"Désolés. Vraiment, désolés. On a fait un jeu vidéo. Un simple jeu, avec des objectifs, des mecs à tuer et des voitures qui explosent. C’est tout. Comment ça vous n’en voulez pas ? Mais on pensait que vous aimiez ça, vous, les jeux vidéo juste des jeux vidéo ? Après tout, vous achetez des Assassin’s Creed tous les ans… Alors, pourquoi rejeter Mad Max ? Hein ? Pourquoi ?"
Seul ou presque face au tsunami Metal Gear Solid V, notre héros se lance Mad Max pour deux raisons majeures : il a envie d’un truc un peu simple après cent heures sur The Witcher 3, et il aime bien l’univers des films. Le jeu d’Avalanche (déjà responsable du roboratif Just Cause 2) semble avoir suivi à la lettre le guide du AAA et coche stoïquement toutes les cases, les unes après les autres. Mad Max est un open world, avec un héros brun et blanc, une carte remplie d’objectifs secondaires, un système de montée en niveaux, des DLC et une jolie fille à sauver. Bref, c’est le Big Mac de fin de soirée, c’est l’épisode de Friends sur lequel on tombe par hasard ; la formule est connue, testée, éprouvée, usée jusqu’à l’os, mais elle fonctionne quand même.
Au bout de deux heures, le joueur aguerri aura même déjà deviné la suite du game design. Aucune surprise en vue, le ramping des épreuves — c’est-à-dire la progression imaginée par les designers — est d’une clarté et d’une propreté absolue. On sent que les jeux marquants de ces dernières années ont été absorbés et digérés comme il se doit, que ce soit Batman pour les combats, Just Cause pour le grappin ou FarCry 3 pour les bases à nettoyer. Avalanche a construit un très beau produit dont on voit encore les reliquats du moule ici et là. Rien de surprenant quand on sait qu’il y a derrière ce projet une commande. Mad Max semble être, au départ, une affaire de gros sous pour le studio suédois tandis que la nouvelle branche new-yorkaise d’Avalanche, ouverte en 2011, a elle hérité de Just Cause 3.
Disneyland
Comme Sleeping Dogs il y a quelques années, la qualité principale de Mad Max tient dans sa franchise ; il s’agit d’un simple jeu vidéo. Rien de plus. Rien de moins. Et c’est déjà pas mal. Peu de dialogues, peu de personnages, peu d’enjeux en fin de compte, Mad Max s’exploite et se parcourt comme un énorme parc d’attractions. Oui, c’est répétitif et creux, tout autant que l’est Disneyland ou Destiny. La progression de Max est d’ailleurs celle du vide. On nettoie (littéralement) des camps habités par des bandits, des voleurs et des tarés, pour les remplacer par deux misérables PNJ qui soudent la même barrière à longueur de journée. On récupère sur les corps et les véhicules des ennemis (sans distinction) des tonnes de métal prêt à être transformé en muscle pour Max et sa voiture (là aussi sans distinction). Appelée Magnum Opus, elle est lentement, mais sûrement reconstruite et dopée pour devenir une machine de guerre.
Il n’y a rien de plus dans Mad Max à part peut-être quelques cinématiques délirantes et puis ce que le joueur veut y mettre bien évidemment. J’ai toujours trouvé ridicule de lire davantage d’histoire dans les menus que dans le jeu, à l’instar de Destiny, et c’est pourtant ce qu’il se passe ici : chaque zone explorée, chaque camp nettoyé, chaque nouvelle rencontre débloquent un peu de narration. Ceux qui parcoureront tous les textes sortiront étrangement secoués par l’aventure, parce qu’elle donne davantage de vie à l’univers de Mad Max que les quatre films réunis (reste à savoir si tout cela est canon ou pas). Ceux qui ignoreront ces "cadeaux" iront pester ailleurs sur la sécheresse du titre. Oui, Mad Max est un AAA à la piètre ambition. Oui, on aurait pu s’attendre à quelque chose de plus vivant après avoir vu le grondant Fury Road, sorti en mai dernier. Mais non, ce n’est pas bien grave.
La diagonale du vide
Car l’intérêt est ailleurs. Si on sent que tout ou presque a été emprunté dans de meilleurs jeux, de Just Cause à Batman, on ne peut pas être insensible au travail de level design titanesque où la macro et le micro sont en parfaite harmonie. Par où commencer ? Peut-être comme le joueur, qui débute dans un canyon sans intérêt et qui découvre après quelques missions rapides la première grande zone de l’aventure, un banc de sable sans fin qui installe une gêne bizarre. On est peu habitué à autant de "rien". Ici, c’est le vide qui prime, le vide et l’horizontal, deux tares que les open-world tentent de combattre aussi souvent que possible. Et puis on repense à l’exceptionnelle région des Hissing Wastes de Dragon Age : Inquisition, désert a priori sans contenu qui se révèle progressivement à l’explorateur patient.
Cette première zone laisse par la suite place à une demi-douzaine d’environnements qui s’ouvrent et s’apprivoisent. Il y aurait à redire sur le rythme du jeu, qui force le joueur à varier les plaisirs. Ceux qui s’obstineront à compléter les missions sans faire les à-côtés se retrouveront bien vite face à une tâche insurmontable et rébarbative de nettoyage débile et sans intérêt. À la différence de Geralt (The Witcher 3), Max est un homme seul qui souhaite le rester, qui évite au maximum de se mélanger aux autres. Pour une fois, ses alliances passagères avec les psychopathes qui ponctuent l’aventure semblent nécessaires et crédibles. Max rechigne, mais il complète la quête quand même, pour recevoir sa dose de drogue, ici le métal. Ses motivations, crues et égoïstes, se mêlent à la perfection à celles du jeu. Il est là pour récupérer du loot et pour cleaner, rien de plus.
