Voilà. C’est arrivé. Il ne sera pas dit que je n’aurais jamais pleuré devant un jeu vidéo.
Je précise que je suis une vraie madeleine et que j’ai la larme facile au cinéma, devant les séries télé et qu’il m’est souvent arrivé de pleurer en écoutant certaines chansons. Mais devant un jeu, par contre… J’ai bien senti la larmichette monter au coin de l’œil devant Silent Hill : Shattered Memories ou The Walking Dead saison 1, sans pour autant éclater en sanglots.
Ce climax émotionnel, plusieurs grands noms du jeu vidéo l’ont recherché. Warren Spector en parla comme du Saint Graal de la profession, avant de faire… Epic Mickey, qui n’a pas dû arracher de larmes à un enfant de trois ans. Hironobu Sakaguchi ambitionna de « faire poser la manette » au joueur pour lui laisser le temps de pleurer devant le bien nommé Cry On, malheureusement annulé après les échecs commerciaux de Blue Dragon et Lost Odyssey.
C’est finalement vers le petit studio devenu grand Telltale Games qu’il fallut se tourner pour pareil exploit. La première saison de The Walking Dead ne manquait pas d’instants déchirants qui valurent au jeu les louanges que l’on sait. Comment succéder à un tel choc ? En se concentrant davantage, si cela était encore possible, sur la narration, la mise en scène, les enjeux dramatiques. The Walking Dead Season Two évacue définitivement la dimension point & click qui subsistait chez son prédécesseur : pas une seule énigme, et un inventaire totalement inutile, dont la présence à l’écran est comparable aux fameuses indications de type « Kenny will remember that ». Quant aux rares séquences au cours desquelles il est possible de déplacer Clementine, elles semblent avoir été oubliées au montage.
Les moines du gameplay, toujours prompts à remettre en cause la nature jeu vidéo de ce type d’expérience, regretteront mécaniquement ce choix sans forcément se rendre compte de sa nécessité dans l’optique choisie par Telltale. Le rythme, la tension, les respirations, les montées en puissance, bref, tous les effets produits sur le joueur dépendent de cette parcimonie d’interactions.
Jusqu’aux larmes. On y revient.
Comme souvent à la fin d’un épisode de The Walking Dead, on encaisse, puis on réfléchit à ce que l’on vient de vivre. J’ai ainsi réalisé que ma réaction lacrymale avait ceci de tout à fait particulier qu’elle est survenue lors d’une réplique que de nombreux joueurs n’entendront jamais. Certains le pourraient mais en choisiront une autre. Mais surtout, certains joueurs n’auront même pas le choix d’entendre ou non cette réplique. Car enfin, Telltale a pris en compte les réserves concernant l’illusion du choix. Beaucoup l’ont compris : malgré nos décisions lors des dialogues ou des séquences « X ou Y », l’essentiel de la trame ne bouge pas, tel personnage finira par mourir comme une merde si les auteurs l’ont décidé (c’est particulièrement flagrant lors de l’épisode 4 de cette saison) et certaines réactions paraîtront décalées voire contradictoires avec la couleur que l’on voulait donner aux relations de Clementine.
En cette fin de saison, les joueurs vont donc devoir trancher, sans mauvais jeu de mots. Et aboutir à l’une des cinq fins qui annoncent un joli casse-tête pour les scénaristes de la série. Alors bien sûr, les râleurs de l’Internet ne manquent déjà pas de souligner que les choix réellement décisifs ne surviennent que lors du dernier quart d’heure de l’épisode final. Jugement qui est, à mon sens, une énorme erreur. Certes, en analysant froidement le fonctionnement du jeu, l’affaire se règle sur deux (ou trois) choix binaires en moins de dix minutes. Mais cela revient à considérer que ces deux (ou trois) instants sont détachés du reste de l’intrigue, et que les décisions que l’on prend à ces moments-là sont totalement objectives et parfaitement réfléchie, résolues comme un problème de maths.
