Le meilleur ami de Marty McFly
Il y a une scène magnifique dans l’adaptation par Telltale de Back to the Future. Oh, oui, je sais ce que vous allez me dire, comment ose-je parler d’un tel jeu alors même que l’épisode 5 de The Walking Dead s’apprête à sortir ? Attention, quelques spoilers sont à prévoir...
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C’est simple : ma sauvegarde de The Walking Dead a été supprimée suite à un bug. Contraint de calmer mes pulsions de point & click en attendant le dernier épisode du meilleur jeu de zombie depuis des lustres (à lire notre article sur le sujet), je me suis rabattu sur Back to the Future qui traînait dans ma bibliothèque Steam. Disponible elle aussi en une saison de cinq épisodes, cette version était attendue de pied ferme par les fans et les amateurs du genre.
Peine perdue pour tout le monde. Non content de mollement reprendre quelques personnages et de laisser en chemin toute l’énergie qui régnait dans la trilogie de Zemeckis, Telltale fait aussi l’impasse sur certaines idées de gameplay potentielles (course en hoverboard, non ? Personne ?). Nous faisons face à un jeu calqué sur les Wallace & Gromit et les Monkey Island qu’ils avaient déjà commis précédemment : des jeux d’aventure apathiques, cachant derrière trois décors quelques énigmes et quelques scènes réussies. Il n’y a bien que les références qui fonctionnent ou plutôt les réutilisations des gags des films (le purin, les noms de célébrités de notre époque, etc.), traités ici avec énormément de respect.
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Alors pourquoi en parler ? Sans doute parce que Telltale est un développeur à suivre et que pour comprendre le succès et la réussite de The Walking Dead, il faut aussi remonter le chemin parcouru. Le raté Jurassic Park — les notes sont tellement mauvaises qu’il risque de prendre la poussière sur les disques durs du monde entier —, ce Back to the Future, le sympathique Wallace & Gromit, le Monkey Island, les trois saisons de Sam & Max et l’illustre The Walking Dead, ils viennent du même moule : le même moteur, rafistolé au fur et à mesure des années et qui permet de produire à peu de frais, en misant sur la qualité de l’écriture plus que sur le gameplay.
Avec seulement 100 000 ventes nécessaires par jeu pour rentrer dans ses frais [1], ainsi qu’une production qui sort quasi exclusivement en dématérialisé, la société californienne ne risque finalement pas grand chose et se permet même quelques écarts : deux épisodes de Puzzle Agent [2], trois de Hector : Badge of Carnage (co-développés par TellTale) et une saison entière de Strong Bad’s Cool Game for Attractive People. Sans parler des adaptations "alimentaires" de CSI et de Law & Order... Il ne fait aucun doute qu’il existe ici bas des sociétés plus innovantes, plus originales que Telltale ; mais rares sont celles capable de prendre une franchise et de l’adapter au jeu vidéo avec autant de simplicité et de respect.
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C’est en fait là que réside tout l’intérêt de Back to the Future [3]. Les deux premiers épisodes offrent une jolie redite de Back to the Future Part 1 et Part 2, et s’ils ne brillent pas par leur complexité — nous sommes faces à une succession de petites actions à faire plus que d’énigmes — ils font ressortir cette structure typique et agréable des Telltale : un prologue ; trois actes figés dans le temps, plus courts et aux objectifs clairs ; un épilogue souvent en mouvement (fuite ou course-poursuite). Le troisième épisode, intitulé "Citizen Brown", offre toutefois une jolie surprise. Après avoir modifié par accident le futur de Doc, Marty se retrouve propulsé dans un 1986 dystopique lorgnant sur 1984 où Hill Valley est devenue une cité parfaite, dirigée par Emmett Brown et sa femme Edna, régulée par une science du comportement légèrement flippante [4].
