En innovant sur tous les points, le nouveau Fire Emblem quitte sa petite niche de tactical-RPG exigeant et débarque dans la cour des grands dans une version pensée et conçue pour un nouveau public. Nintendo, dont la devise pourrait être “la force tranquille”, relance une machine pourtant bien huilée.
Voilà, à première vue, pour les amateurs de la série, ce nouveau Fire Emblem n’a pas fondamentalement changé les règles de base. On retrouve des unités à diriger sur un champ de bataille, du tour par tour et ce permadeath — un soldat tombé ne se relèvera jamais — toujours aussi impitoyable. Après un épisode remake à côté de la plaque sur DS, Intelligent Systems et Nintendo ont pris le temps de réfléchir pour ne pas (trop) se répéter [1]. On le lit sur Twitter ou dans les forums à chaque Nintendo Direct : la société n’est qu’une machine à fric, qui fabrique à la chaîne des produits qui se ressemblent tous. L’innovation est, chez les fans, synonyme de déception.
C’est vrai, au fond. Un nouveau Mario Bros. reste un jeu de plates-formes avec son monde et ses niveaux, ses ennemis, ses musiques... Un nouveau Pokémon demandera toujours de faire son choix entre les trois starters et de tourner en rond dans des hautes herbes... Mais non seulement Nintendo s’adresse généralement à un public sans cesse renouvelé — on appelle ça des enfants —, mais il cherche aussi à plaire aux vieux de la vieille, les fans de toujours qui joueront à chaque Marios Bros. ou à chaque Pokémon comme si c’était le premier. Nintendo, Viandox, même combat. Ses acheteurs ne veulent pas être surpris, ses acheteurs veulent toujours le même jus de viande. Et Nintendo n’est même pas le seul à faire ça : ces douze derniers mois, on a vu Microsoft réchauffer les mêmes plats (Halo, Gears of War, Forza) et laisser son XBLA mourir à petit feu. À quoi bon innover quand on est numéro un ?
Reste que Nintendo garde sous la main quelques séries plus difficiles à vendre tous les ans. On critique régulièrement l’absence de F-Zero mais on semble oublier que le marché des jeux de voiture est phagocyté par quelques gros titres qui laissent peu de place. On rouspète à chaque fois que Nintendo fait une conférence sans parler d’un nouveau Metroid, qui en proposant une “nouvelle recette !” via Other M a reçu un accueil glacial. Fire Emblem est sans doute la troisième franchise la plus compliquée à vendre, sous-genre d’un genre de niche — le tactical-RPG — qui n’a eu sa chance en Occident que grâce au succès de personnages dans Super Smash Bros. Fire Emblem sur GBA et ses suites [2] ne se sont pas vendus à des millions d’exemplaires, n’ont pas ameutés les foules, n’ont pas fait vendre des consoles. Du moins, pas de ce côté de la planète.
De toute manière, Nintendo n’est pas forcément reconnu par les amateurs de RPG comme étant un messie. Ce n’est ni Atlus ni Namco Bandai. Les quelques tentatives côté Mario (la série des Paper Mario et les Mario & Luigi) sont toujours des hybrides, qui mixent plate-forme, RPG, aventure et autres genres dans des cocktails pas toujours réussis. Le Sticker Star sorti en décembre 2012 sur 3DS a par exemple raté le coche en beauté. Fire Emblem est une série antique, sortie il y a 23 ans et qui a toujours gardée un cap bien précis. On ne touche pas à Fire Emblem. Étrange et surprenant donc de découvrir Awakening, un jeu qui cherche constamment à se démarquer de ses prédécesseurs, qui sont considérés — à juste titre, il faut l’avouer — comme austères et difficiles. Nouveaux modes de jeu, des combats aléatoires permettant de faire du levelling [3] et personnage principal qui "existe" enfin [4], aux statistiques grosbillesques.
En baissant la difficulté et en mettant en place un système de paire qui ajoute des tonnes de bonus (esquive, attaque du deuxième personnage, dégâts, etc.), les développeurs ont complètement modifié le sens du jeu : il était avant question de se protéger des attaques ennemis et de les attirer stratégiquement. Dans Awakening, il s’agit de combiner ses unités pour attaquer et faire avancer la ligne de front. Ce changement de paradigme permet non seulement de dynamiser les missions — généralement plus courtes et plus efficaces — mais surtout de brosser le joueur dans le sens du poil. Dans le mode de difficulté le plus faible, le jeu est généreux et agréable à parcourir.
