10. Fonds marins

La foule permanente

Deux semaines après que Phil Fish a décidé de quitter la scène vidéoludique, Brian Crecente publie sur Polygon un excellent papier consacré au harcèlement dont sont victimes les développeurs. Il revient notamment sur le cas de Jennifer Hepler, une des scénaristes du controversé Dragon Age II, qui avait été abondamment insultée par des "fans", et dont les enfants avaient été menacés de mort. On en resterait coi, s’il ne nous semblait pas important d’apporter un vif soutien à la créatrice qui a par ailleurs démissionné de Bioware pour se consacrer à sa famille. Et peut-être faut-il aussi, encore que l’article de Polygon évoque de nombreuses pistes, poursuivre la réflexion sur un phénomène de plus en plus prépondérant, notamment à l’encontre des développeuses.

Introuvable communauté

On peut être tenté de rejeter la faute sur "quelques idiots", sur une conjuration de "débiles". Ce serait certes aussi rapide que commode. Mais les menaces, les invectives, la violence verbale me semblent trop récurrentes pour n’être que le fait de déséquilibrés [1]. Il s’agit bien d’un phénomène d’entraînement, qui tient plus du social, de la délinquance, que de la psychiatrie au sens strict. Si internet, de par son anonymat et son ouverture, laisse une tribune aux déséquilibrés, le déséquilibre est ici trop récurrent, trop structuré, pour qu’on n’y voit pas autre chose.

Jennifer Hepler

Pour autant, et cela a donné lieu à un échange assez vif sur Twitter, il me semble prématuré de diagnostiquer un dysfonctionnement d’une communauté des joueurs… parce qu’à mon sens celle-ci n’a pas de réelle homogénéité. Les pratiques du jeu vidéo sont diverses, les chapelles nombreuses, les communautés existent, mais éclatées, et si elles se recoupent, elles se découpent aussi très nettement. Si l’on peut considérer que les passionnés partagent des références communes, un langage, que l’industrie a ses événements (l’E3, la GDC…), il me paraît naïf de chercher une trop grande homogénéité dans un groupe qui s’est considérablement diversifié ces dernières années avec l’explosion de différentes scènes. Certes, beaucoup de problèmes sont communs aux différents univers, comme le montre Anita Sarkeesian a propos des tropes sexistes, que l’on retrouve aussi bien chez les indépendants que dans les productions AAA. Mais le jeu vidéo contemporain touche un public trop vaste pour qu’on puisse réellement repérer un sentiment commun d’appartenance, et il faut se garder de généralisations hâtives.

C’est d’ailleurs bien embêtant. L’avantage d’une communauté, c’est qu’elle a ses repères, ses porte-paroles, ses règles au moins implicites. Une communauté peut s’auto-policer, exercer une modération. Toutes ne le font pas, au point que bien des communautés de joueurs ou de geeks [2] deviennent toxiques, que ce soit par la volonté de leurs membres ou par indifférence. Mais la possibilité demeure, et il est aussi envisageable — même si ce n’est pas forcément une solution définitive — de ne pas fréquenter une communauté précise, pour peu qu’il s’en trouve d’autres. Il est plus difficile de changer totalement de centre d’intérêt, ou de métier dans le cas des développeurs. Il existe heureusement des communautés de joueurs qui sont globalement épargnées par la violence et le sexisme. Celles-ci, y compris les plus policées n’en demeurent pas moins menacées par l’atmosphère ambiante et par la déshumanisation des rapports sur le web, qu’il est de notre intérêt à tous d’assainir. Pour que les choses soient dites clairement : à force de tremper dans un environnement ou la violence et les préjugés sont omniprésents, personne n’est tout à fait à l’abri de leur influence.

Des "cannibales"

J’enfonce peut-être les portes ouvertes, mais il me semble que les phénomènes d’une grande violence que nous observons s’apparentent à la psychologie des foules. L’anonymat — tout relatif en droit, mais assez réel en pratique [3] — qui caractérise internet tend à noyer les individus dans une sorte de foule permanente, où les effets d’emballement sont légion.

