Ils n’y va pas de main morte Jason Johnson de Killscreen quand il affirme que Salty Bet est le site le plus intéressant du moment. Il n’a peut-être pas tout à fait tort. Sinon, comment expliquer que je vienne de passer plusieurs heures, avec des yeux de merlan frit, à regarder s’affronter des dizaines d’improbables sprites : chiens et super-héroïnes, géants bioniques et personnages de Dragon Ball Z ou de la Marvel, Mickey et Guile tous confrontés dans le gigantesque battle royale de la trash culture geek ? Comment expliquer qu’accrochant du coin de l’oeil l’écran, mon fils soit resté comme paralysé devant les boucles hypnotiques des combats, oubliant ce qu’il était venu me demander ?
Salty Bet est trippant à ce point. On croyait désespérer de la communauté du jeu de baston, dont le sexisme n’est plus à prouver. Pourtant, elle parvient une fois de plus à nous surprendre, avec sa créativité de mauvais enfant. Le principe est simplissime : un flux Twitch en continu, qui inlassablement nous présente deux combattants, des sprites récupérés, piratés, ou créés de toutes pièces et intégrés au moteur de jeu open source MUGEN Les joueurs parient avec de l’argent fictif. Et les combats sont joués par des IA, tandis que sur le chat on les encourage.
Plus la confrontation est improbable, plus elle est jouissive : voir une lolita et sa peluche éclater un géant qui remplit tout l’écran, regarder les attaques super chargées totalement étourdissantes de la version Dark de Ronald McDonald, s’enthousiasmer pour un improbable duel au sommet entre deux Rare Akuma dans un décor gribouillé sous MS Paint... les variations ne sont certes pas infinies, et d’ailleurs la communauté a très vite élaboré un classement par tiers, mais le débutant ne sait pas où donner de la tête. Certains personnages sont complètement cheatés, mais il n’est pas toujours évident de les reconnaître, puisque beaucoup d’entre eux se déclinent en dizaines de version : pour le meilleur comme pour le pire, le jeu pioche dans la galerie de personnages créés par la communauté.
Est-ce un jeu vidéo ? Formellement, oui, puisque les paris constituent une interaction, minimale mais essentielle pour se sentir impliqué : le joueur-spectateur participe au combat, s’engage, se moque de son propre manque de discernement ou au contraire se félicite d’un choix judicieux. Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Salty Bet est avant tout une expérience sans les mains, un regarder jouer. Un rien ahuri, le joueur reste devant son écran à contempler les jolies couleurs qui flashent comme dans un stroboscope. Il écoute le formidable mix muscial, qui enchaîne brillamment Snoop Dog, la B.O. de Symphony of the Night, Aphex Twin et du Death Metal, le tout entrecoupé des cris des combattants et des annonces tonitruantes de l’arbitre. Salty Bet est peut-être l’ultime avatar de la chaîne musicale, ce que MTV aurait pu devenir si elle ne s’était pas reconvertie dans la télé réalité.
Sensation de l’été passé, Salty Bet n’est peut-être pas parti pour durer. Le jeu propose de payer pour acheter de l’argent, mais la fréquentation du stream a déjà diminué : il en va souvent de la sorte pour ce genre de phénomènes, qui s’effacent au moment même où les médias s’y intéressent. Nul doute qu’internet est déjà en train de nous préparer un prochain trip.
Tant que ça dure, Salty Bet est un moyen de revivre ces fins de soirées étudiantes, lorsqu’ébahis et les yeux brillants de fatigue, nous regardions avachis sur le canapé deux amis encore un peu frais se torgnolant à Street Fighter, jusqu’au bout de la nuit.
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