World of Warcraft, sorti aux Etats-Unis fin 2004, est arrivé en France il y a tout juste 10 ans, le 11 février 2005. Alors qu’avec Warlords of Draenor, le mastodonte du MMO semble, provisoirement du moins, reprendre quelques couleurs, je me suis souvenu que dans le cadre de la préparation d’un article pour le numéro 5 de Games, j’avais discuté de l’évolution du jeu avec le sociologue Vincent Berry, maître de conférence à Paris XIII et auteur du très complet L’expérience virtuelle : jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo (Presses universitaires de Rennes, 2012). Au fil des remaniements du papier, j’avais pour des raisons de place finalement très peu exploité cet entretien, qui méritait mieux que de finir en chutes dans la corbeille. Au lieu de le laisser moisir au fond de mon disque dur, le voilà, tel quel ou presque, réalisé avant le rebond provoqué par la dernière extension.
Comment expliques-tu le succès de World of Warcraft, qui, avec plus de 12 millions d’abonnés à son apogée, a largement dépassé ce qui a précédé (Everquest a dû plafonner à 500.000 abonnés) : la rencontre entre l’expertise de Blizzard et la démocratisation du haut-débit ?
Vincent Berry : En effet, au moment de sa sortie, World of Warcraft a raflé la mise sur le marché des MMO, ce qui a été un coup dur pour les autres éditeurs présents depuis plus longtemps. Everquest avait fait parlé de lui, mais aussi ne l’oublions pas, La Quatrième prophétie ou Dark Age of Camelot avaient commencé à créer en France une audience régulière, francophone, avec des IRL, des conventions, etc. C’est toujours difficile d’expliquer les raisons (ou très facile a posteriori). Des facteurs socio-économiques peuvent expliquer ce succès : comme tu l’évoques, la pénétration du haut débit dans les foyers français a facilité la pratique générale du jeu en ligne. On peut aussi évoquer la licence forte qu’est Warcraft auprès de joueurs passionnés par ce monde développé en continu au travers de jeux vidéo, jeux de société, jeux de rôles, romans. Dans l’enquête que j’avais menée sur WoW, certains y étaient venus pour l’univers d’Azeroth, fans des produits Blizzard (Warcraft, Starcraft, Diablo) mais peu amateurs à l’origine de MMO. Cependant, c’est un argument tout à fait contestable, d’autres licences importantes adaptées en MMO n’ont pas eu de tel retentissement : Warhammer par exemple, Age of Conan ou Le Seigneur des anneaux. Mais Blizzard bénéficie d’une forte réputation dans le monde du jeu vidéo.
N’oublions pas d’autres logiques marketing tout aussi favorables mises en place par Blizzard : les cartes prépayées permettant aux non-possesseurs de carte bleue, les adolescents notamment, d’accéder à ce type de jeu, ce qui était une pratique peu fréquente jusque-là et qui a eu pour effet de leur permettre de se lancer plus massivement dans les pratiques de MMO.
« Le caractère mainstream de WoW a été un élément clef de son succès »
Enfin, il me semble que le caractère « mainstream » et à l’origine « tout public » de WoW a été un élément clef de son succès. Comme tu l’évoques, la touche « Blizzard » en termes de design n’est pas à négliger : un jeu aux graphismes épurés et à certains égards « cartoonesques », aux mécanismes simples et lisibles en apparence mais avec une vraie profondeur sur la durée. Les MMO précédents restaient relativement complexes et ardus dès les premiers niveaux et supposaient une certains nombre de connaissances liées au domaine du RPG et du jeu vidéo. C’est la griffe de l’éditeur Blizzard, de construire des jeux très « user friendly » mais ayant suffisamment de variables pour permettre des pratiques riches et complexes. Quand tu penses par exemple à DAoC quelques années avant, les logiques de « up » et de « cap » étaient beaucoup moins lisibles, plus complexes. On peut d’ailleurs voir comment avec Hearthstone, Blizzard est en train de gagner le marché du jeu de la carte à collectionner en ligne, devant Magic Online et Might and Magic : Duel of Champions. En reprenant et en simplifiant de beaucoup, ils arrivent toutefois à proposer un jeu qui se renouvelle. Au fond c’est ce qu’ils avaient également fait avec le premier Warcraft : sans inventer un nouveau gameplay, ils ont produit des références du genre.