Dans son livre Le village des "cannibales" [4] , l’historien Alain Corbin, spécialiste des sensibilités au XIX ème siècle, donne un exemple stupéfiant du pouvoir d’entraînement des foules. Le 16 août 1870, à Hautefaye, en Dordogne, une assemblée de paysans livre au supplice Alain de Monéys, un jeune noble de la région, que la rumeur identifie, suite à un quiproquo, à un démocrate puis à un Prussien, alors qu’il n’est évidemment ni l’un ni l’autre. Le hobereau est roué de coups, torturé plusieurs heures avant d’être brûlé vif par la foule. Face à la monstruosité des "cannibales", abondamment commentée par la presse de l’époque sur le thème de la dégénérescence, l’historien mène une analyse permettant de remettre en contexte l’insoutenable :

« la saisie de l’événement impose l’histoire des figures sociales de la menace et, plus précisément, la généalogie de cette nébuleuse cohérente — mais aberrante aux yeux des témoins comme des historiens — qui, dans les campagnes du Périgord, enserre dans le réseau imaginaire d’un terrible complot le noble, le curé, le républicain et le Prussien »

(p. 9).

Pour faire bref, Corbin commence par expliquer les tensions qui opposent les paysans de la Dordogne à la noblesse locale et aux démocrates, ainsi que la fidélité qu’ils éprouvent pour Napoléon III alors que la guerre franco-prussienne vient de débuter. On ne peut en effet comprendre la cruauté insensée sans la replacer dans son contexte idéologique et les rapports de force qui lui sont sous-jacents. Un autre élément qui paraît essentiel pour appréhender la barbarie de Hautefaye est la situation plus précise de la scène : le lynchage a lieu durant une foire à bestiaux, lieu traditionnel de relâchement carnavalesque. Si l’ébriété a sans doute joué un rôle, il faut aussi retenir le "relatif anonymat des acteurs" (p. 71) que permet la foire. Et évidemment ce que Corbin appelle le "moment privilégié du défi et de l’ostentation de soi, dans l’affaissement des normes imposées au village par la rigidité de l’interconnaissance" (p. 78).

Culture troll

On m’accusera sans doute d’être saisi une fois de plus du démon de l’analogie, mais il me semble que toutes choses égales par ailleurs, les méthodes employées par Corbin s’adaptent plutôt bien aux cas qui nous intéressent. Elles permettent au moins de tracer des pistes de lecture, des angles d’approche afin de comprendre les "cannibales" du troll. Dépasser la nécessaire indignation face à des menaces criminelles, c’est tracer une ethnologie du troll [5], de ses angoisses (sexuelles, économiques, sociales...), de ses valeurs, de ses repères, quand bien même ces derniers seraient les caractéristiques d’un fusil de pixels, ou la tradition du RPG à la Bioware…

Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les dérives inhérentes à la culture du troll, telle qu’elle a pu se construire dans des espaces comme Usenet ou 4chan avant de se banaliser dans de nombreux forums de discussion et sur les réseaux sociaux, mais il apparaît urgent d’en analyser les significations culturelles... Jeter un regard sur l’affreuse page consacrée à Jennifer Hepler sur le site Encyclopediadramatica, c’est constater la présence d’un certain nombre de thèmes, saisir des composantes de l’identité troll dans toute sa fragilité : les attaques ad hominem contre le physique de la développeuse traduisent sans doute une forme de complexe de la part de ceux qui en sont l’auteur, de même que le culte fanatique voué à des mécanismes de jeu à protéger d’un "cancer" sont l’envers d’une absence de repères plus tangibles. Evidemment, il s’agit de pistes tracées à la pelle, mais on ne peut effacer d’un revers de la main ce que ces blagues crasseuses nous disent, au prétexte qu’elles seraient à vocation comique ou qu’elles seraient le fait d’une petite bande d’illuminés.

