12. Poisson frais

Destiny

Le Blockbuster

Destiny, c’est le blockbuster promis à tous les succès. Bébé du développeur reconnu Bungie, il s’est annoncé dès le départ libéré, grâce à un deal juteux avec Activision, de toutes les entraves possibles : le poids créatif de la licence Halo, le temps, l’argent. Ses premiers pas en public à travers les phases alpha et bêta ont montré son potentiel, son gunplay au feedback satisfaisant, et son esthétique léchée jusque dans les menus. Le problème c’est qu’il n’y avait peut-être rien d’autre à trouver dans le titre final.

Traveler

Destiny nous est présenté comme une oeuvre de science fiction conçue pour durer, une franchise pour la prochaine décennie. Son univers space opera est étoffé, avec un mystérieux orbe qui vient déclencher un relativement bref âge d’or de l’humanité et de la conquête spatiale, où les planètes telluriques sont terraformées et l’espérance de vie triplée, avant que n’apparaissent un ennemi diffus inconnu et un tas de races aliens belliqueuses. L’humanité est assiégée dans une unique cité, où une poignée de Guardians s’active dans l’espoir de sauver le monde. Notre héros, ressuscité à l’entame du jeu, fait partie de ces guerriers élus.

Malgré ce pitch honorable, la narration de Destiny est catastrophique. Il est de coutume de dire au cinéma "show, don’t tell" et dans les jeux "play, don’t show". Destiny ne fait que raconter sans montrer, montrer sans jamais faire jouer. Ghost, le robot nous accompagnant, nous abreuve de jargon ridicule et tente d’animer un semblant de scénario qui ne se concrétise jamais sous nos yeux. Les niveaux semi-ouverts qu’on traverse, pour magnifiques que les extérieurs soient, resteront à jamais inchangés malgré tous nos combats et missions. Nos ennemis nous resteront impénétrables, sans qu’on puisse en savoir plus sur leur culture, leur motivation, au delà de ce qui est suggéré par les beaux décors figés qu’on ne considère rapidement plus que pour leur valeur fonctionnelle, à force de les revisiter continuellement.

De façon incompréhensible, tout ce qui permettrait de creuser l’univers est repoussé dans un codex qu’on ne peut consulter dans le jeu. La tâche incombe alors aux personnages de porter le scénario, mais ils se comptent sur les doigts d’une main, honorés d’une à deux cinématiques chacun au maximum, parfois même sans que notre avatar dénué de personnalité n’intervienne. Les chefs de faction sont eux confinés dans le hub, et n’ont guère plus de présence qu’un marchand dans un RPG.

Cosmodrome, niveau semi-ouvert

La composante sociale, ayant amené Bungie à empêcher les critiques de tester le jeu avant la sortie, est rachitique. L’histoire refuse de reconnaître nos coéquipiers en les omettant des cinématiques, les missions nous demandent de partir en reconnaissance vers des zones dans lesquelles des Guardians se promènent déjà, et le hub de la Tour n’est au final qu’un menu en 3D, semblable à un Playstation Home privé du moindre échange. Il n’y a guère que les événements aléatoires en patrouille qui viennent brièvement rappeler la pertinence des joueurs hors de son équipe.

Cela serait suffisant si le design des missions était plus élaboré et nécessitait plus de coopération. Mais le jeu se borne à nous faire suivre les indicateurs de notre robot et à affronter des vagues d’ennemis dénués d’intelligence. L’opposition ne compte que sur le nombre de grunts et la longueur de la barre de vie des boss et sous-boss.

Si les sensations de tir sont indéniablement satisfaisantes, la tactique se limite à viser la tête, le ventre ou le coin qui dépasse du bouclier de la chair à canon qu’on élimine pour s’occuper tranquillement du boss, et jouer à cache cache avec ce dernier pendant les cooldowns de ses pouvoirs. On peut attirer l’attention des boss les plus imposants, tous très peu mobiles, aider ses coéquipiers en le réanimant ou en lui fournissant une bulle de protection, mais les interactions entre joueurs restent maigres. La formule est efficace mais tourne à vide contre des types d’ennemis et des missions en quantités limitées.

Menu d'upgrade

La montée en compétences du protagoniste est censée nous accrocher sur le long terme, avec 3 classes de départ, aux différences notables mais qui peuvent utiliser sensiblement le même type d’équipement, et une nouvelle sous classe à débloquer. Ce leveling accompagne bien la découverte des missions jusqu’au niveau 20. Mais, sorti des types de grenades et de la paire de pouvoirs caractéristiques, la majeure partie des améliorations à haut niveau, de l’équipement ou du personnage, jouent sur des cooldowns plus ou moins rapides. Cela modifie légèrement la façon de jouer, mais on est plus dans l’affinement de son build que dans une richesse d’options tactiques, et rares sont les améliorations que l’on trépigne de débloquer.

