Le masque nu
De la prude Arsinoé, la coquette Célimène dit : "Elle fait des tableaux couvrir les nudités ; Mais elle a de l’amour pour les réalités" (Molière, Le Misanthrope, III-4). La récente polémique concernant le foulard à tête de mort — supposément inspiré par un personnage de Call of Duty — porté par un légionnaire français au Mali montre l’actualité de ces vers.
La photo a fait le tour du web. Prise le 20 janvier dans des conditions que le photographe de l’AFP Issouf Sanogo explique sur le blog de l’agence, elle a déclenché un beau tollé, provoquant notamment l’ire du haut commandement français, qui juge qu’elle reflète un comportement "pas acceptable". Il ne faut pas nier au cliché sa force iconique, sa beauté glaçante. Mais on est en droit de se demander si l’indignation manifestée par l’état-major, dont la presse s’est largement faite écho [1], n’est pas caractéristique de la pruderie telle que la peint Molière. En tout cas le rapprochement avec les jeux vidéo n’a pas tardé, puisque comme l’affirme dès le 21 janvier Le Parisien, le masque porté par le soldat ce masque ne peut manquer d’évoquer celui porté par un personnage de Call of Duty (Simon "Ghost" Riley, agent des forces spéciales britanniques dans Modern Warfare 2), "un jeu vidéo extrêmement violent et populaire".
On pourrait se contenter de laisser passer une polémique qui semble d’ailleurs s’épuiser d’elle-même, en constatant comme Luke Plunkett de Kotaku que si Call of Duty a sans doute permis de populariser un tel accoutrement, celui-ci préexiste largement à sa diffusion : le masque à tête de mort fait partie depuis une dizaine d’années de l’attirail des soldats US, qui n’ont pas attendu le jeu d’Activision-Blizzard pour s’en affubler. Mais si l’on se voit mal prendre les armes pour voler au secours de Call of Duty, sa géopolitique à la truelle, ses conseillers faucons, ses fantasmes militaristes, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les ressorts de cette mise en accusation, issue du haut-commandement, et reprise sans grande distance par les dépêches. Pour anecdotique que soit au fond cette affaire, elle peut apparaître comme caractéristique des débats récurrents concernant la violence vidéoludique, débats qui ressurgissent avec une régularité surprenante.
Frapper le symbole
Mais revenons un instant au cliché, ou plutôt à la réalité qu’il reflète, puisque s’il faut en croire Issouf Sanogo, la photo n’est pas posée, mais prise sur le vif [2]. On se voit mal, confortablement installé à Paris, juger l’attirail d’un soldat sur le terrain au Mali. Après tout, si quelqu’un a le droit de porter pareil masque, c’est bien lui. Quand bien même le soldat aurait été inspiré par Call of Duty le symbole de la tête de mort dépasse largement l’iconographie du FPS : de la danse macabre médiévale à la Santa Muerte mexicaine, en passant par toute une tradition de caricature pacifiste née des tranchées, le crâne est une constante de la représentation du macabre. Qu’il le veuille ou non, en arborant ce masque, le soldat ouvre un champ de significations : il affirme son statut de mort en puissance, de chair à canon ; l’exhibant, il l’exorcise. Il rappelle aussi, ce que le Famas en bandoulière pourrait suffire à signifier, qu’il est porteur de mort. Car contrairement à ce que la stratégie de communication voudrait nous faire croire [3] une intervention militaire implique l’élimination de l’ennemi : jusqu’à preuve du contraire l’armée française n’a pas été envoyée au Mali pour animer des camps scout ou faire du soutien scolaire.
Bien entendu, un tel masque, dans sa crudité — en cachant le visage, il révèle paradoxalement la nudité du squelette que celui-ci nous dissimule —, est aussi sinistre que vulgaire. Mais peut-on demander à un militaire de tuer ou d’être tué en gants blancs ? De ce point de vue, l’Etat-major ressemble en quelque sorte à la prude Arsinoé, puisqu’il veut censurer la représentation, tout en ayant de l’amour pour la réalité guerrière. Il ne s’agit pas ici de discuter de la pertinence de l’intervention française, d’autant que comme l’explique Philippe Leymarie sur son blog du Monde Diplomatique, la question est complexe. Mais au moins faut-il avoir l’honnêteté de considérer qu’à partir du moment où la guerre est un fait, il n’est plus vraiment temps de faire la fine bouche.