Comment expliques-tu que ce soit le modèle du parc à thème qui ait rencontré le succès, et pas le sandbox / monde virtuel à la Ultima Online, qui est resté une niche (le représentant le plus populaire reste EVE Online) ?
C’est vrai que ce sont les deux modèles que l’on utilise fréquemment, mais pour reprendre une autre métaphore qu’a proposé Olivier Caïra lors d’un colloque sur les « mondes possibles » à propos de Skyrim, WoW et d’autres MMO sont aussi construit sur le modèle du zoo. Certes dans un zoo, on ne tue pas les animaux, on va les voir, mais il y a une mise en scène du zoo (plus vrai encore dans en Amérique du nord) permettant non seulement au visiteur de ne pas s’ennuyer entre différents ensembles, mais de donner le sentiment que chaque ensemble est un écosystème dans lequel vit une faune, une flore, etc. Il me semble que WoW avait particulièrement réussi à créer un monde fait d’écosystèmes, donnant le sentiment que ce monde vit indépendamment des joueurs. On peut aussi évoquer la métaphore du terrain de jeu. Plus que d’autres MMO, WoW avait cette particularité de ne pas être trop orienté à l’origine sur tel ou tel aspect, mais de laisser les joueurs s’approprier différente formes de jeu. Peu à peu le jeu s’est spécialisé dans un domaine, sous l’effet notamment des pratiques des guildes haut niveau.
Depuis Cataclysm, WoW perd des joueurs avec régularité, et le jeu semble avoir dépassé son pic, même s’il reste largement leader. Aucun jeu ne semble parti pour prendre la relève, même si beaucoup s’y sont essayés. Est-ce que cela signifie que l’audience globale du genre a reculé, ou bien qu’elle est restée identique ou a continué à grandir, mais de manière plus émiettée ?
La plupart des enquêtes montrent une augmentation des pratiques de jeu en ligne, tout genre confondu, parallèle à l’augmentation d’offre de jeu en en ligne, on peut donc raisonnablement penser que l’audience totale de joueurs en ligne reste identique voire en progression mais plus émiettée, comme tu le dis. En France, la pratique du MMO, en 2012 représentait environ 10 % de la population française globale qui y ont joué ou y jouaient dans l’année précédente (enquête LUDESPACE sur un échantillon représentatif de 12 ans et plus). C’est 6% de la population adulte qui y a joué, et 27 % des adolescents entre 12 et 18. Dans les deux cas, une grande majorité d’hommes. Et cela reste relativement stable aujourd’hui (voir en légère diminution).
« Il est peu probable que sur un même genre, on trouve par la suite un tel engouement »
C’est vrai qu’aucun titre n’est arrivé encore à attirer sur autant de temps une telle audience, et surtout une telle diversité en termes de profils. Et il est peu probable que sur un même genre, on trouve par la suite un tel engouement. Après le « miracle » de WoW, le MMO a trouvé sa vitesse de croisière en termes de joueurs mais sur un plus grand nombre de titres et de genre, ce qui rend donc le nombre de joueurs par MMO moins conséquent. On a observé également cela sur le Poker en ligne. Un grand nombre de joueurs à l’ouverture du marché en ligne, puis une baisse qui va vers une stabilisation du nombre de joueurs. C’est un phénomène récurrent dans l’industrie du jeu. Ca a été vrai du jeu de rôle, des jeux de cartes à collectionner, etc.
Est-ce que le genre n’a pas aussi été victime de l’émergence d’autres pratiques en ligne, plus adaptées à ce que cherchent les usagers ? Les amateurs de PVP semblent plus intéressés par League of Legends ou un DayZ, les bâtisseurs et les explorateurs trouvent leur bonheur dans Minecraft, peut-être même que certains anciens joueurs de MMO se contentent des réseaux sociaux (on dit souvent pour plaisanter que Twitter est un MMO ou on farme les followers...) ?
Ca rejoint ce que l’on disait précédemment sur la « prolifération » de jeux en ligne en concurrence avec le MMO. La population de joueurs en ligne et l’offre augmentent, peu de titres peuvent concentrer l’essentiel des pratiques. Il est vrai par ailleurs que les joueurs se définissent par des genres, des styles ou des préférences pour tel ou tel type de formes de jeu : PVP, PVE, craft, explorateurs, etc. La plupart des travaux sur les MMO, ceux de Richard Bartle ou Nick Yee par exemple, vont dans cette idée de « profils » de joueurs, basés sur de motivations et formant des styles de jeu et de joueurs. Et quand tu regardes un peu la façon dont les joueurs jouent, tu repères assez rapidement ces profils. League of Legends ou encore World of Tanks, ont su attirer les joueurs compétitifs, et mettant au cœur de leur gameplay des logiques d’affrontements, des dynamiques « agonistiques ». La diversité des offres de jeux en ligne sur le net rend aujourd’hui difficile des logiques de co-existence dans un même univers de pratiques diverses.
