La mort joueuse

Editorial

La mort joueuse

Jouer, c’est apprendre à mourir. Et à revivre, et à mourir à nouveau.

Ce n’est sans doute pas un hasard si "prepare to die" est le slogan d’une des plus belles réussites ludiques de cette génération. Peut-être plus encore que "tuer", "mourir" est un des actes vidéoludiques par excellence. Entendons-nous, mourir dans un jeu vidéo est loin de constituer un entraînement stoïcien, qui nous préparerait à effectuer notre dernière sortie : mourir, c’est apprendre à revivre, à repoper, à attendre un "rez", à remettre une pièce dans le monnayeur… La mort est un évènement comme un autre, qui ne vient pas nécessairement interrompre le déroulement de la partie, mais qui en constitue un accroc, qui vient apporter un rien de piment.

Se pencher sur la faucheuse de pixels, c’est ouvrir un bien vaste dossier : comment embrasser un ludème aussi omniprésent, aussi changeant ? Comment ignorer les multiples entrées thématiques qui s’offrent à nous ? Du zombie au fantôme, des deuils mélodramatiques du jRPG aux morts du Digital Battlefield, le sujet paraît inépuisable, et nous ne promettons pas de l’épuiser.

Il faut considérer les mécanismes de la mort : comment rythme-t-elle la partie, comment le joueur apprend-il à jongler avec elle, à l’esquiver ou au contraire à l’accepter comme partie prenante de l’expérience, qui fait tout le sel des jeux à permadeath comme les Rogue-likes ? Il y a un monde du game over de l’arcade au respawn instantané des FPS contemporains, et l’on est en droit, pour paraphraser Cliff Bleszinki qui affirmait à propos de Resident Evil 4 qu’un changement de caméra pouvait inventer un nouveau genre, de se demander à quel point changer la mort pouvait contribuer à ouvrir de nouvelles pistes en matière de gameplay ?

Mais il faut aussi prendre en compte, peut-être à rebours des considérations purement ludiques (comme l’écrivait Sachka Duval, "la mort est jouable [...] mais pas « gamifiable »"), l’importance thématique de la mort : le jeu vidéo nous offre la possibilité d’explorer les limbes, de vivre la mort, de vérifier de visu comment se déroule notre propre enterrement, ou encore de mimer fictivement des rites funéraires comme dans un des plus beaux passage de Lost Odyssey. Il s’agit sans doute trop souvent de flatter le joueur plutôt que de le faire réfléchir. Il existe heureusement des exceptions, comme les Blackwell ou Ghost Trick, sans parler de Planescape Torment.

Au moins le jeu vidéo remplit-il une fonction de divertissement pascalien, dans nos sociétés où l’homme n’est plus si misérable que ça sans Dieu. Jouer avec la mort, c’est peut-être surtout oublier qu’on est mortel, une sorte d’oblivio mori. On piège la Faucheuse comme on peut.

P.-S.

Photos : Le Septième Sceau (Ingmar Bergman, 1957).

Il y a 1 Message pour "La mort joueuse"
  • Guy Vault Le 26 novembre 2012 à 15:14

    Le septième sceau : la référence "mourir pour de faux" qui revient presque toujours afin d’illustrer ce genre de thématique :p

    A l’époque où les sauvegardes n’étaient pas encore de mises, enchaîner les game over était non seulement monnaie courante, mais participait à rendre l’expérience assez particulière. Comme si le joueur avait une épée de Damoclès au dessus de la tête, que la relation avec la mort virtuelle était moins anecdotique. Je serais pas comment le décrire. Aujourd’hui, on retrouve ce principe dans des jeux comme Dark Soul, le mode "hardcore" de Diablo 3 (mort permanente de ton personnage) ou les softs "try and die". Mais il me semble qu’au contraire, la tendance a toujours été d’adoucir les angles, de faciliter les résurrections, de faire en sorte qu’un game over ne soit pas "traumatisant" : du second souffle dans Borderlands, à la mise à terre de Guild Wars 2, en passant par ces barres de vie qui se remplissent toutes seules comme des grandes.

    Sinon, sans trop rentrer dans les détails, quelques jeux ont une utilisation assez intéressante de la mort. Dernièrement, j’avais particulièrement apprécié les phases d’investigation se déroulant dans l’au-delà de The Secret World. Être obligé de provoquer la mort de son perso pour passer des épreuves et révéler des indices (de background parfois), c’est une approche qui rend finalement la mort complice de sa progression. Et comme il n’y a pas de sanctions - dans certains jeux, un perso qui meurt peut perdre de l’xp ou des caractéristiques - la faucheuse devient un élément sympathique. Plus lointain encore, The Nomad Soul et son système de réincarnation étaient à l’époque un ingrédient de gameplay qui m’avait marqué - dans le sens : être obligé d’abandonner un personnage (de le suicider, donc) pour avancer dans l’histoire et en incarner un autre. Je me souviens avoir eu du mal à intégrer le principe (l’être virtuel en tant que vulgaire produit de consommation, peu propice à l’identification) et je prenais à cœur de garder mes persos le plus longtemps possibles. Mais le jeu de Cage touchait là un truc sensible.

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