10. Fonds marins

Jeux du réel, réel des jeux

Florent Maurin, auteur notamment de Jeu d’Influences et Chasseur d’Infos, est l’un des plus productifs créateurs de Newsgames français, qu’il préfère appeler « jeux du réel ». Il vient de consacrer au genre un long et passionné article, en forme de manifeste, que je vous invite vivement à lire. Il s’agit ici de répondre à quelques points de ce texte, et d’en profiter pour alimenter la discussion autour du rapport entre le jeu et le réel.

Au début de son papier, Florent Maurin prend l’exemple de Super Mario Bros, afin de définir l’interactivité comme une discussion entre le joueur et le jeu :

« Durant votre première partie de Super Mario Bros., vous êtes libre de précipiter votre avatar moustachu dans un des gouffres qui peuplent chaque niveau. Vous en serez pour vos frais, puisque Mario mourra et recommencera sa quête au début dudit niveau. A partir de ce moment, vous, le joueur, mettrez à jour vos connaissances – Dans Super Mario Bros., il faut éviter les précipices. C’est ainsi que fonctionne la discussion ludique : en interagissant avec la “réalité opérationnelle” qu’est le jeu, le joueur acquiert peu à peu du savoir, une perception des règles façonnant le monde qu’il explore. »

Rien à redire pour le moment. Le problème surgit dès la phrase suivante : « Mais – à mon grand regret – le monde de Super Mario Bros. ne dit pas grand chose du monde qui nous entoure ». A première vue, cela va de soi : dans notre monde, il est rare que les champignons redonnent des vies, et le sens de l’existence ne se limite pas à aller de gauche à droite en évitant des chausse-trappes. Pourtant, si l’on définit le monde comme l’ensemble des règles ludiques – ce que semble faire le papier —, je dirais que celui de SMB dit pas mal de choses du réel. On sait bien que la fiction, aussi fantaisiste soit-elle en apparence, est toujours porteuse d’une vision du monde. On ne peut pas penser Mario comme un objet déconnecté du réel, le jeu de Shigeru Miyamoto, comme tous les jeux, est habité par l’habitus de son créateur : il nous dit quelque chose de son rapport à l’accumulation, à la persévérance, à l’excellence, pour dire ce qu’il y a de plus évident. Plus, comme Super Mario Bros. est un grand jeu, il ne se contente pas de refléter platement le réel, il le façonne et nous le donne à percevoir d’une manière unique. S’il fallait définir ce qu’est le mouvement, l’inertie, le rythme, on pourrait utiliser le classique de Nintendo, qui évoque donc bien le « monde qui nous entoure » et nous englobe.

Pour un « formalisme réaliste »

On serait dès lors tenté de revenir à la vieille opposition entre formalisme et réalisme. Mais à comparer deux tableaux peints respectivement en 1918 et 1919, on sera alors amenés à se demander lequel des deux parle le plus du monde réel ?

Le suprématiste « Carré blanc sur fond blanc » de Kasimir Malevitch, ou le naturaliste « Gazés » de John Singer Sargent ? Ce dernier est un saisissant témoignage des horreurs de la guerre, mais parle-t-il plus du réel que le désir d’infini blancheur du second ? D’autant qu’il est difficile de ne pas voir chez Sarger un symbolisme qui dépasse le simple enregistrement de la réalité, symbolisme que renforce la référence aux « Aveugles » de Pieter Brueghel.

Il me semble à tout prendre que la distinction entre arts du réel et autres arts tient de la fausse piste, ce qui n’empêche pas d’ailleurs les artistes de prendre le problème de la création par le bout qui leur convient, qu’il s’agisse de l’abstraction ou du réalisme.

Si la question m’a frappé, c’est qu’il se trouve que je suis en train de lire Les Règles de l’art, que Pierre Bourdieu a consacré à la naissance du champ littéraire à la fin du 19e siècle. Aux deux courants que sont le réalisme de Murger et l’art pour l’art des parnassiens, le sociologue oppose Baudelaire et Flaubert qui ont pour programme :

« une esthétique fondée sur la conciliation de possibles indûment séparés par la représentation dominante de l’art : un formalisme réaliste. Que dit en effet Baudelaire ? Paradoxalement c’est le travail pur sur la forme pure, exercice formel par excellence, qui fait surgir, comme par magie, un réel plus réel que celui qui se donne immédiatement aux sens et auxquels d’arrêtent les amoureux naïfs du réel, quitte à lui imposer du dehors des significations morales ou politiques qui, à la façon de la légende d’un tableau, orientent le regard et le détournent de l’essentiel. »

