Le jeu vidéo est au chevet des Etats-Unis, pays malade. Malade de ses conquêtes, c’est l’histoire du FPS militaire contemporain. Malade de ses utopies — le libertaranisme, l’exceptionnalisme — comme le diagnostique la trilogie Bioshock. Peut-être plus profondément atteint par la crise des subprimes : c’est ce que nous affirme l’endémie zombie, qui dépasse l’effet de mode et devient le symptôme culturel d’un pays qui se cherche des repères en rejouant ses origines, son histoire de pionniers et de survie. Naughty Dog a beau être une entreprise mondialisée, co-dirigée par un français et propriété d’une multinationale japonaise, le studio californien délaisse avec The Last of Us l’exotisme pulp et enjoué d’Uncharted, pour un périple glaçant dans une Amérique profonde retournée à l’état de nature. Attention, spoilers.
Americana
C’est d’abord une question de topographie : le long voyage de Joel et d’Ellie nous emmène vers une Amérique intérieure, repliée sur elle-même. Après un prologue au Texas, le parcours débute à Boston, l’européenne, au sein d’une ville close, qu’il faut fuir rapidement pour s’enfoncer into the wild, partir pour une année de dérive vers l’ouest : Pittsburgh, le Wyoming, le Colorado, pour finir à Salt Lake City, fondée en 1847 par les pionniers mormons après un douloureux parcours. The Last of Us rejoue la longue marche des colons, après l’apocalypse. On est passé de The Oregon Trail à The Organ Trail, du mythe de la virginité conquise à celui de la dissolution dans la sauvagerie.
En chemin, nous croisons les ruines d’une Amérique éternelle, continentale, dont l’essence est l’americana de la petite ville du Middle West. Les premières heures à Boston, très inspirées d’Half-Life 2 (la fuite hors de la ville) constituent un trompe l’œil. Les gratte-ciels du financial district de Boston sont abattus. Le capitole est une coquille vide. La vraie Amérique est au cœur du pays. A la manière des S.T.A.L.K.E.R. [1], The Last of Us nous fait visiter des décors en ruine, construits avec une extrême minutie. La rue commerçante d’un petit bled du Massachussets, les maisons de bois d’un village du Wyoming, un village de vacances au bord d’un lac, un campus perdu dans l’immensité du Colorado. Une Amérique de gens simples, comme Joel d’ailleurs, qui n’a jamais mis les pieds dans un bel hôtel, qui n’est pas allé à l’université parce qu’il fallait nourrir une fille qu’il a eu jeune : c’est apparemment de ce bois qu’on fait les survivants, bien loin d’un Gordon Freeman. Comme dans la parabole évangélique, les derniers seront les premiers [2].
Au bout du voyage, il y aura les toits miroitants d’une Jérusalem terrestre : une petite ville lovée dans une vallée, entourée de montagnes et de barricades, ventre d’une Amérique maternelle ultime refuge d’un père et de sa fille adoptive privés de mère.
Jungle de béton
De l’urbanité, The Last of Us ne retient que l’ultra-violence, celle des films de vigilante des années 70-80, remise au goût du jour par des jeux comme Manhunt ou Condemned. La ville est une jungle de béton, aux tréfonds anxiogènes, d’où il n’y a rien de bon à attendre : c’est là que dans les premiers jours les réfugiés ont été parqués comme du bétail, et bien souvent massacrés. Pour survivre, il s’agit de résolument tourner le dos au troupeau : il faut se faire prédateur, combattre sans morale, sans pitié, en mêlant la ruse à la plus viscérale brutalité. Le système de jeu, par son épure, par la manière dont s’opèrent les transitions entre furtivité et combat, entre tir et corps à corps, contribue largement à la sensation oppressante. Il faut aussi saluer le remarquable travail des animateurs de Naughty Dog, qui confèrent à Joel une masse menaçante, à l’exact opposé de la grâce féline de Nathan Drake. Joel ne sait pas sauter, "I can’t make it !" ne cesse-t-il de nous rappeler, il doit contourner les obstacles, traîner sa carcasse de survivant. Chaque meurtre, comme à l’arraché, n’en est que plus cathartique. Le nouveau héros — ou anti-héros — américain se bat avec ses tripes, c’est tout ce qu’il lui reste.
Le nouveau western
A l’opposé de la ville, lieu de la dénature barbare, se situent les grands espaces. L’Amérique éternelle des paysages, où The Last of Us puise ses moments de lyrisme. La nature opère une reconquête. La cité, noyée sous les eaux, se fait bayou. Des girafes échappées d’un zoo gambadent à Salt Lake City. Partout la végétation reprend ses droits. Mais la nature n’a jamais cessé d’exister, quand bien même la civilisation a voulu la nier. Les montagnes, les forêts, les torrents constituent l’invariant d’une Amérique à retrouver. Chemin faisant, Naughty Dog croise forcément la route du western, dont il fait une amère réécriture.
D’un point de vue formel, le classicisme de The Last of Us a quelque chose d’eastwoodien : Naughty Dog n’invente rien, mais rabote à la perfection des éléments de seconde main, trace au cordeau une synthèse d’Half-Life 2, de Resident Evil 4 ou de Manhunt. Narrativement, le jeu se place dans la filiation de The Road ou de Children of Men. C’est qu’en tant que genre, le jeu post-apocalyptique travaille des lieux communs, tout comme le western s’inscrivait dans un cercle étroit de topoï.
Mais Joel se place aussi dans la continuité des grands héros sombres du western comme William Munny (Impitoyable). La structure de la quête évoque, en miroir, au chef d’œuvre de John Ford, La Prisonnière du Désert. Au contraire d’Ethan Edward (John Wayne), dont il partage la violence et l’amertume, Joel cherche à se décharger de la jeune femme en détresse. Mais à l’instar de l’anti-héros fordien, il trouvera une forme de rédemption [3] au bout d’une longue et désespérée traque à travers la splendeur des paysages de l’ouest.
Individualisme
Cette forme néoclassique renforce le discours réactionnaire du jeu. Pour sauver l’Amérique de la zombification, rien de tel qu’un retour aux sources. A l’époque où les adolescents lisaient des comic books. Au temps des pionniers l’arme au poing. Discours un rien gêné aux entournures, par exemple lorsque Joel confie — avec prudence — une arme à Ellie. Mais discours qui s’affirme au fil du jeu, dans un final qui pose l’individualisme comme ultime issue face à la ruine du collectif. L’Etat, par le biais de l’armée, est une force d’oppression. Mais les Fireflies aux idéaux progressistes et scientistes ne valent guère mieux : ce sont des assassins d’enfants. Il y a tout de même quelque chose d’extrêmement frappant, pour rester poli, à voir, quelques mois après Bioshock Infinite, un second jeu narratif à gros budget qui transforme en tueur d’enfants une jeune femme révolutionnaire afro-américaine.
Il faudrait sans doute nuancer la comparaison, mais si The Last of Us est largement mieux écrit qu’Infinite, la volonté de se focaliser sur les personnages exclut toute problématique sociale, écueil qu’évitait pourtant The Walking Dead avec son groupe de survivants. Certes, le père et la fille adoptive semblent revenir vers une communauté familiale, auprès du frère de Joel et de sa femme. Pourtant le jeu ne nous montre pas à proprement parler ce retour, dont la possibilité réelle reste en suspens. The Last of Us se termine sur un mensonge aux portes de la petite ville, dans une conclusion qui n’interdit pas une lecture solipsiste : moi et les miens comme seule réalité.
Le complexe d’Electre
Pour comprendre The Last of Us, on ne peut évidemment pas faire l’économie d’un examen des rapports que le jeu instaure entre Joel, Ellie, et le joueur. Rapports d’une extrême ambiguïté.
Comme le signalent à juste titre Keith Stuart et Leigh Alexander, la relation entre le personnage principal et sa fille de substitution, nous dit quelque chose du vieillissement des développeurs et des joueurs, qui s’identifient de moins en moins au fringant héros sauvant la jeune femme de leurs fantasmes adolescents, et qui se retrouvent mieux dans des figures paternelles, comme dans Heavy Rain ou Bioshock Infinite. Il ne faudrait donc pas faire l’erreur de croire que cette tendance traduise une forme d’altruisme : la place du père n’exclut pas l’égoïsme de celui qui l’assume.
SPOILERS sur The Walking Dead, passez le paragraphe si vous n’avez pas fini le jeu
Si The Walking Dead n’oublie pas de flatter le joueur en lui donnant la possibilité d’incarner un père modèle, le jeu de Telltale n’en pose pas moins, dans son magnifique final, la question de la mort et de l’héritage. Dans les dernières minutes du jeu, Lee, agonisant, est incapable d’agir. Il ne lui reste plus qu’à donner ses instructions à Clementine qu’il a formée tout au long du jeu. De la sorte, le personnage rejoint la position du joueur, forcé de contrôler à distance un avatar. A travers Lee, dont il partage l’impuissance, le joueur fait face à sa propre mort, et il sait qu’il devra assumer les conséquences de ce qu’il a montré à Clementine, qui seule peut continuer à exister, qui en sortant de la pièce où elle est enfermée avec son père de substitution, prend sa liberté. L’éducation lui a appris la liberté.
On pourrait croire un temps que The Last of Us va suivre le même chemin. Ainsi, durant l’hiver, Joel est blessé, et le joueur incarne Ellie, en jeune diane chasseresse — comme dans le récent Tomb Raider — puis en survivante endurcie face aux zombies et aux cannibales. Certes, le dispositif laisse la main au joueur, mais il est indéniable que le jeu nous place dans la perspective de l’adolescente, qui d’ailleurs se révèle une redoutable combattante. Mais voilà, laissée seule, la jeune fille ne se méfie pas assez du grand méchant loup, et n’échappe que de peu au viol… avant d’être sauvée par la figure du pater dolorosus revenu d’entre les morts pour donner de grands coups de hache.
L’épilogue nous donne à nouveau l’occasion de prendre le contrôle d’Ellie, qui après avoir échappé une dernière fois à la mort, a enfin gagné le père dont elle rêvait. Peu importe que celui-ci lui mente, la jeune fille est énamourée. Frappée par le complexe d’Electre, elle accepte de jouer le jeu du mensonge, consentante mais victime tout de même.
Et le joueur ?
Travaillé tout au long du jeu en ce sens, il ne peut que se satisfaire dans un premier temps de cette adoption mutuelle. Mais avec un peu de recul, cette conclusion a quelque chose de perturbant. Joel est un monstre. Monstre d’égoïsme, qui refuse d’abord Ellie avant d’en faire sa fille de substitution. Monstre de violence. Et Ellie aussi maline — elle a bien sûr percé le mensonge — que naïve — elle est aveuglée quant à la possessivité que le mensonge implique —, ne comprend pas réellement que c’est le grand méchant loup qui l’a adoptée. Ellie qu’on voudrait voir faire la crise d’adolescence dont elle a l’âge. Peut-être faut-il supposer, entre les lignes que leur relation à venir ressemblerait à celle du début du jeu entre Joel et Tess, où cette dernière imposait sa volonté. Mais ne faut-il pas lire le parcours de Joel sous l’angle du narcissisme, comme une libération du père — et du joueur, et du développeur —, d’abord sous la domination féminine, avant de trouver en bout de route une position patriarcale, où sans interférence maternelle (les mères sont des castratrices, elles veulent tuer la fille pour continuer à vivre…) il se ferait le héros d’une fille de substitution qui deviendrait toute à lui ?
Barre-toi Ellie, tue le père.
Le dernier Américain
Joel est bel et bien le dernier Américain, the last of US. Après le désastre, ne demeure que l’individualisme nu du patriarche. Qu’importent la violence, l’égoïsme, le mensonge ? Jamais sans ma fille, le reste soit maudit. On pourrait s’attendre à ce que le jeu commente l’attitude des personnages, la mette à distance, mais comme l’expliquent les développeurs dans un entretien accordé à Edge, la fin a été modifiée lors du doublage, et personne chez Naughty Dog ne semble capable d’en donner une explication définitive : le joueur est laissé seul juge.
Difficile dans ce contexte de ne pas déplorer la coloration violemment conservatrice de l’aventure. Certes, Naughty Dog prend soin d’offrir une palette de personnages politiquement corrects (le survivor gay, le jeune Afro-américain et son frère). Mais au fond le jeu privilégie un retour à une vision passéiste de l’Amérique, comme si le mâle vieillissant avait besoin de retrouver ses vieilles lubies patriarcales, protectrices, individualistes, sous peine de tout perdre. En nous racontant un retour à l’état de nature, il montre aussi des conceptions plus que discutables, en limitant in fine son anthropologie à une anthropophagie : l’homme est un loup pour l’homme, anything goes pour s’en tirer, la sociabilité n’est pas naturelle, comme dans les plus purs fantasmes survivalistes.
On peut être admiratif du talent des développeurs, qui s’inscrivent dans une longue lignée de créateurs réactionnaire, tout en préférant d’autres reflets de l’Amérique en crise, que ce soit à travers le lunaire Kentucky Route Zero, ou l’humanisme de The Walking Dead.
Notes
[1] Bruce Straley, le game director explique à Edge qu’il s’est inspiré d’un livre de photos de Robert Polidori, Zones of exclusion, Pripyat and Chernobyl.
[2] Matthieu, 20-16
[3] Rédemption qui consistera pour Joel à accepter son rôle de père de substitution... Rédemption ambiguë, mais réelle.
Vos commentaires
Wander # Le 31 juillet 2013 à 16:19
En étant assez d’accord sur l’analyse je suis pourtant contre cet obligation de "transmission" de belles valeurs. Last of Us est très clair sur son personnage de Joel et ne joue pas l’angélisme comme un Call of Duty le fait. Joel est quelqu’un individualiste, cynique qui ne cherche finalement que son bonheur personnel, bien loin d’une ambition de nouveau monde. Contrairement a Ellie.
Cela aurait pu être plus profond, mieux contrasté mais face a une imagerie néo-colonialiste comme on en trouve dans bon nombre de productions (Tomb Raider par exemple), on peut saluer l’effort.
Martin Lefebvre # Le 31 juillet 2013 à 16:34
Le problème c’est que ce sont les dév qui le placent dans une situation où son égoïsme peut se justifier... Le monde est clairement présenté comme un lieu où personne ne peut s’entraider, à part dans l’utopique small town USA du frère, et encore celle-ci est elle sous la menace constante des hordes de zombies... :/
Grgrrn # Le 31 juillet 2013 à 17:18
Merci pour cette analyse.
En fait, je crois surtout que Naughty Dog pèche par son statut de studio AAA, bien plus habitué à ajuster et à agir à la marge sur les clichés qu’à réellement bouleverser les genres. Or, ici, Naughty Dog s’attaque à un thème particulièrement porteur de clichés conservateurs : les scénarios post-apocalyptiques.
Je sors de la lecture de World War Z de Max Brooks, qui synthétise bien les réponses apportées à une éventuelle invasion zombie. Le rapport aux armes individuelles, qui deviennent subitement une nécessité absolue, la défiance par rapport à l’armée –qui ne servira évidemment à rien-, le retour aux petites communautés autarciques, à des sociétés composées de membres « agissants » plutôt que « pensants » et évidemment aux structures politiques toujours proches d’une dictature qui apparaît comme « de nécessité », tout ça me fait penser que le thème apocalyptique est un thème par essence profondément réactionnaire.
Certes, quelques jeux vidéo sont parvenus à s’en écarter (Fallout et sa critique virulente de presque tout ce que je viens de citer, ou The Walking Dead). Mais pour ce dernier, son statut d’indie favorise ce genre de prise de risques, et le premier reste malgré tout attaché à des communautés très similaires au Jérusalem dont vous parlez – ceinturées, prises en main par des types armés, et qui considèrent l’Homme d’un point de vue utilitariste.