Si l’Etat-major décide de faire la fine bouche, c’est que le symbole dit l’inacceptable de la réalité, et qu’il est plus facile de faire taire le messager que de changer cette dernière. On peine à distinguer dans ce genre de comportement ce qui tient de la pensée magique — frapper le totem en guise d’exorcisme — de ce qui relève d’une stratégie de communication bien maîtrisée. Peut-être la communication elle-même tient-elle plus de la pensée magique que de la rationalité. Toujours est-il que comme il est plus facile à Arsinoé de masquer les tableaux que de contrôler ses désirs sexuels — qui n’ont d’ailleurs rien de scandaleux par eux-mêmes — il est plus aisé pour la grande muette et l’Etat français de contrôler les images et d’affirmer que "la guerre, c’est la paix", plutôt que de réellement remettre en cause la Françafrique comme l’avait promis le candidat François Hollande. De même qu’aux Etats-Unis, il est plus facile pour Barack Obama et Joseph Biden de tancer les producteurs de jeu vidéo que de réellement affronter les lobbys de l’armement et la NRA [4]. Ce n’est pas tant la violence et ses causes objectives qu’il faut frapper, mais sa représentation.
Interdire aux soldats de porter des masques macabres, critiquer la violence des jeux vidéo guerriers ne changera pas en réalité le fait que l’Occident se trouve depuis des années déjà engagé dans une guerre frontalière permanente, que les gouvernants ont beau jeu de minimiser ou de mettre en valeur selon les circonstances, mais dont il est impérieux de toujours maîtriser la perception par le public. Or, braillard, mal élevé, le jeu vidéo, quand bien même il se veut défenseur de la "guerre contre le terrorisme", a le tort de dire un peu trop haut ce qu’il conviendrait d’euphémiser. Non seulement taper sur le jeu vidéo, c’est frapper le totem pour exorciser une réalité sur laquelle on ne possède qu’une emprise limitée, mais c’est aussi faire rentrer dans le rang les discours incontrôlés.
L’idiot dit le réel
Il ne fait aucun doute que dans sa grande majorité le jeu vidéo grand public se conforme à la doxa. L’hypothèse formulée par Nick Dyer-Witheford et Greg de Putter dans Games of Empire, selon laquelle "les jeux vidéo sont un média typique de l’Empire — un hypercapitalisme planétaire et militarisé — et représentatif de quelques-unes des forces qui le remettent en question" [5] nous paraît valable. Il faut constater que dans leur grande majorité (des exceptions existent, comme la série Metal Gear Solid ou Spec Ops : The Line), les jeux de guerre reprennent sans grande distance la propagande militariste et la figure d’un Occident assiégé, quand ils ne sont pas directement commandés par l’armée [6]. En ce sens, si les jeux vidéo font peur aux institutions, ce n’est pas à la manière de la contre-culture des années 60-70, largement engagée contre le capitalisme ou la guerre du Vietnam.
Comment expliquer ce paradoxe qui fait du jeu vidéo un allié dangereux pour les militaires ou les marchands d’armes ? On pourrait estimer qu’il s’agit d’une finesse d’une communication à deux niveaux : assurer le recrutement ou un soutien populaire en inspirant des jeux qui vantent le frisson guerrier, tout en rassurant les bonnes consciences journalistiques par la condamnation de ce qu’on encourage par ailleurs. Mais l’on est aussi en droit de se demander si le danger que représente le jeu vidéo grand public n’est pas ailleurs, pour tout dire dans son idiotie incontrôlable, dans sa vulgarité un rien crasse, trop grosse pour passer.
En un sens, le constat est assez désespérant, mais l’on peut considérer que l’establishment est à peu près capable de canaliser une critique radicale, qui toute vivifiante soit-elle, peine à se faire entendre. Peut-être parce que le discours radical de gauche est principalement tenu par des intellectuels dont les origines ou les parcours sociaux s’apparentent à ceux des classes dominantes traditionnelles. Après tout le plus faucon des faucons ne verrait rien de mal à ce que ses enfants fréquentent le MIT, où exerce depuis 1955 Noam Chomsky. Peu de risques malheureusement que la pensée de l’intellectuel radical soit à brève échéance répandue dans les classes moins instruites.
Par contre, le discours du jeu vidéo, tout réactionnaire soit-il, présente le danger de l’incontrôlabilité. Diffusé à des millions d’exemplaires, piraté, hacké, le jeu vidéo projette une ombre complexe sur la culture populaire, qu’il faudrait peut-être comparer avec l’influence du cinéma durant les conflits du XX ème siècle. On constaterait aisément qu’on est loin aujourd’hui du degré de contrôle exercé par la censure ou par la propagande, de la Première Guerre au maccarthysme. Dans le climat libéral contemporain, le jeu vidéo, qu’on ne peut pas toujours télécommander avec précision, a tendance à brailler, à en faire trop là où il serait de bon ton d’user d’euphémisme.