 [1]

A propos de l’auteur de L’Education sentimentale, Bourdieu écrit :

« Le travail de l’écriture n’est pas la simple exécution d’un projet, pure mise en forme d’une idée pré-existante [...] mais une véritable recherche. [...] C’est à travers le travail sur la langue, qui implique à la fois et tour à tour résistance, lutte, et soumission, remise de soi, qu’opère la magie évocatoire qui, comme une incantation, fait surgir le réel. »

 [2]

On n’est évidemment pas obligé de partager les principes esthétiques ou le relatif désengagement politique qui caractérise les deux grands hérésiarques de la fin du 19e siècle. Mais il faut bien reconnaître que par certains aspects, leur travail est plus politique que beaucoup d’œuvres dont l’engagement affiché masque mal l’innocuité ; et d’ailleurs la justice du Second Empire ne s’est pas trompée en accusant le caractère immoral des Fleurs du mal et de Madame Bovary.

Cart Life (2011)

Pour revenir au jeu vidéo, il me semble que fût-ce par la bande, un grand jeu nous raconte toujours quelque chose du réel. Si du moins on ne limite pas le discours sur le réel à un discours sur l’actualité, aussi poignante, aussi brûlante soit-elle, mais si on y voit une façon de considérer le monde. The Witness, parce qu’il parle une langue – celle de son gameplay – limpide, m’a dit plus de choses de notre monde que Cart Life, qui malgré ses bonnes idées, ânonne dans un charabia de systèmes incompréhensibles.

Il ne s’agit pas de condamner les « jeux du réel », mais de rappeler que sans maîtrise formelle, tous les beaux discours restent lettre morte, ou pire, qu’ils finissent par dire le contraire de ce qu’ils désirent affirmer.

De la « modélisation du réel »

Maîtriser une forme, c’est aussi en saisir les limites. Et il me semble que si la fiction est à même d’évoquer le réel, et même de faire plus vrai que vrai, elle se prête mal à la démonstration, grande faiblesse de l’art à thèse. Comme l’écrit Florent Maurin, le jeu est tout à fait capable de nous faire éprouver de l’empathie, et de prendre un point de vue extérieur au nôtre : on ne saurait négliger la force de persuasion que cela implique.

Je suis beaucoup plus suspect quant à sa capacité à effectuer une « modélisation du réel ». Qu’un simulateur puisse, en prenant quelques raccourcis, offrir une modélisation satisfaisante de la réalité physique, c’est une évidence, dont témoigne une longue tradition qui va de Flight Simulator à Kerbal Space Program. Après tout il me semble que les physiciens eux-mêmes tendent à modéliser le réel par le biais des mathématiques.

Il me semble que dans le cas des rapports humains, pareille simulation est beaucoup plus suspecte, et ne risque de convaincre que ceux qui partagent d’avance l’opinion du créateur. D’autant que malgré le recours aux statistiques, les sciences sociales n’ont pas vocation à être prédictives, elles cherchent à définir des rapports de force, à relever des régularités, ou encore à souligner des lignes de faille, mais pas à modéliser : lorsque l’économie, qui se rêve parfois aussi limpide que la physique, essaye de le faire, les imprécisions sont grossières.

Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas se réjouir d’un jeu caricatural comme Raid Gaza !, qui ridiculise la politique répressive israélienne en montrant l’absurdité du rapport de force. Mais la caricature n’est pas une simulation, et il ne faut surtout pas croire qu’elle a la moindre force de conviction logique. C’est qu’en simplifiant le réel pour le rendre immédiatement intelligible, elle en émousse les aspérités : c’est précisément le contraire de ce que font les sciences humaines, pour peu qu’elles soient bien comprises.

Pour reprendre l’exemple de Cart Life, en évoquant les difficultés d’un marchand ambulant, le jeu a le mérite de nous faire compatir au sort d’un travailleur pauvre pris dans la spirale de l’endettement : mais un économiste néo-libéral aura beau jeu de nous dire que les règles sont biaisées, et qu’elles ne correspondent pas à la réalité, puisque pour que le jeu soit équilibré de son point de vue, il faudrait que les efforts du personnage soient récompensés par un mieux être social. Il n’avait qu’à inventer une app à succès au lieu de s’enferrer dans son malheur, peu importe que ce genre de success story soit statistiquement négligeable.