Là où Naughty Dog réussit, selon moi, c’est que justement il fait bouger les lignes là où l’on s’y attend le moins, dans un cadre pourtant très rigide. Il bouge en ce qui concerne Ellie.
Vous citez Tomb Raider et Bioshock : comparez Ellie aux deux autres personnages. Les trois jeux ont misé sur un marketing qui annonçait « Enfin un vrai personnage féminin dans le jeu vidéo, vous verrez, elles ne sont pas des potiches ». Et au final ? Une Lara Croft qui suinte le Male Gaze, une Elizabeth qui n’est rien d’autre qu’une princesse Peach un peu glorifiée (elle a même droit à son donjon avec un gros monstre qui la garde).
Ellie, en revanche, est incontestablement le cœur du jeu, bien plus que Joel. Elle est certes l’objet de la protection du joueur, mais pour une fois cette protection ne se double pas de désir. Et puis, surtout, elle n’est pas la potiche qui passe les munoches et rien d’autre. Elle est redoutable, tant par son poids sur Joel que par ses capacités martiales.
La fin est, à mon avis, le symptôme du renversement qu’a voulu opérer Naughty Dog. Oui, tu as protégé la princesse. Oui, tu es un héros. Mais tu es aussi une ordure qui ment à sa « protégée » et qui, par égoïsme, lui refuse ses choix en dépit de son bonheur.
Et c’est là que je suis en désaccord avec votre point de vue sur le patriarcat de Joel.
(Désolé d’avoir fait si long)
Nano # Le 31 juillet 2013 à 22:23
Superbe analyse. Je me demande ce qu’aurait donné le jeu avec un personnage féminin comme Tess (par exemple..) en lieu et place de Joel tiens..
Wander # Le 1er août 2013 à 11:33
“à part dans l’utopique small town USA du frère, et encore celle-ci est elle sous la menace constante des hordes de zombies... :/”
C’est vrai que ce passage est particulièrement porteur de cliché. Alors qu’un Walking Dead casse cette image avec sa ferme.
Martin Lefebvre # Le 1er août 2013 à 12:36
Bah la ferme de TWD est aussi un cliché, d’un autre genre. Mais au moins le jeu se pose la question de l’altruisme, de la collaboration entre les survivants...
Le tenant du tout pour ma famille dans TWD c’est Kenny, qui est un personnage très complexe... et très malheureux.
Wander # Le 1er août 2013 à 13:51
“Le tenant du tout pour ma famille dans TWD c’est Kenny, qui est un personnage très complexe... et très malheureux.”
Effectivement. Je trouve aussi le personnage avec le sac a la fin particulièrement révélateur, en même temps c’est fait pour. Mais ce coté miroir, ou le joueur se dit qu’il aurait peut-être pu devenir comme cela, c’est vraiment intéressant.
Pour autant je trouve quand même que vous êtes un peu dur avec l’écriture de Last of Us qui contient son nombre de cliché comme tout AAA, qui manque de finesse sur les personnages secondaires mais qui a quand même, de mon point de vue, le mérite de ne pas sombrer dans la facilité a certains moment. La fin par exemple qui est immorale au possible change des préchi précha qu’on trouve habituellement.
Peut-être qu’il y a aussi un effet de contre balance par rapport a l’accueil critique démesuré qu’a reçu le titre.
BlackLabel # Le 1er août 2013 à 14:42
Martin Levebvre :"Difficile dans ce contexte de ne pas déplorer la coloration violemment conservatrice de l’aventure. Certes, Naughty Dog prend soin d’offrir une palette de personnages politiquement corrects (le survivor gay, le jeune afro-américain et son frère)."
Chez ND ils ont un drôle de truc à eux ; les personnages ressemblent sans ressembler à des acteurs connus. Ils nous sont à la fois directement familiers, et sans personnalité, des coquilles vides. On a beaucoup parlé d’Ellen Page pour Ellie, Nathan Drake ressemble à Gerard Butler et à d’autres, et dans Uncharted 3 l’Anglais a une drôle de ressemblance avec Jason Statham. Tout comme le frère de Joel me fait penser au grand acteur blond de la série Lost, et un peu au frère de Sean Bean dans Le Seigneur des Anneaux.
Le jeu en lui-même c’est pareil, un périple déjà vu cent fois ailleurs, mais sans personnalité, sans singularité, sans rien pour le distinguer des autres. On retrouve à peu près tous les classiques du film de ce genre, le tout juste assez brouillé pour qu’on ne voit pas qui ND a volé ; c’est bien propre, sans dépasser la ligne. Et sans valeur ajoutée, sans essence. Tout est lisse, parfaitement prévisible.
Je ne pense pas que ND soit conservateur, c’est plutôt une absence totale d’originalité et de personnalité qui fait cet effet-là. On passe par tous les passages obligés du genre, et ils sont traités de la manière la plus conventionnelle possible pour faire illusion. Surtout ne pas dépasser les lignes. ND est un très bon élève comme ces jeunes pianistes hyper doués qui ne comprennent absolument rien à ce qu’ils jouent, mais exécutent un classique à la perfection.
Niveau gameplay on retrouve aussi tous les poncifs du genre, que ce soit du côté des créatures aux comportements sans originalité, que des humains à l’IA affreusement handicapée. Des arènes, des arènes, encore des arènes.
Tout est parfaitement huilé, mais ça tourne à vide.
wonder # Le 1er août 2013 à 14:58
ce jeu est à chier
vagabond # Le 1er août 2013 à 15:01
ce jeu est sensass
vagabond # Le 1er août 2013 à 15:04
je vous mets au défi de faire un papier sur the walking dead où black label n’aura pas d’autre choix que de la boucler haha !
BlackLabel # Le 1er août 2013 à 15:08
.......chiche.........- ! : ;
Kingeno # Le 1er août 2013 à 18:30
Pour le coup je suis assez d’accord avec BlackLabel. Cependant ND n’a jamais vraiment fait autre chose de d’élever "à la perfection" les genres auxquels il s’attelle, bien que son style de prédilection reste la plate-forme/aventure/action. Ce que je reprocherais donc à ND ça serait sont conformisme par rapport à son passé, le manque d’audace dans ses choix de GD/LD ("Des arènes, des arènes, encore des arènes") ainsi que son conformisme visuel et sonor. Au final, ça dépendrait beaucoup plus de ce qu’on attend (ce à quoi on nous à préparé à travers les teasers et autres trailers" que de l’expérience proposée... Reste à savoir ce qu’ils nous réservent pour la next-gen. Ou faut-il ne rien attendre justement ?
Brutus # Le 1er août 2013 à 18:48
Tu voudrais attendre quoi kingeno ? La révolution ? Si t’es déprimé fais une petite cure de rétro gaming, ça se vend en suppositoire maintenant Pong
Grgrrn # Le 2 août 2013 à 09:58
@Kingeno Ceci dit, il faut un canon pour permettre des variations intéressantes. Et personnellement, un éditeur qui offre deux dizaines d’heures de jeu d’une telle qualité globale (finitions, feeling, gameplay, réalisation, direction artistique), ça me plaît bien pour constituer ce canon justement.
Olivier # Le 2 août 2013 à 10:32
Erreur de typo dans la legend de l’image : « William Munny (John Wayne), le héros hanté de La Prisonnière du désert »
William Munny, c’est Impitoyable.
Martin Lefebvre # Le 2 août 2013 à 10:58
Merci, je corrige. :)
BlackLabel # Le 2 août 2013 à 14:41
Kingeno :"Pour le coup je suis assez d’accord avec BlackLabel. Cependant ND n’a jamais vraiment fait autre chose de d’élever "à la perfection"
Oui c’est un peu ça le problème, on retrouve les mêmes défaillances qu’ailleurs, mais le tout mieux fini. Sauf qu’un ennemi humain qui ne voit pas au-delà de dix mètres devant lui, et qui n’entend rien quand son ami se fait étrangler à deux mètres sur sa droite, ça reste dramatiquement nul comme proposition de gameplay.
PS : le gars qui a répondu "Chiche", ce n’est pas moi.
Steph # Le 2 août 2013 à 20:09
Martin, le jour ou des zombies envahiront la planète toi aussi tu découvriras les joies d’être réac :)
Martin Lefebvre # Le 2 août 2013 à 23:03
@Steph : je pense que le jour où les zombies envahiront la planète je serai zombifié assez vite. ;)
Djidane01 # Le 3 août 2013 à 14:37
Tout à fait de l’avis de Blacklabel, je ne peux pas arreter de penser que ce que vous décryptez comme des symboles ne sont que le développeur construisant un personnage badass à la mode.
J’ai aussi eu une grosse impression que ND ne savait comment donner une vraie fin au jeu et s’est donc contenté de faire de Joel une maman lionne qui bouffe tout ce qui pourrait menacer ses petits. Du coup, cette fin incomplète (rien n’est résolu ni pour les persos ni pour l’humanité) donne à TLoU un scénario qui tourne plus autour de l’évolution des rapports entre Ellie et Joel que de la situation post-apocalyptique qui ne sert qu’à orienter le gameplay (vers le survival + les diverses manières d’appréhender chaque adversaires) et l’atmosphère générale (qui, elle, est vraiment réussie).
"Nano:Superbe analyse. Je me demande ce qu’aurait donné le jeu avec un personnage féminin comme Tess (par exemple..) en lieu et place de Joel tiens.."
Probablement la même chose, mais en donnant à Tess une composante "maman" du style "Ellie devient l’enfant que je n’ai pas pu avoir".
Steph # Le 3 août 2013 à 18:23
Que ce que dit le jeu soit accidentel (comme toi et Blacklabel le disent) ou volontaire (qui a l’air d’être plus la position de Martin, et encore...) n’est pas tellement décisif quant au fond de l’article. Je pense également que l’on peut miser sur les effets de standardisation d’un produit d’un tel calibre pour comprendre et rendre compte d’un jeu tel que TLoU plutôt que sur une démarche artistique appuyé sur un propos et une recherche de sens.
Ceci dit, les symboles, le contenu du jeu s’analyse presque indépendamment de ce vouloir là. Le jeu comme symptôme d’une époque et des représentations de ces créateurs (mais également du public). D’ailleurs il est intéressant de remarquer que ce n’est pas un jeu américain, mais avec un imaginaire américain (le jeu AAA est-il capable d’autre chose ?)
En revanche, là ou vous avez sans doute raison, et Martin tord, c’est sur la cohérence qu’il prête au jeu. Pas sûr qu’on puisse dire que TLoU est un jeu réactionnaire par exemple. Peut-être (mais faudrait bosser pfiou) ne retient-il que ce qui l’arrange dans son développement ?
Il y aurait des choses à voir du côté du "fresh start" qui est aussi dans l’imaginaire américain, vouloir refaire autrement ce qui a merdé la première fois, ce n’est pas forcément être réactionnaire. Je ne suis pas persuadé de la recherche du statu quo ante bellum dans TLoU. Mais martin a bien plus travaillé sur ce coup.
Enfin, on peut discuter aussi que TLoU serait ou pas un jeu de zombies mais de contamination (les us fantasment l’invasion et la reconquête de leur sol). Les “chasseurs”, “claqueurs” et autres, sont trop "autres" trop actif, pour êtres des zombies (processus qui va jusqu’à la disparition de l’être humain).
Martin Lefebvre # Le 4 août 2013 à 15:37
Je ne sais pas si en effet on peut traiter TLoU comme un jeu d’auteur... l’oeuvre est forcément chorale, forcément le fruit de compromis plutôt que d’une vision. Néanmoins, il y a des responsables qui ont dû peser, notamment Neil Druckmann, le creative director.
J’ai essayé de chercher des choses sur lui, mais il est très lisse dans sa com, et j’ai pas eu le temps de le stalker à fond pour savoir s’il avait un compte sur Stormfront ;)
Je trouve tout de même le jeu fort réac, que ce soit dans sa manière de justifier la violence à cause de l’urgence / importance de la cause (ça rappelle ce que Zizek disait de 24 et de la justification de la torture par l’urgence, et 24 est tout aussi choral), mais aussi à cause de la fascination pour une certaine image des USA... les petites villes, les survivalistes, l’esprit pionnier...
Après je peux me tromper, c’est un papier d’opinion qui ne prétend pas délivrer une critique analytique définitive du jeu (pas le temps, il faudrait bosser encore plus, etc.) .
L’idée du fresh start, le côté road movie ne sont pas nécessairement réactionnaires... mais le jeu ne puise guère (peut-être pour des questions de tension, pour s’apparenter à un genre plus que par réel souci idéologique, mais au final le résultat ne diffère guère) dans une tradition de la sociabilité sur la route, les communautés sont à peine évoquées (ou alors comme fantôme des petites villes du passé), les deux instances du politique (l’Etat et les Fireflies) sont disqualifiés sans aucune nuance, etc.
Donc dans l’ensemble, que ce soit ou non conscient, le jeu me paraît très nostalgique d’une Amérique passée et individualiste...
Je vous laisse, le soleil breton m’appelle. :)
Steph # Le 4 août 2013 à 18:21
Le soleil breton, TLoU reac... huhu
alfred # Le 6 août 2013 à 22:15
Mais quel ramassis de conneries...
etienne # Le 12 août 2013 à 05:33
Après l’apocalypse
Salut,
Encore une fois un papier très intéressant à lire, en particulier parce que l’auteur privilégie une approche socio-politique du JV, trop systématiquement négligée partout ailleurs et pourtant essentielle. Je l’encourage au passage à tenir cette ligne "politique" sur des sujets très divers, concernant à la fois les contenus des jeux et les conditions concrètes de leur production et de leur diffusion - pour la raison simple que c’est le seul à la tenir dans la blogosphère francophone à ma portée, sans compter le fait que les papiers restent exigeants - y compris sur des sujets dont je n’ai rien à foutre. Cela explique à la fois une lecture attentive et régulière mais passive et silencieuse en régime ordinaire et des moments d’activité rédactionnelle fulgurante de ma part sur ce blog - je crois que Martin aura compris ce qui me fait réagir :)
Je me rends compte à ce propos en tapant "apocalypse" dans le moteur interne de MF que le genre post-apo/zombie/catastrophe pourtant extrêmement en vogue n’a pas eu son "Théma" sur MF - mais a seulement été abordé à travers des papiers isolés, alors qu’il le mériterait grandement.
Sans forcément vouloir mettre tout le monde d’accord, je pense qu’on peut à la fois partager et critiquer les reproches que Martin fait à TLOU à propos de son idéologie "réactionnaire" sous-jacente. D’un côté, il est clair que - ce qui est particulièrement évident pour les COD - les jeux video, en particulier grand public, véhiculent une idéologie dominante, de fait largement inspirée des fantasmes politiques de la culture américaine. Ce n’est donc pas Martin qui "met" de la politique là où il n’y en aurait pas, mais au contraire ces jeux qui dégoulinent plus ou moins consciemment d’idéologie, en tant que simples vecteurs de "représentations dominantes", sans qu’il soit possible de démêler clairement l’intention d’un "auteur" - dont l’influence elle même se noie dans un processus d’écriture collective et industrialisée - du simple "air du temps" propre à la doxa qui prévaut dans les pays où le jeu est massivement vendu, logique à laquelle un titre AAA est forcément soumis.
Comme le pressent Martin, je ne pense pas que c’est en cherchant du côté d’un hypothétique "auteur" qu’on puisse trouver grand-chose, le survivalisme, l’ultra-individualisme, la fascination pour la violence, le mythe du retour à la nature, l’ensemble de ces topos n’ayant pas attendu TLOU pour constituer la toile de fond de l’imaginaire d’une Amérique en crise , littéralement "assiégée" .