« Les joueurs de jeu vidéo ne sont pas seulement des joueurs de jeu vidéo, ils ont une vie sociale autre que celle liée au jeu. »
Cependant, c’est une vision de la pratique vidéoludique qui si elle est tout à fait pertinente reste très « internaliste », du « dedans », et plus psychologique que sociologique. Il y a non seulement l’usure d’un jeu et d’un genre dans le temps, mais aussi l’évolution sociologique des publics. C’est une banalité que de le dire, mais parfois bonne à rappeler devant certains délires médiatiques sur les mondes virtuels, les joueurs de jeu vidéo ne sont pas seulement des joueurs de jeu vidéo, ils ont une vie sociale autre que celle liée au jeu, et celle-ci à des effets sur leur pratiques (vidéo)ludiques. Quand tu regardes sur la longue durée l’évolution des pratiques des joueurs de jeu vidéo, tu te rends compte non seulement de la diversité des formes de jeux auxquels les individus jouent (du plus valorisé au moins avoué comme Candy Crush) mais aussi de l’évolution des gouts personnels des joueurs au cours de leur trajectoire sociale. Dans le cas du MMO, mais c’est vrai d’autres formes de jeux vidéo, tu as une sorte d’adaptation au cours de la vie entre une situation sociale et un gout pour tel ou tel gameplay, ou pour tel ou tel aspect du jeu. Dans l’enquête que j’avais menée sur les MMO, tu pouvais ainsi observer un moment de baisse, voire de rupture de la pratique autour de 30 ans qui correspondait à des moments de transition dans la vie sociale : fin des études, entrée dans la vie active, dans la vie de couple, paternité/maternité, etc. Tu observais alors différents effets. Soit les joueurs arrêtaient radicalement leur pratique, soit ils les diminuaient. Parfois encore ils les transformaient : faire du craft et de la vente dans WoW par exemple, et ne plus faire d’instance. Changer de jeu également. Le fait d’avoir des enfants, par exemple, amène à des types de jeux avec peu d’instances longues par exemple, aux sauvegardes multiples, ou aux sessions courtes, voire à des jeux jouables en famille.
Contrairement au discours des « mondes sans fins » que tenaient certains observateurs, quand les pratiques des MMO ne sont pas arrêtées dans le temps elles baissent, ou bien encore les pratiques se déplacent sur des jeux « adaptés » à une vie sociale. Les goûts se transforment avec le temps.
« Une nostalgie de l’expérience passée, perçue comme unique en termes d’engagement, de plaisir, d’intensité »
Que penses-tu d’un phénomène comme le burnout ? J’ai l’impression que c’est une chose assez fréquente...
C’est juste du jeu vidéo et du MMO, mais c’est vrai d’autres formes de loisirs dans lequel tout joueur s’est pleinement engagé à un moment donné. Il existe quelques travaux sur les joueurs de figurines par exemple. Certains jouent régulièrement depuis leur adolescence, d’autres regardent avec horreur les figurines qu’ils ont peintes en souhaitant ne plus jamais avoir ce « boulot » à refaire.
Quand on fait des enquêtes auprès de joueurs, sur leurs pratiques de jeux passées ou présentes et sur leur trajectoire de joueurs, tu trouves toujours une forme de nostalgie pour reprendre les termes de Manuel Boutet, une forme d’expérience de jeu passée, perçue comme unique en termes d’engagement, de plaisir, d’intensité, etc. Souvent, cette expérience (souvent recherchée) n’est jamais pleinement retrouvée à la suite d’un titre ou d’un reboot d’un univers de jeu, etc. Mais au fond, l’expérience de jeu est en fait très liée à un moment précis d’une trajectoire sociale, à des sociabilités spécifiques, des moments dans une vie de plus grande disponibilité pour jouer, une histoire partagée avec un groupe social donné. Du coup, il y a un mythe, une sorte de graal, à rechercher une expérience passée à un moment donné dans un jeu sans avoir les conditions sociales particulières dans lesquelles cette expérience de jeu prenait racine : vie étudiante, voyages, vacances, parfois des moments plus difficiles, divorces, décès, maladies … Tout un ensemble de configurations singulières structurent nos expériences de jeu et nos engagements, souvent difficiles à retrouver. Ça revient un peu à ce qu’on évoquait précédemment : l’évolution des goûts. Nos goûts se transforment, en lien avec notre trajectoire sociale. C’est vrai du jeu des enfants, beaucoup de jeux auxquels nous jouions enfants, parfois intensément, et auxquels on joue avec moins de plaisir voire avec ennui sinon pour faire plaisir à ses proches.
