Il est des jeux gloutons, qui veulent embrasser plus que tous les autres. Fruits de la tentation de combiner différents genres, ils s’exposent grandement à l’échec tant il est difficile de marier des phases de jeu trop hétérogènes. C’est du moins ce que dictent les recettes censées mener mécaniquement à un « bon jeu ». Adaptation d’un univers pour campagnes de « Advanced Dungeons and Dragons », à la fois jeu de rôle et jeu de stratégie, Birthright était un pari osé, commercialement raté. Créativement aussi dirent certaines critiques... Mais il reste un souvenir de choix pour quelques joueurs, occupant une place unique à laquelle il trône. Roi d’un petit royaume certes, mais roi tout de même.
Trois jeux en un ?
Le jeu est doté de trois parties distinctes, dans lesquelles peut intervenir votre avatar, le « Régent » : c’est à la fois un jeu de gestion (avec carte générale, filtres et divers écrans comptables), un jeu de stratégie (certes très fruste, mais les batailles sont tout de même résolues dans une phase spécifique), et un jeu de rôle (là aussi rudimentaire). Le but est d’obtenir le nombre de points nécessaires pour être proclamé Empereur.
Si la partie gestion du royaume est riche et développée à bien des égards — diplomatie, constructions, levée des troupes — force est de constater que les deux autres sont un peu sacrifiées. Ainsi, les batailles n’ont lieu que sur des surfaces planes, divisées en quinze cases, où les obstacles sont rares. Ce qui ne laisse guère de place pour de grandes subtilités tactiques. Le mode « aventure » est lui aussi bridé : au grand dam des amateurs de jeu de rôle, vos personnages ne changeront jamais d’arme ni d’armure, et les expéditions se limitent à des incursions dans certains lieux notables pour récupérer un artefact, libérer un personnage ou en éliminer un autre.
Le jeu de gestion
La partie gestion du jeu est la moins contestée, quoiqu’elle ait parfois été critiquée pour sa complexité. Pourtant, si le jeu en anglais pouvait parfois être obscur pour un non anglophone, il n’y avait au final pas grand-chose d’impénétrable. Certains détails pouvaient certes rester mystérieux, mais n’est-ce pas aussi le charme d’un jeu que de garder une petite parcelle d’obscurité ?
En fait le véritable défaut de cette phase de gestion est la lourdeur de l’interface. La multiplication des territoires et des tenures — nous allons revenir sur ce concept — en notre pouvoir nécessite de tourner les pages de longs récapitulatifs. Plusieurs écrans de gestion, eux-mêmes dotés de plusieurs pages, cela devient rapidement indigeste. Heureusement le joueur avisé repère assez vite les informations pertinentes, et ignore les écrans sans grand intérêt.
Le Régent/joueur possède, comme dit plus haut, des territoires, mais aussi des tenures. Les tenures sont des bâtiments de quatre catégories (casernes pour assurer l’ordre, guildes pour accroître ses revenus, temples pour jeter des sorts cléricaux, sources pour jeter des sorts de mages). L’originalité du jeu est qu’il est possible de créer et de développer ses tenures hors de son royaume, chez ses alliés comme chez ses ennemis. Ainsi chaque tenure peut avoir un aspect bénéfique comme néfaste selon l’endroit où elle se trouve et comment elle est utilisée… La gestion de ces établissements est un élément très intéressant, qui autorise une multitude d’approches dans la manière de fortifier certains territoires et d’en déstabiliser d’autres.
Au niveau des ressources le jeu fait simple et se contente de deux matières : l’argent et les « points de régence », mélange d’autorité, de noblesse et de charisme qui permet de réaliser des actions.