Ainsi le jeu vidéo présente un danger non pas parce qu’il serait hétérodoxe, mais bien plutôt par le dogmatisme forcené de certains de ses acteurs, trop voyant pour passer inaperçu. Call of Duty, Battlefield, les jeux de guerre en général tendent à révéler une fascination morbide pour le massacre, à clamer un patriotisme rance, une vision du monde trop simpliste pour être acceptable. Ajoutez à cela la dangerosité des usages, par le biais des mods, des pratiques en ligne, qui risquent de subvertir un message délicat. Comme le concluent Dyer-Witheford et de Putter, "tandis que les jeux tendent vers un contenu réactionnaire et impérialiste en tant que commodités de divertissement militarisées, marketées, ils tendent aussi vers une forme radicale et multiple en tant que productions digitales collaboratives, en devenir, expérimentales" [7]. C’est bien là que se situe le risque de dérapage.
Les jeux vidéo sont de grands maladroits vulgaires, des idiots qui disent tout haut le désir, les fantasmes ou les craintes qu’il faudrait voiler. Ils trahissent la communication lisse et montrent du doigt un réel qu’il faudrait couvrir d’euphémismes, effacer de la photo officielle. Les hauts cris du haut commandement sont évidemment une façon d’obtenir le silence dans les rangs, de faire taire une fanfaronnade déplacée. Au lieu de crier avec Arsinoé et la grande muette, ne vaudrait-il mieux pas regarder en face le visage grimaçant que nous offrent le masque à tête de mort du légionnaire et les blockbusters va-t-en guerre ?
Notes
[1] Il faut noter que la majorité des articles ne prend pas à son compte l’indignation, à l’exception peut-être d’un papier de Rue89. Les journalistes attribuent la réprobation d’une part à l’Etat-major, de l’autre à des "internautes", étonnante convergence.
[2] On lira néanmoins le billet de Philippe de Jonckheere sur desordre.net qui dénonce la manière dont le cadrage met en fiction le réel photographié
[3] Comme l’explique Le Monde en reprenant un article de Télérama, l’armée ne fait pas grand chose pour aider le travail des journalistes, la volonté de contrôler ce qui filtre est évidente.
[4] Certes, on peut considérer comme le fait Kyle Orland sur Ars Technica que l’annonce d’une subvention destinée à promouvoir la recherche sur la violence des jeux vidéo n’est qu’un point de détail au sein d’une série de mesures. Mais on pourrait aussi se demander pourquoi cette investigation spécifique quand les réelles avancées concernant le port d’arme semblent bien lointaines
[5] Nick Dyer-Witheford et Greg de Putter, Games of Empire, University of Minnesota Press, 2009, p. XV, nous traduisons
[6] Ibid., chapitre 4 "Banal War" consacré notamment à Full Spectrum Warrior, déclinaison civile d’une simulation militaire.
[7] Ibid. p. 228
Vos commentaires
Tony # Le 26 janvier 2013 à 11:06
Super papier avec des formulations très belles et remarquablement justes...
C’est très annexe mais la notion d’Empire est datée et sans doute un peu fausse. Ouaip moi aussi je l’ai utilisé mais avant de lire le géographe David Harvey qui l’a clairement déconstruite en expliquant que les flux de capitaux étaient encore étroitement liés à des logiques territoriales... Bref que le capitalisme était encore très territorialisé. D’autre part, le USA ne sont plus qu’une hyperpuissance très relative aujourd’hui. Il faut dire que les guerres ratées et la crise financière sont passées par là.
Martin Lefebvre # Le 26 janvier 2013 à 11:20
Games of Empire est un bouquin intéressant, qu’il faudrait que je chronique... Même si les s’éloignent un poil de la définition de l’empire par Negri et Hardt, leur bouquin est parfois critiquable quand ils essayent à tout prix de faire entrer la réalité dans les cases de leur analyse... mais ça reste une lecture utile, parce que sur beaucoup de points leurs analyses ou du moins leurs synthèses sont assez inédites.
Donc je ne m’inscris pas vraiment dans cette idée d’Empire (qui d’ailleurs ne se limite pas aux USA mais plutôt à une doxa capitaliste qui vaut aussi bien en Chine ou ailleurs, il me semble que ça n’exclue pas une certaine décentralisation), je m’appuie plus du boulot des auteurs de GoE pour ne pas avoir à prouver moi-même le côté très dogmatique du JV mainstream à vrai dire.
Tony # Le 26 janvier 2013 à 11:50
Ouai bouquin assez intéressant que j’ai d’ailleurs offert à Pierrot y’a un bail ^^., mais très clairement en dessous de leur précédent bouquin Digital Play. Bizarre.