En revanche, le fait que l’auteur manifeste sa déception et sa désapprobation vis-à-vis de l’idéologie qui sous-tend la narration de TLOU n’apporte pas grand-chose, sinon rien, au papier - même si je la partage. Si Martin lui préfère infiniment l’humanisme de TWD, libre à lui, mais c’est justement la plasticité des options politiques des JV post apocalypse - que l’origine en soit une invasion de zombie ou toute autre cause - qui en fait un genre aussi intéressant, dont le succès massif ne peut laisser indifférent.
C’est d’ailleurs de façon étonnante la précaution qu’il prenait lui-même au début du papier sur TWD :
De ce point de vue les deux traitements opposés que font TWD et TLOU des rapports sociaux pouvant se développer pendant et après l’apocalypse sont également intéressants sur ce qu’ils nous disent de cette obsession pour la mentalité de survie dans la psyché américaine contemporaine, et la préférence pour l’un ou l’autre de ces développements relève d’un choix moral finalement assez trivial - l’option ultra-individualiste, on le verra plus bas, étant de fait un non-sens anthropologique.
C’est ce déferlement dans les JV et la culture populaire de la problématique de la "survie" dans une "société qui se sent menacée, en phase d’implosion, contractée et comme rétrécie", que j’aimerais questionner, à la lumière de l’essai magistral de C Lasch intitulé "Le moi assiégé", en montrant que le "survivalisme" est loin de se résumer à sa seule version "réactionnaire", comme le fait Martin un peu rapidement à propos de TLOU.
Lasch montre ainsi que le pessimisme anthropologique développé par certains auteurs survivalistes - et reposant sur la maxime hobbesienne homo homini lupus - et manifestement défendue par la narration de TLOU qui déplait tant à Martin - n’est pas la seule option, et qu’au contraire les conditions de la survie peuvent impliquer pour d’autres de faire ou refaire société - en l’occurence ici dans le cadre d’une colonisation de l’espace :
« Toutefois, si Kurt Saxon voit dans le défi d’une adversité extrême une occasion de raviver l’autonomie individualiste ("la meilleure garantie de survie pour l’individu"), Brand, lui, à l’instar de Doris Lessing, y voit précisément un antidote à l’individualisme. "La rudesse de l’espace obligera les hommes à une dépendance mutuelle" . »
Plus loin :
"Louise Kaegi observe quand à elle, à juste titre, que le "survivalisme" n’est ni une idéologie "conservatrice", ni une idéologie "libérale". […] « Une tendance survivaliste, écrit Kaegi, sous-tend à parts égales l’Etat veilleur de nuit économico-"libertaire", l’Etat de sécurité nationale "conservateur" et l’Etat thérapeuthique "libéral"."
Pour résumer, si l’on en croit Lasch, la galaxie survivaliste ne parait pas peuplée que de sombres "darwiniens sociaux", armés d’un fusil et d’ une structure psychique archaïque fondée sur le patriarcat et l’autodéfense comme unique mode de relation à autrui. Autrement dit, le balancement entre ces auteurs, permis par la relative "neutralité axiologique" de l’apocalypse - zombie ou autre - comme cadre narratif et comme situation socio-politique se retrouve dans l’alternative proposée par TLOU et TWD. On peut préférer un dénouement à l’autre sur le plan éthique et politique , mais le survivalisme en tant que tel n’indique aucune préférence a priori , si l’on en croit Lasch.
En revanche, ce qui est intéressant est le point commun de ces approches qui est, pour reprendre l’expression de Lasch, cette obsession contemporaine du "moi assiégé", bien plus développée outre-atlantique, et dès les années 1960, que chez nous (en Europe occidentale). Et ce qui intéresse Lasch n’est non pas ce qu’il adviendrait des hommes en cas de survenue de l’apocalypse , mais l’effet que produit la diffusion en masse de cette obsession survivaliste sur nos comportements ici et maintenant - et donc par la même ce que nous font l’ensemble des oeuvres culturelles qui s’inscrivent dans cette obsession - en particulier les JV pour ce qui nous intéresse.
Lasch résume très simplement sa thèse en début d’ouvrage :
"Dans une époque troublée comme la nôtre, la vie quotidienne se transforme en exercice de survie. Les gens vivent au jour le jour. Ils évitent de penser au passé, de crainte de succomber à une "nostalgie" déprimante ; et lorsqu’ils pensent à l’avenir, c’est pour y trouver comment se prémunir des désastres que tous ou presque s’attendent désormais à affronter. Dès lors, l’individualité devient une sorte de luxe, qui n’a pas sa place dans une époque d’austérité imminente . L’individualité implique d’avoir une histoire personnelle, des amis, une famille, mais aussi d’éprouver un sentiment d’appartenance. Assiégé, le moi se resserre jusqu’à ne plus former qu’un noyau défensif , armé contre l’adversité. L’équilibre émotionnel requiert un moi minimal, et non plus le moi impérial d’antan."
Je pense qu’on ne saurait mieux illustrer, à travers ce rétrécissement du moi , la structure psychique élémentaire des JV post-apo à la TLOU ou "I am alive" et bien d’autres (je pense aux STALKER et autres Metro) que Martin a résumé en parlant de cette société "qui se sent menacée, en phase d’implosion, contractée et comme rétrécie ." Ces jeux et les formes culturelles du genre ne font que travailler et remuer cette obsession contemporaine, effectivement typiquement américaine au départ - mais les effets de la crise récente en Europe tendent à montrer que nos sociétés se préparent bel et bien à entrer dans une époque d’austérité imminente , si elles n’y sont pas d’ores et déjà.
Lash explique longuement la diffusion de cette idéologie survivaliste par des facteurs historiques très divers largement hérités du XXe siècle : "désastre écologique" imminent, "sentiment d’insécurité", "prolifération nucléaire", "fragilisation de l’économie", autant de catastrophes annoncées et déjà présentes qui font que d’une certaine manière, l’apocalypse de TLOU ou des autres n’est pas ce qui nous menace, mais constitue le monde social tel que nous nous le représentons aujourd’hui dans nos conditions concrètes d’existence :
"Comme d’autres fantasmes antiutopiques, générés en abondance par une société capable de s’autodétruire, celui de Lessing tire sa puissance non tant de la vision du futur effrayante et ambigüe (ambigûe parce qu’on peut l’entendre aussi bien comme un avertissement que comme un message de bienvenue) qu’il propose, que de sa capacité à saisir le sentiment du quotidien tel que déjà vécu par les habitants des empires du Nord en pleine déconfiture - des gens frappés par une époque difficile.
Et Lasch écrit cela en 1984, bien avant le 11 setembre 2001, un quart de siècle avant les "subprimes" et le déferlement des zombies dans le JV !
Toutefois, si les options socio-politiques de la société - ou de la non-société - post-apocalyptique, telle qu’elle est décrite par ceux qui la pensent et la décrivent par anticipation, restent ouvertes et indéterminées, il faut bien reconnaître que le rouleau compresseur de l’idéologie reagano-bushiste en Amérique est passé par là, ce qui explique aisément que TLOU s’y coule aussi aisément, et pourquoi Martin n’a pas complètement tord d’assimiler "survivalisme" et pensée "réactionnaire". Mais pour cela il faut détailler.
etienne # Le 12 août 2013 à 05:38
Aussi je vais tenter d’esquisser quelques grands traits les plus caractéristiques - et effectivement extrêmements déplaisants pour quiconque prétend se réclamer d’une vie décente et conduite par un impératif moral minimal - d’une certaine idéologie survivaliste qui transparait dans TLOU et la plupart des JV post-apo dans le but d’approfondir la critique qu’en fait Martin et d’apporter de l’eau à son moulin, toujours à l’aide de l’analyse précieuse et unique de Lasch :
-Le darwinisme social et la survie des plus "aptes" :
"Le darwinisme social habitua les gens à l’idée que seuls les mieux adaptés survivront aux rigueurs de l’entreprise moderne ; mais la prise de conscience, au vingtième siècle, d’une nouvelle dimension de la brutalité organisée - celle des camps de la mort et des systèmes politiques totalitaires - a donné une nouvelle direction à la peur de l’échec, tout en fournissant une nouvelle source d’imagerie avec laquelle élaborer la perception sous-jacente de la vie sociale comme une jungle.
[...] Saxon affirme que la "survie est aujourd’hui le sujet le plus important", avant d’ajouter que "rares sont ceux qui le reconnaissent". Les "masses ignorantes" sont "condamnées" et "les plus capables cloîtrés dans une technologie interdépendante". Seuls quelques individus autochoisis se sont construit des abris et ont assuré leur autarcie. Leur prévoyance fait d’eux les membres d’une élite qui commande son propre destin ainsi que celui de l’humanité. "Quiconque se prépare à survivre mérite de survivre." En revanche, "ceux qui peuvent se préparer, mais s’y refusent, ceux-là ne méritent pas de survivre, et leur disparition serait une bénédiction pour notre espèce".
Même si le "héros" de TLOU ou ceux d’autres JV post-apo ne se sont pas "explicitement" préparés à l’apocalypse, le gameplay - la nécessité triviale pour le personnage joueur de ne pas mourir - et la narration poussent effectivement le joueur à des choix et des décisions consistant à quasi-systématiquement préférer survivre en dépit des conséquences morales de ces mêmes décisions.
J’avais tenté de montrer les conséquences de cette aporie dans le cadre d’un gameplay émergent et donc libéré des orientations scénaristiques des développeurs à travers l’évolution de DayZ vers un TDM chaotique généralisé. Il s’agit bien pour le joueur de rester "le dernier d’entre nous".
La psychologie du Stalker - dans le jeu du même nom - se résume de la même manière à une logique du "lonewolf" poursuivant seul ses propres fins - accumuler des artefacs de valeur et trouver l’"exauceur" - en se glissant au milieu des mutants et des combats entre factions rivales.
-Le refus du politique et la déprise des traditions culturelles héritées :
"Ce prétendu optimisme se fonde sur la conviction que la civilisation européenne est morte ; qu’il n’y a là, dans l’ensemble, rien à regretter ; et qu’il est illusoire d’espérer la revitaliser par l’action politique - l’une des fausses idées les plus puissantes de notre époque, à en croire Lessing. A mesure que décroit l’espoir d’un changement politique, l’attention se tourne vers la survie, selon elle, vers ses ressources, ses petites combines. Lessing traite du sentiment que l’on a de vivre dans un monde où les exigences de la survie quotidienne absorbent des énergies que l’on aurait pu mettre au service d’une attaque commune contre les dangers encourus par l’humanité ".
Ce qui frappe dans la plupart des JV du genre, c’est que la menace permanente des zombies/mutants/autres et la destruction physique des infrastructures sépare les individus en communautés éparpillées qui au mieux peuvent temporairement s’entraider, et au pire s’entretuent sans préavis. A rebours ces situations fictives révèlent à quel point l’ordre social et politique pré-apocalyptique actuel est rétrospectivement un havre de paix et de sécurité (Etat de droit, Sécurité sociale etc...), mais aussi à quel point il est fragile.
Après l’apocalypse, tout ordre politique ne fait que reproduire peu ou prou dans les JV ou les autres oeuvres soit la militarisation de ce qui reste des forces étatiques - des militaires qui nettoient les zones contaminées des potentiels survivants - soit la reformation de systêmes totalitaires typiques du XXe siècle. Dans tous les cas, le fait politique post-apocalypse ne peut être qu’un modèle dystopique.
La communauté de survivants dans le roman "Malevil" dans le village de La Roque - ou celle du train dans le film tiré du roman, sous la domination du tyran joué par Trintignan en est une illustration fameuse. Le jeu Metro Last Light illustre aussi la réapparition "spontanée" de communautés "fascistes" et communistes" dans l’espace confiné du métro de Moscou. Sans surprise, en ce qui concerne TLOU, Martin nous révèle que les reliquats post-apo de la res publica ne peuvent se traduire que par des formes oppressives du pouvoir politique :
-"Se débarasser de tout : la discipline spirituelle de la survie" :
Il s’agit certainement de l’aspect le plus troublant et le plus déplaisant d’une certaine idéologie survivaliste : l’individu qui se déprend de toute forme de lien, en particulier les plus encombrants - les liens affectifs, pourtant constitutifs du processus d’individuation pour tout sujet normal. Pour Lasch, une telle mentalité n’est ni plus ni moins qu ’une forme élaborée de suicide :
"Défaire ses attaches ; simplifier ses besoins ; retourner à l’essentiel. " On n’a pas de temps à perdre avec des amis qui ne feront que de piètres alliés , affirme Saxon. La survie a besoin de Numéro 1". [..] Ces attitudes antagonistes partagent malgé tout une affinité insoupçonnée. L’une comme l’autre renient les émotions humaines ordinaires et les liens d’amour et d’amitié qui détournent les gens de buts plus "élevés". L’une comme l’autre sont en effet d’avis que les exigences de la survie ne laissent aucune place à la vie personnelle ou à l’histoire personnelle. Après tout, les survivants doivent apprendre à voyager léger."
Qui n’a jamais joué à un FPS ou TPS post-apo - en particulier STALKER - comprend immédiatement la double signification de cette assertion. Se battre avec l’inventaire et avec les limitations de poids du sac à dos est une composante essentielle de ces jeux - et conduit à des choix déchirants lorsqu’il s’agit de laisser au sol telle arme ou telle ressource. Voyager léger au sens propre constitue le coeur du gameplay post-apo - et sur le plan métaphorique, ce que nous apprend Lasch est que ces jeux ne nous disent pas autre chose que le mot d’ordre est de ne pas s’encombrer : non seulement des objets accumulés , mais aussi d’une famille, d’amis, de gens qu’on aime, de son passé, de ses histoires d’amours... ou en ce qui concerne le héros de TLOU d’une gamine inexpérimentée.
J’insiste sur ce vocable. Voyager léger n’est pas autre chose qu’une version résumée du slogan du nomade attalien post-capitaliste : des individus-monades parfaitement libres et fluides et ne connaissant pas d’autres attaches territoriales ou affectives que les contrats temporaires qu’ils lient avec d’autres individus-monades déterritorialisés eux aussi.
Car il faut bien comprendre ce que signifie se débarrasser de tout pour le survivaliste que j’appellerais "attalien hardcore" pour simplifier - voici la suite :
"Ils ne peuvent se permettre de s’alourdir d’une famille, d’amis ou de voisins, mis à part le type d’amis dont la mort ne requiert aucun deuil. , et que l’on peut accepter d’un haussement d’épaules. Si l’on tient à ce que le navire reste à flot, il convient de jeter les bagages émotionnels par dessus bord."
Le vrai problème de Lasch n’est pas que cet état d’esprit fasse des ravages dans l’univers virtuel des oeuvres de l’esprit en général ou des JV en particulier - univers par définition irréel où tout acte ou choix est par définition frappé d’innocuité , c’est le propre du JEU - mais dans la vie concrète. :
« Les engagements à long terme et les attachements sentimentaux comportent certains risques dans le meilleur des cas ; risques que les gens ont de plus en plus de mal à accepter dans un monde instable et imprévisible. Tant que les hommes et les femmes ordinaires n’auront pas confiance en la possibilité d’une action politique coopérative - ni aucun espoir de réduire les dangers qui les entourent - , ils auront du mal à s’en sortir sans recourir à une partie des tactiques de survivalisme pur et dur sous une forme adoucie. L’invasion de la vie quotidienne par la rhétorique et l’imagerie du désastre final conduit les gens à effectuer des choix personnels que l’on arrive rarement à distinguer, au niveau de leur contenu émotionnel, des choix que font ceux qui se disent fièrement survivalistes, et se félicitent de leur perception supérieure du cours de l’Histoire à venir."