C’est tout le problème de la littérature expérimentale que prônait Zola (sans réellement y croire d’après Bourdieu, qui pose l’hypothèse que cette posture tiendrait avant tout d’une tentative de gagner de la considération en profitant de la mode positiviste.) : à partir du moment où le créateur tient à la fois les données de base et leur résultat (puisque le game design détermine a priori l’éventail des possibles), l’expérience n’a aucune valeur de preuve. Quand bien même elle s’appuie abondamment sur le réel, la fiction ne démontre pas, puisque tout est comme si le moindre élément fictif venait contaminer l’ensemble. A partir du moment où l’on modifie la réalité, même aux marges, celle-ci perd sa garantie, puisque le domaine fictif modifie la relation entre le créateur et le récepteur [3].

A défaut de pouvoir simuler le monde social, le jeu, et donc le jeu vidéo, est capable de rendre compte de nos stratégies. Un jeu de cartes aussi simple que le Trou du cul fonctionne comme une belle allégorie de la reproduction des élites : à chaque nouvelle donne celui qui hérite de la position de Président a toutes les chances de son côté. Il n’en constitue cependant pas un modèle au sens physico-mathématique du terme, puisque pour rendre les enjeux lisibles, il les simplifie à l’extrême. A mesure qu’on essaye de plaquer ses stratégies sur le réel, on se rend compte que celui-ci est infiniment plus complexe, et la clarté du propos se dilue.

Unity of Command (2011)

Cette ambiguïté de la simulation des faits humains est présente dans un genre vidéoludique historique : le wargame, dont le but est de rendre raison des conflits, d’en exposer les systèmes. Il serait évidemment trop long — et sans doute trop complexe pour un simple observateur – de rendre compte des débats qui ont animé la scène depuis ses débuts, opposant notamment les tenants de la simulation totale et les partisans de la stylisation des enjeux. Il me semble que les wargames les plus intéressants assument leur parti-pris, et qu’ils se garantissent du soupçon de tricher avec la réalité en se présentant comme des entreprises uchroniques. Ils explorent ainsi des stratégies plus que la réalité des conflits : un jeu comme Unity of Command résume le Front de l’est à deux facteurs essentiels : la capacité de pénétration des blindés et la gestion des lignes de ravitaillement. C’est un parti-pris assumé par les développeurs, qui par ailleurs ne prétendent pas vraiment tenir un discours cohérent sur le conflit, mais plutôt en proposer une interprétation ludique, en se limitant volontairement à quelques données. Le wargame a par ailleurs pour lui, au contraire du newsgame, de travailler sur le passé, et de pouvoir s’appuyer sur une connaissance des résultats des batailles, et sur une solide documentation historique.

A tout prendre, si la simulation peut nous convaincre, et pas seulement nous proposer un plaisant « et si ? », c’est à la marge, presque sans le vouloir, par la seule force de ses mécanismes. C’est ainsi que jouant le Portugal dans Europa Universalis IV, j’ai pris conscience de la pusillanimité de mes entreprises coloniales. Le jeu de Paradox, qui se contente d’une froide neutralité axiologique, ne cherche pourtant pas à dénoncer le colonialisme, mais les mécanismes de la simulation, résonnant avec mes lectures du moment (notamment le Code Noir), m’ont bien permis de comprendre le désir de conquête et de vengeance. Pas dit que la même prise de conscience n’aurait pas pu se produire dans un cadre purement fictif, plutôt que dans une simulation historique.

Vertus du réel

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai pas l’intention de condamner les jeux du réel, ou de me limiter à faire un éloge de la fantasy. Si jouer le réel est intéressant, c’est précisément parce que celui-ci est un cadre fascinant, pour peu qu’il inclue l’ensemble des possibles, et ne se limite pas à une peinture forcée du médiocre : Flaubert – encore lui, alors que je ne le goûte pas tant que cela — traite à égalité la Normandie profonde et Carthage, parce que tous les réels constituent des sujets valables pour son écriture.