La majeure partie de l’épisode nous demande de provoquer les forces de police : Marty McFly doit reconquérir Jennifer — devenue une marginale —, trouver un chien (interdits en ville) et se faire coffrer avec de l’alcool dans les poches. Ces trois étapes passées, Marty est appelé par Emmett Brown, le "premier citoyer", en personne. Dans son immense bureau, derrière la cloche qui surplombe toute la ville, le “petit père” de Hill Valley écoute attentivement l’histoire farfelue de voyage dans le temps et de présent parallèle du jeune homme. L’objectif du joueur sera de trouver dans la pièce des éléments qui évoquent le passé de Doc et ainsi de le "réveiller".
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Cette longue séquence est un petit bijou, non seulement pour le joueur qui a enchaîné les deux jeux précédents mais aussi (et surtout) pour l’amateur de la série. C’est le cœur un peu serré que l’on entendra Marty déclarer à Doc qu’il est son “meilleur ami” et qu’il a besoin de son aide. Le scientifique, en face, ricane en entendant cette remarque. Comment pourrait-il être le meilleur ami d’un adolescent ? Il écoute pourtant toute la plaidoirie du joueur qui évoque un à un tous les objets de la pièce et que l’on a vu dans les deux épisodes précédents du jeu vidéo, chaque élément faisant lien avec la trilogie : les enfants de Doc, sa femme, son chien Einstein, l’horloge de Hill Valley, son aquarium, une peinture de son père, etc. Toutes ces informations réveillent en lui une sorte de "mémoire génétique" : Doc et Marty sont fait pour être amis, qu’importe l’époque ou leurs âges respectifs. Il y avait dans l’air depuis le début quelque chose qui aurait dû mettre la puce à l’oreille à tout fan : sur les murs de la ville, le symbole du gouvernement totalitaire est un homme levant les bras au ciel, image inversée du fameux convecteur temporel de la DeLorean.
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En allant puiser dans ce qui fait fonctionner la trilogie, les développeurs offrent un joli moment au joueur, sans doute un peu isolé du reste mais tout de même un vibrant hommage à un duo improbable. La suite de cette saison reste très en deçà (tout particulièrement le quatrième épisode) et il est difficile de conseiller d’y jouer tant les moins férus de la trilogie ou les moins patients n’iront pas bien loin, assommés par des aller-retours et un rythme crachotant.
Mais cette longue séquence est exactement ce qui fait la puissance de Telltale, cette capacité à faire vivre une émotion — et un univers — dans un point & click "basique". En faisant revivre ce monde tant aimé, le développeur offre une seconde vie, bien moins impressionnante que celle du cinéma, toujours plus agréable et renversante qu’un bête remake comme celui qu’Hollywood nous gratifiera un jour. Il est question ici de retrouver ce qui faisait l’âme de la trilogie de Zemeckis, Gale, Silvestri, Fox, Lloyd et les autres... Et qui continue à exister, même maladroitement.
Notes
[1] Selon le vice-président du marketing de Telltale, voir cet article.
[2] Je conseille tout particulièrement de jouer au premier épisode, version alternative et bien plus réussie de Professeur Layton, mélangé à du Twin Peaks.
[3] Si on ne retrouve pas Michael J. Fox au casting, Christopher Lloyd et d’autres acteurs des films sont présents.
[4] Qui évoque par ailleurs pas mal Demolition Man, oui, ce petit chef d’œuvre d’anticipation avec Sylvester Stallone, Sandra Bullock et Wesley Snipes. Oui, vous avez bien lu, chef d’œuvre.
Vos commentaires
sseb22 # Le 12 novembre 2012 à 16:49
Juste pour dire que je suis content que quelqu’un d’autre que moi recommande Puzzle Agent ! (c’est tout :o)
Seb
Martin Lefebvre # Le 12 novembre 2012 à 17:16
Oui, Puzzle Agent Layton en mieux c’est bien parce qu’on aime Anthony qu’on laisse passer ça. :)
Anthony Jauneaud # Le 12 novembre 2012 à 17:21
Et aussi parce que c’est vrai :D C’est un jeu d’énigmes où les puzzles font corps avec la narration...
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