Est-ce qu’on constate un vieillissement de la population des joueurs de MMO, ou bien est-ce que beaucoup lèvent le pied une fois que leur temps leur est compté par la famille / les responsabilités ?
Avant WoW, les MMO étaient vraiment une pratique de niche, avec un profil bien spécifique : jeune adulte citadin, diplômé, de classe moyenne, masculin, compétent dans le domaine des TIC. WoW a eu pour effet une diversification du public : des joueurs plus jeunes notamment (mais aussi avec Dofus), des joueurs plus âgés, des joueurs en couple, une féminisation croissante de la pratique, des milieux populaires plus présents. Le MMO s’est diversifié et a commencé à toucher différentes classes d’âges, plus jeunes et plus vieilles. Mais c’est un phénomène qui touche globalement la population de joueur de jeu vidéo qui vieillit. Quand on regarde statistiquement la population générale, on trouve une grande diversité sociale en termes d’âges. Cependant, l’engagement le plus actif demeure quoiqu’on en dise chez les adolescents et les jeunes adultes, étudiants ou jeunes salariés, célibataires, urbains. Les pratiques évoluent avec le temps, les goûts également, les engagements, les intensités. On joue de plus en plus longtemps au jeu vidéo, mais pas de la même façon, selon l’âge, le milieu social, la situation familiale.
« Des dispositifs qui produisent des expériences très fortes et que l’on cherche à maintenir, à prolonger »
Même s’il y a beaucoup de turnover (Blizzard parle de plus de 100 millions de joueurs uniques), quelques irréductibles restent depuis le début. Comment expliquer cette fidélité ?
C’est vrai sur WoW mais au fond c’est vrai de presque tous les MMO. Il reste des groupes de fidèles de La Quatrième prophétie, de Dark Age, d’Asheron’s Call, sous forme parfois de serveurs privés animés par des passionnés. Mais c’est aussi vrai d’autres domaines du jeu : le jeu de rôle (dans lequel on continue de faire vivre des titres qui ne sont plus édités), le jeu de société (des clubs jouent à des vieilles éditions de jeu de société ou de figurine). Il me semble que c’est là une caractéristique très générale du jeu et des pratiques culturelles : des dispositifs qui produisent des expériences très fortes et que l’on cherche à maintenir, à prolonger.
Dans L’expérience virtuelle tu écris « la solidarité est en quelque sorte contrainte par le dispositif ludique ». Est-ce que les changements du dispositif ludique n’ont pas changé la solidarité ? Evidemment, il y a toujours des gens qui regrettent « le bon vieux temps » des contraintes d’Everquest... Mais quand on voit comment le dungeon finder a changé la manière de jouer, on se demande si en effaçant les barrières entre serveurs WoW n’a pas détruit une forme de communauté. Si on a peu de chances de recroiser les gens avec qui on fait un donjon parce qu’il est sur un autre serveur, quelque chose a changé, non ?
C’est vrai que WoW s’est transformé dans ses dynamiques de gameplay, dans son dispositif. C’est ce qui s’est passé dans tous les MMO qui ont visé un grand public. Ils se sont retrouvés confrontés au paradoxe suivant : permettre aux joueurs une diversité de styles de jeu et de pratiques ludiques, mais en cherchant à accrocher des joueurs. Or les pratiques les plus intensives tendent à imposer la définition de ce que c’est que le « vrai jeu » et du coup, à chasser des formes plus alternatives, plus occasionnelles. Samuel Coavoux, sociologue, a mené une enquête sur cet aspect et montre bien comment certaines pratiques s’imposent et deviennent légitimes. Dès que certaines « bonnes pratiques » s’imposent à tous et deviennent dominantes, les éditeurs suivent cette logique mais finissent par faire partir ceux qui ne peuvent pas suivre, ou ceux qui ne peuvent imposer leur forme de pratique et d’engagement. WoW n’a pas échappé à cette logique : il a d’abord été très « mainstream », permettant le farm, la quête, le PVP, le roleplay, etc, mais peu à peu une élite s’est rapidement imposé : guilde spé rush, instance, HL PVE.