Les moments où cet univers vide se remplit sont rares, mais puissants. On affronte soudainement cinq ou six voitures en même temps et le boucan de leurs moteurs prend tout l’espace. On survit comme on peut, on passe de chasseur à chassé, ou l’inverse, en l’espace d’un instant. L’autre pièce maîtresse du titre reste bien évidemment les fameuses tempêtes de sable tirés du film. Ces véritables déchaînements de la nature sont sans doute le pire ennemi du jeu, mais offrant un puissant système de prise de risque. Entre les bouts de tôles coupants comme des rasoirs et les éclairs, les plus téméraires iront chercher des caisses gorgées de précieux métal. Le jeu en vaut la chandelle, aussi bien en terme de récolte que de plaisir visuel.
Vroum vroum
Malgré les premières heures un peu décevantes, Mad Max gagne énormément en puissance au fur et à mesure que la carte se débloque. Les décors s’enchaînent, mais ne se ressemblent jamais. On roule sur la Lune, sur Vénus, sur Mars. On traverse un désert de dunes qui a enseveli notre passé. On arrive par débouler dans une décharge à ciel ouvert et un aéroport ensablé qui se révèlent plus marquants que tout le Washington de Fallout 3 et que l’on explore dans le confort de sa voiture. La seconde partie du jeu offre d’ailleurs toute une série de villes en ruines. Là encore, c’est le vide qui prime, avec en sous-sol des caves gorgées d’ennemis et de loot. C’est là que la macro laisse la place au micro ; les bases et les camps sont construits avec un soin épatant, qui dépasse largement les jeux du même genre ; ces "donjons" sont de véritables bijoux de level design. On n’y fait bien sûr rien de bien original, mais chacune de ces visites est une surprise. Cette base qui commence à flanc de montagne révèle en fait un accès à une grotte aménagée. Cette vieille autoroute abrite en réalité un camp suspendu entre deux pylônes. Ce diner sans prétention est l’entrée secrète d’un réseau sans fin de cellules et de billots de cannibales.
Le gras de Mad Max se trouve sans doute entre la macro et le micro avec la Magnum Opus. La voiture, entièrement personnalisable, est au centre des attentions. À la différence de GTA, de Red Dead Redemption ou The Witcher 3 [1], notre véhicule est unique, important… Il a une âme. Bien sûr, en cas d’accident grave, c’est retour au QG le plus proche et écran de chargement longuet. Mais les dégâts reçus lors des assauts roulants (généralement brutaux et sublimes), les sauts ratés, les bombes larguées par les bases adverses…
Tout cela atteint aussi Mad Max : il doit réparer, il doit fuir, se cacher, recommencer, mieux se préparer. Il faut nourrir cette voiture avec de l’essence qui, si elle vient à manquer, rappelle soudainement le joueur à sa condition de survivant. On se retrouve alors à marcher sur des kilomètres, dans l’espoir de croiser un village ou un point d’intérêt susceptible de nous sauver la vie. L’extension de notre voiture, le sémillant Chumbucket [2], devient d’ailleurs petit à petit le pont entre le joueur et son avatar, le mutique Max. On s’empresse de faire ses missions. On aimerait pouvoir l’embarquer sur notre dos lors des balades à pied qui souffrent de son absence.
Toutefois, il est important de noter que les tests qui sont tombés sur Mad Max n’ont pas entièrement tort. Face à Solid Snake et Kojima, Max n’avait pas énormément de chances de s’en sortir. C’est bien moins original et délirant, moins fini aussi, en tout cas pas de la même manière. Dans cette compétition pour le meilleur AAA, Mad Max n’a pas l’étincelle qui fait la différence, restant aux yeux de la majorité plus un jouet qu’un jeu. Tant pis pour eux.
Toutes les photos de cet article proviennent directement du mode photo du jeu, similaire à celui de Shadow of Mordor. Elles sont maison, prises sur PS4 et non retouchées.
Vos commentaires
Giovanni # Le 24 septembre 2015 à 09:23
Comment oses-tu dire que Disneyland est creux ? :’(
A part ça, très bon article, qui décrit bien l’expérience de jeu devant ce Mad Max. Néanmoins, je trouve toujours que les tests ont été un peu sévères avec ce jeu. Après tout, on s’y amuse plus que devant MGS V.
Kroko 45 # Le 24 septembre 2015 à 10:10
Tout a fait d’accord avec ce billet et il est très dommage que ce jeu est été étrillé par les sites spécialisés.
Car Mad Max est un excellent jeu d’ambiance, avec un gameplay efficace et une réalisation digne d’intérêt. Mais c’est surtout un jeu amusant et prenant dans ces phases d’action.
Plus amusant à mon sens que les derniers blockbusters du genre Batman, Far Cry MGS and co. Il n’invente rien, ne nous prend pas la tête avec des scénarios biscornus mais est à la fois simple d’accès et suffissement pointu pour ne pas lasser... Bref, il fait son job et est diablement addictif.
Alors oui, il y a des bémoles. Il est répétitif même si ses missions sont plaisantes à jouer et sa difficulté n’est pas bien dosée, dans le sens ou le système de jeu, basé sur le farming et l’amélioration de ses capacités, permet assez vite de devenir le roi de la route. Mais ont peut passer outre facilement, par exemple en évitant de s’équiper trop lourdement et en évitant de choisir des véhicules surpuissants. Pour les amateurs de monde post-apo, de conduite en free ride et de baston hard, c’est vraiment un jeu a essayer...
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