Aurora, le 4x spatial bricolé version Excel a tout pour désorienter. Mais derrière une interface peu ragoûtante se déploie l’inventivité du joueur et la précision du créateur.
« Après la découverte de la technologie transnewtonienne, la Terre — dirigée par Gustaw Słota, un homme courageux, orateur hors pair, mais affecté par une maladie inconnue — a immédiatement cherché à coloniser Mars. Mais une première visite par les géologues déçut les espoirs de l’industrie minière. Vénus, elle, était plus propice mais difficilement terraformable ; les mines automatiques seraient la solution la plus simple. Il y eut une première émeute sur Mars quand 20 000 colons furent acheminés par vaisseaux de classe Lunea tandis que les infrastructures avaient été oubliées sur Terre, mais l’erreur fut vite réparée et tout le monde finit par en rire autour d’un cocktail.
Les chercheurs terriens, devant l’éventail des technologies disponibles, avaient choisi de s’orienter vers le secteur énergétique et développaient un grand nombre de moteurs de saut et nouveaux générateurs.
En mars 2026, les senseurs gravitiques détectèrent coup sur coup plusieurs points de saut dans le système solaire. Deux d’entre eux seraient à analyser plus tard ; le troisième était curieusement muni d’une porte spatiale. De l’autre côté, deux soleils : Alpha Centauri. Un vaisseau scientifique fut immédiatement réquisitionné pour voir ce qu’il y avait sur la deuxième planète, qui ressemblait le plus à la Terre sans en avoir l’atmosphère — mais on pourrait en créer une par la suite.
C’est au beau milieu de cette excitation qu’un missile cinétique est venu de nulle part perforer le vaisseau géol. La plupart des membres d’équipage ont réussi à s’enfuir dans une capsule de sauvetage mais il n’y avait qu’un autre vaisseau dans le système, à plusieurs milliards de kilomètres de là. Ils n’avaient des réserves que pour 11 jours, et sont morts de manque d’oxygène. Tous ces vaisseaux étant civils, ils n’étaient munis d’aucun système de détection pour économiser de la place. Il n’existe donc aucun visuel de l’ennemi.
Cette agression inacceptable ne restera pas impunie. Les chantiers navals terriens produisent à plein régime une armada de vaisseaux militaires de petite taille. Restez sur écoute. »
On n’est jamais mieux servi ...
J’ai à peine brodé autour du début de ma première partie d’Aurora. Mais je ne suis pas le seul. Steve Walmsley, créateur du jeu, est le premier à faire des rapports épiques de ses propres parties. Plus l’interface est austère, et plus le joueur est poussé à s’inventer des histoires pour faire vivre son aventure. Et question austérité, Aurora est pratiquement imbattable avec son look de tableur Excel. Les rares représentations graphiques des systèmes solaires sont pratiquement une bizarrerie dans la machinerie de boutons à faire passer un jeu Paradox pour Cookie Clicker.
Aurora fait clairement partie de ces jeux bricolés dont Dwarf Fortress serait le fier représentant. Ces jeux, développés en solo à la maison, ne sont pas construits selon un grand schéma ; ils évoluent petit à petit, chaque version ajoutant son lot de nouveautés. L’esprit de Steve Walmsley n’est pas tout-à-fait celui de Tarn Adams qui, en passant professionnel, a laissé de côté son métier de chercheur pour se consacrer aux forteresses naines. Tandis que Walmsley réalise Aurora sur son temps libre : « Aurora est en réalité un jeu que j’écris pour moi, il se trouve simplement que je le rends disponible aux autres », dit-il dans une interview récente. Il préfère régulièrement passer du temps avec sa famille plutôt que de complaire aux fans qui jugeraient le développement trop lent.
Comme les joueurs en rêvent souvent, il implémente exactement le jeu qu’il désire. Et comme ça fait un certain temps qu’il y travaille, il a eu le temps de penser à beaucoup de choses, tout en récoltant les avis des internautes. A peu près tout ce qu’on voudrait pouvoir faire est effectivement faisable, parfois sous une forme inattendue. Bien sûr, on peut donner des ordres successifs à nos flottes, bien sûr, ils peuvent être donnés en boucle ; bien sûr, on peut — et on doit — choisir pour chaque vaisseau la liste complète de ses composants. Bien sûr, les planètes tournent lentement autour du soleil, et on peut chercher à économiser du carburant en planifiant les lancements des vaisseaux-cargo au bon moment.
Ensuite viennent les morceaux choisis : par exemple, entre la phase de découverte d’une nouvelle technologie (mettons, la "propulsion ionique") et celle de design des vaisseaux où on peut effectivement la mettre en œuvre, il faut passer par celle de prototypage, qui sert à décrire exactement le composant. On n’utilisera pas le même moteur pour un scout furtif que pour un cargo lourd ; la taille, l’équipage, le rendement, la signature thermique doivent être précisément calibrés. Sans parler des rajouts sans effet sur le gameplay, simplement pour le plaisir de laisser le joueur rajouter sa propre richesse. Il peut tout renommer, des coques de vaisseaux aux chantiers navals, inventer et décrire des médailles aux dirigeants qui peuplent son empire.