« Une histoire partagée d’apprentissage »
Tu parles aussi de l’apprentissage par la guilde comme d’un « compagnonnage numérique ». Mon expérience récente me laisse à penser que ce genre de pratiques tend à s’effacer... On te dit de plus en plus d’aller voir la stratégie sur Youtube au lieu de te l’expliquer, évidemment assorti d’un "L2P" bien senti.
Mon enquête datant d’une dizaine d’année, il est possible que ces logiques aient changé. C’est quelque chose que j’entends par ailleurs dans les milieux de joueurs de MMO que je fréquente. Le MMO est un genre qui s’est établi, presque institué, assez récemment par rapport à d’autres formes de pratiques vidéoludiques. Il me semble que la question des communautés de joueurs et des solidarités est à traiter différemment de l’époque où le MMO était une niche, avant WOW, quand il s’agissait encore d’un jeu « d’avant-garde », un lieu d’expérimentation, où l’on cherchait des canons, des structures, de règles, des logiques de gameplay etc. Des jeux bouleversant un peu les canons comme The Matrix Online ou encore bien avant Ryzom ont été des échecs. Le MMO s’est peu à peu standardisé laissant moins de place à d’autres formes de jeu. En outre, dans les entretiens que j’avais pu mener, les joueurs de MMO sont souvent nostalgiques de leurs premiers mondes virtuels, quand il s’agissait d’une histoire partagée d’apprentissage : quand ils découvraient ensemble un monde, sans en connaitre ni les règles totales, ni la géographie complète. Dès lors qu’un MMO est établi, ou que le genre même est établi, les solidarités font moins nécessité.
Et conséquence de cela, les guildes PVE HL n’ont-elles pas tendance à se recroqueviller sur elles-mêmes ? Ce qui pose d’ailleurs un problème de progression, puisqu’elles se sont toujours nourries de joueurs provenant des guildes moins organisées.
C’est vrai qu’aujourd’hui de grosses guildes « épuisent » des contenus en peu de temps. Ca témoigne d’une évolution de la culture vidéoludique, l’émergence d’une logique sportive, présente très tôt dans son histoire, mais aujourd’hui visible et facilitée par Internet dans le cadre des jeux en ligne. C’est un problème auquel font face nombre d’éditeurs, l’émergence d’élites du MMO, ou pour le dire plus autrement, d’une sportivisation des pratiques. Le cas exemplaire que j’avais pu observer était SWTOR. De grosses guildes avaient rapidement fait le tour du contenu, allant plus vite que les concepteurs. Ça pose également des problèmes d’équilibres dans les modes de distributions des biens, dans l’équilibre des combats. Les éditeurs cherchent des solutions, en cherchant à équilibrer les écarts entre HL et le reste, mais c’est une dynamique très fragile et paradoxale. Les MMO s’appuient souvent sur une distribution inégale des biens et des avantages (théoriquement liée à l’investissement du joueur) mais l’équilibre même du jeu est sans cesse mis en péril par cette logique.
Les blogueurs ont tendance à parler de « single player MMO » : on joue tout seul dans un monde partagé. Que penses-tu de cette idée ?
L’idée du Single Player MMO est plus ou moins forte selon les titres. Il me semble que c’est une logique plus ou moins développée, mais présente dès l’origine des MMO, notamment à travers les classes furtives. C’était très vrai dans WOW, dans d’autres jeux, DAOC par exemple, plus difficile. Je ne saurais répondre complètement. Cela varie selon les titres.
Autre idée, le jeu comme « three monther ». On ne cherche plus à se créer une communauté sur le jeu et à y rester « pour toujours », on consomme le contenu qui est proposé, et une fois celui-ci épuisé, on va voir ailleurs. C’est une pratique qui te semble représentative ?
Oui, mais c’est aussi lié à l’évolution plus générale des sociabilités sur Internet. Quand j’ai travaillé sur les guildes de WoW et DAoC, les logiques qui présidaient à la constitution de communautés étaient très diverses. Certaines se faisaient par le jeu, d’autres se constituaient sur des sociabilités préexistantes (groupes d’amis, collègues, familles, et au final toutes les guildes mêlaient des relations sociales « réelles » et d’autres « virtuelles », non pas au sens d’irréalité mais via des dispositifs numériques. Je crois que la constitution de communautés de joueurs via le jeu a baissé devant la montée en puissance des réseaux sociaux, et d’autres formes de sociabilités numériques. Les communautés de joueurs préexistent désormais aux MMO.