Qu’on me permette une anecdote. Il y a quelques mois, j’ai eu la chance de juger des jeux d’étudiants – les prix étaient pour du beurre, heureusement —, qui devaient réaliser un roman interactif dans un cadre historique. Plusieurs projets étaient vraiment réussis, et d’autres, un peu moins. L’un de ces derniers m’a marqué, parce que malgré d’évidentes maladresses, il regorgeait de bonnes idées. Tout n’allait pas trop mal lors de l’introduction, qui posait le cadre historique : tiens, la guerre de Trente Ans, c’est original. Et puis tout d’un coup, un zombie est apparu, et c’était parti pour une succession de clichés. Après avoir fini le jeu, j’ai discuté avec l’un de ses créateurs, à qui je faisais remarquer qu’il était dommage de gâcher un cadre aussi inattendu par l’apparition de la pire banalité que nous offre le jeu vidéo. Le zombie, le donjon, le sorcier... Pâle fantaisie.

Yakuza 5 (2012)

Plus je lis de livres d’histoires, de documents, ou même de romans, plus je suis persuadé que la véritable fantaisie, le véritable dépaysement se trouve dans l’abondance du réel. Plus je deviens incapable de m’intéresser au « lore » certes créé avec passion, mais qui me semble bien fade par rapport aux combinaisons inouïes que nous offre l’altérité bien réelle du passé ou du très loin. C’est peut-être là que le jeu documentaire aurait toute sa place : qu’il nous emmène dans les bagages de l’ambigu Cortès tel que le raconte Bernal Diaz Del Castillo ; qu’il nous fasse découvrir le sort des forçats de l’Ile de Sakhaline qu’a visité Tchékov ; qu’il nous raconte l’histoire tragique du Congo, de Nauru, qu’il nous jette sur les pentes de l’Everest, dans le métro moscovite (le vrai, pas celui d’après l’apocalypse), dans une école de Saint-Denis. Ce sera toujours plus dépaysant que le train-train des Orcs et des Space Marines, qui à force me semblent aussi tristement familiers que mes collègues de travail. Et peut-être aussi l’occasion pour les joueurs comme pour les développeurs, de découvrir un petit bout de ce fichu réel. Et d’ailleurs, n’est-ce pas un peu pour cela que nous aimons les jeux japonais, les Persona et les Yakuza, qui nous plongent dans un quotidien qui nous dépayse : je suis plus fasciné par la reproduction des distributeurs de boissons et des devantures de restaurants que par l’histoire des pierres de pouvoir.

Et n’allez pas croire qu’il s’agisse de fuir le réel par l’ailleurs : où qu’on aille, il se trouve, pour peu qu’on s’efforce de le chercher, par la magie de l’évocation. Pour peu que le jeu fasse son travail, qu’il explore des stratégies, qu’il nous place dans des situations complexes, il nous dira quelque chose de la réalité : le réel des jeux ne tient pas forcément au contexte, mais à la manière dont les mécanismes ludiques s’imbriquent, pour tenir un discours ludique, cohérent, éclairant.

Notes

[1] Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, Points Seuil, p. 182

[2] Idem, p. 183

[3] Tout discours, fût-il journalistique ou sociologique, comporte une part de fiction, mais le discours qui se veut documentaire s’engage à s’approcher le plus possible du réel tel que le perçoit et le comprend son producteur, ce qui n’est évidemment pas le cas de la fiction.

Il y a 13 Messages de forum pour "Jeux du réel, réel des jeux"
  • Florent Le 17 août 2016 à 17:44

    Merci beaucoup, Martin, pour ce passionnant article, qui pousse le sujet bien plus loin que je n’aurais su le faire.
    Globalement, je suis tout à fait d’accord avec toi, mais il y a quand même un point que je voudrais préciser. Quand tu écris :

    Il me semble que dans le cas des rapports humains, pareille simulation est beaucoup plus suspecte, et ne risque de convaincre que ceux qui partagent d’avance l’opinion du créateur.

    En fait, je ne suis pas vraiment d’accord. C’est pour ça que j’ai cité Hofmeier, quand il raconte les Let’s Play de Cart Life. Il expose clairement que, bien souvent, les joueurs commencent leur partie avec de la dérision, voire de l’agressivité par rapport au sujet traité. Mais les mêmes joueurs finissent par s’approprier le personnage, voire par être émus au larmes par son destin tragique. Et ce qui provoque ce lien, c’est bel et bien les règles du jeu, le game design volontairement niqué qui condamne même le joueur le plus efficace à l’échec. Qu’un économiste néolibéral y trouve à redire, je n’en doute pas une seconde, mais la création d’un lien, d’une empathie, via des systèmes de règles, me semble indéniable.