Martin Lefebvre # Le 26 janvier 2013 à 11:51
C’est bien Digital Play ? Je le note (tu en avais parlé quelque part ?)
Thibault # Le 26 janvier 2013 à 12:08
Première partie de l’article juste. Je suis en désaccord avec la deuxième et l’idée de "message" dans le jeu vidéo. Ce message est très faible et surtout visuel, s’il a existé des jeux vidéo consacrés à l’enrôlement ça reste des cas très très très exceptionnels, des manipulations qui sont loin de pouvoir soutenir de réelles conclusions. D’autre part, ce message il n’est pas entendu, pas entendu du tout, et dans les jeux cités (BF et CoD), le jeu c’est d’abord le multi, pardonnez, mais tout le monde s’en branle de l’histoire. Enfin en dénonçant le fait que le "jeu vidéo" est idiot, réactionnaire, finalement on lui demande de se conformer à ses propres idées, or en réalité, le jeu vidéo est ce que les développeurs en font et la plupart du temps le "message" est un objectif insignifiant ; ce n’est pas que le jeu vidéo s’est entiché d’une propagande impérialiste, c’est surtout que la question politique le désintéresse totalement, même dans les jeux de guerre. On prend des ingrédients à droite à gauche et puis c’est tout. Même en ce qui concerne MGS qui est vu comme l’archétype du jeu "qui se pose des questions" ça reste hyper léger comparé à d’autres médias.
Enfin il faut poser une question, ce masque, vient-il vraiment du jeu vidéo ? Ce genre de symbole renvoie à des habitudes guerrières qui proviennent de la nuit des temps. Les gaulois eux-mêmes arboraient des cranes humains sur leurs chevaux. A vrai dire, in fine je ne vois pas ce que vient faire le jeu-vidéo ici, qui n’a fait que transmettre, reprendre, ce qui appartient au soldat et est retourné au soldat. Je pense qu’il y a dans nos rangs bon nombre de jeunes hommes exhibant des symboles de mort, que ce soient tatouages, peintures sur les véhicules...si le Haut-commandement a réagi, c’est après le buzz. Si personne n’en avait parlé, le type aurait continué à le porter son foulard et ça n’aurait posé aucun problème ni à sa section, ni à sa hiérarchie.
Martin Lefebvre # Le 26 janvier 2013 à 12:26
Thibault,
sur le côté ancien du masque pour faire peur, je te rejoins, d’ailleurs j’en touche un mot (sans remontre jusqu’aux Gaulois, certes...). Ce que vient faire le jeu vidéo ici, c’est je pense que pour un certain nombre d’engagés il fait partie des pratiques culturelles (et aux USA l’armée a pu utiliser des JV comme outil de recrutement, que ce soit via le jeu US Army ou via des parties en réseau de Madden / Halo organisées pour faire leur pub), et qu’il possède peut-être le même côté morbide / dérangeant que le masque de mort en question.
Sur le discours porté par le jeu vidéo, je te trouve un rien rapide. Je n’ai pas voulu trop entrer dans les détails en écrivant le papier puisque c’est un truc qui a déjà été dit et redit, mais il y a tout de même bon nombre d’éléments qui tendent à prouver que le jeu vidéo de guerre a du mal à se détacher d’une vision très occidentale et militariste, bref d’une doxa faucon. Au pire le fait que les créateurs ne se questionnent pas là-dessus (ce qui est d’ailleurs plus que discutable) fait qu’ils reprennent les clichés majoritaires, et donc qu’ils reproduisent la réalité que montre CNN & co... qui tendent vers l’idée d’un Occident assiégé.
Pour revenir sur CoD, aussi surprenant cela puisse-t-il sembler, il semble bien qu’il y ait plus de joueurs solo que de pratiquants du multi... Et le jeu solo raconte une histoire, pas toujours maîtrisée, mais qui n’en est pas moins dépourvue de sens.
Après oui, je souhaiterais que le jeu vidéo raconte autre chose de la guerre que nous VS les méchants ou qu’une ode à la violence... C’est pour ça qu’un jeu comme Spec Ops, ou certains aspects de MGS sont séduisants.
Tony # Le 26 janvier 2013 à 12:30
Ouaip j’avais chroniqué Digital Play y’a près de 10 ans : http://planetjeux.net/index.php3?id...