Là ça va être dur de te prononcer en savant, mais comment vois-tu l’avenir du genre ? Peut-il aller de l’avant ? Comment ?
Oui, je ne saurais pas trop quoi répondre. Les game designers et les joueurs auraient un avis plus pertinent. A titre vraiment personnel, je pense que le MMO s’est institutionnalisé et du coup, on voit des MMO « blockbuster », très bien faits, avec des innovations techniques, quelques idées nouvelles sur le gameplay mais peu de grandes nouveautés sur le fond. Mon sentiment cependant est que le MMO, contrairement à ce qu’a voulu être WoW à l’origine, ne cherche pas nécessairement à être grand public mais à s’adresser aux gamers. Le genre MMO a trouvé son rythme de croisière et son public.
Vos commentaires
Bug # Le 12 février 2015 à 20:44
Ce dont Blizzard est très fier (dixit Tom Chilton), c’est d’avoir eu une forte communauté de joueusES. Et ce des le départ, bien avant le carton historique du jeu à WOTLK : les canaux TeamSpeak de Molten Core avait tous droit à leur poignée de joueuses qui rafraichissait l’ambiance "chausette sale, camp scout et vestiaire de sport".
Puis petit à petit le jeu devenir assez familial : parfois sur ces canaux c’était ambiance "je vous heal à une main avec le biberon dans l’autre" ou "je tank en changeant les couches". Les avatars féminins et grandes figures mythologiques du jeu ne sont pas des faire-valoir ni des bimbos et je pense que ça a aidé.
Faut dire aussi que Blizzard a su enrechir l’heroic-fantasy avec beaucoup d’apport intéressant : la culture amérindienne, carabéenne, mongole, chinoise, russe etc.Le steampunk, la pop-culture du 20e siècle, tout passe dans un grand mash-up plus ou moins (selon les avis) bien intégré. C’est bien vu car la fantasy ordinaire sort rarement du cadre tolkienien.
Maintenant, j’attend l’éditeur qui arrivera à faire un genre de "Eve Online" mainstream, ce que WoW a été pour le MMO "parc à thème", réussir à le faire pour le MMO "bac à sable", par ce que "Eve Online" (bien que je n’y joue pas) est une expérience fascinante du point de vue de la liberté offerte au joueur des manières dont l’univers évolue au nez et à la barbe des développeurs.
Mais c’est pas évident. Pourquoi WoW a autant duré et tenu le choc ? C’est que niveau artistique, Blizzard a fait un choix très intelligent : celui du style plutôt que du réalisme. Tout les concurents venus aprêt ont cherché un rendu photoréaliste. Le problème c’est que soit ce rendu est parfait, soit t’as l’impression de jouer un playmobil.
Et paradoxalement, WoW en choisisant un rendu "cartoon" arrive à rendre beaucoup de choses crédibles par petit détail. Regardez la respiration des femmes réprouvées quand elle ne bouge pas : elles ont un genre de hoquet qui montre tout le pénible de leur état de non-mort. Les taurens qui se grattent, et autres détails c’est beaucoup plus simple à bien rendre avec des personnages "cartoon" qu’avec du photoréalisme.
Strife # Le 5 avril 2015 à 06:52
Tiens, ça fait plaisir de voir des gens qui se souviennent de Ryzom :)
Entretien passionnant et analyse plutôt juste au demeurant, en tout cas au vu de ma propre expérience du MMO (depuis le lycée et DAoC qui venait d’avoir sa première extension).
Pour ce qui est des "three monthers" je m’y retrouve aussi, avec un noyeau dur de joueurs constitué depuis nos péripéties sur DAoC, WoW et FFXI et qui rempilons à l’occasion pour apprécier un nouveau titre ou les dernièrs ajouts sur une vieille charrue comme WoW avant de s’en lasser et passer à autre chose. Etrange noyeau dur, d’ailleurs, constitué d’un complétionniste surdoué, d’un joueur "pour le fun" et d’un rôliste (çay moi) , tous fervents adeptes de PVP qui se retrouvent aussi régulièrement sur d’autres jeux multijoueurs en ligne pour des sessions plus "casual".
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