Grand Theft Auto IV, Assassin’s Creed : Brotherhood, Train Simulator
Le Guide du Routard vidéoludique
Les beaux jours reviennent, les vacances approchent, je me mets à regarder la mappemonde — et mon compte en banque — pour trouver une destination. Pourquoi ne pas aller à Istanbul ? Ah, revoir le palais de Topkapi au soleil couchant... la dernière fois que j’y suis allé, c’était en 1511.
C’était dans Assassin’s Creed : Revelations, un épisode de la saga plus ou moins critiqué, mais dont la balade sur les toits de la ville (et de l’Hagia Sophia) reste mémorable. Bien sûr, utiliser des villes ou situations historiques dans la fiction n’est ni original, ni nouveau — voir les premières pages de Notre-Dame de Paris de ce bon vieux Victor Hugo pour une description minutieuse du Paris de 1482 et de sa cathédrale. Ou, plus récemment, la même précision maniaque chez E.P. Jacobs, comme on peut le voir sur ce recollage de vraies photos dans S.O.S. Météores, qui se déroule dans la banlieue parisienne. Et bien sûr, la facilité de filmer un décor réel a fait du cinéma le champion de la catégorie — on y reviendra.
Pour ce qui est du jeu vidéo, l’ancêtre des reconstitutions réelles (dans une fiction) est Colossal Cave Adventure, qui reproduit sous forme textuelle une partie de la Mammoth Cave, située dans le Kentucky. L’histoire de ces joueurs qui ont retrouvé leurs pas dans la cave est peut-être romancée, mais contient probablement un peu de vrai.
Dans ma ville
Après cette première expérience, la plupart des reconstitutions concernent des villes ; la balade urbaine dans un univers quasi-contemporain commence par la série des Grand Theft Auto. Bizarrement, les noms des villes y sont changés dès le premier épisode : New York s’appelle Liberty City, Miami devient Vice City. Le renommage pudique évite peut-être les critiques — le jeu proclame la première "Worst Place in America" — et surtout permet de prendre de la liberté avec la réalité — à part la forme générale, le terrain de jeu de Liberty City dans sa version GTA 1 n’a pas grand-chose à voir avec la ville de New York : des ponts sont placés n’importe où, les quartiers sont assez interchangeables. Bizarrement, les deux épisodes GTA : London 1969 et 1961 gardent le nom réel — et la représentation, toujours succinte, en est quand même plus fidèle. Par la suite, la série conserve cette tradition des noms travestis ... tout en raffinant de plus en plus la modélisation : la carte de Liberty City version GTA IV ressemble nettement plus au New York réel.

La plupart des titres ne prennent plus la peine de changer les noms des villes. L.A. Noire du même Rockstar l’affiche carrément dans son titre. Quand à Sleeping Dogs, il se déroule bien à Hong-Kong... mais sans y être allé, difficile de savoir si les développeurs anglais et canadiens se sont inspirés de la ville réelle ou plutôt des films de Johnny To ; la carte du jeu ressemble bien vaguement à l’original mais cela ne veut pas dire grand-chose. Qu’importe après tout : l’important, pour le public occidental qui est visé, c’est de s’y retrouver.
Charge émotionnelle de l’appareil photo
Le réel reproduit nous touche donc, puisqu’il cherche à effacer le quatrième mur de l’écran. Le jeu vidéo, comme d’habitude, cherche à imiter au mieux un certain réel au nom de l’"immersion". Mais ici la confusion se fait dans les deux sens. Si l’on connaît le lieu, on le reconnaît dans le jeu comme un environnement familier. Mais l’inverse marche aussi : ceux qui sont allés à Rome après avoir joué à Assassin’s Creed : Brotherhood ne peuvent s’empêcher de s’écrier « j’ai grimpé tout en haut de ce truc ! » face au Castel Sant’Angelo. Dans les deux cas, il se passe un transfert d’une émotion à travers le lieu, engendrée ici, revécue là. Dans le sens réel-virtuel, il est très facile pour le jeu d’utiliser la charge émotionnelle déjà présente dans un lieu. Le sens virtuel-réel paraît moins direct ; c’est ce qui fait qu’un titre vit dans la durée en posant son empreinte sur le lieu.

Le même phénomène est évident au cinéma. New York est une des villes les plus filmées au monde ; à force, tout le monde en connaît déjà une topographie partielle, et la superposition avec une environnement connu donne plus de profondeur aux situations. Ils peuvent, par exemple, apprécier un peu les déplacements dans Cloverfield, ou inversement, se retrouver à la table de Quand Harry rencontre Sally. Dans ce dernier sens, le merchandising touristique extrait le maximum de cette charge émotionnelle.
