On sait qu’il y a des jeux de programmeur (Minecraft), des jeux de scénariste (les Blackwell), de game designer (Braid) voire de producteur (chez Rockstar). On avait presque oublié qu’il pût exister des jeux d’animateur. Dust : An Elysian Tail nous ramène à l’époque où Jordan Mechner révolutionnait à lui tout seul l’animation avec Karateka (1984) puis Prince of Persia (1989). S’il est peu probable que le premier jeu de Dean Dodrill laisse une marque aussi profonde que ces derniers, il n’en constitue pas moins un vertigineux tour de force.
Animateur vétéran, Dodrill a contribué au Jazz Jackrabbit d’Epic (1994) avant de s’éloigner du jeu vidéo afin de se consacrer à une carrière en freelance. Mais en 2009, il se lance en solitaire dans le projet Dust, au départ pensé comme un modeste Castlevania-like en pixel-art lui permettant d’apprendre à programmer sous XNA [1]. Mais très vite le projet s’emballe, Dodrill revoit ses ambitions à la hausse, et Dust est primé lors de la compétition Dream.Build.Play organisée par Microsoft, qui décide d’éditer le titre sur XBLA. Trois ans plus tard, Dodrill a codé, designé, animé un Metroidvania qui met techniquement à l’amende une bonne part de la production actuelle. Le développeur n’a eu besoin d’aide que pour la composante audio.
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Certes, la direction artistique de Dust ne sera pas au goût de tous : croisement incertain entre Carl Barks et le manga, l’esthétique furry peut paraître maladroite. Le scénario, qui multiplie les clichés, y compris le side-kick mignon, demeure efficace faute d’être passionnant. Le jeu aurait sans doute gagné à être resserré, d’autant que malgré son dynamisme, le système de combat manque assurément de profondeur, faute d’un bestiaire et d’une panoplie de coups plus variés. Mais tout cela n’a guère d’importance, car on ne peut s’empêcher de rester bouche-bée face au jeu en mouvement.
Le personnage principal est un sprite animé à la main, aussi massif qu’aérien, et le voir bondir d’un bout à l’autre des décors peints est un saisissant plaisir. Dodrill multiplie les trucs d’animateurs, amplifiant les mouvements, transformant le moindre coup d’épée en pas de danse, le moindre saut en apothéose, remplissant l’écran d’effets spéciaux qui rappellent la frénésie de Bangai-O (Treasure, Dreamcast, 1999), la difficulté en moins.
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Il faut bien avouer qu’en mode normal, Dust est bien trop facile [2] : mais après tout, peut-être faut-il se réjouir de pouvoir se balader tranquillement dans des niveaux qui favorisent l’exploration, le temps d’accomplir les multiples quêtes secondaires. Le joueur qui cherche un défi pourra monter la difficulté ou essayer d’obtenir le meilleur score aux arènes cachées. Mais le seul plaisir de bouger peut suffire à notre satisfaction, la qualité de l’animation assurant au moindre mouvement de Dust une élégance et une solidité qui évoquent Alucard de Symphony of the Night, pas moins.
C’est que Dean Dodrill fait est un minutieux. Il est tentant de comparer son travail à celui de Polytron. Alors que Fez est émaillé de références explicites aux classiques japonais (des blocs de Tetris en passant par un clone de Navi), Dust se montre peut-être plus fidèle dans son hommage, puisque plus que les signes d’une époque, c’est un savoir-faire qu’il perpétue : les sauts sont au pixel près, et Dodrill explique qu’il a particulièrement retravaillé les menus en compagnie de son bruiteur Chris Geehan, s’inspirant des sensations propres aux classiques Nintendo. [3]
Ce respect pour les classiques n’est pas un passéisme. Dust est un jeu qui déborde d’idées, notamment dans son level-design, bien supérieur à celui d’un Muramasa (Vanillaware, Wii, 2009) auquel on pourrait le rapprocher superficiellement. Si Dean Dodrill mobilise les clichés du jeu de plateforme et du brawler, il sait varier les effets et surtout son imagination d’animateur lui permet de trouver des mécanismes originaux. L’épée du héros, moulinée comme une hélice, joue un rôle prépondérant dans les interactions : elle lui permet de s’envoler lors d’impressionnantes combos aériennes, de couvrir l’écran de boulettes magiques ou encore d’attirer un étrange fruit bombe volant, qu’on croirait tout droit sorti d’un Zelda, et qui permet d’intéressants puzzles.
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Ce qui retient aussi notre attention, c’est le soin accordé à l’ambiance, grâce aux décors aussi lumineux que variés : de la forêt peuplée de daims au cimetière hanté, des champignonnières purulentes aux avalanches, Dust nous emmène dans des lieux certes connus, mais possédant une réelle identité, bien loin de la fade base d’un Shadow Complex ou des mille fois arpentés châteaux de Dracula.
Snobé lors du dernier IGF, mais bien reçu par la presse, Dust : An Elysian Tail ne semble pas avoir rencontré beaucoup d’enthousiasme chez les joueurs, peut-être rebutés par l’esthétique furry. Ils auraient tort de passer à côté de ce travail d’amour, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de mouvoir, avec une infinie fluidité, le personnage sur l’écran.
Notes
[1] Voir l’entretien accordé par Dean Dodrill à EGM
[2] Le mode facile, dans lequel il est presque impossible de mourir a été pensé par Dodrill pour ses jeunes enfants. C’est suffisamment rare pour être signalé.
[3] Voir son post sur Neogaf : "I do have to give credit to my sound guy, Chris Geehan. I basically said "all this UI needs to have the satisfaction of a Nintendo game". We really worked hard on all that stuff, but he of course made the actual sounds. In fact that was sort of a late addition, as all the UI sounded VERY different about 6 months ago. It sounded more like your average game, which dare I say was a little dull ? It wasn’t until I really sat down and studied a ton of UI when I realized no one does it better than Nintendo. Simply pressing ’start to begin’ makes you feel like a champion. "
Vos commentaires
Ladioss # Le 11 septembre 2012 à 14:30
"On avait presque oublié qu’il pût exister des jeux d’animateur."
Il y a eu Insanely Twisted Shadow Planet il n’y a pas si longtemps que ça, quand même.
Martin Lefebvre # Le 11 septembre 2012 à 14:59
Je n’y ai pas joué, j’ai envie de le faire d’ailleurs, bonne remarque ! On n’en n’avait pas parlé je crois, ou alors rapidement dans les papillotes de fin d’année.
Ah oui, Alexis en avait causé : http://merlanfrit.net/Objet-ludique...
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