    C’est qu’en fait, je ne tient pas trop au terme "simulation". Je suis, encore une fois, d’accord avec toi qu’on ne risque pas de "démontrer" grand chose en créant une modélisation dont on maîtrise les tenants et les aboutissants. Comme tu le dis :

    A mesure qu’on essaye de plaquer ses stratégies sur le réel, on se rend compte que celui-ci est infiniment plus complexe, et la clarté du propos se dilue.

    Mais il me semble que c’est un reproche qu’on pourrait faire aux jeux qui cherchent vraiment à prouver quelques choses - les "Jeux à thèses", comme les désigne Thomas Morrisset. Ce n’est pas ce type de jeux que j’ai en tête quand je parle de jeux du réel. C’est, plus simplement, des jeux dont les créateurs cherchent à générer, dans la tête du joueur, des images d’un autre réel que le leur. Mais des images sensibles, nécessairement subjectives, pas d’hypothétiques "morceaux de réalité". Les jeux du réel restent des jeux, avec leur part de fantaisie, de créativité, de singulier.

    Au final :

    C’est peut-être là que le jeu documentaire aurait toute sa place : qu’il nous emmène dans les bagages de l’ambigu Cortès tel que le raconte Bernal Diaz Del Castillo ; qu’il nous fasse découvrir le sort des forçats de l’Ile de Sakhaline qu’a visité Tchékov ; qu’il nous raconte l’histoire tragique du Congo, de Nauru, qu’il nous jette sur les pentes de l’Everest, dans le métro moscovite (le vrai, pas celui d’après l’apocalypse), dans une école de Saint-Denis. Ce sera toujours plus dépaysant que le train-train des Orcs et des Space Marines, qui à force me semblent aussi tristement familiers que mes collègues de travail.

    C’est tout à fait ça que je demande et que j’espère des jeux du réel. Qu’ils nous parlent de tout ça, en utilisant à la fois le storytelling et la narration par les systèmes. Et notre prochain jeu, "Enterre-moi, mon amour", ira complètement, nous l’espérons, dans cette direction.

  • Nomys_Tempar Le 17 août 2016 à 20:32

    A la lecture des deux articles (sur le blog et celui-ci), je trouve, pour une fois sur Merlan, que tout ça reste bien léger.

    Florent Maurin ne semble nous parler que d’un genre du jeu qu’il se plait à appeler "jeux réels". Le terme est biaisé, comme tu l’as montré Martin, mais reste suffisamment expliquer pour être admissible. Or si "jeux réels" est un genre de jeux, alors Mario Bros n’est en aucun cas exclut des jeux qui racontent quelque chose du monde, mais est exclut de la définition du terme "jeu réel" donné par Florent Maurin pour parler de sa pratique.
    Simple question de sémantique en somme.

    Je me demande quelle est la nécessité de ce terme de "jeux réels" et d’où vient cette idée que qu’il faudrait mettre à part des jeux sensément plus réels que d’autres ?
    Et c’est la réponse à cette question qu’il manque finalement dans le post de blog original.

    Au passage je ne connaissais pas le terme "newsgame", c’est un terme qui, malgré un lourd coté marketing, me parait assez effectif au niveau du sens qu’il génère. Il suggère assez bien la taille modeste et le sujet issue de l’actualité du jeu.

  • Florent Le 18 août 2016 à 00:28

    A la lecture de votre commentaire, Nomys_Tempar, je trouve, pour une fois sur Merlan, qu’il est bien léger ;-)

    Quelle est la nécessité de parler de "cinéma du réel" ? Quelle est la nécessité de parler de "roman graphique" ?

    Peut-être que, comme les appellations "cinéma" et "bande dessinée", le terme "jeux vidéo" est parfois un peu limité quand on veut désigner certaines familles, certains courants, certains processus créatifs, certaines intentions d’auteur... ou certains rapports au réel ?

    Comme je le dis dans mon poste initial, pour moi, la nécessité est double. D’abord, mettre un nom sur une pratique que je constate de plus en plus fréquente dans le production vidéoludique récente (je cite de nombreux exemples, il y en aurait encore pléthore). Et ensuite, identifier une démarche qui me touche personnellement en tant que "vieux" joueur, alors que les jeux vidéo plus classiques, orientés presque exclusivement vers le divertissement et déployant quasi-systématiquement (quant ils se donnent la peine de raconter une histoire) des récits fictionnels recyclant ad nauseam les mêmes univers et les mêmes clichés, me lassent de plus en plus.

