Lors de la présentation française de Mass Effect 2, qui s’est déroulée en janvier 2010 à la Géode, le producteur Adrien Cho a répété à plusieurs reprises devant un parterre de journalistes que le second volet de la trilogie avait pris en compte les nombreuses critiques qui avaient été formulées à l’encontre de son prédécesseur. Bioware espérait de la sorte avoir réussi un jeu « à l’abri de la critique » (« critic proof »). S’il faut convenir que Mass Effect 2 a obtenu un succès tant auprès des testeurs (96 sur Metacritic pour la version 360) que du grand public, cette vision du jeu vidéo comme un produit dont il s’agirait de gommer la moindre aspérité susceptible de déplaire a de quoi surprendre.
La Cité des sciences et de l’industrie, ouverte en 1985, mais commissionnée dès les années 70, possède 25 ans plus tard un réel charme rétro, qui fait écho à la nostalgie du premier Mass Effect. C’est ce charme que Mass Effect 2 s’est méticuleusement efforcé d’oublier. Produit en deux ans par une équipe étendue grâce à la manne financière d’Electronic Arts (qui rachète Bioware en novembre 2007), le second volet des aventures du capitaine Shepard a certes débarrassé la série de certaines scories encombrantes, comme un système d’équipement mal fini et des performances techniques en dents de scie. Mais plus insidieusement, le jeu a aussi jeté par dessus bord bon nombre des partis pris initiaux. Si les phases en Mako de ME1 manquaient de finition, elles témoignaient d’une louable ambition, et donnaient lieu à de beaux moments contemplatifs, nous projetant à la surface de planètes colorées et accidentées. C’est aussi tout le travail de l’équipe artistique qui a été poli au point de perdre une bonne partie de son identité. Jack Wall et Sam Hullick restent aux manettes, mais il suffit de comparer les thèmes principaux (ME 1 et ME 2) pour se rendre compte que la bande son a perdu une bonne part de sa saveur synthétique. Même lissage en ce qui concerne la charte artistique : les couleurs primaires qui inondaient les décors du premier Mass Effect sont beaucoup plus en retrait dans le second, de même que le grain de l’image, qui contribuait à l’atmosphère nostalgique. Ainsi, Bioware est passé d’une esthétique rétro-futuriste à quelque chose de beaucoup plus consensuel.
Si Mass Effect 1 se plaçait dans une logique d’archéologie culturelle, exhumant les idées de la science-fiction des années 50 à 80, démarche rétrospective qui ne serait pas déplacée à la Géode, Mass Effect 2 choisit de d’inscrire dans la logique du multiplexe. Avec les scories du premier volet s’est aussi envolé l’esprit pionnier qui le caractérisait. Peut-être même l’original valait-il surtout par ses béances, par les trous où pouvait s’engouffrer l’imagination du joueur. Peut-être faut-il rétrospectivement admettre que ses audaces n’étaient que les heureuses conséquences d’une recherche inaboutie. En tout cas, on aura du mal à retrouver dans le second volet une part du souffle qui rendait son prédécesseur si fascinant. Victime d’une esthétique du zapping qui détruit tout sens de l’urgence et toute progression narrative, Mass Effect 2 est en tout cas loin de former un tout cohérent. Aussi éclaté soit-il, le parcours est cousu de fil blanc, et tout en promouvant le détour, le jeu ne laisse jamais le joueur souffler, tant il s’impose de le divertir en continu.
Le multiplexe, c’est cette multiplication des coéquipiers, une dizaine, chacun proposant deux quêtes, qui sont autant de petites aventures calibrées pour être jouées en moins d’une heure. Si cette structure en mosaïque s’inspire du début des Sept Samouraïs, l’artificialité du procédé et la dislocation narrative qui en résulte plombent le scénario au profit de l’accessibilité. On pense à l’évolution des donjons dans World of Warcraft, de plus en plus brefs, de plus en plus balisés, afin d’éviter aux joueurs la moindre frustration, au prix de ce qui pouvait encore ressembler — dans l’espace virtuel — à une aventure. De même que dans le jeu de Blizzard, tout est fonctionnel dans Mass Effect 2, l’espace n’existe que comme une salle de transit, entièrement fléchée pour nous mener vers la gratification immédiate des scènes de tir.
On peut même se payer un DLC en guise de popcorn.
Dans ses meilleurs moments, Mass Effect 2 parvient tout de même à atteindre une sorte de grandeur kitsch de shooter mélodrame à grand spectacle, auquel il ne manquerait qu’un rien de musique bollywoodienne pour devenir délicieux. Le jeu reste toujours consommable, évidemment. Mais l’expérience du multiplexe sonne creux, les décors somptueux ne sont qu’un trompe-l’œil, et le reboot scénaristique, qui met en suspens — en attendant leur résolution dans le troisième volet ? — les enjeux narratifs de son prédécesseur, semble rendre les choix possibles sans grande importance. On laissera les amateurs s’obséder sur le meilleur moyen de sauver un équipage, trop pléthorique pour être marquant, lors d’une mission suicide finale expédiée et décevante.
Ainsi, contrairement à un premier épisode, ambitieux et malade, qui s’appuyait sur le passé pour promouvoir ses avancées techniques, Mass Effect 2 est sagement rentré dans le rang, pour n’être qu’un jeu tristement contemporain.
Voir aussi cet article que j’avais consacré à Mass Effect 2 lors de sa sortie.