[...] L’exposition, directe ou non, à ces situations extrêmes a entouré non seulement l’oppression et les épreuves, mais jusqu’à la rivalité et à la concurrence quotidiennes, d’un nouvel ensemble d’images, modifiant par là même la façon dont l’oppression, les épreuves et la concurrence étaient vécues. L’adversité acquiert de nouvelles significations dans un monde où le camp de concentration est une métaphore irréfutable de la société dans son ensemble.
[...]Concevoir une identité infiniment adaptable et interchangeable peut nous aider à libérer les hommes et les femmes de conventions sociales périmées, mais aussi à provoquer des manoeuvre défensives et le "mimétisme protecteur". Une identité stable nous rappelle, entre autres, les limites de la responsabilité de chacun. Qui dit limites dit vulnérabilité, or les survivalistes cherchent à devenir invulnérables, à se protéger de la douleur et de la perte. . Le désengagement émotionnel, lui, est encore un autre mécanisme de survie. Dans les récents manuels de succès, dans l’essentiel des commentaires sur les situations extrêmes [...], ainsi que dans les oeuvres récentes de poésie et de fiction, un courant sous-jacent n’a de cesse de nous avertir que la proximité tue.
Martin a beau jeu de dénoncer une idéologie réactionnaire dans TLOU, mais je pense avec Lasch qu’au delà du couple largement factice Réaction/Progressisme dans lequel il s’inscrit, ce qui nous est donné à voir - et à réfléchir - dans ces JV post-apo est un mouvement bien plus général – et bien plus effrayant qu’une nostalgie conquérante des pionniers du XIXe siècle qu’il semble excessivement craindre - consistant à voir la société présente, celle dans laquelle nous vivons, travaillons et nous reproduisons, comme un "camp de concentration confortable" conduisant ni plus ni moins qu’au suicide.
"Suicide" au sens métaphorique mais aussi concret de mise à mort de la "personne humaine" - en posant comme postulat philosophique simple que toute vie humaine décente passe par l’ individuation et donc par la sociation , ce qui implique de voyager lourd - avec une famille des parents des amis, des collègues, des voisins...et in fine des concitoyens :
"Le monde de l’écrivain d’après guerre, observe Berthoff consiste en un "immense systême bureaucratisé et conspirateur, dont les hommes et les femmes sont pour ainsi dire esclaves, à leur insu ou non, et duquel il ne peuvent s’échapper que par un retrait de l’individualité à ce point absolu que son aboutissement naturel est le suicide. Le suicide devient la forme ultime d’autodéfense dans un monde perçu - par les écrivains mais aussi par les hommes et les femmes ordinaires, ou du moins par ceux qui enseignent aux hommes et aux femmes ordinaires les arts quotidiens de la survie - comme un camp de concentration confortable.
Harold Jouannet # Le 12 août 2013 à 06:43
“La rue commerçante d’un petit bled du Massachusetts, les maisons de bois d’un village du Wyoming, un village de vacances au bord d’un lac, un campus perdu dans l’immensité du Colorado. Une Amérique de gens simples (..) c’est apparemment de ce bois qu’on fait les survivants”
Ce serait valable si ces endroits n’étaient justement pas quasiment déserts. En l’occurrence, y’a bien plus gens dans la zone de quarantaine de Boston. Comme quoi les citadins épaulés par l’Etat sont pas nécessairement moins aptes à survivre. Pour le coup, le jeu ajoute ces décors au tableau de "la vraie Amérique", en parallèle des grandes villes qui ne sont pas pour autant oubliées (Boston, Pittsburgh, Salt Lake City)
“Pour survivre, il s’agit de résolument tourner le dos au troupeau : il faut se faire prédateur, combattre sans morale, sans pitié, en mêlant la ruse à la plus viscérale brutalité”
La présence de pillards dans une situation telle que celle-ci ne me parait pas forcément relever du message politique. Et leur présence ainsi que celle des infectés justifie une défiance et une violence à l’égard des "autres". Ce qui n’empêche pas de trouver gens pourvu de morale (la phrase entre Henry et Sam à propos du robot notamment). Après, tous les bandits agissent en groupe, donc le lone wolf de Joel, même s’il est couronné de succès et que Bill l’érige en nécessité, ne me parait pas la norme. Evidemment, ça se vérifie encore bien mieux sur le multi.
“dans un final qui pose l’individualisme comme ultime issue face à la ruine du collectif”
C’est l’issue présentée dans ce cas certes, mais on nous le vend pas comme une solution. D’ailleurs, ils vont vivre en communauté, c’est pas la ruine du collectif. Et le suspens est bien allégé par le fait qu’on a bien vu une partie de cette communauté auparavant. C’est assez différent du doute qu’on peut avoir à la fin de La Route sur les étrangers qui recueillent le garçon.
Ensuite les Fireflies assassins d’enfants, non, juste non. Déjà on parle d’une enfant. Consentante. Avec une motivation bien au delà du gout du sang.
“Mais voilà, laissée seule, la jeune fille ne se méfie pas assez du grand méchant loup, et n’échappe que de peu au viol… avant d’être sauvée par la figure du pater dolorosus revenu d’entre les morts pour donner de grands coups de hache.”
Elle chasse seule, se méfie assez, elle se libère toute seule, soigne Joel et achève David sans aucune aide. D’ailleurs, en suivant ton raisonnement, elle n’est pas sauvée, mais damnée par le retour de Joel.
“d’abord sous la domination féminine, avant de trouver en bout de route une position patriarcale”
D’une, oui Tess est leader par rapport à Joël, mais je ne pense pas qu’il y ait une connotation négative, une quelconque soumission. En tout cas, Joël s’en accomode très bien (notamment quand il demande ou il faut aller). D’autre, le jeu ne cache pas que la situation finale du duo est problématique. Donc même si Joël prend une revanche sur les femmes, ce n’est pas montré sous un jour favorable pour autant. Et une chose que tu ne soulignes pas, c’est que même si le geste de Joel est égoïste, même si Ellie se fait piégée plus ou moins consciemment, ce dénouement n’est pas non plus "sain" pour Joël. Ellie ne fait pas sa crise d’adolescence, mais Joël n’a pas grandi non plus (il manque juste qu’il appelle Ellie Sarah pour avoir le tableau complet).
“Mais au fond le jeu privilégie un retour à une vision passéiste de l’Amérique, comme si le mâle vieillissant avait besoin de retrouver ses vieilles lubies patriarcales, protectrices, individualistes, sous peine de tout perdre”
Pas le jeu. Joel. Qui justement est montré comme un homme passéiste (Amérique profonde, simple). A ce titre, il n’est pas surprenant de voir que son propre frère est parti. Leurs vues sont d’ailleurs assez différentes, et si le jeu nous montre plus aisément le point de vue de Joel, il est facile d’avoir plus confiance en Tommy, qui parait plus équilibré.
Martin Lefebvre # Le 12 août 2013 à 10:28
Cool, j’ai fait sortir Etienne du bois... je parlais justement de toi sur Twitter. Comme d’habitude ce que tu écris est passionnant, et il me faudra un peu de temps pour le digérer, d’autant que je connais mal la pensée de Lasch... J’avais essayé de lire La Culture du narcissisme, mais le livre m’avait assez rapidement froissé, peut-être à cause d’une forme de pessimisme de l’auteur... Mais j’en ai des souvenirs assez lâches.
Pour ce qui est de l’opportunité de valoriser l’humanisme façon TWD par rapport à TLoU je tiens juste à dire que je ne me place pas dans une posture neutre, mais que ce que j’écris est volontairement engagé, c’est plus une posture de ludophile que de critique détaché... je ne sais pas si cela rend plus intéressant mes papiers, mais il y a l’envie de mettre en avant un jeu vidéo que j’aime.
Il faudrait revenir sur TWD qui à mon sens travaille des questions humanistes d’une manière qui ne cadre pas vraiment avec ce qu’écrit Lasch... parce que justement dans TWD on s’encombre (de sentiments, de famille, de deuil etc.), et la question du collectif et de l’individu est posée de manière assez complexe, certes surtout autour de la notion de famille.
@Harold : j’entends bien tes remarques, mais je voudrais répondre sur quelques points :
Sur l’opposition petites villes / grandes villes, il me semble que si les petites villes sont plus désertes, elles sont aussi le lieu où la nostalgie est la plus forte... On traverse les grandes ville sans regret, tandis que le jeu nous arrête, en nous laissant explorer les petits bleds, et en nous montrant les vies qui y ont été perdues... Ce n’est peut-être pas tout à fait voulu, cela tient peut-être à une question de rythme, mais l’effet est saisissant... il n’y a de moments de recueillement sur les familles mortes que dans les petits bleds... Je peux me tromper.
sur les Fireflies tueurs d’enfant... oui bien entendu, ils ont un but, et ce n’est qu’un enfant... et peut-être encore une fois que la situation ne tient qu’à une logique émotionnelle, mais tout de même, ils sont présentés dans le dernier moment du jeu comme d’affreux brutaux... Et ce sont les scénaristes (Druckman et les autres) qui ont choisi d’écrire de la sorte le dilemme moral, dilemme qui aurait pu se présenter de manière très différente, même sans happy end. Il ne faut pas oublier que ce que le jeu nous donne à voir est construit, et que du coup toute construction est problématique... D’ailleurs la première fin révélée par ND aurait été assez terrifiante.
Sur la relation Joel / Ellie je pense qu’il est difficile de prendre d’autres points de vue que ceux qui nous sont donnés dans le jeu, d’autant que celui-ci travaille vraiment l’attachement émotionnel pour ces deux là, alors que les autres points de vue sont très extérieurs... Si le jeu voulait nous faire éprouver ces autres points de vue, il s’y prend mal... Contrairement à L.A. Noire par exemple, qui parvient dans son final à nous sortir du point de vue de Cole.
Réponses un peu éparpillées, désolé. :)
lol ou pas # Le 12 août 2013 à 11:30
Ce n’est pas parce que le jeu offre un autre point de vue que celui de joel que le jeu "au fond" n’est pas passéiste !!
Ce serait comme dire qu’un film n’est pas pornographique parce que parfois il y a des gens habillés !!!!!
lol ou pas # Le 12 août 2013 à 11:33
désolé martin pour la redite, je n’avais pas actualisé la page donc pas vu ton com...
Steph # Le 12 août 2013 à 12:23
etienne, merci pour ta "3e partie". Et pour la découverte de Lasch.
Une remarque.
Oui, il écrit aussi surtout après le 2nd choc pétrolier, une économie mondiale qui a un genou pété et prit deux pains dans la gueule (chez nous : tournant de la rigueur). La similitude provient plus probablement de là. Le 11/09 n’est pas la seule crise de l’occident.
et une question :
peut-on résumer une des positions de Larsh ainsi : les oeuvres culturelles survivalistes, plus qu’une émanation de l’idéologie dominante sont une sorte de stimulus aurait pour fonction de faire advenir la société qu’elles présentent ? En somme, la diffusion de ces oeuvres aurait le rôle de prophétie autoréalisatrice dans le but de fonder une sorte de Sparte mondiale moderne ? Nous serions si je crois ce que tu dis, à un moment de l’histoire, ou - because austérité oblige - l’on va balancer tout ce qui est superflu (art, culture, famille) pour se recentrer sur la guerre, et les jeux vidéo participent de cela ?
Harold Jouannet # Le 13 août 2013 à 14:34
@Martin : oui, le jeu romance la nature, et la nostalgie fonctionne mieux dans les pavillons de banlieue et les petits disquaires que dans les tours de bureaux ou le métro.
Pour les Fireflies affreux brutaux, ils soignent quand même Joel, et s’ils sont patibulaires, c’est Joel le premier qui est violent, et eux ne font que défendre l’opération d’Ellie. A ce sujet, c’est peut-être juste moi, mais ils ne m’ont pas touché lors de mon échappée avec Ellie. Mais, oui, c’aurait pu être présenté différemment (notamment le fait qu’Ellie soit en salle d’opérations à notre réveil sans qu’on ait pu dire non ou au revoir ou en discuter avec Ellie, ça force un peu le tournant drmaatique de l’histoire).
Enfin pour le point de vue extérieur, celui de Marlene me parait clair et développé au moins (audiologs, cutscenes), et suffit à faire contrepoint à celui de Joel, à montrer que ce choix n’est pas simple. C’est justement intéressant de placer le joueur dans cette position inconfortable de Joel en lui ayant donné tous les éléments pour comprendre son choix. Pour autant, si le jeu fait bien son job de montrer les justifications "immorales" du choix de Joel (qui est par définition le plus investi dans ce choix et donc le plus intéressant à suivre), à travers l’attachement naturel qui se créé avec Ellie au fil du jeu, le voir tuer Marlene c’est tout de même explicite qu’il a franchi une ligne significative et que tout cela n’est pas facilement excusable.
Rajouter une couche pour bien montrer que "C’est mal ou au minimum moralement contestable", ce serait au contraire bien moins fin.
Pour répondre à lol ou pas, on peut faire un film ou Hitler est le protagoniste, sans en faire l’apologie.
Poppy # Le 13 août 2013 à 20:38
J’aime bien cet article même si je ne suis pas totalement d’accord avec lui.
Il me semble que tout en allant vers l’Ouest, Joël a tendance à se civiliser comme le montrent par exemple l’évolution de ses relations avec l’ainé des deux frères ou ses dialogues avec son propre frère. La rupture intervient ensuite en deux temps, quand l’essentiel est en danger, c’est à dire sa famille ou plutôt celle qu’il s’est recréé. Les évènements le contraignent alors à redevenir le survivant sauvage qu’il était devenu avant de rencontrer Elie. Il ne me semble pas "réactionnaire" par essence. Et alors que les structures collectives (c’est à dire l’assurance donnée par les autres) sont au bas mot moribondes du fait de la situation, ses choix dans les grandes lignes me semblent assez compréhensibles.
Mais peut être est-ce là la marque d’un personnage réactionnaire, je ne sais pas...
Par contre, j’ai un peu plus de mal avec le jeu qui serait lui aussi réactionnaire. Contrairement à ce qui est dit, le jeu prend à plusieurs reprises ses distances avec les choix de Joël. Je pense à la scène de torture et d’exécution des deux mobs devenus pourtant tout d’un coup humains. Je pense aussi à ce que la chef des lucioles raconte, directement à Joël à la fin ou via ses logs audio. Il y a quand même là des éléments clés, étrangement non cités dans l’article, qui poussent le joueur à se poser des questions sur les actes de Joël. C’est un peu plus que de laisser le joueur penser ce qu’il veut...
Et puis il y a la fin. Ce vers quoi Joël et Elie vont, c’est loin d’être le paradis. Joël fait le choix d’une solution on ne peut plus précaire, avec un avenir qui semble sans issue. Si vraiment le jeu avait été réactionnaire, la fin aurait été sans doute beaucoup plus positive.
etienne # Le 14 août 2013 à 06:54
[Bonsoir.