En somme, ce n’est pas tout de déplorer qu’on en soit arrivé là et de condamner en toute bonne conscience, il s’agit d’éclairer les causes et les implications sociales de cet état de fait. Comprendre aussi les mécanismes du défi, propres notamment aux pré-adolescents mais aussi à beaucoup d’adultes en mal de confiance, comprendre le rôle de "l’affaissement des normes" propre à internet, et les réponses techniques qu’on peut éventuellement lui opposer.

Et qu’on m’entende bien : comprendre n’est ni justifier, ni excuser. C’est se donner les outils nécessaires à l’action.

La spirale de la violence

Un dernier constat, peut-être plus délicat, s’impose.

Pour être précis, il me semble indispensable de distinguer entre les cas de harcèlement. Une Anita Sarkeesian par exemple n’a certainement rien fait qui puisse justifier les torrents de haine qui se sont abattus contre elle : elle s’est contentée de dénoncer de manière articulée le réel problème du sexisme dans la production vidéoludique. Sarkeesian ne contribue pas à la violence, elle la dénonce, et posément avec ça.

Call of Duty : Black Ops 2, hymne à la tolérance

Même s’il n’est pas dans mon intention de blâmer les victimes, j’ai tout de même plus de mal à exempter de tout reproche un David Vonderhaar (Treyarch), qui ne méritait certainement pas d’être agoni de menaces… Mais le directeur du studio produisant à la chaîne les Call of Duty peut-il vraiment s’étonner de la violence de ses fans ? La série la plus populaire du jeu AAA ne repose-t-elle pas sur la plus crasse brutalité ? Le multi sur la plus acharnée compétition ? On ne l’a guère entendu, pas plus que ses pairs, critiquer l’ahurissante violence verbale qui se répand quotidiennement sur les serveurs de son jeu, violence récurrente dans les jeux en ligne, au point que beaucoup de joueuses accablées de remarques sexistes voire de franches insultes à longueur de partie, mais aussi dans une moindre mesure de joueurs, préfèrent éviter cette pratique.

Comme l’écrit sur Twitter le développeur indépendant Bennett (l’hilarant QWOP), une solution serait peut-être de commencer par ne plus "produire des jeux qui vont attirer les cyber-harceleurs".

Il ne s’agit pas de condamner la violence fictive en elle-même, pas plus que de priver les victimes comme David Vonderhaar du droit de se plaindre et d’être soutenues. Mais il me semble qu’une des solutions consiste à ne pas négliger le contenu idéologique qu’imposent les jeux à leurs récepteurs, faute de quoi il ne faut pas s’attendre à des miracles. On sait bien que la pédagogie ne résout pas tous les problèmes, mais son absence totale risque de les aggraver.

Une communauté à trouver ?

Introuvable communauté, écrivais-je… Peut-être faudrait-il souhaiter, sans doute un peu utopiquement, qu’une communauté se forme par delà les réelles et nécessaires différences entre les pratiques. D’après Game Politics, L’IGDA, le syndicat des développeurs, a d’ores et déjà annoncé des actions visant à aider les développeurs victimes de cyber-harcèlement. C’est un premier pas. Mais on pourrait aller plus loin.

Imaginer que se constitue une action collective a minima des joueurs et des développeurs contre les dérives d’une partie des "fans", mais aussi contre le racisme, l’homophobie, la violence verbale, la misogynie par exemple, qui sont loin d’être absents de beaucoup de productions. On peut rester sceptique quant à l’efficacité des grandes campagnes de sensibilisation, qui ont toujours des relents vaguement rances d’hypocrisie, et leur préférer au choix la dénonciation polémique, la verve satirique, ou l’analyse pointue. Mais s’il fallait que le monde du jeu vidéo fasse communauté, on pourrait trouver pire cause. Imaginez le tableau : tous sur la scène, de Bobby Kotick à Anna Anthropy, bras dessus-bras dessous, de Notch à Miyamoto, poussant la chansonnette, de Leigh Alexander à Jim Sterling, se tenant par la main, contre les préjugés, contre l’agressivité.