Vos commentaires
Zali L. Falcam # Le 9 mars 2012 à 10:00
Entièrement d’accord, le 2 était techniquement abouti, mais n’avait absolument pas le charme et la profondeur du premier. Le scenar du 2 est au final assez vide (former un équipage, aller later la gueule à un terminator géant, bon.), la ou le premier faisait monter la tension au fil des découvertes archéologiques.
Le jeu a été expurgé de toutes les aspérités qui en faisaient le sel, et c’est dommage. Ca reste un excellent jeu, mais loin en deça du premier en terme d’impact.
Laurent # Le 9 mars 2012 à 11:06
J’ai beaucoup aimé joué à Mass Effect 2, j’y ai passé du temps, fait à peu près toutes les quêtes secondaires (ce que je n’avais pas fait dans le premier) et je ne regrette pas le voyage. Je suis plutôt client du parti-pris RPG light mais je reste lucide sur certains défauts, et notamment la structure complètement transparente (équipage/loyauté/Terminator géant). Les climax du premier étaient autrement plus trippants, la citadelle donnait envie d’y passer des heures... Et puis il y avait ce mystère, cette part laissée à l’imagination. Comme l’exploration des planètes résumée en quelques lignes de texte, qu’est-ce que c’était beau ;_ ;
Martin Lefebvre # Le 9 mars 2012 à 11:25
J’en suis à quelques heures dans le 3, qui a priori me paraît meilleur ne serait-ce que parce que le scénario semble avoir plus de structure... Après, on retrouve un peu les défauts de ME 2 avec des espaces réduits et fonctionnels, et l’impression de pas réellement avoir son mot à dire dans l’histoire. Mais il y a tout de même une tendance à revenir sur certaines choses où le 2 était allé trop loin.
BlackLabel # Le 10 mars 2012 à 13:54
J’ai jamais compris le succès de ce jeu. Des couloirs remplis de caisses en guise de level-design, des gunfights mous comme c’est pas permis, des décors copiés-collés du début à la fin qui font que toutes les planètes se ressemblent (en plus on trouve exactement le même mobilier partout et des PNJs clonés immobiles), un système de dialogues où y’a aucun vrai choix sinon on gagne pas d’XP et on rate plein de trucs. Le degré zéro du jeu vidéo.
Steph # Le 12 mars 2012 à 10:05
Sur la partie critique de ME2, on est d’accord.
En revanche, je crois que le jeu loupe même ce qu’il se propose de faire, cad une expérience de jeu très personnalisée. Personnalisation qui passe par la mise en scène des conséquences des choix (volontaires ou non) "d’orientation" - au sens ou parfois cela revient presque à aller à droite plutôt qu’à gauche, comme dans la forteresse des récolteurs. De ce point de vue, j’ai lu que la fin du jeu promettait moult variations (pertes de certains membres de l’équipe, sauvetage de l’équipage ou pas, etc.) sauf qu’encore une fois cela ne demande rien de la part du joueur et j’ai l’impression qu’il faut être une sacré Ouiche pour ne pas sauver tout le monde. Même si j’ai vu sur un forum un type réussir à perdre tout le monde lors de la mission finale, il s’en sort avec uniquement Jocker... ça doit donc être faisable.
Et l’idée de retourner dans Mass Effect 3 sans toute l’équipe du second épisode, d’avoir Ashley ou pas, serait séduisante si les conséquences de nos actes n’étaient pas si "déconnectées" par la facilité qu’il y a de tout faire "bien". Une séquence qui devrait faire résonner la quête de Shepard dans un final/conclusion grandiose n’est finalement qu’une séquence qui fonctionne par et pour elle-même. Bref, ce Mass Effect 2 propose des choses, a des ambitions, mais ne s’en donne pas les moyens.
Laurent # Le 12 mars 2012 à 23:32
En fait, concernant la dernière mission de Mass Effect 2, c’est très simple : tous les équipiers dont tu n’as pas gagné la LOYAUTÉ en faisant leur MISSION DE LOYAUTÉ crèvent, quoi que tu fasses dans la mission. Perso je n’avais que Jack de PAS LOYALE, suite à la dispute avec Miranda (que j’avais choisie parce que je comptais encore coucher avec elle, sauf que finalement j’ai dragué Tali). Du coup je l’ai prise comme PNJ avec Shepard, en me disant que si je jouais bien ça la sauverait. Ben non, cinématique nasos où on la voit mourir de façon complètement arbitraire... Bah tant pis, quand même vachement envie de jouer au 3 :D
Steph # Le 13 mars 2012 à 15:55
@Laurent : si tous ceux qui ne sont pas loyaux meurent - et encore je n’en suis pas sûr - la réciproque n’est pas vrai pour autant, visiblement les membres loyaux peuvent mourir, en parcourant les forums hier soir j’ai appris qu’ll y a beaucoup de choses qui rentrent ne ligne de compte pour ça. Par exemple, les modifs apportées au vaisseau.
Laurent # Le 14 mars 2012 à 10:55
Ah oui, il y a les améliorations du vaisseau qui jouent un peu, c’est vrai. M’enfin, c’est pas ce qu’il y a de plus dur dans le jeu ;-)
Martin Lefebvre # Le 14 mars 2012 à 11:16
Ce qui est aussi important c’est de deviner qui doit jouer quel rôle lors de la mission finale. Il y a évidemment des indices, mais c’est extrêmement maladroit à mon sens.
Les non loyaux ne meurent pas tous, j’avais perdu la loyauté de je sais plus qui (Miranda ? le krogan ?) et il a suffi que je le laisse de côté lorsqu’une partie de l’équipe se replie pour qu’il survive.
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