    On n’est bien sûr pas obligé de partager mon enthousiasme pour ladite démarche. Mais on peut reconnaitre qu’elle existe, et pour ce faire, lui donner un nom me semble essentiel.

    Et au passage, c’est "jeux du réel", pas "jeux réels". On est sur Merlan : un peu de rigueur, que diable :-)

  • Nomys_Tempar Le 18 août 2016 à 09:10

    Bien léger en effet :)

    Comme je l’ai dit le terme "jeux du réel" (donc ;o) est tout à fait valide en tant que genre dans la définition que tu lui donnes. Par contre il pourrait donner la fausse impression que les autres jeux "ne parlent pas du réel", tu risques de rencontrer souvent cet écueil (comme dans l’échange sur ton blog).

    Ta pratique (de ce que j’en vois) fait clairement référence au "newsgame d’auteur" même si pour l’instant le "newsgame industriel" n’existe pas (ou en tout cas pas visiblement).

    Pourquoi pas "jeux de l’empathie" ? De se que je lis les "jeux du réel" seraient nous plongeraient dans un gameplay nous mettant en empathie avec le monde. Ça me semble être leur qualité première.
    Impossible de méprendre Mario Bros avec un jeu empathique tout simplement car sa boucle de gameplay me génère pas d’empathie.

  • Florent Le 18 août 2016 à 13:31

    Pourquoi pas, effectivement...
    Mais si SMB n’est pas un jeu emphatique, que dire de Limbo ? De The Walking Dead ? Ou même de Shadow of the Colossus ? Autant de jeux qui misent sur l’empathie, sans pour autant que leur propos fasse directement référence au réel...
    Ah, vaste question ^^

  • etienne Le 18 août 2016 à 17:12

    Bon, c’est un peu embarrassant car le papier de Martin est clairement une division au-dessus - en termes d’outils analytiques et réflexifs - de celui de Florent auquel il réagit, mais la problématique de départ me semble bien oiseuse.
    Cela ne veut pas dire qu’une problématique foireuse ne peut pas servir de prétexte à raconter des choses intéressantes - ce qui est le cas dans les deux papiers - mais c’est pas forcément le meilleur point de départ.

    Chacun des postulats de départs du papier de Florent souffre soit d’un trop grand niveau de généralité, soit d’une position erronée ou simpliste.

    - "Un jeu vidéo peut faire directement référence au réel"

    C’est l’expression "faire directement référence" qui pose problème : il est trivial d’affirmer que n’importe quelle oeuvre de l’esprit fait forcément "référence" au réel, mais que signifie "directement" ? Un plombier qui saute fait-il "directement" référence au réel ?

    - "Il peut décrire ce réel en proposant une modélisation crédible de ses mécaniques"

    Drôle de conception qui prétend embrasser la complexité du "réel" avec des concepts aussi spécifiques et faibles que "modélisation" et "mécaniques". Il faudrait aussi s’interroger sur le sens de "décrire" le réel.
    Cette limite s’applique particulièrement aux phénomènes humains - individuels ou sociaux : essayez de décrire le complexe d’Oedipe ou la montée du nazisme dans les années 1930 en Europe occidentale à partir de "modèles" et de "mécaniques"...

    "En nous permettant de manipuler cette représentation, le jeu nous amène à adopter un point de vue qui n’est pas habituellement le nôtre"

    Cette capacité à "manipuler des représentations" et déplacer le point de vue du sujet est le propre de toute oeuvre de l’esprit et n’est absolument pas spécifique au JV.

    "Cet exercice intellectuel, qui est notamment possible dans le monde du jeu car les conséquences de nos actes n’y sont jamais irréversibles, nous fait grandir"

    Oui, là aussi c’est trivial : le propre du jeu est sa gratuité et sa réversibilité, mais ici encore, rien de spécifique au JV. De même, souligner la dimension pédagogique du jeu revient à enfoncer une porte ouverte : toutes les interactions humaines "font grandir", et les activités ludiques ne sont qu’un vecteur parmi d’autres de ce processus.

    La prolifération rampante de l’idéologie stupide de la "gamification" de la société tend à faire oublier que pour "grandir", il faut aussi la plupart du temps s’emmerder et fournir des efforts sous contrainte : le travail, scolaire ou professionnel, l’attention, l’interaction sociale non choisie etc...
    Et s’il y a bien une dimension du "réel" qui fait "grandir" les enfants, c’est justement la prise de conscience souvent douloureuse de l’irréversibilité des phénomènes - la mort par exemple...