Les thèses de l’ouvrage ont été confirmées aujourd’hui, notamment sur la masculinité militarisée : la surenchère de violence pour se distinguer de son concurrent (avec MW2, Tomb Raider...), et la tentation du contrôle ("copyright"), tensions qui ont été résolues à sa façon par l’industrie par l’apparition d’une vaste scène indé
Thibaud : oui en effet, ce papier confirme ce que tu dis http://penseedudiscours.hypotheses....
franck le cantalou # Le 26 janvier 2013 à 16:35
merki belle article ^^
FourWude # Le 26 janvier 2013 à 17:56
Moi qui n’ai jamais été porté sur les FPS et les jeux de tir en général, est-ce que quelqu’un pourrait me dire si l’on avait également cette propagande militariste du temps de la domination du jeu vidéo japonais ? Parce qu’il m’avait toujours semblé que les jeux de tirs, même occidentaux, étaient soit de joyeux défouloirs sans message particulier (GoldenEye, Doom ou même Contra), soit des parodies (Metal Slug, Duke Nukem, TimeSplitters).
Quoi qu’il en soit, merci pour cet article très intéressant. Sur le même sujet, je ne peux que vous conseiller de lire, si ce n’est déjà fait, le papier très drôle de l’odieux connard, qui montre bien l’absurdité des réactions sur cette "affaire du foulard".
http://odieuxconnard.wordpress.com/...
Martin Lefebvre # Le 26 janvier 2013 à 18:28
Il ya toujours eu des jeux militaristes... A l’époque de Doom, les flight sims et les jeux de stratégie portaient souvent une idéologie va-t-en guerre. Un jeu comme Civilization (1991) par exemple est assez exemplaire d’une vision assez réac et occidentalo-centrée de l’Histoire (ce qui n’en fait pas un moins grand jeu, ça reflète juste l’idéologie de Meier)...
Des films assez discutables idéologiquement comme les Rambos (le 2 et le 3 plus que le 1 évidemmment), Top Gun, & co avaient une large influence sur les jeux de l’époque.
Après les jv japonais ne sont pas non plus exempts d’idéologie, même si évidemment l’histoire du pays fait que le thème de la guerre est traité différemment qu’aux USA. Mais en regardant très vite tu peux trouver plein de choses à questionner sur la manière dont la société, la hiérarchie, la famille, les femmes sont décrites dans le JV japonais.
Ce qui donne encore des choses passionnantes comme les Yakuza, grands mélos réacs ou des hommes "qui en ont" corrigent les petits jeunes mal élevés et regrettent le temps passé où on avait des valeurs, des vraies. :)
FourWude # Le 26 janvier 2013 à 22:21
Merci pour ces explications. Passionnant en effet !
Sniack # Le 27 janvier 2013 à 14:53
Très bon article, instructif et stimulant.
Comme certains lecteurs, Thibault notamment, j’ai des réserves sur la seconde partie. Que les éditeurs / studios reprennent une vision assez réac’ quand ils produisent un jeu vidéo de guerre peut sembler vrai et pourtant je n’en suis pas convaincu. Tout du moins, je ne pense pas qu’il y ait de réelle et assumée volonté de diffuser un message de propagande aux joueurs. Cela m’apparaît d’avantage comme une réaction épidermique de la société civile et économique américaine en guerre.
Je pense qu’on sous-estime largement le traumatisme du 11 septembre aux Etats-Unis et l’état psychologique de guerre permanente dans lequel les américains ont évolués ces 10 dernières années. Aujourd’hui, cet état semble s’estomper, et c’est sûrement pour cette raison que les jeux comme Call of Duty sont ouvertement critiqués, par un front de plus en plus large de joueurs / journalistes. C’est à mon avis aussi la raison pour laquelle des jeux comme Spec Ops : The Line peuvent être produit sans provoquer un tollé immédiat. Le monde des industriels du jeu vidéo commence à se remettre en question, mais sûrement d’avantage parce qu’il a pris conscience que son média portait un message que parce qu’il a décidé de changer d’avis sur la guerre. (imho)
Quant aux joueurs, je les crois bien plus hermétiques à l’idéologie véhiculée dans un jeu vidéo qu’on ne veut bien le dire. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures. On ne peut pas défendre d’un coté Rockstar en disant que GTA est une oeuvre de l’esprit qui n’est qu’un divertissement sans promotion de la violence, et de l’autre, clouer au pilori Activision en leurs reprochant de se faire le relais du discours de la Maison Blanche. Certes, la qualité d’écriture n’est pas franchement comparable, et cela doit sans doute jouer dans la dépréciation que font les commentateurs de l’intrigue d’un CoD.
Pour autant, il reste un dénominateur commun : le joueur. Il ne reste pas devant son écran à boire les images/ idées auxquelles il est exposé comme une éponge. Si la violence ou le sexisme d’un GTA ne font pas du joueur un caïd décérébré, le discours martial d’un CoD ne fait pas du joueur un bon petit soldat de la guerre sainte.
