14. Le RPG est mort, vive le RPG !

Crimson Shroud

Le grand petit jeu

Sortis au Japon sur cartouche, les jeux de Guild01 ont trouvé leur chemin en Europe séparément, distribués sur 3DS via l’eShop. Et l’un de ses jeux, Crimson Shroud, est une étonnante surprise qu’il serait idiot de rater.

Le principe derrière Guild est simple : rassembler plusieurs “auteurs” japonais et leur donner carte blanche. Son instigateur, le studio Level-5 (plus connu pour son Dragon Quest VIII ou le récent Ni no Kuni), a confié le premier épisode [1] à des noms assez connus chez nous comme Suda 51 (Killer7, No More Heroes), Yoot Saito (SimTower, mais aussi l’absurde Seaman) et bien sûr Yasumi Matsuno, que l’on avait perdu de vue depuis Final Fantasy XII [2]. Des trois jeux parvenus sur notre continent, c’est le sien qui marque sans doute le plus [3].

Les amateurs du monde d’Ivalice (Ogre Battle, Vagrant Story, etc.) seront ravis de retrouver non seulement Yasumi Matsuno (au scénario et au game design) mais aussi Hitoshi Sakimoto à la musique et Hideo Minaba au chara-design. Le célèbre trio délivre une aventure compacte et serrée d’une petite demi douzaine d’heures, chargée de textes, dans un univers assez mystérieux qui se dévoile au fur et à mesure.

Classique, surtout quand on connaît Matsuno et ses histoires souvent tristes et sombres. Le tutorial sombre de Final Fantasy XII, où l’on suit un jeune soldat apprendre à se battre et mourir avant de prendre le contrôle de son frère deux ans plus tard donne le ton et les thématiques chères au monsieur. Il est ici question de castes, de lois, de sous-hommes et de magies anciennes et destructrices. C’est sans doute avec son histoire que le jeu surprend le plus au premier abord : il y a de quoi remplir plusieurs disques avec les pistes et les bribes d’histoires évoquées par Crimson Shroud laissant dans la bouche du joueur un goût de trop peu aussi agaçant que rare de nos jours.

Car, à la différence des autres titres de Guild01 qui versent dans le petit jeu iOS [4], ce Crimson Shroud est compact, compressé et entier. Dans l’industrie du jeu vidéo, on parle de vertical slice (tranche verticale), une étape particulière où le développeur va produire une partie complète mais très courte du jeu ; souvent l’équivalent d’une vingtaine de minutes, un peu comme une démo, destinée aux éditeurs ou à d’éventuels investisseurs. Tout est là : le gameplay, les graphismes, le rythme de jeu, les ennemis... Une part de gâteau, sans faire le gâteau. Crimson Shroud ressemble à ça, un morceau de jeu énorme, généreux et profond mais limité, terriblement limité, malgré un chouette New Game+ difficile comme tout.

Et Crimson Shroud ne s’arrête pas là : très japonais dans sa conception et pourtant proche d’un Donjons & Dragons "comme avant", on y joue des archétypes (guerrier, archer, magicienne) transformés en figurine sur socle, qui se déplacent dans un tout petit décor. Ça sent bon le Warhammer, ça sent bon le plateau de jeu à l’ancienne, les donjons tracés sur une feuille, des pions et des figurines pour représenter ses unités. Ça rappelle de bons souvenirs. Le jeu utilise à merveille ses deux écrans, le supérieur pour les modèles 3D que le relief de la console sublime, l’inférieur pour l’interface confuse et surtout les dés qui sont, bien évidemment, au cœur du jeu.

On les lance souvent, que ce soit pour réussir des jets particuliers, gérés par un maître de jeu imaginaire ou bien pour augmenter ses chances de porter un coup. Autour d’un système de combo habituellement absent du jeu de rôle occidental et cher aux Japonais, le système de combat se veut complexe et pesant, chaque tour prenant plusieurs minutes. On n’échappe au grinding épuisant et à quelques petites idées de Matsuno, véritable maître de jeu un peu tordu et pervers. Et parfois, un dé jeté trop fort sortira de l’écran inférieur et ira frapper la figurine d’un ennemi. Pour notre plus grande surprise. "Comme avant".

Crimson Shroud est un petit grand jeu, qui arrive à construire un univers immédiatement prenant et un gameplay original à cheval entre le Japon et l’Occident. Cette idée centrale n’est pas forcément neuve dans l’œuvre de Matsuno, dont les scénarios de Final Fantasy Tactics ou de Final Fantasy XII prenaient (relativement) le large face aux clichés habituels des JRPG. Crimson Shroud est la preuve, si besoin s’en fallait après The Last Story ou Resonance of Fate, qu’il existe encore des auteurs de jeux vidéo au Japon et qu’ils produisent du neuf quoiqu’en recyclant des concepts plus occidentaux. Ce travail n’est pas sans rappeler la fin du shogunat dont je parlais dans un article consacré au dernier jeu de Hironobu Sakaguchi, mais qui évoque directement la naissance de Final Fantasy qui avait déjà largement pioché dans l’univers visuel de Donjons & Dragons.

Enfermés sur eux-mêmes pendant deux décennies, les développeurs japonais se sentent peut-être forcés de chercher des solutions alternatives. En mettant l’accent sur (respectivement) les figurines, sur le temps réel ou sur les armes à feu, trois développeurs, des vieux de la vieille, se sont mis en quête de dynamiser le JRPG et de lui offrir une voie de secours. Ces tentatives sont parfois grisantes... et la dernière ne coûte qu’une bouchée de pain sur l’eShop de la 3DS.

Notes

[1] Puisque Guild02 s’apprête à sortir sur 3DS...

[2] Il avait entre temps écrit le scénario absolument pas mémorable de Madworld pour PlatinumGames.

[3] Celui de Yoot Saito est une pénible tentative de faire un jeu iOS un peu addictif mais n’arrive pas à grand chose.

[4] Le titre de Suda 51, Liberation Maiden, y est d’ailleurs sorti.

Il y a 4 Messages de forum pour "Le grand petit jeu"
  • Mithrandir Le 22 mai 2013 à 11:15

    Tu as marqué "Yasunori Matsuno" alors que tu as bien marqué Yasumi Matsuno la première fois !
    Désolé de reprendre sur ça, superbe article je suis tout à fait d’accord, c’est vraiment une perle complètement unique, à faire absolument. Ce qui est fort c’est que malgré la durée très courte il arrive à développer un univers hyper alléchant avec une super ambiance et des personnages pas trop manicheen et vraiment intéressant. Là où les autres RPG s’enfoncent dans des tonnes de dialogues pour ne rien dire, ou au mieux des clichés (je pense au dernier Golden Sun), Yasumi Matsuno arrive à nous accrocher à ses persos avec le minimum syndical. C’est carrément un exercice de style.

  • Anthony Jauneaud Le 22 mai 2013 à 11:36

    Corrigé. Merci. L’alcool sans doute. Ou alors le fait que j’écoutais l’OST de Soul Sacrifice co-composée par Mitsuda ^^

  • Killy Le 22 mai 2013 à 15:03

    Juste un petit détail, Matsuno avait également travaillé sur le remake PSP de Tactics Ogre : Let Us Cling Together il y a environ 2 ans au niveau du script et de quelques ajouts de gameplay.

  • Pikace Le 23 mai 2013 à 00:12

    Et bien tu auras réussi à me convaincre de me le procurer.
    Un texte fait avec passion vaut mieux que des tests ^^

    (oh, chouette il est en promo !)

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