Voici le dernier paragraphe que je voulais écrire dans le commentaire précédent intitulé "Après l’apocalypse", qui traite de la disparition paradoxale de la figure du héros à la fois dans la doctrine survivaliste et dans la plupart les JV post-apo/zombie. Mes réactions aux commentaires sont dans le post qui vient après :)] :
-La disparition de la figure du "Héros" :
"Ainsi la concurrence se concentre-t-elle à présent non tant sur le désir d’excellence que sur la lutte pour éviter une défaite cuisante. La volonté de tout risquer pour décrocher la victoire cède à la place à une accumulation prudente des réserves nécessaires à l’entretien de la vie sur le long terme. Le rebelle héopïque, le guerrier héroïque, le requin de l’industrie, ces anciens prototypes de la concurrence fructueuse, cèdent leur place dans l’imaginaire populaire au vétéran rusé , moins déterminé à vaincre ses adversaires qu’à leur survivre. L’ancien code de combat, qui insistait sur la dignité de la mort au service d’une noble cause, perd de son charme dans ces conditions - guerre technologique et extermination de masse - qui ne rendent la mort ni douce ni juste. Le survivalisme conduit à une dévaluation de l’héroïsme. ¨Goffmann estimait que les situations extrêmes clarifiaient les petits actes de la vie, et non les plus nobles formes de loyauté et de traîtrise . Les institutions totalitaires organisent de massives offensives contre le moi, tout en excluant toute résitance efficace, forçant ainsi les reclus à se montrer récalcitrants, à faire preuve d’un détachement et d’un repli ironiques, ainsi qu’à allier conciliation et non coopération.
[...]Tandis que les survivalistes purs et durs se préparent au désastre, nous sommes nombreux à mener notre existence quotidienne comme si celui-ci s’était déjà produit. Nous nous conduisons comme si nous vivions dans des "circonstances impossibles", dans un "environnement d’apparence irrésistible", dans l’"environnement extrême et immuable" de la prison ou du camp de concentration. Nous partageons le désenchantement dominant vis-à-vis de la "vision romantique des situations extrêmes", comme Cohen et Taylor l’appellent, "vision dans laquelle l’homme qui riposte, qui domine son environnement, qui refuse de se laisser abattre, quelle que soit l’adversité, est le héros ". Une part de ce romantisme perdure chez les survivalistes visionnaires, mais nous autres, nous tournons en ridicule l’idéal à la John Wayne, sans toutefois nous débarrasser des préoccupations qui sous-tendent le style héroïque survivaliste. Nous raillons ou plaignons ceux qui cherchent à s’armer contre l’apocalyplse, alors que nous nous armons nous-mêmes, émotionnellement, contre les attaques du quotidien. "
Le "désenchantement" dont parle Lasch, et la disparition de la figure classique du "héros" sont à la fois propres aux doctrines survivalistes et à ce qui est attendu du joueur dans les jeux post-apocalypse contemporains. Les héros des JV post-apo contemporains sont non seulement fatigués et cyniques, mais réfutent même l’idée même d’héroïsme, à partir du moment ou la notion de sacrifice qu’elle implique ne revêt plus aucune signification dans un monde confronté à une menace radicale :
"Cette attitude reflète une répugnance répandue à l’idée non seulement de mourir dans une guerre injuste, mais aussi de mourir pour une cause, quelle qu’elle soit. Elle reflète aussi le refus des engagements moraux et émotionnels ; refus qui identifie la mentalité de survie et la culture du narcissisme. "Pour un narcissique, écrit Russel Jacoby, le sacrifice est une arnaque, une perte dénuée du moindre bénéfice ".
[...] Le type d’expérience historique dont le Vietnam représente le summum logique - le règlement de notre vie par autrui, sans notre consentement - finit par nous priver de la capacité même d’endosser la responsabilité de décisions nous affectant, ou d’adopter toute position envers la vie autre que celle de victimes ou de survivants. L’expérience de la persécution, qui justifie la résistance, peut également détruire la capacité de résistance en détruisant le sentiment de responsabilité personnelle.
[...] Les institutions totalitaires - et les camps de la mort en premier parmi elles - nous ont fait prendre conscience de la banalité du mal, pour paraphraser Hannah Arendt ; elles nous ont également ouvert les yeux sur la banalité de la survie. Nous avons de plus en plus tendance à croire que les héros ne survivent pas, ce qui influence le désenchantement vis-à-vis des codes conventionnels de la masculinité. [..] Cela dit , la masculinité n’est pas la seule à avoir perdu de sa valeur de survie ; c’est en effet aussi le cas de tous les idéaux , soi-disant périmés, d’honneur , du mépris héroïque des circonstances et de l’autotranscendance. "
Ce "désenchantement" conduisant à renoncer à nos responsabilités élémentaires au motif de l’impératif de survie, et à se comporter à rebours de la figure héroïque - autrement dit à se focaliser sur son "inventaire" au détriment des conséquences morales de nos actes dans le jeu, quitte à tuer un PNJ voire un PJ a priori (mais pas longtemps) innocent dans la perspective de le "looter" - en dit autant sur les bases de narration et de gameplay qui connaissent aujourd’hui un succès grandissant dans les JV post-apo/zombi que sur les façons concrètes dont nous sommes conduits à nous représenter les rapports à autrui et la vie en général à travers cette idéologie survivaliste adoucie constituant l’arrière-plan de nos existences décrite par Lasch.
Bien au-delà du côté "hou fait moi peur", le succès de ces jeux correspond selon moi à l’usure évidente des JV basés sur la figure classique mais irrémédiablement dépassée des "héros" élus par avance pour sauver le monde du Mal - que ce soit dans leur version militarisée et bushiste des COD et autres FPS du genre, que dans la forme moins caricaturale qu’on retrouve chez Gordon Freeman dans HL ou dans les RPG à la Diablo, Skyrim et autres , ou encore dans les jeux d’actions simplistes à la "Assassins Creed" etc.. où il s’agissait encore de sauver autre chose que sa peau.
La vague du FPS/TPS survival a complètement dévalué ce genre d’expérience devenue ennnuyeuse à la longue, où le personnage joueur incarne à la fois le Bien tout en disposant de forces immédiatement capables de surmonter les forces adverses : une forme d’ennui lié à la répétition d’actes "pseudo-héroïques", du fait même que le gameplay d’un Skyrim nous permet de terrasser un dragon dès la première heure de jeu - dévaluant ainsi cruellement 50 heures de jeu supposé "héroïque" dans l’opus de Bethesda au regard de 5 mn de gameplay dans Left4Dead ou Dayz.
C’est en tout cas ce que j’ai éprouvé moi-même en tant que joueur invétéré.
La grande force du genre « survival » - qu’il soit « horror » ou réaliste - est de rompre avec une narration et un gameplay standard, en plaçant le personnage joueur dans une situation extrême où il est à la fois infiniment faible et à peine suffisamment puissant pour survivre, sans appartenir à une quelconque force représentant le Bien ultime - ou le Mal peu importe - c’est-à-dire sans avoir à s’inscrire communément dans un mouvement qui le transcende, - que ce mouvement soit tendu vers des fins aussi banales et convenues que la survie de l’humanité ou le triomphe des forces du Bien sur celles du Mal.
Cette rupture avec les catégories traditionnelles de l’héroïsme conventionnel et il faut le dire passablement neu-neu des JV standard est le véritable coup de génie des jeux post-apo/zombie - bien que je sois bien en peine d’en reconstituer l’historique. Outre qu’on s’y amuse plus, on s’y reconnait mieux, compte tenu du climat survivaliste généralisé que l’époque nous impose. Et je reconnais moi-même y avoir pris un plaisir entièrement renouvelé en tant que simple joueur - à tel point qu’il m’est devenu difficile de me laisser entraîner dans des aventures plus conventionnelles.
Pourtant le verdict de Lasch n’est pas tendre avec les joueurs de "survival" dans mon genre : s’identifier à un pur survivant conduit nécessairement à renoncer à une conduite "héroïque" conforme au "codes conventionnels de la masculinité", ce qui revient de fait à se reconnaitre foncièrement comme une tafiole ou une couille molle - y compris dans un jeu video.
Mon hypothèse est qu’au delà de la nouveauté radicale de la narration et du gameplay, le genre "survival" pur - j’entends par là celui qui repose uniquement sur la seule nécessité de survivre pour le joueur - et son succès massif, ne peuvent se comprendre que parce qu’il entre en résonnance avec la psyché dominante décrite par Lasch : ces expériences video-ludiques de survie s’inscrivent bien plus dans la représentation que nous avons - et que la société nous incite à avoir - de notre propre existence concrètement assiégée - que dans la figure du héros prêt à sacrifier sa propre vie pour un motif relevant d’une nécessité supérieure .
Il s’agit là non pas d’une déploration pleurnichante, mais d’un simple constat.
Par provocation, j’invite à réfléchir aux conditions de réception concrète des jeux militaristes à la COD chez une génération n’ayant d’autre relation à la chose militaire - et donc au sacrifice potentiel de sa propre vie au nom d’un principe supérieur appelé Nation - que le "rendez-vous citoyen" depuis la suppression du service militaire par J Chirac. Une telle réception ne peut être que totalement déréalisée chez l’immense majorité des joueurs, pour la bonne et simple raison qu’en dehors des soldats de métiers, l’idée même que l’on puisse se sacrifier pour sa patrie relève au mieux d’une sinistre plaisanterie.
De la même façon, le statut "d’élu" tueur de dragons d’un Skyrim ou d’"Assassin" déjouant un complot fumeux à travers les époques dans AC ne revêt aucune signification pour le joeur lambda , en dehors des conventions narratives et des profits symboliques associés au fait d’être associé au camp des "Gentils" contre celui des "Méchants" - profits parfaitement artificiels et réversibles ceci dit si l’on s’en réfère la psychologie ordinaire du joueur de "nouvelle génération".
En revanche, le jeune individu habitué à vivre les relations sociales dans la perspective d’une guerre de tous contre tous, où toute les interactions humaines - qu’elles soient professionnelles, amicales, familiales ou amoureuses, en particulier depuis que les médiations interpersonnelles passent de plus en plus par Internet - ne peuvent s’élaborer que de façon précaire sachant qu’à tout moment elle peuvent se renverser ; ce jeune individu trouvera dans les jeux de survie post-apo/zombie une mise en scène résonnant de façon bien plus intime avec ses propres représentations de la vie concrète que dans la figure du héros médiéval terrassant le Mal. Et il y trouvera fortuitement des occasions virtuelles de revanche sociale que la vie réelle lui refusera à coup sûr.
On retrouvera dans cette psychologie désormais répandue le propre des alliances ponctuelles sur les serveurs multijoueurs de la plupart des JV - où tout le monde s’insulte y compris les alliés - relations finalement assez proches de la vision d’une L Parisot pour qui "la vie et l’amour sont précaires par nature ",
Ce que résume de façon magistrale Martin dans son papier :
"Pour survivre, il s’agit de résolument tourner le dos au troupeau : il faut se faire prédateur, combattre sans morale, sans pitié, en mêlant la ruse à la plus viscérale brutalité."
Ce discours ne diffère pas vraiment du climat dans lequel est plongé n’importe quel jeune stagiaire diplômé en milieu professionnel - rejoignant en cela la mentalité de la petite caillera de cité - , sans parler des relations amoureuses médiatisées par Meetic ou Adopteunmec.com dans notre beau pays qu’est la France de 2013.
Au delà de l’aspect un peu outré du propos, je pense que cette diffusion de la mentalité de survie au détriment des vertus d’un héroïsme systématiquement raillé par son côté surrané et à côté de la plaque se situe exactement dans prolongement des analyses que fait Lasch - bien avant l’invasion des Zombies dans les JV - à propos des oeuvres culturelles des années 1970-80 appelant effectivement à se détacher de tout , à commencer par des valeurs aussi encombrantes que l’amour de l’autre, pourtant valeur transcendante ultime dans les rapports humains s’il en est une - au sens où l’on est prêt à se sacrifier pour elle :
« Dans les romans de Robert Stone, Hendin remarque que "les amoureux et les moralistes sont les premiers à s’en aller." Quand le héros de Hall of Mirrors identifie le corps de sa maîtresse, qui vient de se pendre, ses seules pensées sont : "Je suis en vie, baby (...). C’est toi qui est morte. Pas moi. Je n’ai pas besoin de toi.(...) Je suis un survivant". »
Pour prendre des exemples extrêmes de l’univers des JV, autant on imagine aisément Joël, le "non-héros" survivant de TLOU prononcer ces paroles, autant elles paraîtraient totalement incongrues de la part d’une figure aussi légendaire et pourtant affreusement rudimentaire qu’est le plombier de Mario Bros ™...
C’est dire ce qui s’est passé entre temps.
etienne # Le 15 août 2013 à 03:33
@ Martin,
Merci de ta réponse. J’avais bien saisi ta posture "ludophile" et "engagée"- la même qui m’avait réagir sur Diablo ou me lancer dans DayZ - , et je la trouve très bien, d’où l’envie de la prolonger. Comme je l’ai écrit, la problématique que tu pose dans le papier sur TWD - "L’humain est-il bon ?" - à propos des jeux post-apo mériterait un "Thema" à elle seule, c’est le seul sens de ma modeste contribution :)
Il ne t’aura pas échappé, ni à personne, que le thème du survivalisme était aussi un prétexte pour parler de Lasch, un auteur singulier, peut-être le plus important de l’époque contemporaine en ce qui me concerne.
Cela peut paraître au premier abord hors sujet par rapport au JV de zombies, mais pourtant toute l’oeuvre de Lasch consiste à rechercher les prémisses d’une " bonne société " - y compris en puisant dans l’idéologie populiste de son propre pays - en tentant de saisir les raisons du divorce entre la "gauche" progressiste américaine et et l’"Amérique profonde" des petites communautés qui semble tant te déplaire dans LTOU.
Lasch tente de dénouer l’alternative factice - dans laquelle nous baignons tous, en particulier dans la culture politique franco-française - entre "progressisme" et "idéologie conservatrice" ou "réactionnaire - problématique qui traverse ses écrits, en particulier dans "Le seul et vrai paradis".
Pour aller vite, les sujets dont tu traites dans les deux papiers sur TWD et TLOU - "la cellule familiale étendue", "les relations individuelles", "l’Amérique profonde retournée à l’état de nature", "une Amérique de gens simples", "l’anti-héros fordien", "les vieilles lubies patriarcales, protectrices, individualistes" - Lasch est le seul auteur à les questionner dans une perspective non pas "réactionnaire" ni "progressiste", mais simplement émancipatrice - pour simplifier ce qu’on pourrait appeler " de gauche " si le terme avait encore un sens aujourd’hui.
D’où la proposition implicite de Lasch de nous débarrasser du terme tellement pratique de "réactionnaire" pour parler authentiquement de ces sujets - proposition qui fut pour moi une révélation , et que je t’invite à partager avec d’autres en questionnant ce qu’il y a à prendre et à laisser à propos de cette "fascination pour une certaine image des USA... les petites villes, les survivalistes, l’esprit pionnier", cette "Amérique passée et individualiste" qui semble tant te déplaire - et me déplaisait moi aussi avant de lire Lasch ainsi qu’à tous les petits français "de gauche" comme toi et moi :
"Je n’ai pas l’intention de minimiser l’étroitesse d’esprit et le provincialisme de la culture des fractions les plus humbles de la classe moyenne ; pas plus que je ne nie le fait qu’elle a engendré le racisme, chauvinisme, anti-intellectualisme et toutes les autres plaies si souvent citées par les critiques libéraux. Mais les libéraux, dans leur impatience à déplorer ce qui est déplaisant dans la culture petite bourgeoise, ont perdu de vue ce qu’elle a d’estimable. Leur attaque contre l’"Amérique profonde" , qui donna lieu en fi de compte à une contre-attaque anti-libérale - l’élément principal de l’émergence de la nouvelle droite - es a rendu aveugles aux aspects positifs de la culture petite bourgeoise : son réalisme moral, sa compréhension du fait que chque chose a un prix, son respect des limites, son scepticisme au sujet du progrès. En dépit de tout ce qui a pu être dit contre eux, les petits propriétaires, les artisans, les commerçants et les fermiers - plus souvent victimes que bénéficiaires des "innovations" - ne risquent pas de confondre le pays enchanté du progrès avec le seul et vrai paradis."