Concernant la dernière partie de votre article, je suis entièrement d’accord. Je ne parlerai pas de maladresse du jeu vidéo, mais tout simplement de sincérité, d’impudeur, qui est, ou devrait être, le propre de tout produit culturel. S’il y a bien un endroit où le politiquement correct, le moralement acceptable, ne doit pas faire sa loi, c’est dans le domaine artistique, dont le jeu vidéo fait parti.
BlackLabel # Le 27 janvier 2013 à 16:21
Martin Lefebvre :" mais il y a tout de même bon nombre d’éléments qui tendent à prouver que le jeu vidéo de guerre a du mal à se détacher d’une vision très occidentale et militariste, bref d’une doxa faucon."
Comme beaucoup de jeux vidéo avec un héros au physique réaliste, non ? Un héros blanc, cheveux bruns, hétéro dans la trentaine, c’est la norme. Uncharted, Infamous, Gears of War, Far Cry 3, Max Payne... La liste est longue.
Dans le domaine militaire, il va tuer des Russes et des Arabes. Dans tous les cas, il passe son temps à tuer tout le monde.
Furysan # Le 29 janvier 2013 à 14:43
Très bon article qui va plus loin que "c’est affreux ce soldat avec son masque à tête de mort" !
J’aimerai que des journalistes dit "sérieux" avec toutes les guillemets que cela suppose le lise et en prennent de la graine pour aller plus loin dans leurs "analyses" (avec des guillemets également, vous aurez remarqué).
Pour moi et à mon humble avis, le jeu vidéo est encore un média adolescent. Il cherche le spectaculaire, le facile, le ce qui va plaire au plus grand nombre. un peu comme le cinéma à une époque ou les westerns et les comédies sentimentales tenaient le haut du pavé. Parvenu à un âge un peu plus avancé, des oeuvres plus sérieuses, plus difficiles d’accès mais plus profondes (en général) sont proposées. Ca arrive un peu en ce moment avec des Journey, des Specs Ops the Line et je mets une petite piécette sur une plus grande diversité des offres à ce niveau. On aura peut-être bientôt un Godard du jeu vidéo qui sait ?!?
Toujours selon moi, les différents messages qui pourraient être véhiculés arriveront également avec une certaine maturité du media.
Le coeur du jeu reste quand même le côté ludique de la choses. On ne sait pas pour l’instant (ou on ne veut pas) rendre intéressante à jouer une manif anti-militariste. Il est beaucoup plus fun de loger une balle pile poil entre les deux yeux à un soldat ennemi situé à 200 mètres (oui, je suis sur Sniper Elite V2 en ce moment). Peut-être que ça viendra également.
Le jeu évoluera. Il voudra véhiculer lui aussi un message un jour ... Et peut-être devenir militant.
PowerMugen # Le 31 janvier 2013 à 10:01
La grande ironie de l’armée française. "On va faire la guerre, mais on envoi des bisounours sur le terrain..."
J’espère que ce soldat n’aura pas de gros soucis après cette photo.
L’image est forte et choque l’opinion publique surtout par la violence induite.
Malheureusement il semble que la France ne soit pas prête à imaginer la réalité de la guerre. C’est donc tellement plus facile d’accuser les jeux vidéo (et donc - peut être - la culture personnelle de ce soldat) que de débattre sur la réalité de cette opération malienne.
etienne # Le 6 février 2013 à 05:57
Bravo Martin, encore un papier très intelligent et bien documenté, et Merlanfrit pouvait en effet difficilement passer à côté du sujet.
Au delà du masque de mort, il y aurait beaucoup de choses à dire sur la convergence entre cette image de photojournalisme et celles des FPS militaires. Ce qui m’a frappé en premier dans la photographie de Sanogo est comme le dit Martin sa « beauté froide » et surtout le fait qu’elle correspond idéalement aux canons de l’esthétique des JV militaires. Au point où l’on pourrait presque l’identifier à un « screenshot ingame », tellement tout les éléments que l’on peut actuellement tirer d’un moteur de FPS sont là : la haute résolution de l’image, le mélange subtil de photoréalisme et de stylisation du réel typique des FPS militaires, la lumière diffuse que l’on retrouve dans la technologie HDR, jusqu’aux « god rays », les fameux rayons de soleil à travers les arbres popularisés par le Cryengine...ne manquent que les « lens flare » abusifs de BF3 pour compléter le tableau.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la « militarisation » virtuelle à grande échelle des générations de joueurs de FPS : jamais la culture occidentale n’a fabriqué autant d’experts en armes de guerre – certes derrière un écran – au moment même où ce métier se professionnalise en marge de la société. Il n’est pas sûr qu’un jeune homme de 16 ans sur 10 dans les années 1970 n’ait eu aucune idée du calibre d’un fusil de guerre de l’OTAN ou de la signification du terme RPG, alors qu’on peut facilement deviner qu’une majorité de ceux d’aujourd’hui ont développé cette expertise , au seul regard des ventes de FPS en occident depuis 10 ans. Ceci au moment même où la fin de la conscription a définitivement libéré la jeunesse du maniement obligatoire du FAMAS et des subtilités du lit en batterie...