New York apparaît également énormément dans les jeux. Ce n’est pas un hasard : la correspondance avec les jeux vidéo peut passer par les films — l’exemple de Sleeping Dogs plus haut en est particulièrement criant. Ce n’est donc pas de quatrième mur dont il faudrait parler, puisque l’on passe finalement d’une fiction à l’autre, et que le réel n’est qu’une version parmi d’autres d’un environnement. Dans Mort à Venise, Visconti propose une version de la ville éponyme ; Assassin’s Creed 2 en donne une autre ; en y faisant le touriste quelques jours, je m’en ferai une troisième. Quel mélange évoque au final pour moi le nom de la ville ?
Reconstitutions interurbaines
Voilà pour les zones urbaines, mais entre les villes, la correspondance est souvent moins importante que l’aspect général. Si l’action se passe en Toscane ou en Sibérie, il s’agit d’en reproduire le paysage général, et nullement un véritable morceau. Sauf ... chez les simulateurs. Et particulièrement les simulateurs de vol, comme la panoplie Microsoft Flight Simulator dont le dixième épisode fait toujours référence. D’un aéroport à l’autre, les trajets respectent au maximum la réalité, durée y compris.
Au sol, Train Simulator propose le même principe sur des lignes ferroviaires, mais sur des lignes précises et non connectées — l’express d’Oxford à Paddington met 1h, comme dans la vraie vie. Le réseau routier d’Euro Truck Simulator 2, par contre, est ouvert sur toute l’Europe ; pour rendre ceci possible et rompre la monotonicité des trajets, le continent est réduit à une échelle plus petite [1]. Du coup, les villes en sont presque oubliées, réduites à des zones industrielles de deux rues chacune, et parfois un vague monument visible au loin. Par contre, les points de repère sur les autoroutes sont modélisés avec soin, comme le Soleil de Langres, faisant le ravissement des usagers de l’A31 !
En parlant de routes, tout comme FSX intègre directement des images satellites comme environnement de jeu, on pourrait utiliser directement des photos de sites réels au sol dans un jeu. C’est ce que tente Pursued, dont l’idée très basique (retrouver la ville où on est) propose un gameplay utilisant le Street View de Google.
Au futur proche
Et sinon, s’il faut de toute façon modifier le réel pour l’adapter au format du jeu, autant y aller carrément et ne pas tenter de renvoyer une réalité, mais un futur possible. Ce choix va de pair avec un thème post-apocalyptique : reconstituer la centrale de Chernobyl et la ville de Pripyat, dans S.T.A.L.K.E.R. dont on a déjà parlé ici ; le métro moscovite, dernier refuge de la ville enneigée, dans Metro 2033 ; Dubaï pris sous le sable, dans Spec Ops : the Line ; Tokyo sous le règne des animaux, dans Tokyo Jungle ; sans oublier les restes des villes des États-Unis traversées dans Fallout 3 et New Vegas. On a presque envie de mentionner la géographie des Pokemon, calquée sur celle des îles japonaises.

Car il s’il est rentable d’utiliser des lieux ayant déjà un lien avec le joueur, il s’agit ici d’en changer le contexte — pour le pire. C’est donc appliquer une pression à la charge émotionnelle, et par effet rétroactif, donner au joueur cette envie de revenir dans une situation d’équilibre, ou au moins d’explorer les différences avec la version qu’il connaît déjà, et en comprendre les raisons. C’est d’ailleurs le moteur principal des jeux sur le mode post-apocalyptique : une exploration d’une nouvelle version du monde.
Nul doute qu’il manque à cet article vos reconstitutions préférées ; il en a quelques unes de plus ici. Quelles sont celles qui vous manquent ?
Notes
[1] Je dirais au dixième, sans avoir trouvé la référence ni fait le calcul.
Vos commentaires
Cold Hand # Le 3 mai 2013 à 09:44
Excellent article ! (ben oui, c’est tout ce que je trouve à dire... mais c’est déjà pas mal, non ?)
sad_punk # Le 3 mai 2013 à 10:37
" je suis grimpé tout en haut de ce truc !" ou alors "j’ai grimpé ce monument" à la limite...
Anthony Jauneaud # Le 3 mai 2013 à 10:37
C’était terriblement étrange de visiter Washington D.C. après avoir passé 80+ heures à jouer à Fallout 3. Finalement, il n’y avait pas exactement les mêmes distances, pas la même grandeur sur le Mall. J’ai toujours cru que le jeu vidéo était plus impressionnant que la réalité mais c’était totalement l’inverse là-bas — Bethesda n’avait pas réussi à reproduire exactement l’incroyable profondeur lorsque tu grimpes les marches du Lincoln Monument et que toute la ville s’étend devant toi.
