Le futur perdu

Editorial

Le futur perdu

Le futur a-t-il encore un avenir ? A quelques jours de la sortie en grande pompe de Mass Effect 3, porté à bout de bras par la machine Bioware EA, la question pourrait prêter à sourire. Et pourtant, ces dernières années, dans le jeu vidéo comme dans la culture populaire dans son ensemble, les productions de SF ont tendance à se laisser aller à la nostalgie.

Sans doute qu’à l’heure de Fukushima et des drones il est difficile d’imaginer un avenir radieux, d’identifier le progrès technologique à une marche en avant de l’humanité. Certes, la tendance n’est pas nouvelle, si l’on pense au cyberpunk des années 80, ou aux grandes dystopies qui l’ont annoncé (Metropolis, 1984…). Mais ce qui frappe aujourd’hui c’est l’incapacité des créateurs à imaginer un futur sans faire référence aux œuvres du passé. La science fiction est comme frappée de saudade, elle regrette ce qui aurait pu être, elle se retourne sur les rêves futuristes du vingtième siècle.

FF XIII-2 : retourner au cocon ?

Le futurisme kitsch de Final Fantasy XIII-2 est de ce point de vue assez exemplaire. Non pas parce que le jeu tente, sans tout à fait y parvenir, de ressusciter la naïveté de Chrono Trigger, mais surtout parce que les personnages essayent de réparer le futur, de lui rendre une forme accueillante. L’humanité est destinée à l’extinction suite à une catastrophe apocalyptique, l’effondrement de Cocoon, paradis de l’aliénation consumériste. Hope, le génie scientifique qui a mal réglé son Oedipe, souhaite en rebâtir une seconde version : un nouveau cocon flottant au dessus des problèmes, mélange d’une Etoile Noire (Star Wars) rendue bégnine et d’un utérus géant. Autrement dit, il souhaite un futur confortable, permettant à l’humanité de régresser en position fœtale, isolée dans son cocon. Si la forme naïve du souhait le rend particulièrement clair, il n’est pas dit qu’il ne traverse pas d’une manière ou d’une autre bon nombre d’œuvres de la SF contemporaine.

Gemini Rue, le futur noir

Car quoi, il suffit d’observer les sorties récentes pour en être convaincu : la science-fiction cherche à retourner en enfance, elle veut retrouver les doudous de l’innocence. Que ce soit sous forme ironique comme dans Portal 2 qui nous fait découvrir l’histoire d’Aperture Science dans les années 1960 et 70, plus mélancolique comme dans Gemini Rue qui nous emmène vers un futur cyberpunk et décrépit (voir aussi notre entretien avec Joshua Nuernberger, le développeur), ou même encore sous le signe de la parodie – on pense à Unstoppable Gorg ou They Came From Verminest, hommages aux séries Z des années 50 – la SF regarde en arrière. Même chez la toute jeune Christine Love, que ce soit à travers Digital qui célèbre la culture hacker ou Analogue qui nous transforme en lecteur nostalgique de mémos laissés par des astronautes depuis longtemps décédé... Car l’enfance, l’âge d’or sont évidemment perdus, et seuls leurs fantômes continuent à nous hanter.

Peut-on encore croire à un futur autre que post-apocalyptique ? Peut-être, mais il faut bien avouer que ce sont ces fictions de fin du monde, de Stalker à Fallout : New Vegas qui questionnent avec le plus d’acuité notre présent. Pour continuer à porter ses fruits, la science fiction avait sans doute besoin d’une cure de pessimisme, qui n’exclut pas une renaissance.

Il y a 2 Messages de forum pour "Le futur perdu"
  • Steph Le 5 mars 2012 à 18:49

    Salut,

    j’ai hâte de voir les articles de cette série. Ce genre d’approche, Ignacio Ramonet l’avait tenté dans son propagande silencieuse. Pour autant, cela mérite d’être vérifié, a-t-on dans cette manière de représenter le futur un des symptômes des crises (politique, économique, écologique) que nous vivons/fantasmons ?

    Pour apporter de l’eau au moulin, on pourrait imaginer par la suite si le genre du RTS n’aurait pas quelque chose de spécifique à dire sur le sujet. Y’a-t-il une recrudescence de certaines formes de RTS dans les moments de tension géopolitique ? Par exemple le contexte uchronique de nombreuses productions comme World in Conflict, Wargame EE, ou encore, mais moins évident, le roi Arthur ne serait-il pas le signe d’une incapacité à envisager notre passé également sous l’angle du pire. Nous interrogeant ainsi de cette manière : comment tout cela a-t-il pu ne pas déraper, ne pas aboutir au pire ? Pour le coup, c’est peut-être parce qu’on prendrait le risque qu’il n’y ait pas de jeu...

    Mais ça vous fait du boulot !

  • Martin Lefebvre Le 5 mars 2012 à 18:55

    Un jour il faudra que je fasse une lecture "sécuritaire" du tower defense. J’avais évoqué ça très brièvement sur mon ancien blog... mais il faudrait creuser...

    Bon par contre ce ne sera pas le sujet de cette courte thématique-ci. :)

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