Sur le fond, le texte foisonne d’arguments pertinents et éclairants, et le paragraphe intitulé "frapper le symbole" résume parfaitement le processus d’"euphémisation" de la guerre dans les démocraties occidentales. Nos sociétés sont clairement schizophrènes à ce sujet, en particulier en Europe et en France, où le sentiment patriotique s’est culturellement totalement affaissé depuis 1945 - ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis, pour des tas de raisons connues (cf le 11 sept 2001...) : en France l’énorme majorité des gens sont littéralement coupés de la guerre, devenue affaire de professionnels depuis la fin de la conscription.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement ne puisse tolérer une image aussi agressive et guerrière, alors que toute sa communication consiste à placer son action en faveur de la paix et de la sécurité, en se plaçant scrupuleusement sous l’égide de l’ONU, contrairement à la stratégie des Etats-Unis sous le mandat de Bush : j’ignore si des soldats US ont été photographiés avec un masque de mort lors des croisades bushistes post 11 septembre en Irak et ailleurs, mais il n’est pas sûr que leur publication aurait provoqué un tel scandale à l’époque - ce qui serait moins vrai aujourd’hui sous Obama.
Martin parle de "paradoxe" à propos des liens entre les JV et les armées occidentales en guerre contre "le terrorisme" - comme si l’on pouvait combattre un concept -, mais je pense que le paradoxe n’est qu’apparent : il s’agit simplement d’une gestion technique de la communication en temps de guerre. L’industrie du JV n’est pas seulement une sorte d’"idiot turbulent", un enfant aux passions mal maîtrisées, elle est aussi tout simplement en phase avec l’idéologie dominante de la "guerre des civilisations" à la Huttington, qui est un des ressorts essentiels de la mobilisation des jeunes recrues dans les clips promotionnels des armées occidentales. Le masque de "Ghost" symbolise justement cette guerre contre un ennemi "sans visage", insaisissable, auquel on oppose un soldat, lui aussi sans visage autre que celui de la mort et de la terreur : il s’agit bien de "terroriser les terroristes".
Il n’est guère étonnant qu’un soldat français intervenant au Mali reprenne spontanément les codes dominants de la culture populaire moderne véhiculée par les FPS. Ce qui gêne les pouvoirs publics est le côté « folklorique » et non professionnel de l’image, mais pas son sens profond : simplement l’image de "carnaval" renvoyée par cette photographie est incompatible avec l’image officielle de professionnalisme d’une armée politiquement neutre agissant techniquement dans le cadre d’un mandat démocratique - autrement dit ce n’est tout simplement pas la tenue réglementaire. C’est exactement l’image inverse de celle que veut renvoyer l’armée.
Cependant contrairement à ce qu’écrit Martin, s’il s’agit bien effectivement de nous cacher les images, il n’a jamais été question au plus haut niveau de l’Etat français de nous cacher les buts de guerre, en particulier ceux de l’élimination physique de l’ennemi, dans la bouche même du Président : "Ce qu’il faut faire des terroristes ? Les détruire. Si possible faire des prisonniers." Ce verbe et l’expression "si possible" à propos des prisonniers de guerre en dit bien plus que n’importe quel masque guerrier sur la détermination de l’Etat, qui se résume ainsi au slogan "search and destroy", slogan qui est justement à la base de n’importe quel scénario de JV militaire mainstream. Cela frappe moins qu’une image parce que ce sont des mots, mais la violence de la guerre est parfaitement assumée dans les propos présidentiels, et devrait apparaître aux yeux de tous, en toute transparence et dans toute sa crudité, ce qui a curieusement échappé aux media.
Or le masque de « Ghost », c’est justement ce qui symbolise la « guerre moderne » contre le terrorisme dans la culture popularisée par les JV – à savoir le pendant exact du symbole « Peace and love » accolé à l’expression « Born to kill » sur la tenue de « Gignol » dans « Full metal jacket ». Dans le film de Kubrick transparaissait toute la contradiction des guerres occidentales post-coloniales, exprimant la dualité profonde de la société américaine des années 1960-70 et plus généralement l’absurdité de la guerre.
Avec COD ou MOH, le message est simplifié à l’extrême et il n’en subsiste plus que la moitié guerrière : il s’agit explicitement de ne pas faire de quartier, rien de plus.
