« Terraria, c’est Minecraft vu de côté. » Pour être rapide, la description ne manque pas de sens. La filiation entre Terraria et le jeu de Mojang est évidente : gestion similaire des ressources, importance de l’artisanat (le crafting pour parler le joueur), même accent mis sur l’exploration et l’exploitation d’un monde généré à partir de briques aléatoirement disposées. Pour autant, en creusant un peu, on se rend bien vite compte que les deux jeux n’ont pas tout à fait le même objectif. Si Minecraft est le roi incontesté du bac à sable, Avec Terraria, le développeur Re-Logic propose une aventure plus classiquement structurée, avec une importance accrue du système de combat, des boss à tuer dans un ordre précis, et une courbe de progression qui s’inspire fortement du RPG.
« L’immédiateté sensible des trois dimensions »
On pourrait considérer que Terraria est une dévolution, un demake, simple retour en arrière par rapport à son modèle : de la 3D à rebours vers la 2D, du contemporain vers la perspective latérale qui triomphait à l’époque des 8-16 bits. Le choix de cette vue « terrarium » n’est pourtant pas un pur exercice de nostalgie, car elle présente des avantages certains. Si Minecraft naît d’une telle bascule, de l’aplat vers la perspective, en offrant au Dwarf Fortress de Tarn Adams – en vue surplombante — l’immédiateté sensible des trois dimensions, raplatir le jeu de Notch est peut-être pour les développeurs de Re-Logic le plus sûr moyen d’accéder à un stade ultérieur d’évolution. Quoiqu’il en soit, la comparaison entre Terraria et Minecraft permet de vérifier que le genre est bien souvent une question de focale.
La troisième dimension ouvre dans l’écran une profondeur, par le biais de la perspective, tandis que le champ de vision de la 2D simplifie bien des choses : jamais le décor ne se chevauche, tout ce qui n’est pas hors-champ est visible. Terraria perd ainsi un des principaux charmes de Minecraft, le dialogue entre espace ouvert du dehors ou des plus monumentales excavations, et espace clos, resserré, des boyaux de mine. Contraste déterminant, producteur de l’impression de vertige à laquelle atteint souvent le jeu de Notch, que ce soit à travers la contemplation de l’illimité, ou au contraire en confrontant le joueur à l’angoisse claustrophobe des profondeurs. Terraria parvient pourtant, grâce à des moyens propres à la jouabilité 2D, à évoquer la crainte de l’ensevelissement. Les monstres agressifs, le risque de chute, la peur du noir et de la noyade contribuent à rendre prenante l’exploration souterraine.
« La vision magique »
Si, réduisant l’espace à l’aplat du cadre, elle est sans doute moins immersive, et nécessairement moins monumentale que la 3D, la vue de coupe est loin d’être dénuée d’intérêt ludique. Ce n’est pas pour rien que la conversion des licences classiques de la 2D à la 3D ne s’est pas faite sans mal, et que certaines d’entre elles sont loin d’avoir totalement abandonné la vue latérale (Mario, Castlevania…). Celle-ci a en effet l’avantage d’être essentiellement vidéoludique, à la fois pour des raisons historiques et par son aspect déréalisant, qui permet de faire passer plus aisément le merveilleux propre aux mondes du jeu, et de développer un gameplay plus abstrait sans briser pour autant la « suspension of disbelief » [1]. Il ne faut pas non plus négliger, notamment pour un studio indépendant, le côté plus abordable du développement en 2D, notamment lorsqu’on est prêt à se contenter d’une animation rudimentaire [2]. Mais c’est bien la vision magique conférée au joueur par la vue latérale qui en fait tout le prix : pourvu qu’il y ait de la lumière, il est possible de voir à travers murs et portes. Si dans Minecraft le bloc que je suis en train de creuser me bouche la vue et que j’ignore ce qu’il cache, il n’en n’est rien dans Terraria, puisque je dispose d’un regard perce-murailles.
Cette différence apparemment minime, est pourtant déterminante dans la perception de l’espace, et dans la manière de l’exploiter. Dans Minecraft, il arrive qu’une trouée laisse apercevoir une ressource à collecter, mais le joueur mine la plupart du temps en aveugle. Il s’agit de dégager un espace avant d’y construire, par remplissage. Dans Terraria, l’espace est un plan, aux deux sens du terme, le joueur est un ingénieur qui peut voir et prévoir à l’avance d’utiliser les galeries existantes. Comment vider les lacs souterrains qui m’empêchent d’accéder aux ressources, sans pour autant noyer les galeries inférieures ? Comment raccorder ce boyau au réseau de tunnels qui courts sous ma maison, où dégager la place pour un escalier ? Ces questions se posent avec une immédiateté qui tient à la vue latérale.
Peut-être moins immersif que Minecraft, Terraria n’est pas un simple clone, notamment grâce au choix de cet aplat de la perspective. La vue latérale offre au titre de Re-Logic une immédiateté ludique, elle rend visible les options qui se présentent directement à nos yeux, modifiant ainsi l’expérience du joueur, qui d’architecte contemplatif, devient aventurier-terrassier. Sans doute plus mineur que son modèle fondateur, Terraria n’en est pas moins la preuve qu’à partir de Minecraft, c’est tout un univers générique qui s’offre aux game-designers, et que Notch est loin d’avoir épuisé les ressources du jeu de construction-exploration tel qu’il l’a redéfini.
Notes
[1] Il faut remarquer que Minecraft, grâce à ses graphismes qui évoquent le jeu de cubes, réussit à maintenir l’illusion alors que sa physique est totalement irréaliste : les arbres flottent en l’air après que le joueur a coupé leur base, les plus improbables constructions tiennent, les châteaux volent... Loin d’être un défaut, cette simplicité contribue à rendre le jeu accessible au plus grand nombre, et confèrent au monde du jeu un aspect féérique qui n’est pas pour rien dans son attrait
[2] Les premiers sprites de Terraria étaient directement copiés sur d’anciens Final Fantasy
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