Celeste

La nuit infinie

C’est la nuit et il neige. Le texte s’affiche sur le plein écran : « Respire bien. Pourquoi es-tu si nerveuse ? ». Ces simples phrases introductives passées, nous voici prêts à incarner Madeline, longeant les sapins dans le lointain de la nuit, avec une musique naissante, calme, enveloppante.

Ces phrases sonnent comme un avertissement : il faudra trouver le rythme (la respiration, l’anxiété) du jeu, le rythme qu’il vous convient : de courtes sessions, aller de plus en plus vite, réfléchir, observer, ou plutôt à l’instinct... Le rythme de Madeline, des mouvements, faire corps, fluide, entrer dans le ballet du die and retry de plus en plus exigeant. L’univers textuel du jeu continuera à enrichir une histoire sombre et riche, tout en nous indiquant les raisons de cette ascension du mont Céleste, grimpette d’abord mystérieuse. Très vite, on observe que l’introspection de Madeline n’est ni plus ni moins que notre propre interrogation en tant que joueur : jusqu’où sommes-nous prêt à nous élever ?

Tout d’abord, il y a cette vieille dame. Elle nous averti d’un potentiel danger en riant d’un rire grand et large. Est-ce vraiment du danger de mort dont elle nous met en garde ? Plus rigoureusement, le danger du mont Céleste, c’est de renoncer trop tôt. Quant à la mort, il faut l’accueillir à bras ouvert. Accepter de mourir pour apprendre, pour progresser, pour s’élever. La condition mystique du titre est alors doublement équivoque : il n’y a plus de simple mortel, nous sommes tout puissant et poursuivons notre route avec la ferme intention de mourir. Lorsque nous traversons le premier pont, il s’effondre et un énigmatique corbeau apparaît. Il nous apprend comment dasher. Le dash, c’est l’essence même du jeu, sa grammaire. Et une nouvelle adresse : « Tu peux le faire ». Si le jeu est si poli et prévenant avec nous, c’est qu’il ne veut pas nous abandonner trop tôt.

« Tu pourrais y voir des choses. Des choses que tu n’es pas prête à voir. »

L’intérêt précieux de Celeste se trouve en effet principalement dans son gameplay. Il est l’expression du jeu lui-même et un vecteur porteur de sens qui nous indique que la persévérance est un aboutissement en soi. D’où cette question fondamentale : jusqu’où nous faut-il persévérer ? Peu importe, finalement, que vous parveniez au sommet de la montagne. L’idée est de se sentir suffisamment solide pour s’autoriser à poser la manette, à être cohérent avec vous même dans votre abandon, à vous dire avec toute l’honnêteté du monde : j’ai combattu comme un chef, j’ai tout fait pour Madeline, j’ai tout fait pour moi. Ne pas terminer le jeu peut alors être votre réussite, si vous avez été à la hauteur de Madeline, et donc à votre hauteur de joueur. Et peut-être, alors, laisseriez-vous Madeline, seule dans cette nuit sans fin, tandis que vous aurez renoncé, épuisé ou agacé. Vous êtes le joueur que vous méritez. Et Celeste renvoie à notre philosophie de joueur, à notre abnégation, à ce que nous sommes capables ou non d’accomplir. Le jeu brasse ce questionnement avec une générosité rare : ni noirceur de Dark Souls, ni l’inertie du Witness.

À partir du moment où ta trajectoire de Madeline est franche, intense, volontaire et souveraine : la quête de son introspection s’achève avant sa résolution in game. C’est que le joueur lui-même s’y est retrouvé, qu’il a lui aussi participé à l’ascension. Ce miroir idéal, à la fois infernal et élégant se construit sur un flanc de montagne, suspendu dans les cieux. D’autant que le principe même du die and retry, et donc de répétition, de boucle, épouse parfaitement cette introspection : combien de fois Madeline devra-t-elle radoter avant de vaincre ses démons, avant de de s’autoriser à avancer et à grandir ? Qui est-elle vraiment si ce n’est l’adolescente que tout le monde a un jour été, en proie aux mêmes démons nourris par le doute et la peur d’être soi ? Madeline n’est plus qu’une enfant sauvage qui s’échoue dans ses propres cauchemars et angoisses, ce goudron maléfique qui contamine les roches des tableaux successifs.

Il faudrait alors cesser de parler de jeu punitif à partir du moment où la mort est inhérente au principe même du jeu : ce n’est plus une mort punitive mais une mort qui aide, une mort qui enseigne et soigne. Bref, la mort n’est plus un obstacle, elle n’enlève rien au joueur mais permet de vivre mieux. Il reste alors ce souhait, jeu terminé ou non : la possibilité d’une nuit infinie.

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