Car derrière le masque de mort comme transgression de l’ordre militaire officiel, ce qui frappe le plus dans l’idéologie véhiculée par les jeux de type COD ou MOH, c’est l’individualisation et la privatisation des buts de guerre par des soldats héroïsés, aux tenues personnalisées, qui agissent au mépris des règles militaires traditionnelles, à commencer par la violation systématique des conventions de Genève. En effet, face au "terroriste" comme figure de l’ennemi radical, il n’y a d’autre règle que l’élimination de l’ennemi par tous les moyens et l’emploi des mêmes techniques de terreur - torture, élimination des prisonniers...
Ce « masque » n’est que l’icône qui représente et résume cette dérive implicite de la guerre traditionnelle, encadrée par le droit et les conventions internationales, garantissant entre autres - dans les textes au moins - un encadrement du traitement des prisonniers, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, vers une guerre « sale » et sans limite contre le « terrorisme ».
Tous ces jeux insistent lourdement, au prétexte du "réalisme" sur le côté "on ne fait pas d’omelette sans casser doeufs" de la guerre moderne, forcément sale (soldats barbus et hirsutes), cachée et souterraine (les "Black Ops"), et animée par la vengeance, que ce soit la vengeance personnelle d’un camarade mort ou torturé ou celles d’otages forcément innocents. Si ces images outrées et simplifiées ne correspondent évidemment pas complètement aux réalités de la guerre moderne, il s’agit pourtant bien de l’imaginaire qui est diffusé par la plupart de ces jeux, et qui imprègne forcément l’esprit des combattants réels. Et cet imaginaire n’est pas diffusé par hasard.
En effet, il est évident que dans les sociétés occidentales contemporaines, en particulier en Europe, qui mettent systématiquement à distance la violence, où l’expérience de la guerre est abstraite et exotique et où les soldats sont projetés sur des théâtres d’opérations lointains aux enjeux incertains aux buts de guerre peu clairs, les JV concourent incidemment à la mobilisation des jeunes soldats, par ailleurs très peu soutenus par les populations.
Car dans ce contexte, que reste-t-il aux armées des démocraties occidentales pour mobiliser des jeunes gens supposés prêts à mourir pour la Nation au moment où le sentiment patriotique a totalement disparu, où la doctrine dominante est celle du "zero casualties", face à des terroristes djihadistes utilisant les techniques de guérilla extrêmement efficaces (mobilité, IED, embuscades) et prêts à mourir en martyr ?
Essentiellement nos armées disposent de deux ressorts de substitution : l’extrême technicité des moyens et la figure du "terroriste" comme ennemi radical à éliminer. De ce point de vue, les clips de propagande des armées et l’industrie du JV sont en parfaite concordance.
D’un côté, on, a dans les deux cas une esthétisation visuelle outrancière des technologies numériques (automatisation, lunettes infra-rouges, assistances à la visée, télécommunications etc...) et la mise en scène de l’écrasante supériorité militaire (les mitraillages et bombardements vus d’une image radar) ; et de l’autre la construction d’un ennemi radical et insaisissable, qui n’est plus figuré par le soldat en uniforme d’une armée adverse, mais par une sorte de vermine islamiste enturbannée se déplaçant en mobylette ou en pick-up.
Pour des raisons de « politiquement correct », dans un ex-empire colonial comme la France à forte présence d’une population de confession musulmane, et qui se réclame en plus d’idéaux universalistes, les clips officiels de l’armée sont forcés de se contenter d’une langue de bois distanciée et abstraite sur les « nouvelles menaces »...pas de quoi pousser de jeunes gens à se sacrifier. Les JV militaires viennent donc logiquement compléter cette rhétorique faible dans le processus nécessaire et inévitable de conditionnement des soldats, dont le métier consiste fondamentalement à tuer des gens qui ne leur ont rien fait.
Il n’y a donc aucun paradoxe dans l’histoire, et l’industrie des JV s’inscrit clairement comme le vecteur concourant à ces nouvelles formes de mobilisation des forces armées occidentales, tout comme le cinéma jouait ce rôle durant la guerre froide – il suffit de penser à « Star Wars » dont tout le monde semble avoir oublié la fonction idéologique originelle de mobilisation des jeunes américains contre l’ « Empire » soviétique.
Cela ne signifie pas pour autant que les pouvoirs publics pilotent et instrumentalisent l’industrie capitaliste des JV, il suffit simplement que les deux champs auto-entretiennent le mythe contemporain de la guerre moderne contre le terrorisme, chacun pour défendre ses intérêts propres – mobiliser de la chair à canon pour les premiers et faire sonner le tiroir-caisse pour les seconds.
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