Comme le contenu est chiche, on est obligé de farmer les missions en boucle, dans l’espoir de récolter de l’équipement qui nous permettra de faire les mêmes missions avec un poil plus d’ennemis aux barres de vie un peu plus longues. Cela ne manque pas de challenge, mais il faut l’apprécier comme une fin en soi.

L’expérience de chaque instant n’est d’ailleurs pas déplaisante. La découverte des environnements de la Terre, Vénus et Mars réserve même son lot de paysages enchanteurs. Et même sans une grande richesse tactique ou une IA impressionnante, les affrontements savent être jouissifs, en permettant d’abattre la puissance de feu de notre arsenal sur vague après vague d’ennemis. A la limite de notre barre de vie, on bataille avec ses coéquipiers pour tuer le maximum d’ennemis dans un grand chaos bien rythmé. C’est une mécanique parfaitement huilée, une expérience sans accroc, d’une fluidité que n’interrompent que les temps de chargement.

On se balade, on tue des vagues d’ennemis, on ramasse du loot, on retourne à la Tour et on recommence, c’est confortable comme une pantoufle.

Crucible, le multijoueurs de Destiny

Pour ceux qui veulent affronter des adversaires un peu plus vifs, le multijoueurs permet de s’adonner à des joutes à six contre six. L’expérience y est plus frénétique qu’autre chose, les échanges de tirs durant rarement plus de trois secondes avant qu’un des protagonistes ne s’effrondre, mais cela remplit bien le cahier des charges et permet aux meilleurs d’accumuler l’expérience en variant les plaisirs, sans avoir trop à se soucier des membres de son équipe.

Au final, Destiny est un gâchis impressionnant : un univers travaillé piétiné par un scénario inexistant et une absence confondante de personnages desservent le système de jeu bien rôdé. Ce dernier peine à justifier la vaine montée en compétences de son héros à haut niveau quand le contenu est épuisé si rapidement. Deux packs sont d’ores et déjà prévus pour étoffer le titre, mais l’orientation retenue par Bungie, privilégiant le grind à haut niveau au détriment d’une expérience narrative significative semble condamner les aficionados à répéter inlassablement un ensemble timidement grandissant de missions similaires. Pas le point de départ le plus réjouissant pour une nouvelle franchise, quoiqu’en disent les chiffres de vente mirobolants.

Il y a 6 Messages de forum pour "Le Blockbuster"
  • Furysan Le 22 septembre 2014 à 14:16

    Ca ressemble à du Ace Combat Infinity ... en pire (Ace Combat est gratuit au moins).

    Je ne comprends pas les gens qui ont acheté ça alors que dans le même trip loot-farm-RPG-FPS-panpan-coop, il y a déjà 2 épisodes de Borderlands (vraiment pas chers) et un troisième prometteur qui sort prochainement.

    Le marketing a semble-t-il fonctionné à fond. Bizarrement, il doit y avoir une sorte de corrélation entre le taux de présence du bouzin sur nos murs ou sur nos écrans de télé et la médiocrité de la chose. Plus y’en a, moins c’est bien (basiquement posé bien sûr). Dieu sait que les pubs télé sont alléchantes, surtout avec ce Immigrant Song de LedZep à fond les manettes.

  • Harold Jouannet Le 22 septembre 2014 à 19:54

    Personnellement, je suis beaucoup moins fan du feeling des armes dans Borderlands, et l’interface se perd très vite sous l’avalanche de loot. Destiny est bien plus élégant de ce point de vue. Mais Borderlands a en effet l’avantage d’avoir un univers bien mieux exploité, qui ne se prend pas au sérieux, et un contenu bien plus étoffé.

  • Sfefs Le 23 septembre 2014 à 15:03

    J’ai souvenir de m’être demandé, en jetant un coup d’œil au trailer de lancement, comment un tel jeu pouvait être annoncé comme un futur chef d’œuvre, tant chacun de ses composants me semblaient parfaitement éculés. Gameplay, esthétique, scénario... J’ai l’impression d’avoir déjà vu la même chose une bonne centaine de fois, et je suis rassuré de constater qu’un tel titre est en réalité aussi vide et impersonnel qu’il en donne l’impression.

  • Kingeno Le 23 septembre 2014 à 17:55

    Dans un premier temps j’ai regardé plusieurs heures de vidéo dans l’espoir de me faire une idée. J’ai clairement été déçu. Par la suite j’en ai pas mal parlé avec des amis qui m’ont affirmé qu’il fallait un temps fou avant d’apprécier le jeu à sa juste valeur. Je ne sais pas encore trop quoi en penser, aucun des deux camps ne m’a vraiment convaincu. Les uns dénigrant le jeu pour ses mécaniques un peu rouillées et une direction artistique qui ne plait vraisemblablement pas à tout le monde (je passe sur la narration pauvre, elle n’est clairement pas un argument). D’un autre côté on trouve ceux ventant le contenu potentiellement énorme ou la dimension social vraiment poussée (le côté MMO/FPS/RPG combiné n’ayant vraisemblablement jamais été poussé aussi loin dans la campagne principale d’un jeu). J’aimerai vraiment que Merlanfrit prenne son temps pour nous dire ce qu’il en est vraiment... Je formule ce souhait car j’ai confiance en l’appréciation des journalistes de ce site. Avoir une analyse vraiment poussée pourrait éclairer un certain nombre de joueur perdus comme moi, sans entrer dans les détails qui font de Destiny un "produit de consommation".