SebsokK # Le 3 mai 2013 à 10:48
Moi je n’ai pas d’argent et je ne voyage pas. J’attends avec impatience qu’un jeu se déroule à Roubaix pour que je puisse profiter de ce genre d’expérience.
Sauf que contrairement à Washington et toi, j’espère que le jeu sera plus rose que la réalité grise et triste.
sad_punk # Le 3 mai 2013 à 11:23
Si je peux comprendre le trouble intéressant d’une comparaison réel/virtuel d’un lieux (au passage il y a 20 ans on pouvait déjà visiter le Louvre après l’avoir parcouru en quicktime VR sur un CD Rom), tout celà n’est il pas un peu dommage pour la créativité ?
Déjà en terme de personnages sorti du masque à gaz toujours très populaire et de Lara Polémique Croft, on se bouffe que du mâle blanc brun trentenaire qu’on croise tous les jours dans le métro (la preuve je prend le métro tous les jours)... si en plus on ne voyage que dans des décors du monde réel, et que leur familiarité fait argument qui va se casser le cul à inventer quelque chose encore ?
Après c’est un peu comme le cinéma le jeu devrait pouvoir s’appuyer...
sur des lieux réels pour se contextualiser (surtout le cinéma fauché français et ses beaux apparts parisiens pas trop mis en scène ni transformé) ou jouer sur la carte postale (Amélie Poulain),
sur des lieux réels pour les pervertir ("peut-être" de Klapish passe pour un monument créatif et me fait penser à la photo de Spec Ops : the Line ici avec Dubaï),
sur des lieux oniriques et inventés, comme on en trouve beaucoup dans la SF "spatiale" de Star Wars à "Avatar" en passant par l’Héroïc Fantasy.
Sérieusement vous imaginez par exemple Final Fantasy VII démarrant dans un Tokyo pollué, Barcelone remplaçant costa del sol avec sa tour voile et son port industriel puis un Nibelheim à Colmar ? Les grands jeux nous on fait visiter des lieux dont nous avons des souvenirs très précis et des attaches de joueur, et ça me ferait chier de perdre ça. Même si je renie pas que n’ayant jamais été à NY, j’ai des souvenirs très liés au jeu vidéo quand je pense à Liberty City, je n’y vois pas dans mon ressenti un endroit réel plus ou moins bien retranscrit...
Guy # Le 3 mai 2013 à 11:44
J’adore l’idée de l’article, bravo !
J’ai passé dans les 150h sur GTA IV. Je connaissais la map par cœur. Et ça m’a fait un drôle d’effet lorsque j’ai visité ensuite NY derrière. C’était assez étrange d’être dans un endroit effectivement plus impressionnant et réaliste que sa version virtuelle, mais je ne pouvais m’empêcher de sortir à chaque détour d’avenue : "ah là je connais, j’y ai même débloqué un succès !".
Quelque part, j’ai le sentiment que le voyage n’aurait pas été aussi intense sans.
Du moins, il y avait une espèce de connexion entre la ville (irl) et moi.
Assez étrange, je l’accorde.
jukhurpa # Le 3 mai 2013 à 11:48
@SebsokK :
Roubaix pas encore mais il y a déjà un jeu post apo qui se déroule à Villeneuve d’Asq : www.leelh.com/
Il me semble d’ailleurs que la géographie d’origine est scrupuleusement respectée (bon après jamais mis les pieds à Lille alors bon).
Laurent Braud # Le 3 mai 2013 à 11:50
@sad_punk : je ne pense pas qu’on puisse accuser le jeu vidéo de ne pas être créatif dans ses décors. C’est même parfois génial, de Zeno Clash ou Psychonauts à Mario Galaxy. Et même les reprises, comme Stalker, demandent un formidable travail d’adaptation au gameplay et donc d’inventivité — avec une contrainte supplémentaire. Pour moi, l’irruption de lieux connus dans le jeu fait comme une pause dans la nouveauté, un côté reposant, accueillant.
Ce que tu dis de NY / Liberty City confirme mon exemple sur Venise : le jeu participe finalement à la construction de représentations mentales de lieux réels.
Laaris # Le 3 mai 2013 à 14:28
Je suis allé à NY après AC3 et j’ai rien reconnu du tout. :(
(^^)
Liberty City est frustrant car c’est NY sans vraiment l’être, c’est trop petit, tu reconnais des trucs mais ils sont un peu différents, ou pas au bon endroit, j’ai trouvé ça plutôt dérangeant en fait.