Et puis tous en coulisses, développant et promouvant des jeux où l’agressivité n’est pas encore et toujours l’ultime réponse, où les préjugés ne constituent pas le seul horizon.

On n’y est pas. Malgré tout, le débat est ouvert.

Notes

[1] Qu’on songe aux torrents d’invectives qui ont été lancés contre Anita Sarkeesian, ou à la réaction de certains joueurs de Call of Duty : Black Ops 2 après un patch changeant les caractéristiques de certaines armes…

[2] Pour prendre un exemple hors du jeu vidéo, on peut se référer à ce fil qui évoque les dérives misogynes de la communauté sceptique américaine.

[3] Comme le rappelle l’article de Polygon, il est fort rare que même en cas de plainte la police agisse lors des cas de harcèlement en ligne, notamment lorsque des mineurs en sont les auteurs présumés.

[4] Alain Corbin, Le village des "cannibales", Aubier, 1986, réédité dans la collection Champs histoire.

[5] On trouvera quelques éléments dans ce sens en écoutant une émission de France Culture consacrée au sujet.

Il y a 19 Messages de forum pour "La foule permanente"
  • Zali L. Falcam Le 17 août 2013 à 14:01

    J’aurais pas changé une ligne (a part sur Sarkeesian, je trouve ses vidéos un peu pourraves, mais absolument rien qui ne justifie la moindre attaque verbale sur sa personne...). Merci beaucoup !

  • bleubleu Le 17 août 2013 à 14:22

    “On m’accusera sans doute d’être saisi une fois de plus du démon de l’analogie”

    Oui :)

  • Alfraid Le 17 août 2013 à 14:27

    Dragon Age II était tellement mauvais que la coupable méritait son lynchage.
    C’est, au fond, un contrôle social très sain que permet internet.
    Sain tant qu’il est spontané. A partir du moment où les censeurs que vous êtes tentez d’imposer votre régulation, il devient alors malsain.

    D’ailleurs dans un monde bien fait une centaine de commentaires viendront signifier à quel point vous êtes peu pertinent.

  • Martin Lefebvre Le 17 août 2013 à 14:34

    Alfraid : si tu ne fais pas la différence entre la polémique engagée (ie on n’est pas d’accord et on le dit vivement) et le lynchage (ie on insulte gratuitement et on menace), je t’invite fermement à aller exercer ta liberté de parole ailleurs, merci.

    Par ailleurs Dragon Age II est un jeu très intéressant, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est réussi, mais "l’internet" n’est pas toujours d’un gout très sûr.

  • cKei Le 17 août 2013 à 15:03

    Bel article, l’affaire de Hautefaye (dont je ne connaissais que les grandes lignes) est un exemple pertinent des dérives extrêmes que peuvent engendrer les passions au croisements de plusieurs facteurs qui les exacerbent.

    J’ajouterai que sur cette affaire, je ne crois pas une seconde que les "bully" ne songent une seconde à passer à l’acte quand ils profèrent leurs menaces. Simplement au lieu d’écrire une lettre courtoise au développeur pour lui faire part de leur mécontentement, ils s’acharnent sur les proies les plus faciles en postant des messages haineux, cachés derrière tout les artifices que tu décris (foule, anonymat,...). J’y vois une certaine forme de lâcheté et de paresse.

    Alfraid : Je vais être peu pertinent et répondre au troll que tu semble être. Déjà, si Dragon Age II est vraiment mauvais, ce n’est certainement pas du fait d’une seule personne, c’est la volonté de tous les acteurs de faire un certain type de jeu qui ne rencontre pas les désidératas de son public. Ensuite rien ne peut justifier un tel déferlement de haine, d’autant plus que c’est un jeu vidéo, y’a pas de vies en jeu ni rien.
    Et puis parler de censure quand on demande juste à rester dans le cadre légal pour faire valoir son point de vue, c’est un peu gros -_-

  • Martin Lefebvre Le 17 août 2013 à 15:05

    Les bully ne songent sans doute pas à passer à l’acte, évidemment, mais :

    1- ils peuvent influencer des gens plus fragiles à prendre au sérieux le troll.
    2- ils créent tout de même des blessures psychologiques assez sévères à leurs victimes.