(in "Le seul et vrai paradis". Note : "libéral" signifie grosso modo en américain "de gauche" ou "progressiste").
Seule une lecture superficielle de Lasch et une difficulté à se déprendre des catégories politiques du type "Progrès/Réaction" extrêmement prégnantes chez nous a pu te faire voir dans ses écrits une vision "pessimiste". Il me semble bien au contraire que Lasch est le seul auteur à nous livrer une vision extrêmement optimiste de la société, à condition d’être capable d’intégrer des éléments "conservateurs" de la tradition occidentale dans la perspective d’une vie bonne et décente . Je t’invite vivement à y retourner, ne serait-ce que pour donner un cadre nouveau et enrichi aux questions fondamentales que tu posais dans le papier de TWD :
« Mais quelles valeurs enseigner ? L’humanisme est-il encore de mise alors que l’humanité semble dores et déjà condamnée ? Quel est le prix de la survie ? »
@Steph
Merci de ta réponse.
Non, tu vas trop loin, relis mon commentaire.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une représentation de la psyché américaine dominante - et donc de la psyché mondiale, rien d’autre. Il ne faut jamais surestimer la force des discours et des oeuvres culturelles, même s’ils contribuent à un certain climat idéologique.
Ce que dit Lasch est que ces oeuvres conduisent les individus à se comporter comme s’ils évoluaient dans une adversité post-apo zombie dans la vie courante, ce qui les conduit entre autres à se méfier de toute forme d’attachement affectif , mais il ne dit rien de plus.
Que des militants survivalistes cherchent à infléchir le systême et les représentations socio-politiques est une chose, qu’ils parviennent à réaliser par un processus auto-réalisateur leurs propres fantasmes en est une autre... Jusqu’ici, seul Dieu dispose absolument de la fonction performative du langage cf fiat lux .
A moins que tu prêtes aux auteurs survivalistes et aux développeurs de JV post-apo des pouvoirs divins ? :)
HN # Le 16 août 2013 à 11:27
Salut tout le monde, je lis depuis qqs temps vos "papiers", j’adore les thèmes abordés dans vos articles et la manière de décortiquer les jeux que je n’ai vu nulle part ailleurs.
Concernant "The last of us" et ce que j’en ai lu dans votre article, j’ai l’impression que le public ciblé - en plus des badass limite rednecks - c’est ce qu’on appelle les "preppers", qui sont particulièrement à la mode aux USA en ce moment. Quand j’ai vu les images et le thème du jeu, j’ai tout de suite pensé à ça.
Les preppers ce sont ces gars qui ont leur propre abris anti-atomique, qui élèvent des centaines de poissons dans leur piscine ou achètent des munitions par palette en vue de l’apocalypse.
Un article intéressant de qqs pages se trouve dans un hors-série du Monde Diplomatique, "Où va l’Amérique", si ça vous intéresse d’en savoir plus à ce sujet.
On retrouve d’ailleurs différents thèmes qu’on peut voir dans d’autres communautés/courants de pensée, notamment le refus d’un gouvernement "extérieur", le bon vieux "c’était mieux avant", l’autonomie, l’individualisme. Des thèmes particulièrement prisés par le Tea Party entre autres et beaucoup de communautés assez réactionnaires, d’où la teinte perçue dans ce jeu, j’imagine.
Merci pour vos articles en tout cas.
Cdlmt
Pierre # Le 16 août 2013 à 15:11
Etienne : c’est cool, avec tes posts j’ai l’impression de lire une analyse de TLOS par Michéa - et c’est un compliment ^^ Michéa n’a jamais caché son intérêt pour Lasch, qu’il cite souvent dans ses bouquins, et a même préfacé l’édition française de la Culture du narcissisme.
Je suis moi aussi mitigé sur l’emploi du terme "réactionnaire" (ou "conservateur", d’ailleurs), qui suppose que tout ce qui appartient au passé est mauvais, et que tout ce qui relève du présent est bon. Eh bien non ! On peut saluer certains aspects de la société moderne (droits des femmes, des homosexuels, des minorités ethniques, "liberté" relative de l’individu...) tout en en rejetant violemment certains (la marchandisation de tout ce qui, auparavant, relevait du bien commun - les semences par ex...-, la religion du progrès et de la croissance, la destruction de la planète...).
La société "idéale", si elle existe, est à mi-chemin entre les valeurs "urbaines" et "rurales", "modernes" et "anciennes", il s’agit d’une "reviviscence - mais sous une forme supérieure - de la liberté, de l’égalité et de la fraternité des antiques gentes" (Morgan, cité par Engels), qu’on a déjà pu entrevoir, trop brièvement, pendant certaines phases de la révolution espagnole, par ex.
HN : la tradition anti-étatique, anarchiste en fait, n’a rien de condamnable en soi - l’anarchisme n’est dangereux que lorsqu’il n’est pas associé à un farouche égalitarisme (si ce n’est pas le cas, il devient libertarianisme, anarcho-capitalisme, anarchisme de droite, d’atroces utopies libérales façon BioShock quoi).
Martin Lefebvre # Le 16 août 2013 à 15:32
Le problème de la réaction, et pour moi Michéa assurément et Lash sans doute sont des réactionnaires, c’est qu’elle a tendance à enchanter le passé... Cela ne veut pas dire qu’il n’y a que du positif dans le progrès, loin de là, mais il me semble qu’il y a risque de confusion entre ce que l’historien peut retenir du passé et la nostalgie dudit passé.
Etre progressiste, c’est simplement accepter qu’on peut difficilement revenir en arrière (même si l’on peut comparer des époques), et que les équilibres de l’Histoire sont en perpétuel mouvement... On est progressiste tout simplement parce qu’on peut changer l’avenir, pas le passé, par pragmatisme, pas par culte du progrès.
J’ai beaucoup de mal avec les critiques culturelles qui crient à la perte des valeurs (même s’il peut y avoir perte des repères), et on va dire que j’ai une approche relativement stoïcienne du présent : il faut le prendre comme il est, pas le comparer à un hypothétique âge d’or
Ca me chiffonne beaucoup chez les contempteurs de la culture de masse façon école de Francfort et ses descendants (dont Lasch je pense), qui parlent d’autorité sans réellement y connaître grand chose à ladite culture de masse, sans vraiment prendre en compte ses altérités internes...
Bien sûr qu’il y a de la merde dans la culture de masse, mais pas forcément plus que dans la culture officielle à tout prendre... :/
Je suis sans doute pas très clair...
Pierre # Le 16 août 2013 à 20:52
Dans le cas de Michéa, pas du tout. Sa position est très nuancée sur ces questions, il ne s’agit pas d’un contempteur primaire de la civilisation libérale, nostalgique d’une époque où tout allait bien (voir "Le complexe d’Orphée").
C’est une pure vue de l’esprit. Les civilisations s’effondrent, hein, et on ne serait pas la première à qui ça arriverait... On peut - et on doit - revenir en arrière sur des aspects fondamentaux de notre mode de vie.
C’pas la question. Par ex, quand des villageois indiens décident de réhabiliter les anciennes méthodes (pré-coloniales) d’acheminement et de retenue d’eau, régénèrent ainsi les terres stériles et mettent fin à la malnutrition locale, ils refusent le soi-disant "progrès" apporté par l’Occident et ils ont bien raison. Ils utilisent le passé pour améliorer le présent (ils reviennent en arrière - quelle horreur !), et c’est extrêmement pragmatique...
Le "progrès", c’est aussi ça, hein : des connards qui disent qu’on ne peut nourrir la planète sans OGM, engrais, pesticides et semences privatisées, et qui vont balancer à ceux qui ne sont pas d’accord avec eux qu’ils sont "contre le progrès".
Bon, on est assez loin de TLOS là ^^ (même si les fondements idéologiques de la civilisation libérale - la guerre de tous contre tous -, inlassablement analysés par Michéa, ont clairement un rapport avec ce jeu)
Pierre # Le 16 août 2013 à 20:54
(TLOU, pardon) (saloperies d’abréviations, on se croirait dans un IUFM :D)
etienne # Le 29 août 2013 à 04:26
@Martin
C’est ce que pensent de Lasch ceux qui n’ont pas pris la peine de le lire...j’insiste encore, même si "La culture du narcissisme" t’est tombé des mains, tu as droit à une deuxième chance :)
En outre, je pense, contrairement à ce que tu écris, que Lasch n’a pas grand chose à voir avec l’Ecole de Francfort, Ecole que tu égratignes en outre bien légèrement et à peu de frais - en gros des intellectuels qui critiquent la culture de masse sans s’y être frottés. Je ne suis pas sûr qu’on puisse se débarasser aussi rapidement de Marcuse, Adorno, Benjamin et des autres...
Ce que j’ai justement apprécié chez Lasch est le développement d’une pensée singulière, ne se rattachant à aucun des grands systêmes connus qui ont effectivement sclérosé la pensée des années 1960-70.
C’est le seul auteur qui ait à ce jour dérangé le conformisme intellectuel bien confortable de petit bourgeois de gauche dont j’étais le produit naturel, et j’aimerais te convaincre de l’inanité du procès en "réaction" que - avec bien d’autres - tu lui fait.
Toute la thèse du "Seul et vrai paradis" consiste à tenter de démontrer que l’"espoir nostalgique" est justement l’erreur fondamentale - sinon la tromperie, selon qu’on a affaire à la branche des naïfs ou à celle des cyniques - des tenants du "progressisme". Ce sont eux qui sont en quelque sorte "nostalgiques" non pas du passé, mais d’un futur qui n’adviendra jamais , au grand bonheur des tenants de l’ordre social existant - bref ce sont eux les authentiques "réactionnaires".
Il faut cependant faire un petit détour de pensée pour accéder aux propos de Lasch.
Pour comprendre sa thèse, il faut non pas entendre comme tu le fais par "progressisme" le fait apparemment neutre et passablement convenu de "simplement accepter qu’on peut difficilement revenir en arrière", mais "le principe qui le sous-tend - celui qui veut que les possibilités générées par la science et la production moderne soit illimitées".
Dit comme cela, je pense que tu devrais considérer à nouveaux frais les arguments "réactionnaires" de Lasch :
"La découverte tardive que l’écologie de la planète ne supporterait plus une expansion illimitée des forces de production porta le coup fatal à la croyance dans le progrès . Une distribution plus équitable de la richesse, c’est désormais l’évidence, requiert au même moment une réduction drastique du niveau de vie dont bénéficient les nations riches et les classes privilégiées. Les nations occidentales ne peuvent plus présenter leur niveau de vie et la culture éclairée, critique et progressiste qui lui est étroitement associée, comme un modèle à suivre pour le reste du monde. Les classes privilégiées du monde occidental - et elles comprennent les classes managériales et intellectuelles tout autant que les très privilégiées - ne peuvent pas plus envisager de résoudre le problème de la pauvreté par l’intégration, dans leurs propres rangs, de chacun. Même si cette solution était moralement souhaitable , elle n’est plus réalisable dans la mesure où les ressources nécessaires au maintien du niveau de vie de la nouvelle classe, jusqu’alors supposées inépuisables, sont d’ores et djà en train d’approcher de leur ultime limite. Les prétentions universalistes de la nouvelle classe ne peuvent, dans ces conditions, êtres prises au sérieux. Elles sont en fait profondément offensantes , non seulement parce qu’elles incarnent un idéal très étroit de vie bonne , mais parce que les conditions préalables à cette forme particulière de vie bonne ne peuvent être rendues universellement effectives. "
Je puis comprendre d’un côté ton "approche relativement stoïcienne du présent", conforme à la fameuse "neutralité axiologique" que tu semble défendre par ailleurs - consistant à ni se réjouir ni déplorer l’ordre des choses, ce qui revient objectivement à s’en contenter -, mais elle ne me semble pas cadrer avec les positions que tu défends en général sur ce blog.
Car on peut rester "axiologiquement neutre" et acquiescer sans réserve à la critique que livre ici Lasch à l’idéologie "progressiste" telle qu’il l’entend.
Autrement dit, la promesse de l’idéologie "progressiste" n’est pas autre chose qu’un gros mensonge à l’adresse des pauvres. Une fois d’accord sur le constat difficilement réfutable, voilà comment s’énonce la "réaction" de Lasch, un tantinet plus complexe et mesurée que tu le laisse entendre en parlant de la nostalgie d’un "hypothétique âge d’or" :
"Les mêmes développements qui interdisent à ceux qui croient au progrès de parler avec confiance et autorité morale nous imposent de porter une écoute plus attentive à ceux qui le rejetèrent depuis toujours. Si les idéologies progressistes se sont réduites à un espoir nostalgique que les choses devraient malgré tout, d’une manière ou d’une autre , aller pour le mieux, nous avons besoin de retrouver une forme d’espérance plus vigoureuse, qui croit en la vie sans nier son cararctère tragique ni tenter de présenter la tragédie comme un "legs culturel".
Maintenant que cette forme d’espoir nostalgique , que l’on peut mieux décrire sous le nom d’optimisme, a entièrement montré qu’elle n’était qu’ une forme supérieure de pensée extravagante , nous sommes en mesure d’apprécier pleinement une espérance d’un autre type. L’optimisme progressiste s’appuie, dans le fond, sur le déni des limites naturelles au pouvoir et à la liberté de l’homme, et ne peut survivre très longtemps dans un monde où une prise de conscience de ces limites est devenue inévitable. La disposition justement décrite comme l’espérance, la confiance ou l’émerveillement - trois noms pour le même état de coeur et d’esprit -, affirme, au contraire, la bonté de la vie face à ses limites. Elle ne peut être mise en difficulté par l’adversité. Dans les temps troublés qui nous attendent, nous en avons bien plus besoin que par le passé."
La "conscience des limites", voilà à quoi se résume la pensée "réactionnaire" de Lasch...pas de quoi fouetter un chat.
Voici ce qu’il en dit concrètement à propos de la culture des classes populaires - ce que reprendra Michea plus tard à l’aide de l’intuition orwellienne de "common decency" - mystification de la part d’un intellectuel ou approche ethnologique authentique ?- :
"La culture propre aux factions les plus modestes de la classe moyenne est organisée, de nos jours comme elle l’était de par le passé, autour de la famille, de l’église et du quartier. Elle estime plus hautement la continuité de la communauté que la promotion personnelle , la solidarité plus hautement que la mobilité sociale. Les idées convenues du succès jouent un rôle moins important dans la vie des membres de ces fractions que la question des conservations des modes de vie existants. Les parents veulent que leurs enfants connaissent une ascension sociale, mais ils veulent également qu’ils repectent leurs aînés, qu’ils résistent à la tentation de mentir et de tricher, qu’ils endossent volontiers les responsabilités qui viennent à leur incomber, et affrontent l’adversité avec courage. Plus préoccupés d’ honneur que d’ambition matérielle, ils manifestent moins d’intérêt pour le futur que ne le font les parents des couches plus aisés de la classe moyenne, qui essayent de pourvoir leurs enfants des qualités que requiert la réussite sociale. Ils ne souscrivent pas à l’idée selon laquelle les parents devraient apporter à leurs enfants tous les avantages possibles et imaginables. Le désir de "préserver leur mode de vie", écrit E.E. LeMasters dans une étude consacrée aux ouvriers du bâtiment, prime sur le désir de grimper dans l’échelle sociale. "Si mon garçon veut porter une foutue cravate toute sa vie et faire des courbettes et des simagrées à un patron, libre à lui, mais nom de Dieu, il devrait avoir le droit de gagner honnêtement sa vie avec ses mains si c’est ce qu’il souhaite.""
