Tokyo est un cauchemar de béton, où règne une nuit perpétuelle. Bretelles d’autoroute abandonnées, fontaine croupie d’un parc, ruelles aux rideaux métalliques baissés : tout se fait labyrinthe. Les démons ont remplacé les habitants, qui se terrent dans les couloirs du métro. La chasse peut commencer. Mais qui est la proie ?
Il aura fallu dix ans pour qu’Atlus sorte un nouveau Shin Megami Tensei [1] ; dix ans qui n’ont pas été perdus, puisque le développeur en a profité pour multiplier les spin-offs, souvent passionnants, et pour obtenir un succès majeur avec Persona 4. Sorti en 2009 sur Nintendo DS et inédit chez nous, SMT : Strange Journey, avait tout d’un successeur : des donjons alambiqués remplis de démons acrimonieux, des pièges à foison, un système de fusion démoniaque sophistiqué...
Sauf que contrairement à ses prédécesseurs, il ne se déroulait pas à Tokyo, théâtre obligatoire d’un épisode majeur. Voilà qui est réparé avec SMT IV, arrivé presque clandestinement et avec plus d’un an de retard en Europe, alors qu’il méritait bien mieux. Les joueurs les plus endurcis tremblent déjà, eux qui n’ignorent pas la réputation — largement méritée — de sadisme qui entoure le fabuleux SMT III, lequel n’hésitait pas à effacer d’un critique malencontreux une heure de laborieuse progression : d’un coup d’un seul le héros mordait la poussière, et c’était l’implacable game over.
Du chassé au chasseur
Pourtant les temps ont changé. Au Japon, le jeu sur mobile a assis sa domination : comme l’expliquait dans le numéro 6 de Games le développeur indépendant Alvin Phu, le succès sans commune mesure de Puzzle & Dragons a modifié en profondeur le paysage ludique de l’Archipel. Et puis les fidèles de SMT ont vieilli, et ils n’ont plus forcément envie de se confronter à un game design vindicatif après une longue journée de travail. D’ailleurs le modèle du RPG hardcore n’est plus tant Wizardry et ses donjons torturés que le monde ouvert façon Dragon Quest IX. On y passe autant de temps, mais il s’agit de maximiser les ressources offertes par le territoire de jeu afin de faire progresser son personnage, plutôt que de se perdre des heures durant dans un labyrinthe mortel. Même un pur dungeon crawler comme Etrian Odyssey favorise le farming, et la série devient de plus en plus accessible d’un épisode à l’autre.
Certes, SMT IV n’est pas loin de là, une expérience de tout repos. Pourtant, si les donjons ne plaisantent pas, la difficulté a été largement revue à la baisse depuis SMT III. Le quatrième volet est parfois injuste, et les dés ne sont pas toujours en notre faveur. Mais la mort du personnage principal n’entraîne plus le game over. Au pire, si l’équipe entière mord la poussière, il est toujours possible de négocier avec Charon avant de franchir le Styx. Le plus évident compromis — portabilité oblige — consiste à autoriser le joueur à sauvegarder quand bon lui semble. Le gameplay s’en trouve bouleversé, puisqu’il ne peut plus s‘agir de survivre d’un point de sauvegarde à un autre. C’est donc l’optimisation qui prend le relai : il faut construire la meilleure équipe de démons possible afin de triompher de boss qui constituent autant d’épreuves à franchir.
De chassé, le joueur devient chasseur. Le jeu est d’ailleurs assez explicite sur ce point : le héros et ses compagnons, originaires d’un royaume de fantasy, aussi utopique qu’ambigu, descendent littéralement du ciel afin d’attraper un mystérieux chevalier noir. En chemin, ils jouent aux chasseurs de prime en acceptant des contrats proposés dans les bars interlopes de Tokyo.
« Attrapez-les tous »
Hommage du vieux maître roublard à l’élève, SMT IV semble s’inspirer du « attrapez-les tous » cher à Pokémon, et nous pousse plus que jamais à compléter notre collection de démons : les femmes fatales aux yeux de braise, les chiens-serpents, les incubes priapiques et les têtards anthropomorphes à tête de gland, dieux, diables, mascottes, tous, il nous les faut tous. Et ils sont plus de 400 ! Le système de fusion démoniaque, qui permet de choisir quels pouvoirs se transmettront d’une génération à l’autre, a de quoi donner le tournis. Jamais l’eugénisme n’a été aussi diablement amusant, et on passe facilement des heures à expérimenter dans la « Cathedral of Shadows » afin d’obtenir l’équipe de nos rêves, quitte à revenir sur nos pas pour capturer des démons bas niveau à fusionner. C’est ainsi que l’on sortira vainqueur des défis posés par le jeu : tel boss frappe comme une mule, mais est vulnérable aux attaques de vent. Qu’à cela ne tienne, il faudra trouver le bon équilibre entre la résistance, les soins, et les pouvoirs permettant d’exploiter sa faiblesse : des heures de bricolage en perspective.
Les vieux de la vieille de ret