Love + machine

Editorial

Le baromètre amoureux

Dans les foires, dans certains supermarchés, sur les aires d’autoroute, on trouve encore des machines testeuses d’amour : love machines, baromètres de l’amour, qui proposent aux jeunes épris de tester leur compatibilité sentimentale, leur fougue réciproque. Qu’ils introduisent chacun un doigt dans la fente, et la machine délivrera son verdict de thermomètre du tendre : complices, épris, enflammés, passionnés… Promesses flatteuses, autant que trompeuses. Car l’amour se mesure-t-il ? L’attirance a-t-elle un poids ? Peut-on, doit-on, comme le supposait Goethe, réduire les affinités électives à une compatibilité chimique ? Rien n’est moins sûr, même si l’on voudrait pouvoir s’assurer de leur existence en les raccrochant à une matérialité rassurante.

Cette question du thermomètre amoureux se pose aux jeux vidéo quand ils se lancent sur le terrain du sentiment. Bien entendu, le jeu peut se faire cinéma ou littérature : nous charmer avec le sourire brillant de Nathan Drake (Uncharted), nous offrir le glamour cinématique des Final Fantasy ; nous émouvoir des malheurs d’Aerie (Baldur’s Gate II). Mais lorsqu’il s’agit de rendre tout cela interactif, les développeurs se retrouvent face à des difficultés, qui sans être insurmontables, ne manquent pas de leur donner du fil à retordre. Car l’interactivité met à nu la machine que les développeurs et les joueurs s’efforçaient de voiler : Romeo répète en boucle les mêmes formules, Juliette ne comprend que les alternatives binaires, les subtilités de la séduction se réduisent à une barre de progression… Comment dans ces conditions mettre en jeu un amour naissant ?

De même, comment représenter la sensualité ? Aussi musclés et tannés les héros soient-ils, aussi séduisantes les héroïnes paraissent-elles, les corps ne perdent jamais tout à fait leur raideur de marionnette, l’uncanny valley n’est jamais loin. Et ce n’est pas une timide pipe «  hot coffee » qui va nous convaincre ; à tout prendre le jeu vidéo n’offre pas aujourd’hui plus de tremblement charnel qu’à l’époque de Samantha Fox Strip Poker. Peut-on jouer le sexe ? Y a-t-il même un jeu vidéo érotique ? Ce n’est pas évident quand on s’intéresse aux eroge, qui tiennent plus de la BD – pauvrement – interactive que d’autre chose.

Malgré tout, le jeu vidéo n’a cessé de s’intéresser à l’amour, qui fait tourner le monde virtuel comme le monde réel. Mario ne dispute-t-il pas une femme à Donkey Kong et Bowser ? Pacman n’est-il pas marié ? Aussi, dresser la carte sentimentale vidéoludique nous emmènera sur un large champ : de la romance dans le RPG aux dating sims, de l’identification à un avatar amoureux au voyeurisme le plus primaire, en passant par la nostalgie des amours passées… Peut-être là plus qu’ailleurs le jeu vidéo est resté adolescent ; et c’est tant mieux, c’est à l’adolescence que les amourettes résonnent le plus fort, et que les sens se découvrent.

Dans L’Homme au sable d’E.T.A. Hoffmann, c’est le marchand de baromètres Coppola qui vend à Nathanaël la longue vue à travers laquelle il prendra Olympia, la femme-automate, pour une jeune fille bien vivante. Les créateurs vidéoludiques sont bien les héritiers du colporteur hoffmannien : comme lui ils offrent l’illusion des sentiments, et transforment la machine en amante, aussi inquiétante que fascinante.

Il y a 6 Messages de forum pour "Le baromètre amoureux"
  • FatMat Le 14 février 2012 à 10:22

    L’amour et la machine, ça marche. L’avantage de l’amour par rapport à l’amitié c’est que le sentiment n’a pas besoin d’être réciproque. On peut aimer sans être aimé en retour. Il est difficile d’entretenir une amitié avec la machine (en dépit de tout le marketing du user-friendly), mais facile de s’éprendre d’elle ou de ses créatures. Pas besoin d’un véritable échange d’égal à égal comme dans l’amitié.

  • Martin Lefebvre Le 14 février 2012 à 18:05

    C’est vrai que le mot amour est vaste, il va de l’obsession individuelle à la réciprocité...

    Pour ce qui est de l’amitié, je vois ce que tu veux dire, mais j’ai l’impression que ça ne décourage pas les jeux. J’avais d’ailleurs un vague projet de papier là dessus, sur la sensation d’amitié qu’on peut éprouver dans un RPG notamment, avec les membres de l’équipe qui sont là pour te soutenir dans les coups durs, qui répondent toujours présents quand tu as besoin d’eux, que ce soit pour prendre un coup à ta place, ouvrir une porte, ou ne pas te sentir seul dans un affreux donjon... C’est évidemment un trompe-l’oeil, mais qui n’en est pas dépourvu de valeur pour autant.

  • FatMat Le 15 février 2012 à 15:43

    Ai rejoué à chrono trigger récemment. C’est un très beau jeu sur l’amitié. Mais c’est plus une affaire de représentation de l’amitié et des amis à l’écran, que de rapport à la machine, il me semble.

  • Martin Lefebvre Le 15 février 2012 à 15:47

    Oui, la question de la machine fascinante se pose moins sur l’amitié... Mais dans leur système même les RPG simulent tout de même le groupe d’amis qu’on pourrait réunir autour de la table pour une partie de JDR. Il y a peut-être tout de même là quelque chose comme un antidote fictionnel à la solitude.

  • BlackLabel Le 18 février 2012 à 23:39

    Un gameplay pour l’amour ? Je ne sais pas.

    Par contre je me souviens que dans Kane and Lynch 2 Dog days, lorsqu’il faut sauver la fille, la détresse ingame du héros me semblait si palpable que j’oubliais que je jouais à un jeu vidéo et je sprintais sans discontinuer, oubliant mes réflexes de joueur, tel que ramasser méthodiquement des munitions.

    Et si God of War Chains of Olympus avait eu un scénario correct (malheureusement on n’y comprend rien), vers la fin lorsqu’un QTE nous demande de repousser la fille du fantôme de Sparte, j’aurais probablement eu une belle émotion, là où j’ai seulement trouvé l’idée judicieuse, mais sans impact.

  • Martin Lefebvre Le 18 février 2012 à 23:51

    Eurogamer a publié un papier sur le sujet du sexe dans les JV récemment (St Valentin oblige) : http://www.eurogamer.net/articles/2...

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