trop vagabonde, et vous finirez par tourner en rond.
Avec pareilles conditions d’entrées, on pourrait s’attendre à ce que Starseed Pilgrim ne soit pas “destiné à tout le monde”, à ce que passées les premières minutes, le joueur agacé de ne pas comprendre ferme la fenêtre du jeu. Mais c’est sans compter la drogue que Starseed Pilgrim a discrètement versée dans notre verre, initiant le processus de dépendance. Cette drogue, c’est la découverte.
L’effet de surprises
D’entrée de jeu, Starseed Pilgrim abandonne son joueur sur un petit îlot rocheux au milieu du vide. Hormis les touches à utiliser (flèches directionnelles, espace), il ne lui donne aucune indication sur la marche à suivre, mais en contrepartie, il ne pose pas non plus de problèmes. Le joueur est alors amené à faire ses premières découvertes, plantant ses graines, les regardant (et écoutant) germer, observant leurs différents comportement. Chaque graine est une nouvelle surprise, provoquant un plaisir étrangement similaire à l’ouverture des paquets-cadeaux dans Toejam and Earl. À ce stade du jeu, Starseed Pilgrim à tout d’un bac à sable, et on aurait tout à fait pu s’en satisfaire... si les graines ne venaient pas à manquer.
À la recherche d’une nouvelle dose, le poète se voit alors contraint de quitter son Arcadie, de franchir le portail et d’endosser la blouse du scientifique.
D’un néant à l’autre
Un autre monde s’ouvre alors aux yeux du joueur, avec un îlot similaire au précédent, mais un vide radicalement différent. Celui-ci est toujours blanc, mais ouvre des fenêtres vers un nouveau vide, un vide noir, non plus l’absence de matière mais son contraire. Et cette antimatière semble particulièrement vorace. Tout ce que le joueur construit, elle l’absorbe, et c’est alors une course contre la montre qui commence. De bac à sable, Starseed Pilgrim se transforme en platformer aux accents rogue-like, demandant au scientifique de bâtir les échafaudages les plus solides et les plus efficaces, d’explorer leur négatif, et de comprendre les liens que ces deux mondes peuvent bien entretenir. Les tentatives désespérées de fuir le vide peuvent s’enchaîner avec plaisir, mais sans un brin de méthode et d’empirisme, la tâche pourrait s’avérer rébarbative. Il faut alors expérimenter, comprendre le fonctionnement de chaque graine, théoriser et apprendre de ses erreurs. Chaque découverte que fait le joueur entretient alors sa dépendance et lui confirme que « there’s more where that came from ». Il continue ainsi jusqu’à ce qu’une découverte plus grande encore lui permette d’emporter des graines avec lui, dans son jardin personnel, dans son œuvre.
Cultiver son jardin
De retour à la « maison », le scientifique se retrouvant sans but, laisse de nouveau la place au poète qui va errer et créer à la fois dans ce monde qui semble être désespérément vide. C’est donc ça Starseed Pilgrim ? Se rendre dans l’autre monde, élaborer des chemins, puis les parcourir en sens inverse, en négatif, dans le seul but de ramener de nouvelles graines au jardin originel ? Pourquoi pas ? Après tout, c’est déjà bien assez. Le poète voit tout un horizon créatif s’ouvrir à lui, le scientifique a encore de la marge pour peaufiner sa méthode et la rendre plus efficace. Tout le monde est content. Le cycle reprend alors de plus belle : remplir le noir de blanc, remplir le blanc de couleur, voir la couleur se changer en noir...puis...par hasard, par accident, le poète fait une nouvelle découverte. Élargissant une fois de plus son horizon.
Puis ce sera au tour du scientifique.
Puis une fois encore du poète.
Puis du scientifique...
Les deux mondes, les deux modes de jeu ne cessent de s’alimenter mutuellement par l’intermédiaire de nouvelles trouvailles. À plusieurs reprises, on croira avoir enfin mis le doigt sur l’objectif de Starseed Pilgrim, on croira toucher au but...et on découvrira qu’il ne s’agit que du commencement de quelque chose de plus grand encore.
Pour ce que j’en sais, Starseed Pilgrim est infini, et ponctué d’une myriade d’étoiles, comme le vide qu’il met en scène. Si cela semble impossible, si cela semble défier toute logique, peut-être alors qu’il faut prendre ça avec l’esprit du poète.
Starseed Pilgrim est disponible sur le site de l’auteur, ainsi que sur Steam pour 6$.
Vos commentaires
julien # Le 27 avril 2013 à 09:57
C’est beau.
Robin # Le 29 avril 2013 à 18:43
Ne sachant pas où mettre la traduction que j’ai promise à droqen (avec l’accord de Pierre, même s’il n’aurait pas eu besoin de moi pour la faire !), j’ai pensé à la poster ici tout simplement... au moins, si cela génère du trafic, il reviendra à Merlanfrit.net.