  • Emmanuel Touchais Le 24 septembre 2014 à 16:11

    Destiny est un jeu qui divise : personnellement je l’aime beaucoup, l’auteur de la présente chronique pas vraiment, mais c’est à ce type de réactions qu’il faut s’attendre, il n’y a pas vraiment de juste milieu. Ceux qui adhèrent à la proposition vont le trouver terriblement addictif tandis que les autres auront du mal à "rentrer" dans l’univers et décrocheront rapidement.

    Pour ma part, je le considère comme une variation FPS du Phantasy Star Online 1 & 2 de la Dreamcast (ou de la Xbox/GC) avec un système de progression divisé : classique RPG jusqu’au niveau 20 et un peu plus compliqué au-delà de ce niveau. C’est aussi intrinsèquement répétitif (farming, répéter fréquemment certains types de missions, aller à la tour faire ses emplettes, etc.) donc il faut aimer ce type de mécaniques, répéter des missions dans l’espoir de trouver l’arme, la pièce d’armure ou l’objet nécessaire. Et là c’est difficile de choisir à la place du joueur. J’aime les mécaniques RPG, la répétition, pour moi c’est familier, réconfortant, j’ai des automatismes, etc. Donc ça me met dans un état très cosy et agréable. Mais d’autres joueurs recherchent de la variété, etc. Dans ce cas-là, Destiny n’est pas du tout adapté.

    Niveau sensations, c’est tout simplement Halo. Après il y a quelques variantes mais le feeling brut c’est Halo et ceux qui pratiquent Halo vont rapidement se sentir très à l’aise dans Destiny, dans la prise en main, sur le feeling des armes, etc. Sur le plan de l’IA c’est moins fin que Halo en Héroique/Légendaire, idem sur la physique, mais comparé aux FPS contemporains ça reste tout de même un cran au-dessus avec des ennemis qui réagissent quand même de manière un tant soit peu cohérente mais il ne faut pas s’attendre à retrouver les attaques coordonnées, les contournements, etc des affrontements made in Halo. Les armes même si elles ont vraiment des comportement très différencié (même au sein d’une même famille) n’ont pas la variété des Halo qui proposait à la fois des armes humaines et des armes aliens.

    C’est aussi un jeu qui nécessite de la patience (pour répéter souvent certains type de missions comme les Strike, faire beaucoup de PvP, etc.) et donc un investissement en temps non négligeable. Une fois le niveau 20 atteint, le chemin pour avoir le droit de prendre part au raid (level 26) est chronophage. C’est aussi un facteur à considérer. Ce n’est pas un jeu adapté à une petite session de 60-90 minutes une fois de temps en temps. Il faut y jouer beaucoup (au moins 2h30-3h) et si possible tous les jours ou presque.

    L’aspect social, multi est bien intégré dans le sens où il n’est pas trop intrusif, il est possible de se faire les missions Story en solo si on le souhaite, ou les Patrouille, etc. On peut avoir une intimité et c’est assez facile de passer du solo à la coop. La présence d’un multi compétitif qui là aussi rappelle énormément Halo apporte une variété bienvenue. Reste que certains événements haut level comme les raids ne sont pas accessibles en matchmaking. Certains le reproche à Bungie, personnellement j’espère que ça ne changera pas. Parce que la difficulté de l’entreprise fait que la communication est primordiale et qu’en matchmaking 75 à 80% des joueurs sont sans micro (sur PS3/PS4 en tout cas), donc sans communication et au final chacun joue en solo mais à plusieurs ce qui ruine la stratégie et la coordination. Il est de toute manière très facile de trouver des compagnons de jeu motivé si on a pas assez d’amis sur Destiny, en allant sur les forums de Bungie ou PSTrophies, etc.

    Bref voilà en gros.

  • Bengali Le 25 septembre 2014 à 09:43

    Destiny ? Du gras, du lard, du lourd, de la masse en consommation par étages. J’étais un petit peu apeuré quand j’ai vu les têtes des gens qui sortaient de ce centre commercial quelque part sur la planète connectée ludique. Tous les mêmes yeux, tous la même attitude. Ils avaient tous la même apparence. J’ai eu peur. Très peur. Avec leur badge pour pratiquer en groupe, structuré sur une envie de construire ’beaucoup plus’ que dans un autre shooter.
    Ensuite, j’ai un pote qui m’a appelé, en feu : "Destiny, Destiny ... c’est Planet Telex de Radiohead". Alors j’ai eu encore plus peur. Pourquoi ?

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