  • Alfraid Le 17 août 2013 à 16:13

    Déjà j’exerce ma liberté d’expression où je le souhaite, merci.

    Ensuite ajoutons que votre traitement de l’affaire Hepler est honteusement partial et mensonger. Ceux qui en connaissent les détails et provocations auront une opinion plus nuancée. C’est triste que l’ED soit plus précise sur les faits que Merlan Frit, qui file un mauvais coton depuis quelques temps.

    Je ne vous salue pas.

  • Anthony Jauneaud Le 17 août 2013 à 19:02

    Désolé Bernard, on va éviter les insultes, merci.

  • rhed308 Le 18 août 2013 à 00:41

    Tiens le "village des cannibales" d’Alain Corbin. Un très bon ouvrage, très bien construit et qui arrive avec une rigueur d’historien à nous estomaquer fasse à cet effet de corps, d’entraînements d’un même groupe. Étonné de le voir cité ici, mais quand on y pense, il a toute sa place.

    Dans une époque bien différente, Christopher Browning évoque de manière fascinante ce même effet de groupe au travers de son ouvrage "Des hommes ordinaires" que je vous invite à dévorer.
    Ce n’est pas tout à fait la même chose, mais ses recherches montrent que les hommes qui composaient un régiment de policiers réservistes n’auraient surement pas accomplis ce qu’ils ont fait s’ils avaient été individualisés.
    C’est l’effet de corps, où un nombre important n’osait sortir des rangs pour contester les ordres qui a maintenu cet effet d’entrainement et les ont conduits à participer au génocide de la 2nde guerre mondiale.

    Pour revenir au sujet, j’ai eu vent des menaces envers Jennifer Helper tout récemment et je me demandais ce qui dans DA II, pouvait conduire à autant de haine.
    D’un point de vue strictement scénaristique, qu’est-ce que ce jeu a de particulier ?

  • Martin Lefebvre Le 18 août 2013 à 01:32

    Le jeu n’a pas grand chose de particulier d’un point de vue purement scénaristique... C’est du Bioware (la plupart des scénaristes sont là depuis Baldur), plutôt bien écrit (il faut avouer que Hepler n’a pas écrit les meilleurs personnages, mais c’est un détail) encore que mal structuré.

    Mais beaucoup de choses ont changé par rapport au premier Dragon Age, la direction artistique, les combats (qui sont moins bons, mais plus adaptés à la console), l’ampleur (on se focalise sur une seule ville). On peut dire à juste titre que DA 2 été bâclé, il a été produit en très peu de temps et ça se voit, comparé au long travail sur le premier. EA semble avoir été surpris par le succès du premier, et a voulu aller trop vite.

    Paradoxalement, le jeu est assez audacieux dans sa structure, même si le résultat final est assez mal fichu, en cherchant à s’approcher d’un truc épisodique par petites touches plus que d’une grande fresque... c’est un peu le modèle Mass Effect 2 poussé à l’extrême avec un budget bien moindre, sauf que je trouve pour ma part les personnages plus détaillés et plus attachants (Varric et Aveline notamment). Le jeu est plus pulp et se prend moins au sérieux que le un. Malgré ses défauts il a d’ailleurs trouvé un public, peut-être plus jeune et plus féminin que le très traditionnel DA : O.

    Bon faut vraiment que je trouve le temps d’écrire sur le jeu, c’est un sujet assez passionnant, peut-être plus que le jeu lui-même d’ailleurs, parce qu’on sent que dans l’urgence Bioware se cherche. :)

    Hepler a servi de bouc émissaire, de figure représentant le tournant de la série. Le fait qu’elle soit arrivée relativement tard chez Bioware (pour DA : O), et évidemment que ce soit une femme n’a pas aidé.