Dans les villes françaises, Nice était à peu près fidèlement modélisée dans Driver 3. Enfin quand je suis allé à Nice 5 ans après avoir joué au jeu j’ai reconnu des trucs quoi. :)
J’ai de trop vagues souvenir de la partie à Miami (toujours dans Driver 3) et de Vice City pour dire si c’est conforme à la ville réelle.
Alexis Bross # Le 3 mai 2013 à 14:31
Très bon article ! Non seulement tu donnes des exemples pertinents, mais tu articules bien tout ce que l’on peut ressentir en visitant une ville dans un jeu vidéo et dans le réel, que ce soit dans le sen réel-virtuel ou virtuel-réel.
Pour ma part, j’ai joué à Assassin’s Creed 2 après avoir été à Florence. Au début j’étais un peu perdu, puis, une fois trouvé "el duomo" de la cathédrale Santa Maria, tout s’est rassemblé dans ma tête. La cartographie de l’époque - réelle ou simplement crédible - ne correspond pas tout à fait à ce que l’on peut voir aujourd’hui, mais je savais parfaitement où se situaient tous les monuments par rapport à ce point de repère. J’ai même pu entrer dans des lieux qui étaient fermés au public dans le réel.
Récemment, j’ai eu l’énorme chance d’aller à New York, et pour le coup c’était l’inverse, effectivement. New York est tellement représentée qu’y aller, c’était comme faire du rangement dans ma tête, organiser et situer toutes ces images qui se bousculent par wagons entiers dans ma représentation cinématographique, littéraire ou vidéoludique de cette ville. Comme Anthony, j’ai trouvé que cette ville surpasse en fait toutes les représentations que j’ai pu en voir, comme si elle les absorbait toutes, comme si le New York réel était le pilier tangible duquel partent tous les fantasmes, leur dénominateur commun.
Et puis parfois la reconstitution, c’est aussi savoir saisir l’essence de quelque chose au delà de l’exacte reproduction. J’adore sentir l’atmosphère du banlieue tokyoïte dans Shenmue 1 par exemple. Oui c’est inspiré d’un lieu bien réel, mais ce lieu a été choisi pour être une représentation de toute la banlieue de la capitale japonaise. C’est son côté générique que j’aime bien, justement.
Broke # Le 3 mai 2013 à 14:58
Je me souviens avoir longé les quais de Hong-Kong pour retrouver la fontaine de Shenmue 2, sans succès, bien sûr.
Je me suis demandé si les Italiens avaient vu débarquer des hordes de Yamakasis qui tentaient de fuir les autorités en s’asseyant entre deux touristes sur un banc.
Laaris, je me suis posé la même question pour Vice city et Miami, mais d’après Dexter, qui s’y passe aussi, la ville se réinvente tous les 5 ans. A mon avis, les développeurs se sont plus basé sur Miami Vice.On y reconnaît pas mal de bâtiments et il y a même certaines missions qui sont inspirées d’épisodes.
Bulbi # Le 3 mai 2013 à 18:23
Il y a 2 ans, j’ai fais un roadtrip en californie : L.A > Las Vegas > San Francisco = gat san andreas ^^
J’attends avec impatience GTA V pour ça.
Laaris # Le 3 mai 2013 à 20:03
Las Vegas en Californie ? Tu t’es fait avoir. :-)
Pour à peu près la même raison j’aimerais voir un futur GTA équivalent de San Andreas mais autour de Vice City, reproduisant la Floride : Miami, les Everglades, les Keys, la côte Est, Cap Canaveral, Daytona, Orlando ...
Strife # Le 6 mai 2013 à 15:10
En étant du Sud de la France, le Lea Mundis de Vagrant Story (inspiré de St Emilion en Gironde) m’a toujours paru vaguement familier, du coup l’exploration de ces ruines devient une expérience vraiment déroutante ;)
Que dire sinon du LA. by night de Bloodlines, du Bradbury Building dans Blade Runner, de Liberty Island version Deus Ex...?
GRN # Le 10 février 2017 à 11:14
Article très intéressant.
Ici l’on parle bien évidemment de lieux réels, mais qu’en est-il du "jeu de voyage" au sens plus général ? Je crois en avoir déjà parlé dans les commentaires de merlanfrit, mais aucun jeu ne me fait autant voyager que Outrun (2/2006/SP) avec ses lieux qui défilent aussi vite, si emplis de personnalité (car caricaturaux) et dont, en plus, choisit l’itinéraire...
Laurent Braud # Le 10 février 2017 à 14:28
Il faut absolument jouer à the Crew alors.
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