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Is the void white, or is it black ? “Black,” says the scientist, who knows that in white, there is light. “White”, says the poet, who wishes to fill the blank page with black ink. Starseed Pilgrim’s answer isn’t so clear-cut : its void is just as white as it is black. And, no matter what side one resides in, the void must be filled.
Playing Starseed Pilgrim requires incarnating both the poet and the scientist : on one hand, analysis, empiricism and botany (Starseed), and on the other, creativity, exploration and wandering (Pilgrim). One can’t enjoy Starseed Pilgrim without giving in to the oscillation between those two modes of thought. Enter it with a Cartesian mind and the game will prove to be highly disconcerting, enter it with an errant soul and you will end up running in circles.
With such admission standards, you could be forgiven for expecting Starseed Pilgrim not to be “for everyone”, and that after the first few minutes, a player’s confusion would lead to their premature resignation. But that assumption fails to take into consideration the drug that Starseed Pilgrim surreptitiously poured into our glass, initiating the process of addiction. That drug is discovery.
From the outset, Starseed Pilgrim abandons its player on a small rocky island in an ocean of nothingness. Besides a tip on the keys to use (arrows, space), there is no indication as to how to go about it, but as a compensation, there is no apparent problem either. The player is free to record their first findings, planting seeds, watching - and listening - as they grow, studying the differences in their behaviours. Each seed is a new surprise, triggering a strange kind of pleasure not unlike that of opening presents in Toejam and Earl. At this point in the game, Starseed Pilgrim is a full-fledged sandbox, and one that would be engrossing enough... were it not for the dwindling of the seeds.
Seeking a new dose, the poet is now compelled to leave this Arcadia, to step through the portal and to shoulder the scientist’s coat.
Another world opens up to the player’s eyes, with an islet similar to the previous one, but a radically different void. It is still white, but gives way to a new kind of void, a black void ; far from the lack of matter, it’s its opposite, a sort of antimatter that seems particularly voracious. Everything the player builds, she absorbs, and so a race against time begins. Starseed Pilgrim, the sandbox, turns to platformer with roguelike shimmers, and demands from the scientist that they build the most solid and the most efficient scaffolds, that they explore the structures’ negatives, and that they elucidate how the two worlds are linked. Desperate attempts to flee from the void fail one after another, and although the process isn’t devoid of delight, it would quickly prove off-putting without a snatch of method and empiricism. One must experiment to comprehend the properties of each seed, theorise and learn from past mistakes. Each discovery renews the player’s addiction and confirms that « there’s more where that came from ». So they carry on, until an even bigger finding allows them to bring seeds back to their personal garden, their grand work.
As the scientist gets back « home », they find themselves aimless, and as the poet takes over again they’ll err and create at once, in a world where emptiness seems immense. Is this Starseed Pilgrim ? Passing into the other world, elaborating paths, then travelling backwards along their negatives with the sole intent of fetching seeds for the original garden ? Why not ? After all, it’s more than enough. The poet sees a whole creative horizon, the scientist has room to improve the method and make it more efficient. Everyone’s happy. So the cycle resumes with renewed vigour : fill black with white, watch colour turn to black... and... by chance, by accident, the poet stumbles on a new discovery. And the horizon extends further.
And then it will be the scientist’s turn.
And the poet’s once more.
And the scientist’s...
The two worlds, the two modes of play never cease to feed each other new treasures. On several occasions, you’ll think that you’ve finally put your finger on Starseed Pilgrim’s objective, you’ll believe that you’re nearing the goal... and you’ll realize that it’s just the beginning of something far greater.
As far as I know, Starseed Pilgrim is infinite, and interspersed with a myriad stars, like the void it features. If that sounds impossible, if it appears to defy logic, then perhaps one ought to think of it with the poet’s mind.
Martin Lefebvre # Le 29 avril 2013 à 18:47
On a possibilité de publier dans la section fantôme "anglais" du site, qui nous a servi pour publier des interviews en VO sans faire de doublon sur la une... Je — ou Pierrec s’il a le temps — peux m’en occuper demain.
C’est super cool en tout cas Robin.
Pierrec # Le 29 avril 2013 à 20:07
La trad est bien meilleure que si je m’y étais collé ! Bravo et merci !
(Par contre, je peux pas m’occuper de le mettre dans la section aujourd’hui , je sors de Ludum Dare sur les rotules et j’ai juste envie de vacances)
Robin # Le 29 avril 2013 à 20:28
Tant mieux, content que ça plaise :) Repose-toi bien Pierrec !
langello # Le 1er décembre 2014 à 20:33
Excellent résumé du jeu. Je suis effectivement accro à Starseed Pilgrim depuis plus d’une semaine. Je viens de découvrir que, dans le monde noir, certaines portes nécessitent trois clés pour être ouvertes, mais rassembler lesdites clés n’est pas une mince affaire. Je n’y suis pas encore parvenu, ce qui explique ma dépendance à l’égard de ce jeu : que se cache-t-il donc derrière ces mystérieuses portes à trois clés ?
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