    Ce qui a mis le feu au poudre c’est un vieil entretien qui est ressorti dans lequel elle déclare qu’elle n’aimait pas vraiment les phases de combat (elle n’y prend évidemment aucune part, c’est un peu le problème des jeux Bioware d’ailleurs cette déconnexion assez marquée entre l’écriture et la baston), et qu’à tout prendre elle aimerait pouvoir les passer.

    Autant j’aime beaucoup le système de combat de DA : O (malgré ses faiblesses), et les RPGs systèmes en général, autant en effet en jouant à DA II je me dis que le jeu serait beaucoup mieux sans ses combats, et que quelque part ça ferait un bon jeu d’aventure (il y a pas mal de choix, que le script ne respecte pas toujours, mais qui fonctionnent bien sur les relations avec les persos), une sorte de TWD heroic fantasy...

    Donc non seulement elle s’en pris des horreurs absolues dans la gueule, mais en plus elle n’avait pas tout à fait tort la pauvre. :/

  • Scith Le 18 août 2013 à 09:18

    Merci pour cet article ! Martin, je pense que tu n’enfonces pas de portes ouvertes en suggérant le lien avec l’anonymat car tout ceci a fait l’objet de nombreuses recherches en psychologie sociale (dont celles des foules).

    En 1969, Zimbardo réalisait sa célèbre expérience en prison. Les participants étaient anonymes et se sont retrouvés à assumer le role qui leur était confié de manière totalement inhumaine et dépourvus de toute inhibition. Plus tard (en 1984 par Kiesler), il a été prouvé que la communication en ligne (textuelle) satisfaisait les memes conditions qui permettaient les conséquences de l’expérience de Zimbardo : anonymat, réduction de l’auto-régulation, et réduction de la conscience de soi (cad que notre attention se porte moins sur nous-memes et plus sur notre message, ce qui favorise également des comportements dans lesquels nous ne nous serions pas reconnus habituellement). Par conséquent, nos comportements en ligne ont tendance à devenir plus extremes, moins régulés, moins centrés sur les individus qui reçoivent le message que sur le contenu du message en lui-meme.

    En plus de tout cela, l’anonymat offert par internet fait que les individus ont tendance à suivre davantage les normes sociales du groupe en oubliant leur propre individualité. En effet, on s’imagine que les autres membres du groupe nous ressemblent davantage lorsqu’ils sont cachés derrière leurs écrans et on les suit volontiers.
    Sachant cela, il devient clair que lorsque la communauté est nauséabonde, comme dans tes exemples Martin et meme dans d’autre (LoL... oups), les individus qui la composent sont tentés d’agir de manière nauséabonde également. Ils suivent la norme du groupe plus facilement du fait de leur anonymat et des autres raisons mentionnées.

    Désolé, ce que je viens de raconter là est plutot négatif ... Ces premières recherches en psychologie sociale sur internet étaient en effet très critiques et ont été un peu nuancées depuis. Mais après tout on parle bien de la face sombre d’internet ici :)

    Malheureusement, les solutions sont limitées. On peut tenter de rendre la norme sociale du groupe plus positive, mais c’est compliqué. C’est ce qu’essaye de faire League of Legends.
    On peut aussi lever l’anonymat, comme l’avait tenté Bioware il me semble. Mais ça provoque souvent une levée de boucliers.
    On peut enfin tenter de recentrer l’attention des individus sur eux-memes plutot que sur le groupe. Dans une expérience, Spears (1990) est parvenu à ce résultat en montrant tout simplement à chaque individu une image de lui-meme en webcam lorsqu’il s’exprimait ... L’impact des normes sociales est réduit lorsque notre identité personnelle est mise en lumière. Je n’ai par contre pas d’exemple dans le jeu vidéo !

    Désolé d’avoir été un peu long, j’espère avoir pu apporter quelques pierres à ce super édifice :)

  • rhed308 Le 18 août 2013 à 11:24

    Je serais curieux de savoir combien parmi les joueurs ayant déversé un torrent d’insulte, ont réellement joué au jeu et ont été jusqu’à le terminer.
    Car c’est un phénomène qui va avec l’effet d’entrainement : il attire des personnes extérieures qui n’ont absolument pas joué, ne compte pas forcément y jouer.
    Attention, je ne dis pas que pour avoir la légitimité de parler d’un jeu il faut y avoir jouer. Mais cette dernière apporte plus de crédit lors de la critique positive ou négative.
    Questionnements et crainte sont tout a fait normal, mais la critique (pour moi du moins) impose d’y avoir joué.