Toute cette façon de faire n’est pas sans poser des problèmes. L’interface des flottes est d’une complexité étrange. Les bugs et crashes sont nombreux, le jeu n’étant testé que sur une seule machine, celle de son développeur.
Du gameplay au modèle
La précision dans la représentation manifeste une volonté chez Walmsley de se dégager du jeu pour aller vers le modèle.
Dans tout jeu, qu’il soit d’ailleurs vidéo ou sur plateau, les développeurs visent une certaine "réalité", mais se contraignent à un moment donné à une approximation. Celle-ci constitue ce qu’on peut appeler gameplay ou règles du jeu : l’ensemble des actions autorisées, des valeurs numériques qui symbolisent telle ou telle donnée, nombres qui sont nécessaires pour que l’on puisse effectivement manipuler quelque chose. Dans Endless Space, un autre 4X spatial, chaque planète produit des ressources de différents types : nourriture, science, production, dust, ce qui n’a qu’une vague relation avec ce qu’on pourrait imaginer de l’exploitation spatiale. Le système de construction dans les villes et provinces de Rome 2 est encore plus abstrait. Le joueur adopte ces règles, même si elles n’ont pas vraiment de sens , tout simplement parce qu’il faut fixer quelque chose pour pouvoir jouer avec.
Or on a l’impression que Steve Walmsley, lui, refuse ce paradigme, ce compromis habituel qui consiste à dire "d’accord, ça ne veut pas dire grand-chose, mais jouons avec". Par exemple, il n’y a pas de sens réel à faire une séparation nette entre la phase stratégique et tactique comme c’est le cas dans la plupart de ces jeux de stratégie (Endless Space, Sword of the Stars). Le plus léger déplacement dans un combat doit fonctionner de la même manière qu’un transit entre deux planètes, l’échelle de temps et d’espace est simplement plus petite. Puisque le jeu fonctionne par tours, le joueur n’a qu’à en déterminer lui-même la durée, avec une graduation entre 5 secondes et 30 jours.
De la même manière, s’il admet que la planète est l’unité indivisible du système, il est impensable pour lui que les minéraux extraits d’une planète se retrouvent dans une tas commun au système où les chantiers navals pourraient puiser, comme on peut le voir dans la plupart des jeux du genre. Ici, il faudra donc établir des convois vers chaque chantier, ou bien développer une technologie qui permette de s’en passer.
Là aussi, cette ligne de conduite stricte a des effets secondaires. L’IA utilise le même système que le joueur, notamment pour ce qui est des combats, et l’ordinateur ajuste automatiquement la granularité temporelle dans ce cas. Rien à redire, si ce n’est que lors d’une partie bien avancée les combats font rage entre non-joueurs, et un clic sur "30 jours" prend alors de nombreuses minutes [1].
Même en raffinant, on n’échappe pas à quelques ajustements, en particulier la représentation des systèmes en seulement deux dimensions. Conscient de ces faiblesses, Walmsley ne les considère que comme des approximations temporaires : on passera à la 3D un jour. De toute façon, les bases de l’ensemble ne sont d’après lui pas compatibles avec la physique moderne — par exemple, au lieu d’accélérer, les vaisseaux atteignent directement leur vitesse de croisière. Ce genre d’approximation n’est pas acceptable : Walmsley travaille donc à une deuxième version, Newtonian Aurora. Pour les fans les plus hardcore.
Aurora n’est pas si complexe que ça à prendre en main. Il faut réussir à l’installer en allant ici et là ; appparemment il y a aussi un installeur plus direct. Il ne reste plus qu’à mettre le pied à l’étrier.
Le wiki et les forums sont bien entendu des ressources utiles et nécessaires.
Notes
[1] Pour être honnête, je n’ai pas été soumis à ce cas de figure ; les crashes sont trop fréquents chez moi pour me permettre une partie réellement longue.
Vos commentaires
jaunmakenro # Le 28 novembre 2013 à 14:53
Rho bordel ! C’est la première fois que j’entend parler de ce jeux mais le fan de DF en moi est déjà tous frétillant !
En plus je peu jouer au boulot personne ne s’en rendra compte...
Jerry # Le 8 décembre 2013 à 01:31
ce commentaire est très drole : ca montre que ce jeu a tout l’air d’un boulot, et est donc à chier. Le genre de jeu qui doit fasciner l’auteur pédant de ce blog :)
Mr_Tea # Le 9 février 2018 à 15:31
"ce commentaire est très drole : ca montre que ce jeu a tout l’air d’un boulot, et est donc à chier." Parler de discours pédant après ça, est effectivement assez amusant ;)
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