Le jeu de stratégie
Le terrain des batailles est, comme on l’a déjà évoqué, limité. Une richesse un peu fictive est apportée par la diversité des unités (plus d’une vingtaine, entre humains, elfes, nains, gobelins, squelettes et leurs déclinaisons entre différents types). Les troupes que l’on peut produire sont avant tout liées à leur région d’origine, ce qui apporte une différence agréable avec beaucoup de jeux du même type où le joueur peut formater à l’envi le terrain et décider de tout produire à partir de rien. Birthright est un jeu du terroir, où les provinces ont un parfum profond et particulier qui ne change jamais, quel que soit leur maître.
Les phases de stratégie font la part belle aux jeteurs de sorts, que l’on ne pourra toutefois recruter qu’en nombre réduit (ils ont tous un profil unique, avec nom, apparence et aptitudes propres). Ils pourront à eux seuls, s’ils sont assez puissants, éliminer sans peine plusieurs unités adverses. L’importance des clercs est capitale contre les squelettes, qui sont les unités les plus puissantes mais qui sont très vulnérables aux sorts.
Le jeu de rôle
La partie jeu de rôle, ou plutôt « aventure » est celle qui a essuyé le plus de critiques. Utilisant une 3d certes parfois assez laide et distordue, mixée à des sprites 2d, elle offre des niveaux assez variés selon la zone visitée, donnant un peu plus de relief à l’évocation de lieux spécifiques que l’on retrouve sur la carte du jeu. La variété des monstres, des décors et la rencontre de certaines personnalités notables donne du sel à ces missions, au moins au début. Au fur et à mesure que les grands rouages de l’Etat en guerre se mettent en place, que les armées se développent, l’aventure en petit comité tend à perdre de son impact dans le cours de la partie, et seuls quelques artefacts se révèlent au final réellement incontournables. Encore faut-il y avoir accès, puisque les missions se présentent de manière aléatoire : le fait de posséder un territoire qui accueille une aventure n’y donne pas automatiquement accès.
Le mode aventure offre un contraste saisissant avec l’échelle stratégique. Lors d’une incursion il est possible de voler quelques objets dérisoires au milieu d’artefacts magiques : seau en bois, bol, couteau ou carafe… De quoi ajouter quelques pièces d’or au butin de l’aventure qui restera souvent très modeste : deux mille pièces d’or, somme faramineuse pour une poignée d’aventuriers, représentera un simple lingot d’or à l’échelle du royaume. De quoi payer au mieux le salaire d’une unité militaire pour un tour…
Cette partie du jeu offre toutefois quelques précieuses armes qui serviront au niveau stratégique, comme de nouveaux sorts pour les mages et des baguettes bien utiles sur le champ de bataille, en particulier lorsque les mages auront jeté tous leurs sorts mémorisés. Ces bâtons peuvent être si déterminants que le joueur aura parfois intérêt à ne pas terminer la mission pour la refaire ultérieurement… et récupérer inlassablement les précieux objets.
Intermède délassant qui change agréablement des gros rouages stratégiques, l’aventure est aussi un lieu de danger, où l’un de vos précieux personnages peut stupidement mourir d’une mauvaise chute ou écrasé par un piège sournois.
Par ailleurs l’un des avantages des aventures est qu’elles ne demandent aucune des deux ressources du jeu, ni or ni points de régence. Ainsi dans certaines parties difficiles le joueur peut s’engager dans des aventures pour utiliser ses tours alors qu’il ne peut rien faire au niveau de la gestion de son royaume. Il évite ainsi d’utiliser l’icône qui est un aveu d’échec et de mauvaise gestion : « Passer son tour ». Accessoire du jeu principal, et digne d’intérêt à ce titre, cette partie a été un peu injustement condamnée en l’isolant du reste.
Birthright est un organisme certes imparfait, mais c’est en le voyant fonctionner et se développer le long d’une partie qu’on peut en mesurer le charme réel et le parfum si particulier... Jusqu’à son invraisemblable caprice final.
A suivre...
Vos commentaires
NoMoreLoveCocotte # Le 22 janvier 2013 à 10:02
Critique pleine d’amour pour ce jeu, ça se sent.