    Et j’ai le sentiment que de plus en plus de joueurs, critiquent (sont-ils les plus virulents ?) sans avoir joué au jeu.

  • BlackLabel Le 18 août 2013 à 15:02

    Martin Lefebvre :"Mais il me semble qu’une des solutions consiste à ne pas négliger le contenu idéologique qu’imposent les jeux à leurs récepteurs, faute de quoi il ne faut pas s’attendre à des miracles."

    J’ai tendance à penser que les joueurs sont à l’image des jeux. Là tu mentionnes la violence, mais on peut aussi voir tout le pan culturel et ludique, les jeux étant de plus en plus idiots il me semble que les joueurs le deviennent de plus en plus également.

    Évidemment les cibles des joueurs ne sont pas toujours pertinentes, sans parler des menaces et insultes, et je ne dis pas que cela les excuse au niveau individuel. Mais une industrie qui vise le seul profit et méprise le consommateur ne peut pas attendre respect et politesse en retour.

  • cKei Le 18 août 2013 à 18:52

    "les jeux étant de plus en plus idiots"

    Ne généralisons pas, tout n’est pas à jeter.

    D’un côté on a les jeux "pour teubés" qui effectivement peuvent devenir de plus en plus idiots dans un certains sens (par exemple en favorisant les phases de tir bourrin et la violence gratuite au détriment d’un scénario ou de l’aspect réflexion. En même temps si on prend Duke Nukem par exmeple, j’ai pas l’impression que c’était particulièrement plus intelligent avant.

    De l’autre côté, je trouve que les jeux vidéo offrant de la réflexion (i.e les puzzle games, les jeux de stratégie et les T-RPG) sont plus travaillés qu’avant, non seulement parce que la technologie nous le permet mais aussi parce qu’on y met plus facilement de moyens financiers et humain. Leur public aussi est en augmentation, tout comme le nombre de développeurs grâce aux moyens de diffusion (notamment sur la scène indé).

    Par contre, c’est vrai aussi que les jeux "entre deux" ont tendance à se simplifier, à plus prendre les joueurs par la main qu’il ne le faisait avant. Mais les jeux d’alors étaient souvent plus durs par manque de moyen pour faire plus simple sans altérer le gameplay. Je constate aussi un relâchement de certaines grandes licences (comme les FF et Tales of pour les RPG) en ce sens.

  • Martin Lefebvre Le 18 août 2013 à 19:20

    @Blacklabel : change de disque, monsieur le décadentiste ;)

    Sarkeesian montre justement bien que des trucs comme le sexisme étaient très présents dans les vieux jeux...

    Après moi je joue à Papers, Please et à Europa Universalis 4, j’ai pas l’impression que ce soient des jeux plus idiots qu’Operation Wolf hein.

  • Cold Hand Le 19 août 2013 à 14:27

    Excellent article. Cela dit, je me demande si on dérive pas un peu dans les commentaires : comment peut-on en arriver à discuter de la qualité d’un jeu (auquel je n’ai pas joué) ? Que ce jeu soit le chef d’oeuvre du siècle où le "E.T. the Extra-Terrestrial" des consoles/PCs modernes n’a strictement rien à voir avec ce dont on parle... Et se lancer dans le débat, c’est un premier pas vers la légitimation des abrutis qui se lancent dans des campagnes de harcèlement du genre ("C’est mal, mais c’est pas faux de dire que le jeu était tout pourri...")

    Et je ne vais même pas mentionner le commentaire d’Alfraid (Damn, encore raté !) qui laisse juste pantois. Avec un peu de chance, le "très sain contrôle social" qu’est Internet en aura raison...