Je dois l’avouer, lors de ce fameux crescendo final qui emballe le cœur comme si l’on vivait réellement le dilemme de Clementine, j’ai eu un (très bref) sursaut de lucidité au cours duquel le joueur qui survivait en moi s’est clairement demandé quel choix il allait faire car il sentait que le jeu allait le lui demander. Mais je n’ai tout simplement pas eu le temps de formuler cette réponse dans ma tête et me suis retrouvé comme désemparé devant le fait accompli. J’ai alors dû choisir, comme souvent à cause du temps limité des situations critiques de la série, à l’instinct. Et à cet instant fatidique, je suis bien sûr que beaucoup de choses ont pesé, sont rentrées en ligne de compte. Tous ces choix illusoires que j’avais faits pour Lee et Clementine, et qui d’un seul coup n’en étaient plus. Toute l’aventure que je m’étais taillée durant les dix épisodes. Oui, tout cela prenait toute son importance à l’instant X. Le choix de la ponctuation dans trois répliques similaires. Un souvenir anodin échappé de la première saison (explicitement rappelée juste avant la séquence finale, ce qui ne peut être innocent). Même inconsciemment, tout cela a fait pencher la balance.
Jusqu’aux larmes, car là encore, ce sont les souvenirs et le vécu que nous partageons avec Clementine qui donnent un relief si particulier à ces derniers instants.
J’ai lu les tests professionnels depuis, qui évoquent tous une fin moins marquante que celle de la première saison. Je ne saurai être d’accord, mais peut-être ces testeurs n’ont-ils pas eu la « chance » de tomber sur la réplique qui m’a fait fondre. Et au fond, ce n’est pas grave, car la conclusion qu’ils auront choisie correspondait certainement mieux à leur voyage. Pour ma part, je pense que si succéder à la première saison était difficile, prendre la suite de cette deuxième le sera encore plus, ce qui rend d’ores et déjà l’affaire d’autant plus passionnante.
Vos commentaires
# Le 5 septembre 2014 à 14:42
joli papier mais moi j’ai pas jouer à ce jeu, alors j’ai pas compris grand chose au papier à part que t’ait chialé
Laurent J # Le 8 septembre 2014 à 09:03
Il y a d’autres articles sur le site qui parlent plus du jeu en lui-même ;)
Thelb # Le 9 septembre 2014 à 11:11
J’ai beaucoup aimé cette fin de saison, qui effectivement est assez émouvante, sans pour autant me faire pleurer.
Je ne sais pas quelle option tu as choisi, on a peut être pas pris la même (Clem est seule pour ma part), mais je suis assez d’accord, on a plus l’impression de vrai choix et des conséquences qui en déroulent.
Un autre jeu assez génial, et très très émouvant (j’en ai presque pleuré à la fin), c’est soldats inconnus. C’est aussi un modèle de narration je trouve, et la fin est du même niveau, vraiment bien.
Laurent J # Le 9 septembre 2014 à 13:27
Ah ben non, on n’a pas choisi la même fin, même si je pense qu’il y a des trucs communs ;-)
Tu titilles ma curiosité sur Soldats Inconnus, auquel je ne m’étais pas vraiment intéressé jusqu’à présent.
Thelb # Le 10 septembre 2014 à 09:39
Ben fonce sur Soldats inconnus, il est vraiment génial.
aoesan # Le 10 septembre 2014 à 18:04
Même en ayant fini le jeu (enfin... la saison 2), je comprends rien à la critique, je comprends pas tellement ce qui t’a fait réagir (quelle scène, quel dialogue précisément). C’est dommage.
Ça serait plus clair de poser clairement "ok spoilons, je parle à ceux qu’ils l’ont fini le jeu, voilà mes ressentiments". Là je sais pas à qui tu t’adresses en fait.
Laurent J # Le 11 septembre 2014 à 08:58
J’ai voulu éviter les spoilers pour donner aux sceptiques l’envie d’aller au bout de la saison ;-)
SPOILER
Ce qui m’a fait réagir c’est quand Clementine dit à Kenny qu’il va bientôt rejoindre sa femme et son fils. Ne me demandez pas d’expliquer pourquoi, c’était une réaction viscérale.
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