On ne saurait mieux décrire la défiance - profondément populaire selon Lasch, ce qui est parfaitement discutable - vis-à-vis de l’idéologie sarkozyste qu’on connaît en France prise dans sa globalité - idéologie au passage entièrement empruntée au reagano-bushisme américain. Il se peut très bien - comme en atteste le succès du sarkozysme et du berlusconisme en Europe - que Lasch n’ait pas anticipé les évolutions de la culture populaire, et qu’il soit pris en flagrand délit de "mythification" (il a publié ce texte en 1991 à sa décharge)
N’empêche, de ce point de vue, s’il faut choisir entre etre "réac" avec Lasch ou "progressiste" avec Sarko , mon choix est vite fait... :)
En outre, s’il est de bon ton aujourd’hui de dénigrer la supposée "mythification" du sens moral des gens ordinaires - ou si l’on préfère des "classes populaires" - à laquelle se prèteraient des auteurs comme Lasch ou Michea, Orwell a cependant depuis longtemps fourni une explication abrupte et sans appel à ce constat :
"La plupart des gens n’ont jamais l’occasion de voir leur sens moral inné mis à l’épreuve par l’exercice du pouvoir - en sorte qu’on est presque obligé de tirer cette conclusion cynique : les hommes ne sont décents que dans la mesure où ils sont impuissants."
Pour finir, si Lasch a effectivement magistralement déconstruit "l’épuisement de la tradition progressiste" - et selon ses propres termes, "cette tradition, envisagée dans une large acception, inclut non seulement la gauche mais tout aussi bien la droite à la Reagan", il n’en reste pas moins extrêmement humble et lucide sur la "tradition populiste" - qu’on appelle réactionnaire de ce côté-ci de l’Atlantique :
"La tradition populiste n’offre aucun remède miracle à l’ensemble des maux qui affligent le monde moderne. Elle pose les bonnes questions [tiens, ça me fait penser à ça http://www.leprogres.fr/politique/2...], mais ne fournit pas une gamme de réponses toutes faites. Elle a très peu contribué à l’élaboration d’une théorie économique ou politique - sa faiblesse la plus manifeste.
[...] Un Populisme pour le XXIe siècle ne ressemblerait en rien à la nouvelle droite, ni ne ressemblerait, d’ailleurs, aux mouvements populistes du passé. Mais il pourrait puiser son inspiration dans le radicalisme populaire du passé, et plus généralement dans la vaste critique du progrès, de la rationalité, et de l’ambition illimitée qu’élaborèrent des moralistes dont les perceptions se voyaient influencées par la vision du monde des producteurs."
@ Pierre
Non, on est en plein dans le sujet :)
Ce que déplore Martin dans TLOU - à travers les notions foncièrement "réactionnaires" que sont "la cellule familiale étendue", "les relations individuelles", "l’Amérique profonde retournée à l’état de nature", "une Amérique de gens simples", "l’anti-héros fordien", "les vieilles lubies patriarcales, protectrices, individualistes" - constitue justement les valeurs que Lasch nous invite à réexplorer - sans aucunement vouloir les restaurer , ce qui en ferait effectivement un authentique réactionnaire - dans ses essais.
Il se trouve que ce jeu et les réactions qu’il soulève chez Martin m’a permis opportunément de mettre en avant le combat - très mal compris au sein de la gauche progressiste bon teint en France - des "adversaires du Progrès", qu’il convient de prendre au sérieux, non pas par nostalgie passéiste, mais pour nous aider à savoir que faire de notre monde, comme l’écrit F. Joly, préfacier de l’édition française du SEVP :
"[...] seule la pensée critique, soucieuse du passé , sera peut-être susceptible de décrire l’étendue réelle des racines du mal. Retourner vers des traditions oubliées et méprisées, nous pencher sur des postures qui ont au moins prouvé, en leur temps, leur légitimité est un moyen d’y parvenir."
Martin Lefebvre # Le 29 août 2013 à 09:55
Etienne, as-tu lu le papier que Lordon consacre à Michéa dans le numéro de cet été de la Revue des livres ? Il exprime bien mieux que moi ce que je peux ressentir par rapport à la pensée sur la common decency. http://www.revuedeslivres.fr/sommai...
Pour le reste j’ai bien peur de ne pas pouvoir entrer bien avant dans le débat concernant un auteur (Lasch) que je n’ai pas vraiment lu, et dont le peu que j’ai lu ne m’a guère convaincu de l’urgence d’approfondir la lecture. Je vais évidemment avoir du mal à discuter sérieusement des thèses que je n’ai pas le temps, ni l’envie d’approfondir.
Mais je suis tout de même très sceptique quand je lis ça :
"La culture propre aux factions les plus modestes de la classe moyenne est organisée, de nos jours comme elle l’était de par le passé, autour de la famille, de l’église et du quartier. Elle estime plus hautement la continuité de la communauté que la promotion personnelle , la solidarité plus hautement que la mobilité sociale. Les idées convenues du succès jouent un rôle moins important dans la vie des membres de ces fractions que la question des conservations des modes de vie existants. Les parents veulent que leurs enfants connaissent une ascension sociale, mais ils veulent également qu’ils repectent leurs aînés, qu’ils résistent à la tentation de mentir et de tricher, qu’ils endossent volontiers les responsabilités qui viennent à leur incomber, et affrontent l’adversité avec courage. Plus préoccupés d’ honneur que d’ambition matérielle, ils manifestent moins d’intérêt pour le futur que ne le font les parents des couches plus aisés de la classe moyenne, qui essayent de pourvoir leurs enfants des qualités que requiert la réussite sociale. Ils ne souscrivent pas à l’idée selon laquelle les parents devraient apporter à leurs enfants tous les avantages possibles et imaginables. Le désir de "préserver leur mode de vie", écrit E.E. LeMasters dans une étude consacrée aux ouvriers du bâtiment, prime sur le désir de grimper dans l’échelle sociale. "Si mon garçon veut porter une foutue cravate toute sa vie et faire des courbettes et des simagrées à un patron, libre à lui, mais nom de Dieu, il devrait avoir le droit de gagner honnêtement sa vie avec ses mains si c’est ce qu’il souhaite.""
Il me semble que Lordon répondrait à ça que c’est bien joli, mais que le fait que l’ouvrier ait intégré qu’il ne faille pas dépasser l’ordre social qui lui a été assigné n’est pas spécialement autre chose qu’un signe de sa position de dominé.
J’avoue avoir beaucoup de mal à regretter une vie organisée "autour de la famille, de l’église et du quartier", même si je sais apprécier ma vie de famille et la vie de mon quartier (pour l’église on repassera par contre).
Et si ta famille est dysfonctionelle ? Et si ton quartier pue ? Tu es individualiste si tu veux "te barrer" (comme dit Lordon) ? Ca me paraît très rapide d’opposer terme à terme "la continuité de la communauté" et la réussite sociale... Le principe du libéralisme social — qui ne se confond pas forcément avec le libéralisme économique débridé — c’est que justement tu peux changer de communauté, ce qui ne revient pas nécessairement à chercher "la promotion personnelle", à monter dans la société... mais plutôt à te fabriquer, peut-être de bric et de broc, peut-être difficilement, une communauté comme tu l’entends.
Envoyer bouler la famille et la communauté de ton quartier, ce n’est pas forcément porter une cravate et devenir un béni oui-oui.
Ce libéralisme social n’est évidemment ni facile, ni sans problème. Mais à tout prendre, je préfère ça à la béatitude très idéalisante de la "common decency".
Progressiste avec Sarko ou réac avec Lasch ? Ni l’un ni l’autre camarade.
Bengali # Le 30 août 2013 à 12:32
Le pire, ce n’est pas l’asservissement forcé que nous observons, mais bien la volonté réelle de certains à être asservis, et à mettre en place le système pour que cette réalité perdure.
La famille, dans cette projection ’morale’ n’est rien d’autre qu’un instrument. Un outil pour asservis qui se réfugient derrière une réalité biologique qui les outrepassent (et qui les outrepassera à jamais).
La famille, vue sous l’angle des ’émotions’, c’est le coeur de nos vies. La famille, bien évidemment, est un terme générique pour expliquer que tout être humain respecte des pseudo règles afin d’être accepté (et de bien vivre) avec ses âmes soeurs, et proches (de sangs, de coeur, d’âme). Le reste n’est rien d’autre qu’un retour à la sauvagerie. Mais contrairement à beaucoup, je pense que la famille permet de, naturellement, maintenir ce lien avec ’la civilisation’.
TLoU tombe mal.
Bengali # Le 30 août 2013 à 12:38
Je m’exprime suffisamment mal, mais la biologie est prévue pour que la race humaine perdure. Ce qui va amener l’Humanité à sa propre extinction (et surtout à l’extinction de pleins d’autres races en tant que dégâts collatéraux) c’est tout simplement la capacité de l’humain à questionner, et à remettre en cause certains concepts qui nous pré-existent. Bref. Ce jeu n’est rien d’autre qu’un rétroviseur, posé sur une Chrysler, roulant à 88mph, sur une route linéairement droite, aboutissant à un carrefour parfaitement angulaire et proposant d’y faire un pacte avec l’entité de notre choix : bien évidemment, le choix proposé est binaire.
Hell Pé # Le 17 septembre 2013 à 18:27
J’arrive longtemps après la guerre, mais je tenais à répondre à BlackLabel.
Je trouve très réducteur, et je pense que cet article l’atteste par son existence, de résumer la "proposition de gameplay" de TLoU à des ennemis trop faciles à tuer. C’est vrai qu’ils sont faciles à tuer, en mode Normal du moins, et je n’ai pas vérifié s’il était possible de sélectionner un niveau de difficulté plus élevé dès la première partie. Mais tout ça me parait être un faux débat. Si des ennemis pas très futés te suffisent à perdre ta confiance dans l’univers de ce jeu, c’est que tu fais bien peu de cas de tout ce que le jeu à à te proposer hors des combats.
TLoU n’a pas de complexe de personnalité à avoir. Il n’y a pas de "pianiste hyper doué qui ne comprend rien" dans le jeu vidéo récent, et d’ailleurs les devs de TLoU comprennent très bien ce qu’ils font. Il y a plein de jeux qui ressemblent beaucoup à TLoU (HL2 et RE4 sont incontestablement les terreaux), mais aucun qui fait vivre son histoire aussi bien. Les jeux narrativistes récents sont loin d’être aussi scrupuleux que ça quant à leur narration, et TLoU est l’exemple même du jeu narrativiste qui prend sa narration très au sérieux. Une telle histoire racontée à la manière de Bioshock Infinite, ça ne marcherait pas, ou alors je doute que Martin et tant d’autres auraient eu envie de se fendre de tels articles sur le scénario de ce jeu. C’est une histoire exceptionnellement bien racontée ; d’ailleurs, en ce qui concerne le jeu vidéo AAA, c’est une histoire exceptionnelle tout court. Quand tu dis que TLoU est "sans personnalité, sans singularité, sans rien pour le distinguer des autres", à quels "autres" penses-tu ?
Et puis, un jeu AAA où on passe la moitié du temps à laisser le décor raconter son histoire, ça me parait être une "proposition de gameplay" plutôt originale. Half-Life 2 le faisait déjà certes, mais cela ne veut surement pas dire que les jeux récents doivent se garder de le faire. Combien le font, d’ailleurs ? Combien le font aussi bien que TLoU ? Avec les prémisses ridicules de monstres qui envahissent le monde, de surcroit ? Naughty Dog peut bien faire son prochain jeu avec des Space Marines, je m’en tape, tant qu’ils savent écrire une histoire - et la faire ressentir avec un tel impact au joueur - comme ils l’ont fait pour The Last of Us.
Et comme l’écrit Leigh Alexander citée plus haut par Martin : “This is probably the last story of the strong man at the end of the world that I need to play. It’s probably the last one that ought to be made, too. This is likely the pinnacle of that particular form.”. Je ne trouve rien de plus à y ajouter.
etienne # Le 22 septembre 2013 à 06:27
@ Martin,
Merci de ta réponse :)
Oui bien sûr, je suis un grand lecteur de Lordon, qui n’est pas le seul penseur "de gauche" à être tombé à bras raccourcis sur Michea. Un très bon papier de Ragemag résume selon moi ce qu’on peut penser de l’affaire, et montre qu’on ne se débarassera pas aussi facilement de la notion de "common decency" d’Orwell :
http://ragemag.fr/michea-retour-sur...
Je ne comprends pas bien : si tu apprécies cette vie ordinaire - Eglise mise à part - c’est bien que tu l’éprouves et donc qu’elle existe encore. Je ne vois pas comment tu pourrais regretter ce que tu apprécies par ailleurs.
Lasch et Michea nous invitent simplement à concevoir que ce que tu qualifies de "réactionnaire" dans la tradition "populiste" américaine constitue malgré tout un antidote à une mentalité d’enculé dépris de toute forme de lien autre qu’agonistique - dont les figures ultimes sont le PDG de multinationale et le "nomade attalien" - qui traverse nos élites actuelles et qui diffuse dans la psychologie populaire, au point de se substituer tranquillement à ce qu’Orwell appelait la "décence commune".
Or cette "décence commune" n’est en rien une idéalisation des classes populaires, mais la simple conséquence des conditions de vie des gens ordinaires - et certes de ce point de vue en partie la conséquence de leur propre domination :
« Ce n’est donc pas tant par leur prétendue “nature” que les classes populaires sont encore relativement protégées de l’égoïsme libéral. C’est bien plutôt par le maintien d’un certain type de tissu social capable de tenir quotidiennement à distance les formes les plus envahissantes de l’individualisme possessif ».
(in Le complexe d’Orphée).
Cependant, reconnaître les vertus élémentaires de l’attachement à certaines traditions populaires ne signifie pas pour autant assigner les gens à leur statut de dominé. De façon symétrique, les formes d’émancipation que tu défends - à la suite de Lordon - n’impliquent pas forcément de promouvoir à tout crins une société libertarienne faite d’individus atomisés.
J’ai bien lu dans ta critique de Saints Row IV l’idée qu’après tout "à tout prendre, ne vaudrait-il pas mieux mettre les gangsters au pouvoir ? Et s’ils se révélaient plus proches du peuple que les élites consanguines de Washington ?"
C’est exactement la critique qu’a fait la révolution néo-conservatrice inaugurée par Reagan contre les "liberals" que tu semble défendre : il y a ici une certaine incohérence. C’est contre cette idéologie "permissive et progressiste", caractéristique des élites éduquées et bourgeoises émancipées et justement éloignée des aspirations populaires, que les populistes réactionnaires américains, bien avant le Tea Party, ont prospéré.
Ce que dit Lash est justement qu’il est légitime de s’interroger sur "la déliquescence des normes traditionnelles" sans pour autant verser dans le côté obscur de la force réactionnaire.
Car entre promouvoir la mentalité de "gangster" comme tu semble le faire - ce en quoi la série GTA est passée maître - et aspirer à une forme de vie libertaire - "tout est permis, embrassez qui vous voudrez, habillez-vous comme bon vous semble, sautez comme ça vous chante, poussez de grands cris", toute la différence se situe justement dans cette notion de "décence commune".
Cette complaisance à glorifier ce mélange de vulgarité, de bêtise et d’égotisme adolescent de jeux comme SR, vus comme l’expression d’une forme de radicalité insolente et décalée est caractéristique du néo-conformisme ambiant : elle empêche de voir que justement, loin de déconstruire les formes nouvelles de domination, elle ne fait que les reconduire sous couvert de "fun" et d’ironie.