    "Cet apprentissage, nous l’emportons avec nous à notre retour dans le réel"

    Il faudrait en finir une fois pour toute avec cette phénoménologie simpliste basée sur le lieu commun consistant à séparer deux topos - le "réel" d’un côté et le "virtuel" de l’autre - dans l’expérience ordinaire du sujet dans les sociétés contemporaines truffées d’écrans et de Pokémons.
    Cette idée que nous plongerions d’un mode d’expérience à l’autre, en important des éléments d’un "monde" dans l’autre, est à la fois idiote et contrefactuelle : l’expérience sensible du passage entre le "réel" et le "virtuel" est aussi "seamless" qu’un atterrisage dans NMS - sans les fourmillements.

    Il y a au contraire évidemment une continuité totale entre les expériences sensibles "réelles" et la fréquentation des oeuvres de l’esprit, quelles qu’elles soient.

    Les jeux - video ou non - ne sont qu’une forme particulière d’interaction avec le monde et les autres, et leur pratique, tout comme n’importe quelle oeuvre d’art, est tout aussi "réelle" que n’importe quelle autre forme d’interaction avec le monde.

    C’est ce que voulait signifier Proust de façon extrême en écrivant dans le Temps Retrouvé : "la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature."

  • Florent Le 18 août 2016 à 18:31

    Ah c’est bien dommage, Etienne, j’aurais bien aimé discuter avec toi de tous les points de mon argumentation que tu critiques (je pense même que j’aurais pu préciser 2-3 choses et que ça aurait pu t’intéresser), mais j’ai pas un assez gros pénis, heu, pardon, des outils analytiques et réflexifs assez développés.
    Sérieux, la communauté Merlan, vous êtes des gens passionnants, mais tout ce gros savoir, plutôt que de l’agiter à la face des plébéiens dans les commentaires, ce serait peut-être pas mal d’essayer sincèrement de le partager.
    Après, c’est peut-être pas trop votre truc, et dans ce cas c’est cool, mais je vais vous laisser vous biffler entre vous, hein.
    Allez, bisous.

  • Cédric Muller Le 18 août 2016 à 20:41

    Comment dire ... il n’existe pas une réalité, mais des milliards. Le ’réel’, n’est-il pas justement représentatif du tout ?

    Ma réalité, ici là maintenant, est que j’ai accepté de lire les ’articles’ des deux auteurs et je tenais à vous remercier pour ce moment passé en votre compagnie. Ce fut plaisant et divertissant de vous lire (sans ajouter que j’ai appris quelques petits trucs par-ci, par-là).

  • Nomys_Tempar Le 18 août 2016 à 23:24

    @Florent :
    Je te répond quand même avec l’espoir que tu nous lises encore :) Quoi que j’ai pu dire la question m’intéresse, toutes mes excuses.
    Les jeux que tu cites (Limbo, TWD, SOTC) sont justement des jeux de l’empathie. Car leurs créateurs ont souhaiter sciemment créer ce phénomène dans le gameplay. Là où le COD moyen n’est pas un jeu de l’empathie (même s’il peut en créer tout de même). Le réel reste dans l’empathie, mais il n’est qu’un outil dans la représentation elle-même.
    Un Prison Architect me pose question, son gameplay simule le réel, mais créé-t-il de l’empathie ou nous blinde-t-il contre le monde ?
    Situer un jeu à l’aune de son "score" de réel me parait assez casse-gueule.

    @etienne :
    A mon avis, tu es passés à coté de la question soulevée ici.

    Un exemple :
    "Cet apprentissage, nous l’emportons avec nous à notre retour dans le réel"
    Il faudrait en finir une fois pour toute avec cette phénoménologie simpliste basée sur le lieu commun consistant à séparer deux topos - le "réel" d’un côté et le "virtuel" de l’autre - dans l’expérience ordinaire du sujet dans les sociétés contemporaines truffées d’écrans et de Pokémons.
    Cette idée que nous plongerions d’un mode d’expérience à l’autre, en important des éléments d’un "monde" dans l’autre, est à la fois idiote et contrefactuelle : l’expérience sensible du passage entre le "réel" et le "virtuel" est aussi "seamless" qu’un atterrisage dans NMS - sans les fourmillements.