Amour communicatif qui plus est, car elle donne envie d’essayer ce jeu d’un genre trop peu commun.
Un descendant plus "HD" existe-t-il ?
Laurent Braud # Le 22 janvier 2013 à 11:38
Le mélange des genres ça n’est pas très à la mode en ce moment : quand Assassin’s Creed essaye d’introduire du tower defense c’est un drame, et c’est loin d’atteindre le niveau de Birthright. Il y a de très bons jeux de stratégie + gestion, comme Dominions 3 qui a l’air de ressembler. Mais pas d’exploration de donjon ...
Depresso # Le 22 janvier 2013 à 11:39
Merci pour la découverte !
Je ne connaissais pas du tout cette adaptation, mais force est de constater qu’elle semble très fidèle aux bouquins. Dans le JdR, tous les joueurs démarrent niveau 1 mais avec un poste à responsabilité tel que Régent ou autre, et ils sont très vite confrontés à des choix cruciaux en tant que dirigeants. Passé l’euphorie de jouer un roi, ils déchantent très vite quand vient le moment de faire des alliances stratégiques en se mariant avec la vilaine fille du roi voisin, de surveiller les mouvements de troupes des régions avoisinantes, etc.
Déjà sur l’original, l’aspect aventure "je vais pexer en me faisant un donjon" disparaissait, noyé sous les impératifs du pouvoir, et quid du risque de mourir au combat alors qu’un royaume vous attend pour gouverner.
Aussi l’exemple des objets à ramasser tels que les seaux ou les bols est vraiment représentatif, c’est un brusque retour à la réalité pour le joueur. Une certaine liberté en quelque sorte, un souvenir de ses précédentes vies de héros où tout était plus simple, sans politique ni responsabilité autre que finir le donjon.
Mince, le JdR me manque...
Jérôme Izard # Le 22 janvier 2013 à 13:08
Ca me fait penser à la fin magnifique de Conan le Barbare, avec ce plan qui dit tout de l’ennui du héros, devenu roi contre sa nature d’aventurier.
Sauf que Conan ne ramasse jamais de seau ni de bol en bois.
Martin Lefebvre # Le 22 janvier 2013 à 13:31
Dans le genre mélange des genres Heroes of M&M + Dominions + Master of Magic tu as le très bon Eador Genesis, dispo une misère sur GoG. C’est un jeu russe de 2009 (ils bossent sur une version aux graphismes modernisés), et pour le peu que j’ai pu en voir c’est très hardcore mais pas mal du tout.
Si j’avais plus de temps à lui consacrer, j’écrirais bien dessus.
NoMoreLoveCocotte # Le 22 janvier 2013 à 19:29
Un petit papier sur ce "Eador Genesis" serait vraiment bien, il me fait de l’oeil je crois.
En tout cas, le fait d’arpenter des donjons auparavant vus de haut sur la carte doit effectivement donner de la consistance à l’ensemble.
Chose qui manquait cruellement à Dominions 3 puisque vous le mentionnez.
Shane_Fenton # Le 22 janvier 2013 à 20:39
De nos jours, quand un jeu s’essaie au mélange, c’est 2 genres qui sont mixés, jamais 3, quand ce ne sont pas 2 écoles d’un même genre. Statégie-gestion + tactique, le plus souvent.
Personnellement, j’y trouve mon compte, avec les Total War d’un côté et les Dominions de l’autre (et peut-être Eador Genesis quand je l’essaierai). Mais depuis Birthright, personne n’a pensé à introduire du dungeon crawling dans un jeu de stratégie tour-par-tour, et ça me manque.
C’est dommage, parce qu’il y a du potentiel.
julien # Le 28 janvier 2013 à 11:30
Ca fait penser à Dwarf Fortress et son choix mode Forteresse ou Rogue...
Ou bien tout simplement à un mélange, qui reste à inventer, entre Crusader Kings, Total War, Mount & Blade et Might & Magic.
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