A ce titre, j’ai trouvé assez décevant que dans ta liste interminable de raisons de ne pas attendre GTAV ne figure à aucun endroit ce qui m’est apparu de façon évidente : un dégoût irrémédiable vis-à-vis de la mentalité de "gangster", figure ultime du libertarianisme déguisé en idéologie du "cool", alors qu’il s’agit d’une dystopie en acte, une forme de cauchemar social actualisé.
Martin Lefebvre # Le 22 septembre 2013 à 10:26
Attention, les gangsters de Saints Row ne sont pas du tout ceux de GTA. Mais alors pas du tout. A tout prendre, ils ressemblent presque plus à une communauté anarchiste version pop qu’à la pègre traditionnelle. Après les phrases que tu cites, j’ai failli écrire "de là à la dictature du prolétariat, il n’y a qu’un pas..." Je me suis retenu parce que ce n’est pas exactement ça.
D’ailleurs dans sa réalité (que Saints Row ne reflète pas vraiment), il me semble que le street gang américain n’est pas si éloigné de la "common decency" chère à Michéa... parce qu’il constitue justement un "tissu social" qui permet de résister à l’anonymat et la pauvreté des grandes villes.
Pour le dire en gros, parce que ce n’est évidemment pas un discours totalement construit, la politique de Saints Row c’est la liberté de moeurs + la famille recomposée du gang - le patriotisme américain qui en prend plein la tronche. Moi ça ne me déplaît pas, au moins c’est un peu moins désespéré que le nihilisme individualiste de TLoU.
"Cette complaisance à glorifier ce mélange de vulgarité, de bêtise et d’égotisme adolescent de jeux comme SR"
Tu as joué à SR 3 ou 4 ou tu te bases uniquement sur des préjugés ? Parce que ça c’est une tendance foncièrement réactionnaire : juger a priori des oeuvres contemporaines sans se donner la peine de les essayer parce qu’on pense déjà savoir ce qu’on va y trouver.
Krause T # Le 22 septembre 2013 à 22:36
Une analyse de TLOU pertinente, mais il est beaucoup trop tôt (ce n’est que le premier épisode d’une série) pour qualifier l’œuvre de réac.
On peut effectivement constater qu’une bascule, assez nette (le joueur incarne à un moment donné Ellie, qui doit désormais faire usage du savoir/des valeurs qui lui sont léguées) s’est opérée chez le personnage de Joël. C’est ici que la nature dudit homme éclate au grand jour : remis sur pied, il est prêt à tout, même à la pire des tortures, pour sauver/rejoindre la fille adoptée (la séquence de montage alterné dans le Gameplay).
Je pense cependant que vous négligez un détail d’une grande importance qui permet, en miroir, de pointer la condition du joueur. Ce dernier est amené en fin de parcours (aucun choix moral ne lui est proposé) à commettre une ultime série d’actions intolérables : pousser à son paroxysme la sauvagerie du mâle/pater protecteur (déjà amorcée via d’autres séquences précédentes), dissimuler la vérité tout en sacrifiant l’humanité.
Bien que le jeu trouve sa conclusion à travers un "okay" des plus ambigüe, et que le Joël soit devenu (ou était depuis le départ) l’archétype d’une idéologie ; il est impossible de déterminer si les développeurs y adhérent , d’où ce choix imposé au joueur.
Le postulat de TLOU repose sur les rapports évolutifs, la confiance (l’amour ?) et la filiation entre ces deux personnages. Au fil des heures, on ne cesse de se questionner sur la nature de Joël (l’ellipse de 20 ans qui laisse de véritables trous biographiques à combler ). L’empathie ressentie lors des premières heures (le trauma originel de la perte, les premiers instants avec Ellie, la passation/projection affective ) migre progressivement vers la stupeur, puis vers l’aversion/la répulsion. Avec un tel cheminement et un tel renversement de l’affect, il est difficile de croire que Joël soit le porteur de l’idéologie générale de l’œuvre. C’est simplement la sienne et c’est pour ça qu’on ne l’aime pas.
Ryuken Hirohito # Le 30 septembre 2013 à 13:10
hmm... joli article mais pour moi la plupart d’entre vous n’ont pas compris tlou
notamment sur un point, joel n’est pas un monstre, son frere non plus tout comme bill et les autres survivants
je tiens à rappeler que juste après l’infection, tout le monde a commencé à s’entretuer pour des vivres et des muntions et que joel et tommy ont été forcés de "suivre le mouvement" pour rester en vie
quand à la position réactionnaire, je vois pas ce qui dérange, on revient à des choses simples comme l’entraide, la solidarité ect..., rien de dérangeant
l’apocalypse est même montrée comme quelque chose de beau au final, la nature reprend tranquillement le dessus et certains passages sont de toutes beautés
quand au choix final, il est totalement justifié et je m’explique :
arrivé à destination on se rend finalement compte que les lucioles se composent d’une bande de scientifiques fous dans un hopital moisi digne d’un décor de film d’horreur, il faut bien comprendre que les lucioles n’étaient que la représentation d’un espoir illusoire et utopique, les chances de créer un vaccin étaient minimes et les gens se seraient entretués pour l’avoir. Ce que naughty dog a voulu montrer, c’est que les humains sont des charognards qui se jettent sur la moindre porte de sortie et qu’au final, peut etre qu’ils ne méritaient pas d’être sauvés, la chute de la civilisation est d’ailleurs montrée comme quelque chose de bénéfique, la ville qu’on traverse à la toute fin étant baignée dans une atmosphère de paix et de vrai paix.
quand au choix de joel, il est totalement logique : les lucioles vivent depuis 20 ans dans l’illusion, il suffit de réfléchir un tant soi peu pour se rendre compte que c’est n’importe quoi et les devs insistaient bien la dessus au long du jeu(je spoil pas il suffit de récupérer les notes pour s’en rendre compte), il a fait le seul choix altruiste, permettre à ellie de se libérer de son rôle de simple cobaye et de lui refaire prendre gout à la vie, choix qu’aurait fait tout être doué d’empathie
quand à ellie, elle ne voulait pas se sacrifier pour l’humanité, elle n’en avait rien à faire de l’humanité, elle souffrait du syndrôme du survivant, je m’explique : ellie est une ado enjouée qui révait de découvrir le monde alentour, au fur et à mesure des expériences qu’elle vit, elle est peu à peu désillusionnée par ce qu’elle voit et on voit bien que la dernière expérience avec david l’a totalement traumatisée au point de lui faire perdre le gout de vivre ce qui explique son attitude vers la fin(quand elle est à coté de la plaque), vers ma fin joel et ellie font des projets d’avenir( "après on ira ou tu voudras", "tu m’apprendras à nager" ect...), elle ne savait pas qu’elle allait mourir
puis on en vient à cette dernière discussion avant de retourner chez son frère, ellie qui explique simplement a joel qu’elle n’en peut plus de ce monde dur et impitoyable et joel qui lui explique que le sacrifice ou la mort est un choix irrationnel et qu’on peut toujours trouver une raison de continuer à vivre, le mensonge servant à protéger ellie de la trahison de marlene et du fait qu’elle n’était finalement qu’un cobaye de plus pour une humanité prete à tous les sacrifices pour continuer à exister, ellie acceptant finalement ce mensongé(elle n’est pas dupe) frustrée de ne pas avoir fait ce choix mais en même temps reconaissante envers joel de ce qu’il a fait pour elle, joel à agi en tant que pere en lui prodiguant les enseignements qu’il fallait pour qu’elle puisse continuer à vivre, tout le jeu allant dans ce sens(la lettre de la mere d’ellie disant "la vie vaut la peine d’etre vécue")
ellie ne voulait pas mourir, elle voulait vivre, découvrir, sourir, ressentir ect... son mal être n’étant du qu’a des circonstances qui ont amené à cette situation et il n’était pas du tout sur qu’elle accepte l’opération loin de la, ce n’est pas un hasard si naughty dog a fait en sorte qu’elle reste en vie, il était prévu que ellie vive et c’est ca le message du jeu, c’est que malgré tout, on peut toujours continuer à vivre et que les espoirs illusoires des groupes types lucioles ne sont que des fadaises pour les imbéciles qui ne jurent que part le confort matériel et qui sont près à tout pour le conserver
qui sont les monstres égoistes au final, un type qui veut juste le bohneur d’une gamine, la voir sourir vivre et j’en passe ou des dégénérés incapables d’accepter la réalité et qui considèrent ellie comme une marchandise ?(au fait je trouve qu’il a bon dos le libre arbitre, argument qui ne sert qu’à cacher le fait qu’on veut juste trucider la gamine)
quand au personnage de joel, c’est le survivant par excellence, un type qui au début assez cool(son attitude par rapport à sa fille qui est extrêmement douce pour un parent) voire assez dépressif dès le début, on se doute que la vie n’a pas du etre facile pour lui(il a eu sa fille vers 16 ans), il se voit avec son frere tommy obligé de s’adapter a monde de plus en plus violent ou les habitants se déchiraient sur fond de guerre civile entre le peuple et l’armée pour finalement perdurer jusqu’à cette situation ou le peuple s’est divisé en plusieurs camps et controlent les différentes villes
joel et tommy pour rester en vie ont du parfois agir comme les autres ce qui a conduit à une fracture entre les 2 freres, tommy ne pouvant accepter de vivre aussi durement et cherchant à tout pris une voie de sortie, joel lui continuant tant bien que mal a essayer de rester en vie, les diverses situations mettant à l’épreuve sa moralité et sa santé, il continue néanmoins à garder une certaine empathie envers d’autres survivants(tess, bill, henry qui devient son ami malgré la tension qui les animait...), témoigne de la sympathie envers les morts qu’il rencontre au fil du jeu... joel est finalement ce qu’on appelle un héros à l’ancienne, purement américain comme on en voit rarement de nos jours.
le jeu se démarque de tout aspect manichéen, tout le onde est au même niveau et en est réduit aux même extrémités pour survivre(joel s’étant vite reconverti dans le trafic d’armes et de drogues, situation plus acceptable pour lui sans doute)
la phrase qui résume le plus joel et les autres survivants est celle de rick de twd "le monde a changé et il va falloir changer avec"
le jeu sous fond d’apocalypse nous livre finalement un portrait réaliste de l’humanité, comme étant finalement une espece egoiste, veule, hypocrite, rejetant ses torts sur les autres, victimaire et prete à tout pour continuer à exister malgré un déclin qui nous est montré de manière inéluctable tout au long du jeu et finalement je me suis dit que c’était pas si mal vu comme ca, il y avait 100 autres manières d’enrayer l’épidémie vu la faible durée de vie des infectés, le véritable problême étant donc l’espece humaine ( bille le résumant assez bien "ce n’est pas les infectés qui me font peur mais c’est les gens normaux")
bref ceux qui pensent que joel est une ordure, qu’ellie devait clamser et que c’était son souhait le plus cher, que le but était d’aider les lucioles a sauver la race humaine et que les chasseurs ainsi que certains survivants comme henry(qui nous a laisser crever) n’étaient pas humains n’ont pas compris le jeu ou en tout cas la vision de naughty dog
a bon entendeur
Nana # Le 2 mars 2014 à 23:17
Je suis assez d’accord sur l’ensemble de l’analyse sauf sur un point, Joel n’est ABSOLUMENT pas un monstre mais un survivant et surtout un père. Aucun parent ou parent de substitution n’aurait laissé une bande de dégénérés assassiner leur gamine (car ce n’est rien d’autre qu’un meurtre) pour un vaccin qui avait peu voir pas du tout de chance de voir le jour. Vaccin qui aurait en plus certainement été utilisé à mauvais escient par cette même bandes de dégénérés à la soif de pouvoir.
Bouiboui # Le 28 avril 2014 à 22:16
Prenez une catastrophe du genre un effondrement, un incendie ou autre. Combien de gens fuiront, combien tenteront de sauver des vies étrangères au risque d’être tué ?
Pour moi Joel est clairement un type comme un autre qui fuit. Il fuit jusqu’à se prendre de sympathie pour Ellie. Il fait le deuil de la mort de sa famille en rodant dans le pays avec Ellie. Alors ou il devient peu à peu très (trop ?) protecteur. J’aime ce paradoxe. Le mensonge final est logique, émouvant même. Avec Ellie il se découvre une raison de vivre, de survivre.
Quant à l’opération requise pour trouver un remède, l’équipe ND pose clairement les bases. La mutation est cérébrale, il apparaît logique de voir un tel dilemme à la fin. En ce sens, l’histoire n’est pas manichéenne. Est-il moral de tenter de sauver le monde, au risque d’échouer, en sacrifiant une gamine ? C’est un questionnement atroce et Joel est humain qu’en fin de jeu. Jusqu’alors il était un mâle dominant, agissant sans but précis, prêt à tout pour survivre. Désormais, il lui faut (re)vivre. Ellie lui en a donné le goût.
Même s’il y a des codes propres aux films post-apo -les scientifiques et les armées comme étant les institutions à éviter coûte que coûte par exemple- le jeu reste très bien écrit. Il est plus subtil que le début du jeu nous laisse croire.
Comme walking dead, on a deux jeux de survie très bien écrit en plus d’être prenants. Bravo Naughty dog et Telltale.
# Le 29 décembre 2014 à 16:42
La fin du jeu peut être envisagée sous plusieurs angles. Le parti pris de l’article est de se focaliser sur les actes et les motivations de Joël, mais je pense que ce n’est pas celui voulu par les développeurs. Dans le jeu, c’est en effet Ellie que le joueur incarne dans la dernière scène.
Finalement, si la décision de Joel à l’hôpital était prévisible, la réaction d’Ellie l’est nettement moins et c’est son choix qui constitue le véritable dénouement.
Or, elle n’est visiblement pas dupe de la réponse obtenue mais choisit de se satisfaire de ce mensonge. La question qui en découle est de savoir quel personnage est le plus égoïste au final...
Joel, dont le lourd passif conditionne en quasi totalité le comportement tout au long de l’aventure ? Ou Ellie, qui, elle, avait un réel choix à faire...? Son personnage a au fond une profondeur et une ambiguïté qui, à mon avis, est bien supérieure à celle de Joel.
Pacifist # Le 29 décembre 2015 à 15:54
Bonjour, pardonnez moi mais j’aime beaucoup trop ce jeu pour vous laisser tranquille la dessus : The last of us = Le dernier d’entre nous ...
US = NOUS
Merci !
All # Le 16 juillet 2017 à 05:23
Ok rien que de lire "le dernier des americains" j’ai envie de pleurer. Non je n’ai pas lu la suite... Us = nous.
Tu ne passe pas assez de temps fevant ton écran !
Max # Le 20 juillet 2017 à 18:51
Internet aujourd’hui : des gens qui commentent les titres des articles, sans lire les articles, et sans même comprendre les titres qu’ils commentent.
Non ce n’est pas une faute de traduction, c’est juste un titre qui annonce l’angle de l’article.
C’est le but d’un titre en fait.
Heureusement qu’internet permet de neutraliser le ridicule par l’anonymat.
Kimuji # Le 4 juillet 2020 à 20:00
Je ne sais pas si quelqu’un lira à nouveau ce vieux papier de Merlan Frit à propos du premier TLOU mais la polémique qui entoure le second apporte de l’eau à son moulin.
L’Amérique conservatrice qui s’était tellement bien reconnue en Joel dans le premier jeu s’est retrouvée écœurée par son abandon dans le second, d’autant plus qu’un personnage aux antipodes de leur standards joue un rôle décisif dans la fin de leur héros. Outre le personnage, le jeu questionne aussi la finalité et l’utilité de la vengeance un autre thème qui ne pouvait que leur déplaire.
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