    Tu as lu une opposition réel/virtuel, tandis qu’il était à mon sens plus plausible d’y voir une différence lié aux règles. En d’autres termes Le Cercle du Jeu et Le Cercle de la Vie (cf. R.Caillois). Lorsqu’on joue on sort des règles qui régissent les rapports "normaux" pour entrer dans les règles du jeu. De fait il y a un moment donc où on "retourne" dans les règles qui régissent nos vies. On change de réalité quoi.
    Bien sur vis-à-vis du réel on reste effectivement toujours dedans quoi qu’il en soit, mais en l’occurence s’est vraiment enfoncer des portes ouvertes que de le rappeler ainsi...

    T’es arguments (justes par ailleurs) ne se posent pas sur le même plan.

  • Tony Le 19 août 2016 à 11:59

    Tous les jeux sont du "réel" dans la mesure où ils expriment tous les les représentations plus ou moins conscientes de leur auteur, et la réalité n’est rien d’autre que qu’un matériau qu’on malaxe en fonction de nos regard, notre culture, notre contexte de vie...

    Un jeu intéressant de ce point de vue dans son rapport au "réel", c’est un jeu qui assume de "condenser" un message, un parti pris dans ses mécaniques de jeux. Un parti-pris qui bouscule les présupposés et ne se contente pas de valider les préjugés ou lieux communs.

    Essayer de faire un jeu qui reflète le réel, c’est compliqué mais pas totalement impossible. Un jeu comme Peacemaker y arrive de mon point de vue avec son dispositif mais d’abord parce que les devs ont fait un travail approfondi pour comprendre comment la réalité est représentée et construite par les différents acteurs. Ils ont enquêté et déconstruit patiemment des discours et leur dispositif de jeu est le produit de ce travail de fourmi...

    http://site1727.mutu.sivit.org/inde...

    Il n’est pas certain que les auteurs de jeux vidéo indépendants et de Serious Games aient le même temps ni les même moyens...

    J’ai adoré Jeux d’influence de PixelHunt, il décrit très bien et de façon captivante les ficelles des Spin Doctor mais ce qu’il échoue à mettre en lumière, c’est pourquoi ce phénomène est apparu et pourquoi il a eu une telle capacité à emboliser la politique et la société ces dernières années.

    Sur ce point capital le jeu est silencieux et c’est pourtant précisément sur la variable explicative qu’on l’a attendue. Rechercher et décrire les rapports de pouvoir au sein des phénomènes sociaux devrait être un des objectifs des jeux qui cherchent à "capter" le réel, tout simplement parce qu’ils ne sont pas mis en lumière par d’autres.

  • Cédric Muller Le 20 août 2016 à 10:12

    "Un Prison Architect me pose question, son gameplay simule le réel, mais créé-t-il de l’empathie ou nous blinde-t-il contre le monde ? "
    La virtualité ne pourra jamais remplacer la liberté (navré, fallait que je la place, c’est plus fort que mon esprit tertiaire).

  • Thufir Le 21 août 2016 à 17:51

    Beaucoup de choses ont été dites dans les deux articles qui m’ont beaucoup intéressé. Pourtant, je ne m’intéresse finalement que très peu aux jeux vidéo...

    Le souci est que "jeux vidéo" et un terme composé. La partie "vidéo" on sait finalement assez bien ce que c’est : "des objets multimédia, utilisant l’image (réelle ou illustrée), le son, l’animation et mélangeant le tout par l’entremise de l’interactivité. " commet dit dans le texte de Florent.

    Pour ce qui est de savoir ce qu’est un jeu, c’est finalement un peu plus compliqué. Là encore, Florent donne une définition ("Jouer, c’est prétendre, c’est faire semblant.") mais cette définition est par contre un peu plus discutable.

    Il est possible que le concept de "jeux du réel" que défend Florent sortirait renforcé en évacuant le mot "jeu" (pour le remplacer par quoi, par contre, je ne sais pas). Il est pas certain que la dynamique, du point de vue de l’utilisateur, ça soit tant que ça de jouer quand il fait du Raid Gaza ou une oeuvre de Christine Love. Enfin, à titre perso je ne suis pas du tout dans cette dynamique là.

  • Max Le 22 août 2016 à 09:28

    Il y a un article sur le site qui réfléchit sur la notion de jeu vidéo :
    http://www.merlanfrit.net/Define

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