  • HN Le 19 août 2013 à 17:15

    Décidément, j’accroche de plus en plus à ce site.

    Juste un petit exemple personnel "d’éléments de langage" trouvés dans différents jeux.
    Sur un Guild Wars 2 par exemple, même en pleine compète McM, j’ai rarement vu d’insultes fuser sur le canal de la map (sûrement dû au fait que le chat est "géré" par les serveurs Anet et limite Pravda d’ailleurs).
    Voilà qu’un soir je me remets sur un Battlefield 3 pour changer un peu et là c’est l’averse de "fuckin fag", "bitch", "mother fucker", et autres jolis noms d’oiseaux...

    D’où mon questionnement sur la "testostéronité" (potentiel d’attirer la testostérone, on va dire - les gros cons quoi) de certains types de jeux vidéos. "Les FPS pour les vrais mecs, les RPG pour les gonzesses..." (affirmation à prendre au second degré évidemment).

    Cdlmt

  • Thufir Le 19 août 2013 à 19:38

    Ouaip, chouette article. Si si ^^
    A mon sens, pour bien expliciter ce qui fait la spécificité de la "communauté" vidéoludique, il faudrait comparer avec les autres lieux de lynchage du ouaibe. Je pense notamment aux zones de commentaires des journaux en ligne qui sont assez fascinantes de violence trollesque.
    Bon, je suis fatigué (jetlag), je développerai peut être plus tard ^^

  • Steph Le 25 août 2013 à 18:51

    On m’accusera sans doute d’être saisi une fois de plus du démon de l’analogie, mais il me semble que toutes choses égales par ailleurs

    Ceci dit, si l’on met de côté tout ce qui pourrait faire que cela ne fonctionne pas, cela peut fonctionner. huhu. (voilà, on va en rester là, hein)

    Le multi sur la plus acharnée compétition ? On ne l’a guère entendu, pas plus que ses pairs, critiquer l’ahurissante violence verbale qui se répand quotidiennement sur les serveurs de son jeu, violence récurrente dans les jeux en ligne, au point que beaucoup de joueuses accablées de remarques sexistes voire de franches insultes à longueur de partie, mais aussi dans une moindre mesure de joueurs, préfèrent éviter cette pratique.

    Parce qu’il y a deux choses dans l’articles, 1/ la violence vers des figures plus ou moins connues du média qui relève plus d’une sorte de vendetta, d’une violence-dette vis-à-vis d’une industrie dont les individus sentent bien qu’elle les enc¨*% mais qui n’ont pas la possibilité d’accéder à cela de manière précise. Avec au final erreur sur la cible (pas certain que les devs ne soient pas des victimes de les formes d’organisation du travail qui président à des titres comme DA surtout avec EA derrière).

    Mais il y a également 2/la violence entre utilisateurs, celle-là est bien plus terrifiante. Pas de société pour supporter derrière, etc. Et là, l’anonymat fonctionne aussi dans l’autre sens. Certes, il protège l’agresseur mais il supprime aussi toute possibilité d’identification, d’anticipation et de perception des conséquences qu’auront sur la victime ce comportement.

    L’expérience - forcément limitée parce personnelle - de LOL, et des chatroom de Wargame que j’ai eu m’ont proprement terrifié, le flot d’insultes et d’invectives que j’y ai vu m’ont conforté dans cette idée que l’insulte est devenue les régime normal d’échange. Tu parlais de l’État de nature dans un article précédent, je pense que ces lieux virtuels en sont des reproductions. Les mêmes causes entrainant les mêmes effets LOL s’est doté d’un tribunal qui a pour fonction d’évaluer et de sanctionner les comportement rapporté par les autres joueurs.

    Je vais surement trop vite, mais je me demande si le caractère exceptionnel de la communauté jeu vidéo tient la route également de ce point de vue. En posant la question il n’y a pas longtemps, un enseignant en technique, m’a alors rappelé : ce sont les mêmes qui passent leur temps à s’insulter, se chambrer dans les cours ou en dehors. Alors anomie ou autres règles...

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