Bien sûr, il suffira de jouer dans un niveau de difficulté supérieur pour retrouver son Fire Emblem comme on l’aime, un jeu de stratégie pointu où la chance joue un rôle ridiculement important. Le sentiment de plaisir immédiat — voir son personnage faire un coup critique et tuer en un coup un ennemi récalcitrant — est remplacé par celui du soulagement — voir son personnage survivre à un coup quasi fatal. Les développeurs enfoncent le clou avec l’aspect graphique, ponctué de superbes cinématiques, porté par un moteur graphique remarquable et embelli par un relief qui transforme tous les champs de bataille en décors impressionnants, à l’ombre d’un temple en ruines ou sur les os blanchis d’un immense dragon [5].
On pourrait continuer longtemps la liste des qualités de Fire Emblem : Awakening. Doublages, personnages, musique, durée de vie... Tout ou presque semble porter le jeu non pas vers une qualité jamais égalée (Path of Radiance étant sans doute un meilleur TRPG) mais vers une finition assez impressionnante. Tout est fait pour accueillir le nouveau joueur et lui tenir gentiment la main. Il ne manque finalement au jeu que ce souffle épique si particulier qui a déserté le titre. On enchaîne des missions un peu décousues, on suit une trame mal rythmée qui enchaîne le pire (le chapitre 14, d’une violence rarement vue dans la série) et le meilleur (le 10 et sa musique, les trois derniers), on est généralement rarement en danger avec la quantité de quêtes secondaires qui permettent de monter de niveau sans trop de risque. C’est d’ailleurs là que l’on retrouve le “vrai” Fire Emblem, celui où chaque carte est un puzzle qu’il faut résoudre avec les bonnes unités et la bonne stratégie.
Mieux qu’une suite, ce Fire Emblem : Awakening marquera les esprits parce qu’il sera la porte d’entrée de nombreux joueurs à la série. Les vieux de la vieille seront sans doute décontenancés par les innovations, attristés par l’histoire, les DLC [6] ou le retour raté du système de génération. En s’éloignant de l’austérité et de la sécheresse des premiers épisodes, Fire Emblem devient ainsi accessible sans (trop) se trahir et se mettre à dos les fans. Tout le monde ne sera pas convaincu mais, a contrario des deux jeux précédents (les remakes Shadow Dragon et Shin Monshou No Nazo, inédit en Occident), il s’agira d’un jeu neuf et actuel. Un bel exploit pour un exercice complexe et risqué, qui prouve que Nintendo n’est pas (encore) mort.
Notes
[1] Il semble que Awakening était l’épisode de la dernière chance...
[2] The Sacred Stones sur GBA aussi, l’excellent Path of Radiance sur GameCube, Radiant Dawn sur Wii et le grossier remake Shadow Dragon sur DS
[3] Cette feature existait déjà dans Fire Emblem : The Sacred Stones.
[4] Les épisodes précédents nous faisaient aussi jouer un tacticien mais généralement muet ou totalement effacé à côté des héros de chaque aventure.
[5] Et on cherche à nettoyer son écran lorsqu’une nuée d’oiseaux passe devant ses yeux...
[6] Ceux disponibles actuellement sont d’ailleurs honteux, en attendant les bons, pas encore sortis en Europe
Vos commentaires
SebsokK # Le 28 mai 2013 à 17:21
Mais, c’est moi où les persos n’ont pas de pieds sur les screenshots ?!
Comment est ce qu’ils peuvent tenir debout ?!
Anthony Jauneaud # Le 28 mai 2013 à 17:26
Rah la la, ce troll n’a pas de limites :(
SebsokK # Le 28 mai 2013 à 17:37
Pas de bras, pas de chocolat...
Pas de pieds, pas de hachis parmentier.
Cyth # Le 28 mai 2013 à 23:18
Concernant le rôle de tacticien, il n’y a à ma connaissance que Fire Emblem (le 7, le 1er sorti en occident) qui nous en faisait incarner un.
Sans que ce soit aussi poussé que dans Awakening (on avait juste un sprite visible sur le terrain avant le début du combat), le côté "on brise le 4ème mur" avec les personnages qui s’adressent directement à nous ( ça donnait d’ailleurs des dialogues à sens unique vu qu’on était aussi bavard que Gordon Freeman) était plus que sympa et plutôt immersif.
FlashOX # Le 4 juin 2013 à 13:13
Bon et juste texte pour un jeu fantastique (en difficile / classique - t’es un vrai ou tu ne l’es pas).
Je rajouterais à ses qualités la galerie de personnages, tous très attachants (à quelques exceptions) et une écriture plutôt drôle malgré la simplicité du scénario.
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